En juin prochain, nous nous rendrons aux urnes. Rarement un scrutin aura paru à ce point joué d'avance. Dans l'esprit d'une partie de l'opinion publique, les jeux sont en effet déjà faits : les perspectives d'une coalition entre la nouvelle fédération PRL-FDF-MCC, qui ratisse décidément large, et le PS paraît à tout le moins réaliste, le PSC n'ayant semble-t-il pas profité de l'"effet Maystadt" et Ecolo, quoiqu'en progression, n'apparaissant pas nécessaire à la formation d'une solide coalition. Élections sans surprises ? Scrutin sans véritable enjeu ? Face à ce scénario trop bien huilé, nous vous proposons, à partir de ce numéro et jusqu'en juin, une série d'articles thématiques consacrés aux enjeux qui nous paraissent les plus importants du scrutin. Au-delà des alliances, stratégies et slogans se profilent des choix de société. Pour inaugurer cette série, Dominique Cabiaux, secrétaire régional de la centrale chrétienne des services publics, analyse le "libéralisme social" face aux services publics.
Services publics et libéralisme
Le polémiste Jean-Louis TIXIER-VIGNANCOURT avait coutume de lancer cette boutade : “En France, personne n’ose se dire à droite, sauf moi...”. En Belgique, c’est sensiblement différent : tout le monde se prétend sinon de gauche, à tout le moins social. Pensons notamment au très en vogue libéralisme social. Mais la première mission d’un acteur social étant de se méfier de la séduction des mots, il convient dès lors de se poser la question : au-delà des générosités déclamatoires, à quoi doit-on s’attendre si les élections portent ce "libéralisme social" en situation de responsabilité ? Reconnaissons d’emblée que le numéro de séduction à l’adresse du PS n’aide pas à comprendre sereinement les intentions réelles du PRL. Au-delà des mots – et de leurs excès – nous nous attacherons donc aux textes. Les programmes constituent en effet l’abscisse sur laquelle rapporter les impressions et les a priori, bons ou mauvais. Trois documents constituent les "tables de la Loi" libérales :“Objectif 100 - la Wallonie j’y crois” (PRL document -non daté-, 157 pages), “Rendre confiance - le manifeste libéral “ (Éditions Luc PIRE, 1997 -408 pages),“Rendre confiance - le programme libéral” (Éditions Luc PIRE, 1998 -601 pages). Ce sont des ouvrages qui tranchent par leur style et leur ton “enlevé” sur les habituelles productions programmatiques. Rendons justice au PRL: son programme ne vous tombe pas des mains sous l’effet conjugué de l’ennui et de l’incrédulité. Quant au contenu, nous nous sommes bornés - parce que telle est la limite de notre compétence - à analyser le chapitre consacré aux services publics.
Cure d'amaigrissement ?
Le PRL charpente l’ensemble de son raisonnement sur deux axes. Le premier : les pouvoirs publics doivent “maigrir” et recentrer leur emprise sur certaines activités (en gros, les départements d’autorité et la lutte contre la misère). Le choix des mots, on le sait, n’est jamais neutre. Le programme fourmille de ces expressions agacées vis-à-vis d’un État qui se mêle inconsidérément de ce qui devrait être laissé au marché : “L'État a délaissé progressivement ses missions essentielles au profit d’un interventionnisme économique et social. Les libéraux furent les premiers à dénoncer les dérives (...). Cette mise en cause d’un État mêle-tout et omniprésent ...”, plus loin : “le libéralisme (...) n’est pas le défenseur d’un État totalitaire et omniprésent.”. Parfois, les charges sont à ce point caricaturales qu’elles semblent écrites sous l’effet d’une bile échauffée par une attente longue et fastidieuse au guichet de la poste : “On ne peut permettre que des agents communaux bénéficient de bonification d’ancienneté fictive qui font parfois remonter leur ancienneté pécuniaire à un âge où ils devaient encore se trouver sur les bancs de l’école.” On pourrait multiplier ce genre de citations tant elles traversent et imprègnent l’ensemble du texte.
Loin de nous l’intention de nier en bloc la pertinence d’une réflexion sur les missions du service public et sa capacité à les assumer efficacement. Mais chacun sent bien que le propos du PRL va au-delà. Il s’agit, ni plus ni moins, de contester l’existence même de pouvoirs publics acteurs déterminants de la vie sociale et économique. Cette intention avance à pas feutrés dans le fatras d’intentions louables, quasi évangéliques. Qu’on songe à cette citation de Jules Michelet, placée là pour atténuer le couplet sur l'État “impuissant” : “Tant qu’il y aura de mes compatriotes qui camperont aux portes de la cité sans pouvoir y entrer, cette cité ne sera pas la mienne”. C’est beau comme l’antique mais ce n’est pas être parcimonieux avec la vérité que de prétendre qu’on prend Michelet en otage d’un propos général qui n’est pas le sien !
Privatisation
Ce couplet sur l'État démesuré, sclérosé, paralysé par sa taille est l’argument de cadrage destiné à préparer l’électeur au deuxième axe de la doctrine libérale en matière de service publics : la privatisation. L’idée, là aussi, est extrêmement simple : la plupart des missions remplies par les pouvoirs publics répondent à des besoins. A ce titre, elles peuvent se concevoir en terme de marché. Dès lors, pourquoi s’encombrer de scrupules ou de principes ? Des entreprises pourraient tout aussi bien - beaucoup mieux disent les libéraux - répondre aux attentes des citoyens élevés à la dignité de clients. “Quel sens y a-t-il encore aujourd’hui à voir l'État s’occuper de transport, de banque, d’assurance, (...)” La notion de “service universel” - sorte de fourre-tout idéologique - permet d’évacuer d’un revers de la main l’inquiétude légitime de celles et ceux qui se demandent si l’utilisateur ne va pas pâtir de cette privatisation. L'État fixe un cahier des charges que l’entrepreneur doit respecter. Reste que le PRL n’explique pas vraiment comment reste garantie, de cette façon, l’égalité d’accès des citoyens - quel que soit leur statut et leurs moyens - aux différents services. Que devient l’autobus qui dessert un quartier éloigné à une heure qui interdit toute rentabilité ? Sauf à considérer que le marché est guidé par des considérations philanthropiques – ce qui reste à démontrer –, il nous reste à envisager l’hypothèse de la suppression du service et l’assignation à résidence des citoyens dépourvus d’un moyen de transport individuel.
Servir le public ?
Le PRL aurait été bien inspiré de relire Lamennais : “Entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère.” Le service public n’est rien d’autre que l’application de ce principe à des services fondamentaux. Le programme libéral tente de clore le débat par une citation d’Alain Madelin : “le service public, ce n’est pas le droit d’exploiter un public captif mais le devoir de servir le public au mieux.”... Servir le public au mieux par une cure d'amaigrissement et des privatisations ? Le programme libéral conduit en réalité à tout le contraire.
Grattez le vernis et vous découvrirez une droite soucieuse avant tout de revenir aux affaires.