Les congrès ponctuent la vie des mouvements, des organisations sociales et des partis politiques. Dans ce numéro sorti de presse à quelques jours du congrès du MOC, nous avons voulu savoir ce que signifiaient les congrès pour ceux et celles qui les pilotent, mais aussi le sens, les orientations et les directions qu’ils donnent aux organisations. Autour de la table, nous avons réuni les responsables du MOC, de Vie Féminine, des Équipes populaires et de la CSC wallonne, engagé·es depuis plusieurs mois dans la préparation de leur congrès respectif : Marc Becker (CSC), Ariane Estenne (MOC), Aurore Kesch (Vie Féminine) et Guillaume Lohest (Équipes populaires). Nous avons ensuite livré leurs réflexions à l’analyse de Jean Faniel, directeur du CRISP (lire pp. 10-13).
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Pour commencer cet entretien, pouvez-vous nous raconter un souvenir de congrès...
Aurore Kesch (A.K.) : Lors du dernier congrès de Vie Féminine (VF) de 2010, que j’ai vécu depuis la Région de Namur, je me souviens de la première étape créative. Différents groupes du mouvement en Fédération Wallonie-Bruxelles étaient invités à s’exprimer par un contenu ou un message créatif par rapport à plusieurs phrases proposées à propos du congrès. Chaque groupe envoyait ensuite cette « création » à un autre groupe. J’ai des souvenirs très joyeux de cette circulation d’idées qui permettait de transcender les questions d’accessibilité. Un vrai défi consistait ensuite à passer de la circulation de ces productions à une analyse pour un projet de société. Ce congrès a débouché sur douze conditions pour un projet de société solidaire, égalitaire et juste. Celui qui nous occupe aujourd’hui sera identitaire : il mobilise des exigences d’accessibilité, de lisibilité et d’analyse structurante sur base d’expressions diverses.
Ariane Estenne (A.E.) : Mon souvenir porte sur ce même congrès de 2010, qui était aussi mon premier congrès. Je travaillais au Bureau d’étude de VF qui en assurait le pilotage national. La séance de congrès était très solennelle avec les votes et propositions d’amendements. Cela m’a appris le statut du langage tenu en public, rigoureux et sérieux, et en lien avec cela, la place symbolique d’un congrès pour le mouvement. En effet, le congrès – moment de réunion collective – a quelque chose de déclaratif et de performatif parce qu’il donne des orientations à un mouvement.
Le statut de la parole dans un congrès est très important. La parole est déjà une forme de mise en action, me disais-je à l’époque en tant que jeune travailleuse d’un mouvement féministe. Mais aujourd’hui, pour le MOC, je me rends compte qu’il ne suffit pas de dire, il faut se demander comment on se garantit ensuite de faire ce qu’on énonce. Et il y a un grand risque que dire ne soit pas suffisant pour faire. Il faut aussi pouvoir montrer l’action et les débats qu’il y a eu au préalable pour pouvoir « dire », formuler, quelque chose. On y reviendra…
Guillaume Lohest (G.L.) : Lors du premier congrès des Équipes populaires (EP) auquel j’ai participé fin 2017, j’ai le souvenir d’y avoir joué. On avait organisé le jeu du dico-menteur (un outil qu’on avait développé aux EP sur les mots du néolibéralisme). Cela peut paraitre anecdotique, mais ça m’a marqué en raison du grand décalage avec la représentation que je me faisais d’un congrès. Ce jeu donnait aussi selon moi la petite musique des EP sur les congrès : cette préoccupation d’intégrer de la convivialité et de la chaleur dans la journée pour que les militant·es se sentent à l’aise et que ça puisse contrebalancer la fonction législative beaucoup plus froide des congrès.
Marc Becker (M.B.) : Ayant vécu des congrès au niveau européen, fédéral, wallon, francophone et international, j’ai de nombreux souvenirs. Mais ce qui me vient directement à l’esprit à l’évocation du thème, c’est la clôture du premier congrès de la CSC wallonne en 2013. C’était un moment symboliquement fort puisqu’il s’agissait de son tout premier congrès. À l’issue du congrès, on sentait que quelque chose s’était passé auprès des militantes et des militants, qu’il y avait eu une identification forte aux contenus et à la démarche ; qu’on avait vécu un moment fort, novateur et de grande convivialité ! La mise en place de ce congrès wallon montre aussi la capacité d’une institution à évoluer en fonction des enjeux du moment. La CSC, qui est d’abord et avant tout une institution fédérale, a pu s’adapter aux réalités institutionnelles (transfert d’un nombre croissant de matières vers les régions et les communautés du pays) jusqu’à organiser des congrès francophone et flamand. Il était important de prendre nos responsabilités et notre « destin en main » sur ces enjeux-là.
Congrès du MOC, 9 septembre
Le MOC dans le contexte des transitions écologique et numérique, comment faire mouvement social demain ?
Ariane Estenne
Alors que le dernier congrès (2011) s’est tenu à l’époque de la crise des dettes souveraines, ce congrès stratégique s’inscrit dans le contexte de la crise énergétique et de la guerre russo-ukrainienne. Il arrive aussi après la pandémie du Covid-19 et la mise en tension de tous les systèmes de santé et de soin. Se joue en arrière-plan un drame migratoire qui ne trouve souvent que des réponses de fermeture et de repli sur soi, favorables aux partis conservateurs et à l’extrême droite. Ces nouvelles menaces apparaissent enfin sur un horizon politico-économique particulier, dominé par deux processus de natures très différentes,
souvent dénommés avec les termes convenus de la transition écologique et la transition numérique. Face à ce contexte, la tâche de ce congrès stratégique est de doter le MOC d’un cadre d’action clair pour construire une réponse collective réaffirmant les options d’égalité, de justice et de démocratie qui fondent l’idée même de « mouvement social » agissant en faveur d’une société solidaire avec tous·tes les acteur·rices discriminé·es ou précarisé·es. La question est donc de déterminer en mouvement comment fabriquer ensemble la voie vers une nouvelle stratégie émancipatoire, aujourd’hui et demain ?
DÉFINIR
Que représente pour vous un congrès ?
M.B. : Les congrès remplissent selon moi deux fonctions. Premièrement, se fixer un horizon. En général, on y définit un certain nombre de lignes de force à atteindre – presque « intemporelles » et liées à nos principales préoccupations – pour lesquelles on se fixe des balises.
Je pense par exemple aux premières questions environnementales qui ont émergé à la CSC au début des années 1990. On a mis 20 ou 30 ans pour populariser cette problématique auprès des militant·es, dans les entreprises, etc. À côté de ces horizons lointains, on fixe également des objectifs à court et moyen termes que l’organisation doit pouvoir atteindre entre deux congrès. Ensuite, il y a toute la dimension participative à la fois dans la phase de préparation, mais aussi lors du congrès lui-même. Se sentir appartenir à un mouvement de masse et prendre part à une dynamique globale est fondamental. À cela s’ajoutent des éléments de convivialité et de débats. Un congrès est donc une accumulation de plusieurs éléments : un processus démocratique, un processus participatif, un processus d’implication, le tout imprégné de beaucoup de convivialité.
G.L. : La première image qui me vient pour décrire un congrès est le côté « grand-messe ». Cela renvoie à un moment symbolique, dans le sens fort du terme. Un congrès est censé créer – ou en tout cas réactualiser – une forme d’identité collective, une appartenance commune. Nous avons, dans notre expérience des congrès aux EP, trois types de congrès : les congrès statutaires (on revoit les statuts), les congrès d’orientation (on révise le document de base du mouvement qui reprend les grandes orientations) et les congrès qu’on pourrait appeler congrès d’échange ou d’actualité. Ce dernier type permet aux participants et participantes de débattre sur une thématique et de se créer une culture commune sans spécialement déboucher sur un document officiel pour le mouvement, mais plutôt sur un texte qui nous engage pour quelques années. Par exemple, la question de l’écologie populaire pour notre congrès à venir, est une question qui va nous donner des balises politiques pour le futur.
A. K. : Le congrès de VF sera pour nous un congrès identitaire, c’est-à-dire une photo de ce que l’on est, une réaffirmation de ce qu’on veut être et déjà des pistes, propositions et manières de faire pour l’« après ». On va actualiser notre projet social et politique sur base des décisions prises ce 14 octobre. C’est évidemment un moment fort, rassembleur et hautement symbolique pour se forger une représentation commune de qui on est, de ce qu’on veut être, surtout quand on arrive à s’attaquer au cœur des préoccupations. Ici, si nous avons bien préparé chaque étape du long dispositif, nous comptons prendre un soin tout particulier de l’étape de concrétisation des décisions qui seront prises, de leur mise en œuvre, de leur inscription dans le réel. C’est un enjeu fort pour nous.
Congrès de Vie Féminine,14 octobre
« Ensemble. Debout.Partout. Jusqu’au bout. »
Aurore Kesch
Notre Congrès portera sur la participation des femmes, nos publics, et notre dimension de Mouvement social, avec notamment des services créés par Vie Féminine au cours de son histoire. Il y sera, entre autres, question de conditions de participation, de légitimité, d’accessibilité, de partage de valeurs, mais aussi de définition d’un projet commun.
DÉBATTRE
En quoi les congrès sont-ils de grands moments démocratiques ?
A.E : Je citerais Paul Ricoeur pour commencer ma réponse quand il écrit que « le conflit est le moteur de la production de la société moderne : c’est le travail sur ce qui nous divise qui nous permet de vivre ensemble. Au plan collectif, ce travail porte le nom d’exigence démocratique » (Paul Ricoeur, L’idéologie et l’utopie, Seuil, 1997, ndlr). C’est cela pour moi l’enjeu du congrès du MOC du 9 septembre qui portera sur « quel mouvement social nous voulons être dans un monde en mutation » : pouvoir vivre un moment démocratique en accueillant nos conflictualités entre les composantes qui partagent certes une même vision de société, mais qui travaillent autrement, avec des publics différents, avec des moyens d’action et un rapport au politique différents, et divergents aussi. On doit pouvoir accueillir ces conflictualités en amont et le jour même (et peut-être aussi en aval), avec des votes et des décisions. Si dans l’histoire du MOC, on a pu parfois avoir tendance à chercher le consensus, il s’agira ici d’accepter, de nommer, les différences et de ne pas craindre le dissensus.
G.L. : Les débats engendrés par les congrès constituent d’emblée un élément positif. Ils mettent sur la table tout ce qui n’est pas traité, tout ce qui est en jachère depuis longtemps ou tout ce qui est refoulé dans un mouvement. Même s’il n’est pas idéalement mené ou préparé, le fait que le congrès se donne les conditions d’être, d’atteindre une partie de ses objectifs, et de rendre possible l’expression des critiques constitue un argument puissant et solide qui doit réconforter tous les organisateurs et organisatrices de congrès.
A. K. : Cette fois-ci, chez Vie Féminine, avec ce long dispositif de consultations, de débats, d’assemblées mis en place en amont, le jour même du congrès n’est en réalité plus le lieu principal de débats. La question des désaccords est aussi une question que j’aime beaucoup. Accueillir
les conflits est fondamental pour notre mouvement. On a dès le départ, dans les nombreux échanges avec les femmes, voulu souligner ce qui faisait consensus, mais aussi identifier ce qui faisait désaccord, lourd ou léger. Se poser la question de « peut-on avoir les mêmes valeurs et pas forcément les mêmes idées ». L’idée est de pouvoir se retrouver derrière du commun, tout en reconnaissant la légitimité des spécificités et des particularités. Identifier du commun sans se dresser les unes contre les autres, c’est très fort comme exercice démocratique. Et ça demande de la détermination et de l’engagement. Ce n’est pas une posture évidente, mais travailler la complexité est tellement plus riche et prometteur… Surtout quand il s’agit de construire du collectif, à partir des vécus individuels.
M.B. : Lorsqu’on parle de congrès, il faut en effet prendre en considération l’ensemble du processus. La phase de préparation est tout aussi importante sur le plan démocratique que le congrès en lui-même. Cette phase de construction intègre des discussions avec des centaines de personnes, y compris avec celles qui ne seront pas là le jour J, ce qui en fait un grand moment démocratique.
Sur la question des désaccords, je considère que si un congrès n’est pas ambitieux, cela n’a aucun intérêt. Il faut travailler sur les dissensions et essayer d’avancer. Comment ? En discutant, en se disputant, en se fâchant et puis, en se réconciliant. Cela prend parfois beaucoup du temps. Par exemple, faut-il continuer en Wallonie à fabriquer des armes ou à maintenir le développement de l’aéroportuaire ? Ces questions font débat. Il serait hypocrite de ne pas les traiter.
Congrès de la CSC wallonne, octobre 2024
Réinventer le travail
Marc Becker
Le congrès portera sur la question du travail. Comment repenser le travail ? Comment une organisation comme la nôtre doit-elle se réinventer face à un monde du travail en mutation ?Il s’agira dès lors d’aborder à la fois la question du sens du travail, mais aussi celle de la fragmentation et de l’atomisation de l’emploi avec la multiplication de toutes ces nouvelles formes d’emploi : franchisé, faux indépendant, flexi-jobs, étudiant travailleur, ou personne pensionnée obligée de travailler pour joindre les deux bouts.
MOBILISER
Vous évoquez l’importance de l’« avant-congrès ». Pouvez-vous développer comment la mobilisation s’organise ?
A.K. : À VF, il s’agit d’un travail qui a débuté il y a deux ans. Après avoir débroussaillé la matière à mettre au travail avec travailleuses et femmes bénévoles, nous avons élaboré un questionnaire auquel plus de 600 femmes ont répondu de manière individuelle et/ou collective. On a rassemblé toute cette matière dont on a tiré de premiers fils puis l’avons restituée en juin dans toutes les régions : une journée par région pour leur « rendre la matière » et « faire le pas de plus » dans l’analyse, ensemble… Nous avons dégagé cinq éléments pour creuser certaines questions et concepts, avec les femmes. Les paroles se croisent, résonnent ou dissonent entre elles, et c’est ça qui fait mouvement. On a décidé dès le départ de sortir du tout à l’écrit, à l’aide de romans-photos par exemple. On a aussi identifié, en plus des désaccords dont j’ai parlé avant, ce qui ne ferait pas l’objet du congrès. En septembre, les femmes vont devoir préparer les votes régionaux qui concerneront des propositions qui leur seront faites.
A.E. : Lors de la première phrase exploratoire, on a d’abord pris le parti d’interroger les militant·es en fédérations régionales pour les entendre avant les organisations constitutives sur leur vision actuelle et future du MOC. Cette matière a été traitée par l’équipe universitaire (UCLouvain) du philosophe Marc Maesschalck qui a remis un rapport intermédiaire. Sur base de ce rapport, nous avons élaboré un premier texte sur lequel les composantes du mouvement ont partagé des remarques et retours qui ont abouti sur un deuxième texte. Ce deuxième texte est celui sur lequel les composantes ont remis les propositions d’amendements à proprement parler.
G.L. : Notre congrès est pensé un peu autrement. Il est certainement plus facile d’imaginer un processus alternatif, car il ne s’agit pas, à l’instar du MOC, d’un congrès stratégique qui doit nous repositionner sur la carte de la société civile. On l’envisage comme un cheminement avec, en amont un numéro de notre revue Contrastes consacré à des approches de l’écologie populaire. Ensuite, une journée d’étude fera le point sur l’actualité des enjeux écologiques et des urgences, sur les inégalités environnementales et leur impact différencié sur les milieux populaires ou les milieux aisés. Ces événements antérieurs nous permettront de débroussailler les concepts et de nous familiariser avec la thématique. Nous demandons aussi une contribution des régionales sur leur représentation de l’écologie populaire. On ne part pas avec une proposition de pièce à casser à amender. On se dit plutôt qu’il s’agit de mettre en idées et en débats et d’avoir une culture commune autour d’un concept. On fait le choix de laisser nos publics, les régionales, les militant·es donner une autre direction, à ce qu’on imaginait au départ. Mais pour être honnête, on n’a pas du tout la garantie que cela va fonctionner. Cette méthode n’empêche pas non plus les critiques récurrentes et inévitables sur le fait que ce soit une dynamique centralisée.
M.B. : Nous allons organiser des événements entre le 15 octobre et le 15 février prochains dans toutes les provinces et à Bruxelles sur le thème du congrès. À partir de tous ces événements provinciaux et des discussions qui auront eu lieu, le jour du congrès (octobre de l’année prochaine), seront organisés quatre ou cinq forums qui serviront à formuler 10, 15, 20 questions. Celles-ci constitueront les objectifs du congrès que la CSC se donnera pour ambition d’atteindre dans les quatre ans à venir.
Quels sont les freins et les limites observés dans cette mobilisation ?
M.B. : Jusqu’à présent, on n’a pas eu trop de difficultés de mobilisation et de participation au processus de construction de nos congrès. Nous veillons à ce que l’appel à la participation soit toujours plus affiné et plus juste en termes de représentation. On travaille par exemple de plus en plus avec des quotas. On doit ainsi respecter la parité en termes de genre dans les congrès (sauf dans les secteurs où les hommes ou les femmes sont sous-représentés). Avec les jeunes aussi, on essaie d’avoir des quotas, mais cela reste parfois difficile à atteindre (lire article pp. 10-11). Les jeunes sont moins impliqués dans nos organisations que par le passé et donc il y a là un enjeu à relever. Lors des derniers congrès, on s’est bien rendu compte que la participation de la jeunesse est le signe de la vitalité des mouvements.
G.L. : À partir de ce que j’observe dans le mouvement, j’ai l’impression qu’on n’est pas encore parvenu à créer la nouvelle forme de congrès qui convienne aux types d’engagement aujourd’hui. Il y a une mythologie du congrès inspirée des grandes années du mouvement ouvrier qui ne colle plus tout à fait au présent. Un congrès allait vraiment de soi avant : l’appartenance commune à un mouvement était la norme ; On avait une identité forte et un ancrage dans un mouvement ouvrier à partir duquel on pouvait suivre un engagement pendant des décennies. Maintenant, la situation a changé et cela rend plus difficile la mobilisation des troupes.
Cela crée un sentiment ambivalent chez ceux qui organisent des congrès. On sent qu’on est sur une ligne de crête. On aimerait s’inspirer de cette mythologie du congrès qui va remettre sur des rails un grand mouvement social, l’utiliser comme une sorte d’aimant parce qu’on reconnait qu’il a des fonctions démocratiques évidentes pour les élections, les statuts, les textes à voter. Et en même temps, on sent la nécessité de réinventer autre chose et l’impératif de recréer du mouvement, de faire du mouvement. Aux EP, on se rend compte qu’entre les congrès qui ont lieu tous les trois ans, il y a un besoin de se remobiliser autour d’enjeux importants et de renforcer l’appartenance commune à un mouvement. On a imaginé ce qu’on appelle des rencontres citoyennes dans les années d’intervalle. C’est quand même plus facile de mobiliser pour cela que pour un congrès, ça c’est sûr.
A.K. : On a été très attentives au volet mobilisation. On a réinventé des endroits et des lieux de décision afin de garantir une représentativité, le caractère démocratique et repenser les multiples manières de participer au processus, pour donner aux femmes l’envie d’y participer. Sincèrement, nous n’aurons pas assez de places le jour J. Chaque fois que je vais dans les régions à la rencontre des femmes, je vois leur mobilisation, leur enthousiasme pour ce qui est en train de se passer. C’est le dispositif qui a fait en sorte que les femmes aient envie d’être là. Beaucoup nous disent à quel point elles se sentent prises en compte, écoutées… compter. Durant tout le processus avant le jour du congrès, nous avons eu envie de ne pas faire de distinction entre membres adhérentes et non-membres, pour toucher la forme de notre réseau le plus large possible… et ça, c’est plutôt neuf.
Il y a eu par ailleurs des surprises, des éléments du processus qui ont été moins bien investis que d’autres. Je me réjouis de l’évaluation fine que l’on fera de ceux-ci… et de tous les autres. Nous allons encore apprendre de nous-mêmes. Et ça, c’est passionnant !
A.E. : À l’opposé d’une vision de militant·es qui ne seraient plus ancré·es et passeraient d’une structure à une autre, je vois plutôt des mouvements sociaux solides où les gens s’engagent, sont déterminés et militent pour une cause dans la durée. En lien avec cela, j’estime que ces moments de communion et de partage sont attendus et recherchés. La méthode opérée par le MOC pour préparer le congrès amène à se poser la question du « qui » participe au processus : est-ce qu’il s’agit seulement des personnes qui faisaient déjà partie des instances ou a-t-on touché des militant·es plus éloignés ? La réponse est à géométrie variable. Certaines fédérations ont organisé des groupes ad hoc avec des militant·es qui parfois connaissaient très peu le MOC tandis que d’autres sont passées par leurs instances de décision, qui comptent des personnes rôdées au fonctionnement du MOC, c’est pareil pour les organisations constitutives. à côté de la question du dispositif, il y a la question du fond, comme l’a soulevée Aurore. Si on arrive à faire des congrès qui font sens, qui posent les questions qui intéressent, les personnes viennent. Je dirais que les principales questions, au MOC, ont concerné l’accessibilité du texte du congrès. Il faut expliquer ce qu’est ce texte. Il s’agit d’abord d’un outil qui permet de travailler, de reformuler des alternatives, qui va pouvoir renforcer en précision ce qu’on veut dire. Une fois qu’il est voté, un texte de congrès est aussi une carte de visite vers l’extérieur. C’est pour cette raison précise qu’il est nécessaire de trouver le bon équilibre dans le niveau de langage. Pour la première fonction, il est important que chacun et chacune puisse avoir accès à ce texte pour y travailler. Pour remplir sa deuxième fonction, il est nécessaire que le texte soit charpenté, construit et charrie de la complexité, de l’épaisseur. J’assume l’idée qu’on puisse aller vers plus de complexité pourvu qu’on l’accompagne d’autres supports et mobilise d’autres outils d’éducation populaire.
Congrès des Équipes populaires, 18 novembre
Vers l’écologie populaire
Guillaume Lohest
Considéré comme anti-écologiste à ses débuts, le mouvement des Gilets Jaunes a mis en lumière les incohérences d’une politique qui avait choisi de faire peser la transition écologique en premier lieu sur les travailleur·ses et sur le monde populaire. Dans le même temps, le mouvement Climat a pris de l’ampleur et des milliers de manifestant·es sont descendu·es dans les rues pour exiger une réponse politique et des choix économiques forts en vue de répondre à l’urgence climatique. Loin d’être antinomiques, concurrents ou contradictoires, ces deux soulèvements ont coalisé leurs forces autour d’un slogan commun : « Fin du monde, fin du mois, même combat ! ». Cette question de l’écologie populaire nous parle et parle aux militant·es qui font vivre notre mouvement. Nous voulons la comprendre, la travailler, la questionner et l’amplifier au cours des prochains mois.
AGIR
En quoi un congrès est-il transformateur pour les mouvements et les organisations ?
A.K. : Un congrès doit dépoussiérer, remettre à jour. Le congrès va venir infléchir et remettre en cause nos pratiques. Il faut d’ailleurs prendre soin de ces changements et voir comment ils nous impacteront. À titre d’exemple, la question de la liberté est souvent revenue dans les échanges préparatifs : les femmes expriment à quel point leur liberté d’aller et venir à leur guise est un élément qui facilite leur participation aux rendez-vous de VF… Si l’on acte des choses au congrès sur ça, par exemple, cela peut venir modifier, d’une manière ou d’une autre, la façon d’envisager l’accompagnement des projets, il faudra en tenir compte pour la suite...
G.L. : De manière générale, je crois que ça serait un peu faire usage de la langue de bois de dire que les congrès sont véritablement des moments fondateurs et transformateurs aujourd’hui pour un mouvement. C’est indispensable parce que c’est toujours un excellent prétexte de discussions, de débat, un moteur qui crée plein de choses, mais ça reste un élément parmi d’autres et je crois que les activités régulières, les engagements locaux, les liens interpersonnels sont plus importants et peut-être plus fondateurs, ou au moins autant fondateurs qu’un congrès. Je pense même qu’il y a un paradoxe. L’ambition est transformatrice ou régénératrice, mais souvent, ça mobilise les forces les plus attachées à la culture du congrès à l’ancienne. Puisque tant qu’on n’a pas une nouvelle forme et une nouvelle culture commune, c’est l’ancienne culture commune qui fait loi. Les nouveaux schémas ou les nouvelles dynamiques qui veulent être enclenchées doivent passer par les anciennes formes pour être validées et ça crée souvent des points de tension et de fixation.
M.B. : Je vais prendre l’exemple du dernier congrès wallon consacré au « bien vivre » et à la transition juste. Si nous n’avions pas abordé ces questions-là depuis de nombreuses années dans nos congrès et dans toute une série d’instances qui les ont suivis, nous n’arriverions pas aujourd’hui à poser ce débat aussi facilement dans les entreprises avec les militant·es au départ frileux sur ce sujet.
Grâce à ces processus construits au travers des congrès, et de tout ce qu’il y a autour, on se rend compte que nos délégué·es, nos militant·es comprennent que c’est un vrai enjeu, qu’il faut le poser dans l’entreprise, avoir le courage même d’affronter ses affilié·es sur ces questions-là et de poser les vraies questions. Mais… il faut y donner du suivi et que ça redescende jusque sur le terrain. Quand une position de congrès est légitimée dans l’action, c’est aussi ça qui permet de continuer à la poursuivre et à la renforcer. Donc si l’on travaille l’avant, il ne faut pas négliger l’aval. Peut-être sommes-nous d’ailleurs un peu moins rigoureux à ce niveau-là. On essaye de plus en plus de mettre en place des outils de suivi de nos résolutions, de nos lignes de force, pour voir où on en est, ce qu’on a déjà pu mettre en place et ce qui reste à faire. On essaie d’avoir un monitoring de l’après congrès qui peut se traduire de plein de manières différentes, internes, mais aussi externes. Par exemple, le mémorandum que l’on fait à la CSC wallonne à la veille des prochaines élections législatives s’appuie sur les 10 priorités de notre dernier congrès.
A.E. : Par définition, qui dit processus démocratique, dit aussi inconnue démocratique. Je souhaite que ce congrès du MOC puisse être une expérience démocratique féconde pour le mouvement qui donne confiance en la démocratie et fasse la preuve que cela nous grandit de pouvoir mettre au travail ce qui nous divise et ce qui nous rassemble. On a tout à y gagner, j’en suis profondément convaincue. #