adult female healthcare professional as she was receiving an intramuscular vaccination 725x479Les femmes n’ont pas les mêmes risques de maladies que les hommes et ne leur sont pas égales en matière de soins de santé, révèle une étude de la Mutualité chrétienne (MC). Pour établir ses constats, la MC s’est penchée sur les multiples dimensions de l’accès aux soins de santé : la capacité à identifier les problèmes de santé des personnes et à atteindre les services de soins de santé, mais aussi l’accessibilité financière des services ainsi que leur qualité. En voici les principales observations. 

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Les données scientifiques ne laissent aucune place à l’ambiguïté : les femmes sont confrontées à davantage de problèmes de santé au cours de leur vie que les hommes. Si elles vivent plus longtemps, ces années supplémentaires sont souvent synonymes de mauvaise santé. Le fait est que les hommes sont confrontés plus souvent à des maladies mortelles, les femmes à des maladies non mortelles et invalidantes : des maladies de longue durée qui limitent leurs activités quotidiennes jusqu’à mettre en péril leur capacité de travailler 1.


Des causes multiples

Pendant très longtemps, les hypothèses d’ordre biologique ont été privilégiées pour expliquer ces différences. Il est vrai que certaines, telles celles liées au système hormonal peuvent les justifier. Le niveau plus élevé d’estrogènes chez les femmes les protège par exemple des maladies cardiovasculaires 2, une des raisons fréquentes de décès chez les hommes. Néanmoins, de façon générale, les différences biologiques n’offrent pas des explications suffisantes 3. Les femmes ne sont pas un « sexe faible ».

Des facteurs non biologiques – comme les conditions de vie – jouent un rôle crucial dans les risques de développement des problèmes de santé 4. Il a été ainsi démontré que ne pas avoir suffisamment de ressources économiques oblige les gens à négliger leur santé au profit d’autres soucis de la vie quotidienne, sans oublier l’impact sur la santé du stress que subissent les personnes face à l’incertitude économique 5. On sait aussi que les femmes en Europe occidentale ont tendance à être plus pauvres que les hommes, subir plus de discminations à l’embauche et sur le lieu de travail, et avoir des salaires plus bas que ceux des hommes 6.

Il existe également des facteurs – ni biologiques ni économiques – qui renvoient à ce qu’implique le fait même d’être une femme dans la société actuelle. Ces facteurs relèvent du genre, entendu comme « un système de bicatégorisation hiérarchisé entre les sexes (hommes/femmes) et les représentations et les valeurs (masculin/féminin) qui leur sont attribuées » 7. En tant que rapport social, le genre détermine la vie des personnes dans toutes ses dimensions, y compris la santé.

Le système de santé belge est-il sujet aux biais de genre ? Est-ce que la pratique médicale de la prévention, du diagnostic et du traitement est imprégnée des valeurs et des représentations sur les sexes qui créent des inégalités en santé entre les femmes et les hommes ?

Accès aux soins : la route barrée pour les femmes ?

Pour répondre à cette question, l’étude s’est penchée sur l’accessibilité des soins de santé, car l’accès aux soins de santé peut en effet diminuer ou au contraire aggraver les inégalités de santé existantes (voire en créer de nouvelles). L’accessibilité des soins de santé est un problème multidimensionnel. Elle implique la capacité d’identifier les problèmes de santé des personnes, qu’on appelle la sensibilité des soins de santé ; la capacité d’atteindre les services des soins de santé, la disponibilité; l’accessibilité financière des services ainsil’accessibilité financière des services ainsique leur qualité, leur acceptabilité 8. Chacun de ces aspects dépend à la fois de l’organisation dessoins de santé et des patient·es eux·elles-mêmes.

La sensibilité

Quand bien même les personnes peuvent être à la source de l’identification de leurs propres besoins, leur capacité à pouvoir identifier la nécessité de faire appel aux services de soins dépend largement de circonstances de vie qui peuvent « distraire les personnes par rapport à leur santé ». C’est aux professionnel ·les de santé qu’il revient d’identifier les risques de santé (par un dépistage précoce par exemple) ainsi que de déclencher la prise en charge.

Étudier l’influence du genre sur l’accessibilité des soins de santé du point de vue de la sensibilité signifie donc analyser s’il y a des différences dans cette identification des besoins entre les hommes et les femmes. Les recherches internationales montrent qu’il existe un risque accru pour les femmes d’avoir un mauvais diagnostic ou de ne pas avoir de diagnostic du tout alors qu’une maladie est bien présente. Cela concerne des problèmes spécifiquement féminins, notamment liés au système reproductif ainsi que des maladies communes aux femmes et aux hommes.

En guise d’exemple, prenons celui des maladies cardiovasculaires. Pendant longtemps considérées comme des maladies « masculines », les maladies cardiaques sont encore souvent sous-diagnostiquées chez les femmes parce que leurs symptômes s’écartent des symptômes masculins 9. Signe de l’androcentrisme de la science médicale qui prend pour référence le corps d’homme : encore aujourd’hui les symptômes féminins sont présentés comme des symptômes « atypiques ». Le sous-diagnostic s’accompagne souvent de traitements inadéquats. Par exemple, il existe une tendance, chez certain·es professionnel·les de santé, à éviter de faire appel aux traitements invasifs pour des raisons qu’on peut qualifier de « sexisme bienveillant », car ces traitements seraient considérés comme très lourds pour les femmes tout en étant en même temps prescrits pour les hommes 10.

En Belgique, les femmes sont moins hospitalisées pour des maladies cardiovasculaires que les hommes 11. Elles subissent également moins de procédures coronariennes percutanées 12 et de reperfusions myocardiques 13. Sont-elles pour autant moins souvent confrontées à des maladies cardiovasculaires nécessitant des interventions invasives ? Il est difficile de l’estimer.

Deux facteurs de risque de la maladie coronarienne sont l’obésité et la consommation de tabac. Dans les deux cas, les données de Sciensano ne permettent pas d’observer des différences notables entre les hommes et les femmes. Il n’y a aucune différence statistiquement significative pour l’obésité. Quant à la consommation de tabac, le taux de fumeurs quotidiens chez les hommes est 18 % et chez les femmes 12 % en 2018. Avec l’âge cette différence est encore moins marquée, car « chez les femmes, le pourcentage augmente avec l’âge jusqu’à 64 ans où il atteint près de 17 % ». Les différences dans le recours aux soins coronariens chez les hommes et les femmes ne reflètent donc probablement pas la prévalence réelle des problèmes cardiovasculaires chez ces deux groupes et suggèrent que les femmes sont sous-diagnostiquées et manquent de suivi.

La disponibilité

Pour être accessibles, les soins de santé doivent être également disponibles. D’une part, il s’agit de la disponibilité des services qui doivent être « atteignables à une distance raisonnable, dans un délai raisonnable, avec une plage horaire suffisamment étendue et avec une prise de contact aisée » 14. D’autre part, il faut que les personnes aient la capacité d’atteindre les services.

Tant du point de vue spatial (la disponibilité géographique des lieux, l’accessibilité des services et des trajets pour les rejoindre, par exemple) que temporel (les heures d’ouverture des services et la durée des trajets pour les rejoindre), les femmes ont plus de risques de rencontrer des difficultés d’accès aux soins que les hommes. En raison de la répartition inégalitaire des tâches intrafamiliales 15, les femmes disposent en effet de moins de temps libre comparé aux hommes ; elles utilisent aussi plus souvent les transports en commun que les hommes 16 et sont donc plus à risque de se retrouver dans une situation de personne à mobilité réduite.

Accessibilité financière

L’aspect de l’accessibilité le plus souvent cité est sans aucun doute l’aspect financier. L’accessibilité des soins dépend fortement de la situation financière de la personne : plus ses revenus sont faibles, plus elle risque de ne pas recourir aux soins 17. La façon dont les ressources financières sont partagées au sein de la société et plus spécifiquement au sein de la famille est donc une variable dont dépend le recours aux soins. En Europe occidentale, les femmes ont tendance à être plus pauvres que les hommes 18. Selon l’enquête européenne EU-SILC, en 2021, on observe des différences statistiquement significatives entre les hommes et les femmes dans le report des soins pour des raisons financières : les femmes rapportent plus de problèmes médicaux (et de soins dentaires) insatisfaits pour des raisons financières 19.

Acceptabilité

Dimension souvent sous-estimée de l’accessibilité des soins de santé, l’acceptabilité désigne à la fois la qualité des soins prestés tant du point de vue de la médecine (sécurité et adéquation des soins) que des attentes et choix individuels (soins à la maison, par exemple) et de la qualité interpersonnelle des relations entre les professionnel·les de santé et les patient·es (respect, bonne communication, absence de discriminations, rapport de confiance, etc.). Les soins de santé qui ne sont pas perçus comme acceptables engendrent des risques supplémentaires pour les personnes, notamment le report des soins dans le futur à cause d’une ou plusieurs mauvaises expériences par le passé.

Nous avons vu que des stéréotypes de genre imprègnent la pratique médicale : les professionnel ·les de santé posent leurs choix en se basant non seulement sur leurs connaissances médicales, mais aussi sur des idées implicites et non thématisées par les professionnel·les eux·elles-mêmes 20.

La profession médicale elle-même est fortement genrée. En Belgique, selon les données de Statbel, les femmes constituent presque 80 % de tous·tes les soignant·es. Si 85 % des infirmier·ères et 91 % des aides-soignant·es sont des femmes, il semble que la situation est plus égalitaire chez les médecins : 46 % des généralistes et 45 % des spécialistes sont des femmes. La féminisation de la profession médicale se fait clairement grâce aux jeunes générations où la part des femmes est plus élevée que chez les générations plus âgées. Ces chiffres moyens cachent pourtant des inégalités importantes entre les différentes spécialisations. En pédiatrie, gériatrie, dermato-vénérologie, psychiatrie infantilo-juvénile, 65 % des praticien·nes sont des femmes tandis qu’elles sont moins de 35 % pour des spécialisations telles qu’orthopédie, neurochirurgie, chirurgie, neuropsychiatrie, cardiologie, stomatologie, radiodiagnostic. Ce « partage » reproduit les stéréotypes concernant les natures féminine (douce, attentive) et masculine (précise, forte, autonome, responsable) et risque d’induire la dévalorisation du travail des femmes par rapport à celui des hommes.

Si, en outre, nous croisons ces données avec les données salariales, nous constatons d’importantes inégalités économiques : plus le salaire annuel d’une spécialité est élevé, plus il y a de chances que les hommes y soient majoritairement représentés. Les hommes sont également majoritaires dans les lieux décisionnels les plus élevés. Selon nos calculs, au sein du Conseil national de l’Ordre des médecins, seulement cinq membres parmi les 38 sont des femmes, soit 13 % des membres et suppléant·es confondu·es. De même, l’Académie royale de médecine de Belgique compte 16 femmes parmi ses 86 membres titulaires, soit à peine 1 membre sur 5. Ou encore, parmi les 159 directeur·rices des hôpitaux belges seulement 33 sont des femmes, soit à peine 21 %.

Soulignons toutefois que la féminisation de la profession médicale n’aboutira pas à la réduction des inégalités sans la remise en question de la prétendue « neutralité » des standards de la science médicale. La source du problème est en effet aussi dans la construction même de la connaissance 21 qui néglige l’expérience des femmes tant lors de la formulation des hypothèses (similitudes ou différences supposées et erronées entre les hommes et les femmes), que de l’élaboration de la méthodologie de recherche (où la sous-représentation des femmes demeure un véritable problème 22). La récolte des « données relatives à l’égalité (equality data) » 23 vise à éviter, mais par là aussi à mettre en évidence, les biais auxquels nous pouvons être confrontés dans les recherches sur les soins de santé.

Pour réduire les inégalités de genre dans les soins de santé, l’étude de la MC se conclut par une série de recommandations à destination des décideurs et décideuses politiques ainsi que des responsables du système de soins. Ces actions doivent viser ultimement – outre la suppression des discriminations genrées d’opportunités, d’allocations des moyens et d’accès aux services – l’équité dans la distribution du pouvoir, des ressources et de la responsabilité. Cet objectif ne pourrait toutefois être atteint sans tenir compte des différences dans les besoins des personnes, et notamment entre les hommes et les femmes, et du déséquilibre caractéristique de la société d’aujourd’hui. # 

(*) Chargée de recherche au Service d’études de la Mutualité chrétienne

 (c) Pixnio /USDCP / James Gathany - Judy Schmidt

 

1. En effet, en 15 ans, le nombre de femmes en incapacité de travail de plus d’un an a doublé et constitue aujourd’hui presque 15 % des femmes actives, le nombre d’hommes en incapacité ayant évolué de 5 % en 2005 à 8 % en 2021. Données du Bureau fédéral du Plan disponibles sur www.indicators.be
2. Avec l’âge et le début de la ménopause, le niveau d’estrogènes toutefois baisse et perd ses valeurs protectrices.
3. C. BIRD, P. RIEKER, Gender and Health : The Effects of Constrained Choices and Social Policies, New York, Cambridge University Press, 2008.
4. M. MARMOT, The Health Gap : The Challenge of an Unequal World, London, Bloomsbury, 2010.
5. R. WILKINSON, K. PICKETT, Pour vivre heureux, vivons égaux, Paris, Les liens qui libèrent, 2020.
6. European commission, 2021 report on gender equality in the EU, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2021; European Institut for Gender Equality, Gender Equality Index 2021 : Health, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2021.
7. L. BERENI, S. CHAUVIN, A. JAUNAIT, et A. REVILLARD, Introduction aux études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, 2020.
8. S. CES, « Accès aux soins de santé, définition et enjeux », MC-informations, 2021, 286.
9. F. MAUVAIS-JARVIS, N. MERZ, R. BRINTON, J.-J. CARRERO, D. DEMEO, G. DE VRIES, A. SUZUKI, « Sex and gender : modifiers of health, disease, and medicine », Lancet, 2020, vol. 396, pp. 565-582.
10. C. TRAVIS, D. HOWERTON et D. SZYMANSKI, « Risk, Uncertainty, and Gender Stereotypes in Healthcare Decisions », Women & Therapy, 2012, vol. 35, pp. 207-220.
11. Voir chiffres du SP Santé publique pour l’année 2019.
12. En 2021, deux fois moins de femmes ont subi des procédures coronariennes percutanées que les hommes. Voir chiffres de l’INAMI.
13. En 2021, les femmes ont eu trois fois moins de reperfusions myocardiques que les hommes. Voir chiffres de l’INAMI.
14. S. CES, op. cit. 2021, p. 9.
15. Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, Femmes et hommes en Belgique, 3e édition, Bruxelles, 2020.
16. S. SANSONETTI, E. DAVERN, Women and transport, European Union, 2021.
17. S. CES, op.cit, pp. 9-10.
18. P. FRANKLIN, C. BAMBRA et V. ALBANI, Gender equality and health in the EU, Brussels, European Commission, 2021.
19. Nous pouvons aller plus loin et comparer les données selon le sexe et selon le pays de naissance des personnes. Il en ressort clairement que les femmes qui sont nées en dehors de la Belgique éprouvent plus de difficultés que les autres groupes et surtout les hommes, ce qui montre l’importance de l’intersectionnalité pour mieux appréhender les inégalités de santé.
20. E. N. CHAPMAN, A. KAATZ et M. CARNES, « Physicians and implicit bias: how doctors may unwittingly perpetuate health care disparities », Journal of general internal medicine, 2013, vol. 28, n° 11, pp. 1504-1510.
21. A. HOLDCROFT, « Gender bias in research : how does it affect evidence-based medicine », Journal of Royal Society of Medicine, 2007, vol. 100, n° 1, pp. 2-3.
22. V. DAITCH, A. TURJEMAN, I. PORAN, et al, « Underrepresentation of women in randomized controlled trials : a systematic review and meta-analysis », Trials, 2022, vol. 23, n°1, p. 1038.
23. UNIA, Rapport final : Improving Equality Data Collection in Belgium, Bruxelles, 2021.

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