Envisager la problématique de l’accueil de l’enfance comme relevant de la seule préoccupation des femmes est un raccourci souvent fait. Il permet à bon nombre de personnes d’éluder la question et de ne pas réfléchir aux solutions à y apporter. Cependant, elle conditionne de manière importante l’organisation de la vie économique, sociale et familiale de la population.


En effet, le type d’horaires de travail des parents détermine fortement leur choix quant au mode de garde de leur(s) enfant(s). Et s’il s’avère qu’il est impossible de trouver une structure d’accueil compatible avec leurs horaires, les femmes sont souvent amenées à faire une pause dans leur carrière professionnelle pour s’occuper des enfants. Il est, dès lors, important de constater à quel point la flexibilité de plus en plus importante qui est demandée aux travailleurs, en vue de se conformer à la loi du marché, peut avoir des conséquences se répercutant entre autres sur les enfants. À côté de cela, l’éclatement de la cellule familiale (augmentation des familles monoparentales) et l’indisponibilité des grands-parents (qui travaillent ou habitent trop loin de leurs enfants) demandent des réponses spécifiques, plus souples et moins onéreuses (telles que les haltes-garderies pour un ou deux jours par semaine). C’est pour toutes ces raisons que la politique de l’enfance doit être analysée dans sa globalité en abordant la question du financement de la Communauté française, de l’augmentation du nombre de places d’accueil, de l’accessibilité à des structures d’accueil répondant à des besoins spécifiques, du coût de l’accueil et de l’égalité hommes-femmes face à l’emploi. Tout cela en veillant à la qualité de l’accueil par la prise en compte de l’évolution de l’enfant. Jusqu’à présent, cette analyse n’a malheureusement pas eu lieu de manière globale. Cela a pour conséquence un manque important d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dû aux défauts de solutions apportées à une situation que bon nombre d’entre nous rencontre un jour, à savoir : la garde de son (ses) enfant(s) pendant les heures de travail et/ou pendant les vacances scolaires.

Financement insuffisant du secteur
Étant donné que la politique de l’enfance est une compétence de la Communauté française, il est important de savoir quels sont les moyens dont elle dispose pour répondre aux demandes de la population et pour développer des initiatives nouvelles. Force est de constater que malgré un refinancement des Communautés, décidé en 2001, la part des recettes attribuée au secteur de l’enfance reste faible. Elle devrait s’améliorer de manière plus nette à partir de 2010 mais cela resterait, de toute manière, insuffisant pour répondre aux multiples besoins. À côté de la Communauté française, il existe d’autres sources de financement. Le Fonds social européen, dans le cadre de projets déterminés par les Régions, intervient dans le financement du personnel des structures d’accueil. Le Fonds des équipements et des services collectifs (FESC) intervient également pour l’accueil des enfants de 3 à 12 ans. Tous ces financements ont pour but d’augmenter les moyens affectés à la politique de l’enfance mais ils compliquent très fortement le système. En effet, des mesures très diversifiées qui sont prises ne permettent pas d’aborder cette problématique de manière cohérente. Pour limiter la multiplication des mesures et des financements, on en revient au point de départ, à savoir : mieux financer la Communauté française en vue d’assurer des moyens récurrents à toutes les structures d’accueil de l’enfance. En attendant, il est primordial d’en assurer un cofinancement par le biais du maribel social et des aides pour l’emploi.


Manque de places
Il est effrayant de voir à quel point les parents doivent être prévoyants lorsqu’ils envisagent d’avoir un enfant. Le manque de places dans les structures d’accueil les conduit à en réserver une dans les trois premiers mois de la grossesse. Passé ce délai, la chance de pouvoir assurer la garde de leur enfant devient quasi impossible. Actuellement, en Communauté française, seule une demande d’inscription sur quatre, en moyenne, peut se voir attribuer une réponse positive dans les structures d’accueil des enfants jusqu’à 3 ans. Pour ce qui est de l’accueil des plus de 3 ans, les choses varient d’une commune à l’autre, en fonction du nombre d’initiatives existantes. À côté de cela, la réalité économique favorisant le travail flexible avec les conséquences que cela peut avoir en termes d’horaires (horaires décalés, heures supplémentaires) pose d’énormes problèmes. Les structures d’accueil ne se sont pas adaptées à des schémas de travail atypiques (en dehors des heures classiques 8h-17h30). Dès lors, quel type d’accueil développer pour les enfants malades, pour les enfants d’intérimaires, les artistes ? Ne peut-on pas envisager des aménagements du temps de travail, peut-être de manière collective, pour répondre à cette évolution en veillant, bien entendu, au respect de l’équilibre et du rythme de vie de l’enfant. Et au-delà de cela, ne faut-il pas remettre la qualité de l’accueil, de l’emploi et les aspects de mobilité au travail au cœur du débat ? Les conséquences directes de cet état de fait en sont :

• l’impossibilité pour les femmes d’accepter un emploi immédiatement car elles doivent pouvoir planifier la garde de leurs enfants ;
• le désengagement ou l’adaptation du temps de travail des femmes ;
• l’inaccessibilité à une structure près du domicile des parents (ce qui les amène parfois à faire de longs trajets avec les enfants avant d’aller travailler) ;
• sans compter le manque de choix dans le mode de garde pour lequel les parents désireraient opter.
Conscient de cette réalité, le gouvernement de la Communauté française a lancé le plan « Cigogne » en vue d’ouvrir 10 000 nouvelles places d’accueil supplémentaires d’ici 2010. Pour ce faire, plusieurs mesures ont été envisagées, à savoir, l’augmentation de la capacité d’accueil des maisons communales d’accueil de l’enfance et des accueillantes d’enfants, le développement de crèches parentales et la possibilité offerte aux entreprises de se réserver des places dans les crèches ou de constituer une structure propre en dehors de l’entreprise. Il faudra bien évidemment voir les effets à long terme de cette réforme en termes de développement de places d’accueil. Au niveau fédéral, des mesures ont été prises dans le cadre du crédit-temps, de l’interruption de carrière, du congé parental en vue de permettre aux parents de prendre en charge leur(s) enfant(s) pour une période précise.

Charge financière trop lourde
L’ONE garantit la participation financière proportionnelle aux revenus des parents dans les structures de l’ONE, accueillant les enfants de 0 à 3 ans. Par contre, dans les structures privées, les prix sont fixés librement, sans tenir compte nécessairement des revenus. Or, il arrive que des parents n’aient pas le choix entre structures de l’ONE ou structures privées. Une grande différence peut dès lors apparaître en fonction de l’endroit où les parents vivent. Et les différences de prix sont encore plus marquées dans l’accueil avant et après l’école ainsi que durant les vacances scolaires parce qu’il n’y a pas de subsides donnés aux organisateurs pour leur permettre de diminuer le prix demandé aux parents. Les choses deviennent encore plus difficiles lorsque deux, voire trois enfants doivent être intégrés dans des structures d’accueil. Il ne faut pas négliger non plus le nombre de plus en plus important de familles monoparentales connaissant bien souvent des difficultés financières importantes. Face à cette problématique, le gouvernement de la Communauté française a donné la possibilité aux communes de mutualiser les contributions financières des parents dans l’accueil extra-scolaire (cf. le second article de ce numéro). Attention : on parle bien de possibilité et non d’obligation, ce qui limite bien évidemment le champ d’application de cette mesure. La Communauté française devrait aussi réglementer le montant de la participation financière demandée en précisant qu’il ne pourrait pas être supérieur à 4 euros pour un accueil de moins de trois heures par jour. D’autres réductions sont envisagées, également dans l’accueil extra-scolaire à l’égard des familles nombreuses et des familles aux revenus modestes mais elles restent minimes. D’une manière globale, on constate donc que peu de solutions sont envisagées en vue de réduire le coût de l’accueil des enfants pendant les heures de travail des parents.


Qualité de l’accueil
L’ONE garantit la qualité de l’accueil grâce à un ensemble de règles auxquelles les structures d’accueil doivent se conformer si elles veulent recevoir leur label de qualité. Cependant, les moyens insuffisants dégagés en politique de l’enfance provoquent des carences au niveau du matériel et de l’aménagement des structures qui permettraient de développer de vrais projets pédagogiques pour les enfants. Trop souvent, c’est la politique de la débrouille qui joue dans les crèches ou les garderies qui veulent initier quelque chose. Et le problème est encore plus profond pour l’accueil des enfants de 3 à 12 ans où la Communauté française n’octroie pas de subsides, sauf dans le cadre de projets pilotes. De plus, pour que l’accueil soit de qualité, il faut aussi assurer la reconnaissance et la valorisation des professions concernées et prévoir des programmes de formation complets. L’ONE fait des efforts en ce sens. Elle a mis en place des programmes de formation pour les professionnels en vue de parfaire leurs connaissances. C’est un pas important. Reste à les adapter aux réalités quotidiennes des parents et des puéricultrices ou gardiennes pour que ce soit tout à fait positif.


Conciliation vie privée-vie professionnelle
Tous les points développés permettent déjà de comprendre quels peuvent être les freins à la conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle. La naissance d’un enfant conduit encore bien trop souvent les femmes à réorienter, limiter ou cesser toute activité professionnelle, faute de réelle alternative. Et trop souvent, notre société trouve cela normal. L’État fédéral a répondu à un certain nombre de demandes à ce sujet par le biais du congé parental, de l’allongement du congé de paternité, de l’interruption de carrière et du crédit temps. Mais des mesures doivent être également développées au niveau régional et communautaire dans ce sens. Cela peut se faire par :

• l’utilisation des marges dégagées pour le refinancement de la Communauté française pour l’ouverture de nouvelles places d’accueil ;
• une réflexion approfondie avec les partenaires sociaux et les experts de l’enfance sur les nouvelles formes d’accueil devant se développer en lien avec la flexibilité des horaires des parents, de l’éclatement de la famille, etc. ;
• l’octroi d’une prime en complément des indemnités perçues lors de la période couverte par le crédit-temps.

Revendications
1. Orienter une partie des marges de refinancement de la Communauté française vers la création de nouvelles structures d’accueil. Nous insistons pour que le refinancement de la Communauté française fasse l’objet d’une réelle discussion à tous les niveaux de pouvoir et au sein de tous les partis politiques afin de donner les moyens nécessaires à la mise en place d’un nombre suffisant de structures d’accueil de qualité, répondant aux besoins des enfants en fonction de leur âge. Parallèlement à cela, des efforts doivent être réalisés pour que la politique de l’emploi soit analysée de manière cohérente, étant donné le large panel de dispositions existantes en la matière.

2. Garantir un accès près du domicile. Nous voulons garantir l’accès à tous aux structures d’accueil près du domicile de l’enfant ainsi que le libre choix des parents dans le type de structures (collectif, individuel, familial…).
3. Démocratiser les prix des structures d’accueil. Nous demandons la démocratisation du prix des structures d’accueil en vue de permettre au plus grand nombre d’en bénéficier et de ne pas créer de discrimination entre les familles regroupées dans un périmètre restreint et où la prise en charge des enfants est facilitée par les grands-parents et les familles plus dispersées géographiquement.
4. Revaloriser les professionnel(le)s pour assurer la qualité de l’accueil. Il est primordial de revaloriser la profession de puéricultrice et de gardienne pour assurer la qualité dans les structures d’accueil. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’une politique de l’emploi conférant des emplois stables et de qualité. Le refinancement de la Communauté française doit aussi permettre le développement de réels projets pédagogiques.
5. Adopter des mesures renforçant l’égalité hommes-femmes. Nous demandons des mesures d’accompagnement permettant le traitement égalitaire des hommes et des femmes dans la vie professionnelle, sociale et familiale.

Angélique Widart
Service d’études de la CSC

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