Les Agences Locales pour l’Emploi proposent à des personnes considérées comme éloignées du marché du travail d’exercer des activités au service de particuliers ou d’organisations, en attendant de retrouver un «vrai» emploi. Nous avons cherché à analyser quels sont, selon les prestataires, les effets du dispositif pour pouvoir confronter leur vision à celle des collaborateur·rices ALE (c’est-à-dire le personnel de l’ALE sous l’autorité fonctionnelle du Forem) et celle des conseiller·ères du Forem.
Crédit photo : Forem
Hélène DE MAERE D’AERTRYCKE, étudiante-chercheuse (Master en ingénierie et action sociales Louvain-la-Neuve/Namur) et Thierry DOCK, professeur dans le MIAS LLN/Namur et maitre de conférences à l’UCLouvain (FOPES et École des Sciences du Travail).
Peu médiatisées, les Agences Locales pour l’Emploi (ALE) ont une histoire de plus dans trente ans. Le dispositif nait en 1987. À cette époque, la Belgique subit toujours les effets de la crise économique de 1973 et le chômage est très élevé (1). L’État fédéral met en place une série de mesures pour contrer les effets de cette crise, dont les ALE (2).
Le dispositif fonctionne de la manière suivante. Une Agence Locale pour l’Emploi propose à des personnes considérées comme éloignées du marché du travail d’exercer des activités au service de particuliers ou d’organisations, en attendant de retrouver un « vrai » emploi. Un principe important est que les travailleur·ses ALE réalisent des tâches qui ne sont pas rencontrées par les circuits de travail réguliers et qui ne sont pas en concurrence avec ceux-ci (3).
Environ 10% des demandeur·ses d’emploi inscrit·es en ALE effectuent des prestations auprès de particuliers, d’associations, d’établissements scolaires. Ceci s’observe malgré la faible reconnaissance de cette démarche qui, pour le Forem, ne peut pas être prise en compte comme une période d’emploi, contrairement à l’intérim ou un contrat saisonnier, par exemple.
Le dispositif parait peu visible, peu attractif, rarement évalué, voire ambigu. On peut dès lors s’interroger sur sa pertinence. Il est pourtant censé être un « tremplin vers l’emploi » pour des personnes qui risquent l’exclusion si elles ne remplissent pas les obligations liées au statut ALE.
Dans les analyses actuelles, la parole est très peu donnée aux prestataires ALE. Nous avons considéré qu’il était important de les entendre pour comprendre ce qui les anime quand ils·elles réalisent des travaux ALE. Nous avons cherché à analyser quels sont, selon eux, les effets du dispositif pour pouvoir croiser les points de vue et confronter leur vision à celle des collaborateur·rices ALE (c’est-à-dire le personnel de l’ALE (4) ) et celle des conseiller·ères du Forem.
Cette problématique est d’actualité puisque, depuis le 1er juillet 2022, à la suite de la réforme de l’accompagnement des demandeur·ses d’emploi, les ALE sont devenues officiellement « partenaires » du Forem. Cela implique que le Forem peut « adresser » un·e demandeur·se d’emploi vers l’ALE et attendre un retour du·de la collaborateur·rice ALE sur la façon dont il·elle s’investit dans le dispositif.
L’ALE, outil d’insertion ?
La référence à l’insertion est utile à mobiliser pour essayer de mieux définir le rôle des ALE et la mission des collaborateur·rices ALE.
En cherchant à comprendre les effets des prestations, c’est aussi le sens de ces activités qui est questionné ainsi que la reconnaissance espérée par les prestataires. Différents auteurs, parmi lesquels Marc Loriol (5) , rappellent la souffrance que provoquent le manque de reconnaissance et le besoin de chacun·e de voir le fruit de son labeur validé par autrui. Il ajoute à cette idée que « le sens se construit », ce qui peut aider à expliquer le choix d’effectuer des prestations ALE.
Quel est le regard des acteur·rices sur les missions de l’ALE: de quelle insertion parle-t-on (6) ? Pour la conseillère du Forem interrogée, le rôle de l’ALE est de « faire évoluer les personnes qui ont des problèmes de santé ou un handicap, ou tellement de problèmes que si elles font déjà ça, c’est bien, c’est un premier pas ». On pourrait interpréter le propos comme une possibilité de déléguer l’insertion sociale aux ALE afin que le Forem puisse se concentrer sur l’insertion professionnelle de ceux et celles qui sont « prêt·es » à l’emploi.
L’analyse des discours des collaborateur·rices ALE montre une grande diversité dans la perception de la mission des ALE. Insertion sociale pour certain·es, insertion socioprofessionnelle pour les autres. Mais tous·tes s’accordent pour dire que l’insertion professionnelle est rare. Pour certain·es, la priorité est de satisfaire les utilisateur·rices en assurant la rencontre entre l’offre et la demande de services de proximité. Pour d’autres, elle consiste à favoriser la réinsertion sur le marché de l’emploi sous diverses formes : informer et orienter, redonner confiance, retrouver un rythme, acquérir un savoir-être, sortir les demandeur·ses d’emploi de l’isolement, remotiver, offrir une possibilité d’évolution via des prestations ou des formations, accompagner.
«L’approche du terrain confirme la difficulté – aussi grande pour les collaborateur·rices ALE que pour les conseiller·ères Forem ou les demandeur·ses d’emploi – de définir l’insertion socioprofessionnelle et le rôle de l’ALE.»
L’analyse des entretiens avec les demandeur·ses d’emploi révèle aussi une vision floue sur la finalité et les effets du dispositif. Les prestataires soulignent le rôle social de l’ALE, mais un peu moins celui de « tremplin vers l’emploi ». L’entretien avec une prestataire originaire du Burundi, arrivée en Belgique depuis quelques mois, est révélateur. Elle y voit surtout un moyen de s’intégrer, rencontrer des gens. Elle souhaite « ne pas rester à la maison… aider les autres ».
« J’ai envie de connaitre les gens d’ici parce que je suis nouvelle. » Institutrice de formation, elle a accepté des prestations dans une école et apprécie ce travail en équipe. Elle est intéressée par une formation, « et puis, peutêtre plus tard, trouver du travail ». Un autre prestataire souligne aussi ce côté social du travail et précise l’importance de se sentir utile : « […] J’ai servi à quelque chose aujourd’hui. Donc, c’est un peu une façon de déculpabiliser [silence]… Le chômage, c’est une culpabilité, oui… » Il pense qu’« il y a des personnes qui ont vraiment besoin de ce service à prix réduit… C’est intéressant, autant pour les travailleurs que pour les personnes âgées ».
Un autre entretien pourrait se résumer ainsi : « L’ALE, c’est un travail, mais en même temps, pas vraiment…» À la suite d’une succession de problèmes (perte d’emploi, décès des parents, divorce, burn-out), ce monsieur s’est retrouvé au CPAS à presque 50 ans. On lui a dit qu’il ne retrouverait jamais d’emploi. Mais il se souvient qu’on lui a suggéré de s’inscrire à l’ALE. Il y est depuis trois ou quatre ans et réalise du jardinage. Il se considère comme quelqu’un qui travaille et reporte parfois même une visite à ses enfants pour assurer ses prestations, leur expliquant que c’est grâce à l’ALE qu’il peut aussi parfois leur faire un petit plaisir, payer leurs courses. Il y voit un rôle social tant pour les personnes qui font appel au service que pour lui. Il a d’ailleurs créé des liens forts, d’amitié, avec « ses p’tits vieux », dont il prend soin presque comme s’ils étaient ses parents. Quand on l’interroge sur le but de l’ALE, c’est encore l’aspect social qu’il souligne : «Est-ce que cela peut rapprocher de l’emploi ? Non, car on ne me propose pas un travail : une société ne va pas me proposer… C’est pas le but de l’ALE de nous trouver du travail. Le but, c’est de mettre en rapport des personnes qui ont besoin d’une aide et ceux qui ont envie de les aider […]. L’ALE, c’est plutôt donnant-donnant, pas du travail, c’est plutôt pour rendre service. »
On le voit, l’approche du terrain confirme la difficulté – aussi grande pour les collaborateur·rices ALE que pour les conseiller·ères Forem ou les demandeur·ses d’emploi – de définir l’insertion socioprofessionnelle et le rôle de l’ALE. Les acteur·rices sont en revanche unanimes sur l’importance du rôle social, qui, comme le montrent les entretiens, va bien plus loin que « sortir de chez soi » : intégration dans un pays d’accueil, tissage et approfondissement de liens sociaux, respect et valorisation des savoirs d’une autre génération, partage d’expériences, entraide, besoin de se sentir utile pour sortir de la culpabilité liée au statut de chômeur. On voit aussi, au travers du dernier témoignage, qu’il y a une vraie ambiguïté dans la perception de « travailler » ou « rendre service ». Ceci nous amène à poser la question suivante : quel est le sens du travail et quelle reconnaissance en attend-on quand on preste en ALE ?
Sens et reconnaissance dans le travail
L’analyse des effets des prestations ALE révèle des différences de perception entre les différents acteur·rices. Il est intéressant de repérer le sens que chaque acteur·rices construit et la façon dont il tente de valoriser son travail, d’en tirer un peu de reconnaissance.
Les propos des collaborateur·rices ALE révèlent une vision assez conforme au travail prescrit. Le discours, calqué sur les termes utilisés dans le prospectus rédigé par le Forem pour promouvoir le dispositif, et tant de fois répété aux demandeur·ses d’emploi pour les inciter à s’inscrire à l’ALE, semble bien rôdé : complément de revenus, flexibilité horaire, travail près de chez soi, accès aux formations, possibilité d’expérience professionnelle… On pourrait parler de « travailleur·ses sociaux normatifs » (7), qui veillent au respect de la réglementation et présentent les aspects positifs du système ALE.
Les prestataires soulignent surtout l’aspect social qu’ils·elles associent au dispositif. L’apport financier n’est pas systématiquement évoqué. Et le discours est teinté d’un cruel réalisme lorsqu’ils·elles parlent de réinsertion professionnelle. La faible rémunération est perçue comme peu valorisante, mais relativement juste puisqu’elle vient en complément des allocations perçues (8). Certain·es laissent par ailleurs entendre qu’ils·elles acceptent les prestations à condition de pouvoir s’y rendre à pied, pour ne pas avoir de frais de déplacement. Ils·elles compensent en quelque sorte la souffrance ou le sentiment d’injustice provenant « d’un déséquilibre entre ce que le travailleur fournit comme effort et ce qu’il en retire comme gratification matérielle ou symbolique » (9). Les entretiens montrent que « certains chercheront une forme de reconnaissance extérieure ou sociétale, ou de façon plus locale, la reconnaissance par le client ou le destinataire du service [qui] permet de renforcer la satisfaction professionnelle » (10). Tandis que certains prestataires insistent sur l’aspect « intégration », d’autres identifient une recherche de sens, un besoin de se sentir utile pour la société.
Le discours de Marc Loriol est congruent avec celui des prestataires qui soulignent la gentillesse, la patience et l’écoute dont fait preuve le personnel ALE qui les accompagne : « La hiérarchie peut pallier une reconnaissance insuffisante ou trop distante en favorisant un management de proximité, attentif à encourager, motiver, récompenser et évitant de se réfugier derrière des indicateurs trop abstraits. »
On pourrait voir dans la prestation ALE une opportunité de remettre à l’honneur l’aspect « humain » dans l’emploi. Cela pose la question d’une complète revalorisation du statut des prestataires, qui mettrait fin à l’hypocrisie d’un « contrat ALE» qui n’est pas un vrai contrat de travail. Comme le souligne Jean-Michel Lovinfosse, coprésident de la Plateforme Wallonne des ALE: « Le législateur a été imaginatif lors de l’élaboration (…) de ce type particulier de contrat. (…) L’idée était de maintenir la priorité du statut de demandeur d’emploi sur celle de salarié afin que les prestations ALE n’entrent pas en contradiction avec l’obligation d’accepter un emploi convenable (11). » Cette notion d’emploi convenable est fondamentale. Les ALE constitueraient-elles un piège à un emploi convenable ?
Les ALE, pièges à l’emploi?
Les ALE ont rapidement été accusées de constituer un piège à l’emploi, à cause du risque d’enlisement des prestataires qui, trouvant la situation confortable, s’y installeraient se contentant de ce revenu complémentaire plutôt que de « s’activer » pour chercher un « vrai » emploi.
Marie Castaigne (12) utilise également le terme de «pièges à l’emploi» lorsqu’elle analyse la situation dans les CPAS. Elle montre que, dans certaines situations, le travail ne protège pas de la pauvreté. Les chiffres de son enquête révèlent que le nombre de personnes qui bénéficient du revenu d’intégration sociale (RIS), en complément d’un revenu du travail, augmente. Et elle pose un constat inquiétant: «Jusqu’il y a peu, ces compléments d’un revenu du travail concernaient toujours un emploi à temps partiel. Demain, ce sont des travailleurs à temps plein qui seront aidés par les CPAS, en raison d’une évolution trop lente des bas salaires.»
En ALE, la perte d’attrait pour un vrai emploi est liée essentiellement, comme pour les bénéficiaires du RIS, aux statuts de chômage « chef de famille » ou « isolé », ceuxci se révélant plus attractifs quand ils sont cumulés avec un revenu ALE qu’un « vrai » emploi. Le complément chômage, censé compenser le manque à gagner en cas d’acceptation d’un emploi, ne tient en effet pas compte du complément perçu en ALE. La Fédération des CPAS propose plusieurs pistes intéressantes, comme relever le montant des bas salaires ou accorder les aides en fonction des revenus et non d’un statut.
La conseillère du Forem interrogée dans cette recherche définit le public qu’elle envoie vers l’ALE comme des personnes âgées ou handicapées, considérant donc de facto l’âge et le handicap comme des freins. Le manque de capitaux scolaires et la précarité du milieu, la difficulté à rompre le lien avec un enfant, le manque de mobilité, les problèmes de logement, les problèmes de santé sont aussi évoqués comme « freins ». Elle se dit mal à l’aise avec les personnes qui ont travaillé toute leur vie et qui vont gagner moins ou voir leur pension diminuer si elles retrouvent un emploi. Elle se dit consciente que parfois la remise à l’emploi est un piège pour certaines personnes.
«L’ambition devrait être de satisfaire une série de besoins non rencontrés par les circuits classiques du travail avec une meilleure valorisation de celles et ceux qui participent à la réalisation d’activités utiles à la société.»
Les collaborateur·rices ALE sont conscient·es des pièges liés au dispositif ALE, et au risque d’enlisement qui y est associé. Le système offre en effet une grande liberté et une souplesse dans les horaires qui font défaut dans la plupart des autres emplois.
Ceci pose plusieurs questions : peut-on faire porter la responsabilité du « piège à l’emploi » par le·la demandeur·se d’emploi et par le·la collaborateur·rice ALE sans s’interroger sur les causes ? Suffit-il de tendre la main pour avoir un emploi ? N’importe quel emploi ? Au risque de fragiliser davantage la personne ? Ne faudrait-il pas proposer des salaires plus attractifs dans certains secteurs ? Une valorisation des prestations ALE dans le cadre d’un véritable contrat de travail serait-elle envisageable ? Ce sont les politiques sociales et d’emploi à l’égard des personnes fragilisées qui méritent d’être interrogées.
Quelles politiques d’emploi pour les personnes fragilisées?
La volonté, en Europe et dans ses régions, est d’augmenter le taux d’emploi. Au niveau wallon par exemple, la Déclaration de politique régionale précise que les enjeux sont la formation et le développement des compétences des chercheur·ses d’emploi afin « d’augmenter le taux d’emploi […] et de favoriser la création d’emplois durables et de qualité », en affichant la volonté d’adopter « une stratégie particulière à l’attention des publics les plus fragilisés et éloignés du marché du travail ». La réforme de l’accompagnement mise en place durant cette législature « prévoit une nouvelle dynamique d’accompagnement reposant sur le principe selon lequel toute personne en recherche d’emploi bénéficie dès son inscription d’un accompagnement dit “orienté coaching et solutions”, adapté à son profil, à ses aspirations professionnelles, à l’analyse de ses besoins, à son degré de proximité du marché de l’emploi et aux réalités du marché du travail » (13).
L’intention est louable, mais les réalités du marché du travail permettront-elles d’y arriver ? Un constat doit inquiéter et interpeller : l’augmentation et la progression constante des personnes en maladie de longue durée mises en évidence dans les statistiques de l’Inami, soit près de 600.000 personnes contre un peu moins de 300.000 chômeur·ses. Afin d’atteindre un taux d’emploi de 80 % à l’horizon 2030, une loi « retour au travail » a été adoptée. C’est un défi supplémentaire qui interpelle notre modèle de société. Face à l’explosion de burn-out et de dépressions, ne fautil pas chercher un meilleur équilibre entre vie privée et travail, et mieux répartir celui-ci pour que ceux qui en ont trop puissent le réduire et permettre à d’autres de trouver une place ?
Enfin, un enjeu essentiel est celui des relations du Forem avec d’autres acteurs, les partenaires de l’insertion socioprofessionnelle, dont les ALE. L’ambition devrait être de satisfaire une série de besoins non rencontrés par les circuits classiques du travail avec une meilleure valorisation de celles et ceux qui participent à la réalisation d’activités utiles à la société, mais actuellement non prises en compte comme démarches d’emploi pour ce qui concerne les prestations ALE.
En tant que partenaire dans le développement de compétences nouvelles sur un marché de plus en plus exigeant, l’ALE semble avoir du mal à clarifier sa position entre privilégier la rencontre des offres et des demandes ou passer à une logique d’accompagnement vers l’emploi plus systématique et structurée, via des formations et des activités permettant de rapprocher de l’emploi les personnes demandeuses.
Pour les collaborateur·rices ALE, le partenariat est l’occasion de rendre plus visible leur travail d’accompagnement du public prestataire. Ils·elles pourraient y voir une opportunité de s’affirmer comme compétent·es pour aider les demandeur·ses d’emploi à acquérir une série de compétences transversales nécessaires à leur (ré)insertion professionnelle (14).
Comme le montre la diminution importante des prestataires et des utilisateur·rices ALE après le Covid, les ALE sont menacées de disparition si elles n’arrivent pas à prouver leur spécificité et leur efficacité qui, depuis leur création, sont régulièrement remises en question. Le dispositif doit faire face à un manque d’attrait lié au statut « d’emploi non reconnu », à la difficulté de mobiliser certains prestataires dont les priorités sont davantage de l’ordre de la survie que de la recherche d’emploi, à un revenu trop peu attractif, au travail au noir et à l’absence de valorisation des compétences acquises ou réactivées via les prestations.
«Le dispositif doit faire face à un manque d’attrait lié au statut "d’emploi non reconnu", à la difficulté de mobiliser certains prestataires dont les priorités sont davantage de l’ordre de la survie que de la recherche d’emploi, à un revenu trop peu attractif, au travail au noir et à l’absence de valorisation des compétences acquises ou réactivées via les prestations.»
La réforme de l’accompagnement dit « adapté » s’inscrit dans la logique d’État social actif. « La sémantique est significative. Dans le texte légal, il n’est ainsi plus question de personnes demandeuses d’emploi, mais bien de chercheuses d’emploi. Elles doivent être actives et témoigner de leur recherche (15)». Pour Isabella Delussu et Thierry Dock, il faut se méfier des raccourcis au risque de conclure que « la responsabilité principale du non-emploi est le fait de personnes candidates qui ne seraient pas assez dynamiques, pas assez formées, pas assez ponctuelles, pas assez motivées (…). C’est la source de culpabilisation particulièrement douloureuse pour de nombreuses personnes à la recherche d’un emploi ».
En résumé, on comprend l’importance de la réussite de ce partenariat imposé par le Décret « accompagnement ». Le Forem a des objectifs à atteindre, les conseiller·ères ont la lourde responsabilité d’accompagner et d’évaluer. Les collaborateur·rices ALE tentent de protéger de l’exclusion un public fragilisé et considéré comme éloigné de l’emploi.
Conclusion
La volonté politique affichée en Wallonie est d’augmenter le taux d’emploi et de créer des emplois durables et de qualité. Dans les faits, les politiques d’activation poussent certaines catégories de personnes à accepter des emplois précaires ou trop peu rémunérés, qui constituent des pièges et les précarisent davantage. Pour les prestataires et les utilisateur·rices, le dispositif ALE apparait représenter une utilité au niveau social. Il s’agit pourtant d’un dispositif de travail qui ne s’inscrit pas dans les principes d’un emploi de qualité, valorisé et reconnu.
Près de trente ans après leur création, ne faudrait-il pas réinventer les Agences Locales pour l’Emploi, pour que le déploiement de services de proximité, porteurs de sens et d’utilité sociale, puisse pleinement se réaliser en stimulant la création d’emploi de qualité ? À ce jour, l’acteur politique n’a pas encore osé s’emparer de cette question. Elle pourrait être dénouée à partir d’expériences mises en place à l’initiative d’associations et d’organisations syndicales, en partenariat avec les autorités publiques. Le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée est l’une d’entre elles.
Ce dispositif qui existe en France depuis 2017 se base sur le principe que personne n’est inemployable. Il a la caractéristique forte et l’originalité de définir l’emploi comme un véritable droit qui doit pouvoir être rencontré pour quiconque en exprime la demande. En partant des compétences de la personne au chômage, il s’agit pour les acteurs réunis au sein d’un comité de pilotage local de construire un emploi non pas tellement pour lui, mais bien plus avec lui. Des projets sont en cours dans différents territoires en Wallonie. À plusieurs égards, ils représentent un changement de paradigme qui mérite une attention particulière des progressistes. #
1. P. BLAISE, «Le chômage en Belgique»,Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1182-1183, pp. 1- 49, 1987.
2. Le présent article repose sur une recherche menée dans le cadre du MIAS LLN/Namur. L’objectif était de comprendre ce que les prestations réalisées via le dispositif ALE apportent concrètement en matière d’insertion à un·e demandeur·se d’emploi.
3. www.wallonie.be.
4. Les prestataires ALE ne sont donc à confondre avec les collaboratrices et collaborateurs de l’ALE qui sont sous l’autorité fonctionnelle du Forem.
5. M. LORIOL, Sens et reconnaissance dans le travail, 2011.
6. Cette recherche exploratoire s’est principalement appuyée sur la méthode des entretiens semi-directifs à visée compréhensive. Cinq entretiens ont été réalisés, dont trois avec des prestataires aux profils variés. Les deux autres entretiens ont été réalisés respectivement avec une collaboratrice ALE et une conseillère socioprofessionnelle du FOREM. Outre les entretiens, l’analyse proposée repose également sur une enquête par questionnaire auprès de collaborateur·rices ALE, ainsi qu’une rencontre-débat avec une responsable du Forem.
7. J.-F. GASPAR, Tenir ! Les raisons d’être des travailleurs sociaux, Paris, La Découverte, 2012.
8. Elle est d’un peu plus de 4€ par heure de prestation.
9. H. GLINNE, Fondements du management humain dans le nonmarchand, MIAS LLN/Namur, 2022.
10. M. LORIOL, op.cit.
11. J.-M.LOVINFOSSE, PAW - Édito octobre 2022. PAW/Plateforme des ALE Wallonnes, 2022. https://www.plateformedesalewallonnes. be/2022/10/28/edito-octobre
12. M. CASTAIGNE, Les pièges à l’emploi : Quand travailler coûte—Analyse d’une remise à l’emploi pas toujours simple pour les bénéficiaires du revenu d’intégration, UVCW asbl - Fédération des CPAS, 2022.
13. I. DELUSSU et T. DOCK, «L’accompagnement des demandeur·ses d’emploi au Forem : enjeux d’une réforme», Revue Démocratie, octobre 2021.
14. I. CHAUVIER, «Travailler sans emploi .... La prestation ALE, un permis de travail à sens multiple(s)», L’Observatoire, 113, pp. 1621, janvier 2023.
15. I. DELUSSU et T. DOCK, op. cit.