dossier minima sociaux 1287

 

Comment en finir avec les mesures de régression sociale du passé, mais aussi refuser la stagnation du progrès social ? Au-delà de tenir une position défensive, la société civile organisée doit évaluer le contexte, reprendre l’initiative et se donner une stratégie pour une reconquête qui prendra le temps qu’il faudra. Le relèvement des minima sociaux peut être une première étape levier pour la sécurité sociale et la protection sociale, à condition de l’articuler à d’autres revendications de manière à amorcer un basculement.  

 

 

Télécharger l'article en PDF

Les crises successives et superposées se sont substituées au sempiternel assainissement budgétaire des années 1980 et 1990 comme obstacles aux grands progrès sociaux tandis que les conceptions néo-libérales n’ont cessé d’influencer les contenus des politiques publiques. À cela s’ajoute l’interventionnisme gouvernemental durant le gouvernement Michel, la difficulté à trouver des accords entre interlocuteurs sociaux et au sein des gouvernements, sur les réformes en matière de pension par exemple, et surtout le nombre de revendications majeures laissées lettre morte depuis tant d’années. Pour autant, la social-démocratie n’est pas morte. Ses institutions fonctionnent encore, mais elle est en panne de résultats majeurs. Or, de grands défis comme la réforme des pensions, l’énorme chantier de la transition écologique, l’adaptation de l’offre de soins à l’augmentation des personnes du 4e âge, la justice fiscale comme moyen de refinancement, nécessiteront de trouver des accords sous peine d’assister à une décrédibilisation accrue de notre fonctionnement démocratique. En même temps, le modèle représentatif n’est plus suffisant pour permettre l’expression des demandes sociales. Tant au niveau politique qu’à celui des acteurs de la société civile se cherchent les voies d’une gouvernance plus participative. 

De grands défis comme la réforme des pensions ou l’énorme chantier de la transition écologique nécessiteront de trouver des accords sous peine d’assister à une décrédibilisation accrue de notre fonctionnement démocratique. 

Les organisations sociales engagées dans la négociation collective et dans la gestion paritaire de la sécurité sociale risquent d’être confondues avec les gouvernants et de subir, elles aussi, la défiance populaire. D’autant qu’après tous leurs efforts pour gérer l’afflux de dossiers de leurs affilié·es durant le COVID, elles peinent encore à résorber des retards alors que les situations des affilié·es sont plus souvent complexes. Si la digitalisation améliore la productivité, elle nourrit aussi la rancœur des ayants droit qui ont des difficultés à atteindre les services de cette manière et peuvent connaitre un sentiment de relégation. Cette rancœur pourrait encore se nourrir des échanges médiatico-politiques. En effet, la stratégie préélectorale permanente d’un MR qui a perdu des plumes en mai 2019, va jusqu’à susciter l’indignation des autres partis pour marquer sa différence quitte à relancer la stigmatisation des personnes au chômage ou en incapacité de travail. Un bilan social décevantPour les gens de gauche, le gouvernement fédéral actuel a apporté à la fois quelques satisfactions et une assez forte déception. Vu la composition de la coalition,on s’attendait bien à une relative détente en matière de politiques sociales après les assauts du gouvernement Michel contre notre modèle social. Son programme comportait des intentions rassurantes en matière de sécurité sociale et de soins de santé. Celles concernant la réforme fiscale 1 sur la coordination des politiques de santé ou la manière d’arriver à 80 % de taux d’emploi d’ici 2030 par exemple restaient toutefois fort vagues tandis que d’autres pouvaient être sujettes à interprétations divergentes. Pour autant, il ne remettait pas en question certaines mesures fort contestées du gouvernement précédent comme le report à 66 puis 67 ans de l’âge légal de la pension et le durcissement des conditions d’accès aux aménagements de fin de carrière, l’exclusion de nombreux·ses jeunes du droit à l’allocation d’insertion, le tax shift ou la loi sur la norme salariale. Devant les conséquences des confinements, le nouveau gouvernement, dans la lignée du précédent, ainsi que les Régions ont renforcé et complété les stabilisateurs automatiques existants 2 afin de soutenir l’emploi et les revenus et de sauvegarder le potentiel de reprise de l’économie. Plus récemment, le gouvernement fédéral a pris des mesures de soutien aux particuliers et des entreprises en réponse à l’inflation accélérée, notamment des prix énergétiques. On s’est ensuite rendu compte qu’il ne fallait pas espérer de substantiels progrès sociaux dans le cadre de l’accord de gouvernement, vu la difficulté pour les partis de trouver des accords sans perdre leur crédit électoral potentiel pour les élections qui se rapprochaient. Que ce soit en matière d’emploi, de pension ou de fiscalité, les réformes réalisées ou qui ont des chances de l’être, sont pour l’instant encore réduites à portion congrue. Sur le plan politique, les perspectives, certes fort incertaines, ne prêtent pas à l’optimisme. Après les élections en 2024, nous n’aurons probablement pas un gouvernement fédéral plus progressiste que celui-ci. 

Lueurs d’espoir

Le contexte socio-économique actuel comporte aussi des facteurs susceptibles d’influer sur les rapports de forces. Parmi les facteurs défavorables figure le fait que les finances publiques pourraient être affectées par le ralentissement de la croissance du PIB, si la guerre en Ukraine devait perdurer et si le resserrement des conditions de crédit par l’action de la BCE devait se maintenir. Il y a cependant des lueurs d’espoir. Les dépenses nécessitées par la pandémie et par les plans de relance partiellement subsidiés par l’Union européenne (UE), auront un effet retour favorable à terme sur le taux d’endettement. La crise sanitaire et la transition écologique ont renforcé la mise en question des normes budgétaires européennes. Le taux minimum de taxation des multinationales après la mise en œuvre d’un accord international de 2021 pour lutter contre l’évasion fiscale 3, a entrouvert le chemin du refinancement des États même si on doit regretter la lenteur de tels progrès et les échappatoires encore possibles. Toutefois, pour disposer de marges suffisantes pour de nouvelles dépenses, il faudrait surtout réaliser des réformes fiscales et une rationalisation des cotisations patronales visant à augmenter les recettes publiques en pourcentage du PIB 4, ce qui demanderait un parlement et un gouvernement plus progressistes après 2024. Parmi les éléments favorables, l’évolution positive du chômage et les pénuries de main-d’œuvre pourraient renforcer le rapport de négociation salariale, contribuant à relever la part des salaires dans la répartition des revenus de l’activité économique, pourvu que les facteurs sur lesquels se négocie le maintien de la compétitivité soient élargis. Les pénuries de main-d’œuvre sont toutefois à double tranchant, car elles peuvent accentuer la pression pour accepter n’importe quel emploi, mais elles peuvent aussi conduire à un meilleur traitement et soutien des personnes en recherche d’emploi et à une amélioration des conditions d’emploi.

Reprendre l’initiative 

Tout cela contribue à ce que la société civile organisée et en particulier les organisations sociales reprennent l’initiative. Elles ne peuvent plus accepter la stagnation actuelle après tant d’années d’atteintes à la sécurité sociale depuis la crise financière dont elles ont cherché à limiter l’ampleur tout en essuyant de lourdes défaites : dégressivité des allocations de chômage, limitation dans le temps des allocations d’insertion et conditions restreintes d’accès, activation des personnes en incapacité de travail, recul de l’âge légal de la retraite et conditions durcies à l’accès aux formules de retraite anticipée et d’aménagement des fins de carrière, manque à gagner lié au tax shift, conditions à l’intervention de l’État en cas de déséquilibre budgétaire de la sécurité sociale, etc. Il s’agit pour elles de revenir sur une série de régressions sociales en restaurant des droits, de renforcer les droits existants et leur effectivité en améliorant leurs conditions d’accès et d’exercice, d’élargir leurs champs d’application en termes de personnes couvertes et de conquérir de nouveaux droits adaptés aux besoins sociaux actuels. Il est aussi essentiel de donner confiance dans l’avenir de la sécurité sociale en ne laissant pas les assurés sociaux dans l’expectative puisque le système est bel et bien finançable s’il y a de la volonté politique, et en anticipant l’évolution démographique et les risques économiques et sanitaires. 

Couvertures sociales

La sécurité sociale a toujours été un large chantier de réformes, par ses multiples branches et ses différents régimes et par ses liens avec les politiques de santé, d’intégration sociale, d’emploi, de développement économique, etc. Le cahier des charges des réformes en matière de pension ainsi que la liste des revendications défendues en cette matière par différents acteurs pour les années qui viennent l’illustrent bien. D’importantes améliorations devraient être apportées. Nous nous focalisons ici sur le relèvement des planchers de couverture sociale, en l’articulant avec d’autres pistes de revendications qui devraient être poursuivies corrélativement. L’efficacité de la sécurité sociale pour assurer une sécurité d’existence et réduire les inégalités tient en effet en bonne partie au degré de ses couvertures sociales. Cela contribue à l’adhésion de la population à ce patrimoine commun et à la capacité des organisations sociales de le défendre et de le promouvoir. En 2019, soit avant le COVID, la protection sociale belge représentait une dépense totale de 28,7 % du PIB 5. C’est 0,7 % de plus que la moyenne européenne, mais sensiblement moins que certains de nos pays voisins (France : 33,4 % ; Allemagne : 30,1 % ; Pays-Bas : 28,8 %). Il y a bien sûr diverses explications à cela. Toutefois, il faut bien reconnaitre que nos assurances sociales offrent globalement de faibles taux de couverture par rapport aux pays voisins et à certains pays européens de richesse comparable, du moins dans certaines branches. C’est le cas en chômage avec un taux de 65 % (plafonné 6) durant les trois premiers mois, qui est réduit avec la durée de chômage jusqu’à 60 % pour les chefs de ménage 7, à 55 % pour les isolé·es 8 et à un forfait en 3e période qui pour les cohabitant·es 9 est très au-dessous du seuil de pauvreté pour une personne seule (694 euros contre 1.366 euros). Quant au minimum pour les isolé·es (1.337 euros), il est à peine supérieur au RIS (1.214 euros). Contrairement à d’autres pays, notre système ne limite pas la durée de chômage 10 sauf en cas d’évaluation finale négative des efforts de recherche d’emploi et de formation et depuis 2012 pour les allocations d’insertion, versées surtout à des jeunes après leurs études (limitées à trois ans). En matière de pension, la sécurité sociale belge offrait en 2020 en moyenne un taux de remplacement (net) du dernier salaire (net) qui était inférieur à la moyenne de l’UE (61,9 % contre 67,6 %) 11. Parmi nos voisins, seule l’Allemagne fait moins bien que nous (avec 52,9 %). Les soins de santé globalement, contrairement à ce qu’on pourrait penser, laissent aussi à désirer. Si nous étions proches de la moyenne européenne en 2020 (21 % des dépenses totales non couverts par les interventions publiques contre 18 % pour l’UE à 27 pays) 12, nous étions nettement en dessous des pays voisins 13. Bien sûr, on ne saurait évaluer notre système de santé à ce seul critère. La qualité des soins, leur accessibilité et leur disponibilité sont d’une grande importance pour les patient·es. Mais justement, en soins de santé comme en pensions, les inégalités sont importantes 14.

Minima sociaux

Relever les couvertures sociales... mais par où commencer ? La première étape en serait la hausse des minima sociaux à un niveau décent. Le MOC et ses organisations constitutives ont revendiqué depuis des années qu’ils atteignent au moins 10 % au-dessus du seuil de pauvreté 15. Soyons plus précis. Le chiffre du seuil de pauvreté qui est pris pour référence se base sur les revenus d’il y a deux ans. Il faudrait l’actualiser 16. D’autre part, ce n’est que celui d’une personne vivant seule qui est régulièrement cité. Or, ce seuil varie suivant le nombre de personnes dans le ménage 17. Tout allocataire devrait donc percevoir une allocation au moins à 10 % du seuil de pauvreté compte tenu des personnes à sa charge 18,19.

De grands défis comme la réforme des pensions ou l’énorme chantier de la transition écologique nécessiteront de trouver des accords sous peine d’assister à une décrédibilisation accrue de notre fonctionnement démocratique.

Malgré la hausse « substantielle » 20 programmée entre janvier 2021 et janvier 2024 par la Vivaldi, mais dont la dernière étape annuelle vient d’être rabotée par l’accord budgétaire de mars, il restera un écart sous cet objectif plancher pour un nombre important d’allocations, surtout en chômage pour les allocataires avec personnes à charge et pour les cohabitant·es en troisième période 21, 22.Se pose une question fondamentale. Faut-il fixer les minima des revenus d’aide sociale au même niveau (RIS, allocation pour personnes en situation de handicap...) plutôt qu’au seuil de pauvreté ? Soit on estime qu’il faut maintenir une différence entre sécurité sociale et aide sociale dès lors que celle-ci est « non contributive » tandis que les assujettis à la sécurité sociale paient généralement des cotisations sociales, ou encore parce qu’un écart doit pouvoir « inciter les bénéficiaires à retrouver le chemin de l’emploi ». Soit on estime que les ayants droit à l’aide sociale sont tout aussi dignes de recevoir un revenu considéré comme décent et tout aussi victimes (et non coupables) de leur sort que les assurés sociaux et qu’ils ne sont pas moins méritants puisqu’ils ne sont tout simplement pas ou plus en mesure de cotiser. De plus, une partie des autres ressources dont ils disposent est déduite du RIS ou de la GRAPA ce qui fait déjà une différence par rapport aux droits de sécurité sociale. Quant aux minima pour les ainé·es, leur niveau pourrait être supérieur aux autres dès lors qu’étant retraité·es, la plupart n’exerceront plus jamais d’activité professionnelle, et que le montant de leur pension n’évoluera guère jusqu’à leur décès. Il faut enfin souligner au moins trois problèmes. Contrairement à ce que le terme laisse penser, tous les ayants droit à la pension minimale n’auront pas les 1.622 euros désormais promis en 2024, indexation comprise. Car seules les carrières complètes à temps plein toucheront ce montant dès lors que la pension minimale est calculée au prorata de la carrière par rapport à une carrière complète de 45 années. Pourvu d’avoir 30 ans de carrière (périodes assimilées comprises) et désormais aussi l’équivalent des fameuses « 20 années de travail effectif » 23. Le système est franchement peu lisible. Ensuite, les conditions devraient être modifiées de façon à augmenter le montant des pensions des travailleur·ses qui exercent entre un tiers-temps et un mi-temps et à permettre à davantage de carrières trop courtes d’y avoir droit 24. On sait que se retrouvent dans ces situations essentiellement des femmes qui ont pâti de l’inégale répartition genrée de l’activité de soin à la famille, ou de la « flexibilité » et précarisation de l’emploi dans leur secteur notamment par les temps partiels. Enfin, le filet d’assistance appelé GRAPA par lequel la pension liée au travail est complétée pour atteindre ce montant garanti (ce qui n’est pas un droit fort lisible non plus) est assorti de conditions trop restrictives. Parmi celles-ci, plafonner les nuitées à l’étranger (29 par an) est franchement liberticide et devrait être aboli. Cette sévère condition de résidence en Belgique est calquée sur les autres régimes d’assistance alors qu’on devrait tenir compte du fait que des retraité·es par définition n’ont plus de possibilité de faire carrière pour pouvoir se constituer des droits à la pension.  La pension minimale et la GRAPA sont des systèmes trop complexes que pour rassurer les gens sur ce à quoi ils pourraient  avoir droit a minima au moment de leur retraite. L’idée d’une pension de base à laquelle s’ajouterait une pension liée à la carrière est peut-être une piste à explorer en comparant différents systèmes étrangers.  Enfin, notons que la revalorisation des minima pourrait pousser à la charrette en faveur de nouvelles revalorisations du salaire minimum, de manière à éviter les pièges financiers à l’emploi. Après quatorze ans sans relèvement, concourant par ailleurs à accentuer les inégalités salariales, le gouvernement a programmé (après l’échec des négociations sur l’accord interprofessionnel) une hausse progressive du salaire minimum à partir de 2021, dont on peut s’interroger sur le financement... par l’État, sur le rythme et sur la prolongation. Ainsi, l’articulation des deux revendications contribuerait par effet d’entrainement sur l’ensemble des salaires, à relever à nouveau la part des salaires dans la répartition des revenus de la production. Il faudrait toutefois trouver les moyens d’éviter de probables pertes d’emploi ou la précarisation de statuts dans certains secteurs. 

Suppression du statut de cohabitant·e 

Une manière de revaloriser les allocations les plus basses ainsi que les revenus d’assistance est de supprimer le statut de cohabitant·e avec pour conséquence le relèvement de leurs allocations au niveau de celles des isolé·es 25. Parmi les enjeux de cette revendication : l’égalité entre hommes et femmes, l’emploi et l’autonomie financière des femmes, la fin d’une discrimination, des contrôles domiciliaires et des incertitudes juridiques, la prise en compte des nouveaux modes de vie et formes d’habitat, ainsi que la lutte contre l’appauvrissement actuel, le mal-logement et l’isolement social. La reconquête des droits en sécurité sociale et dans les autres secteurs de la protection sociale doit commencer par cela, en articulant cette revendication à celles relatives aux minima sociaux et à d’autres encore. C’est un véritable défi pour ce mouvement social. Il doit en effet se renforcer presque en même temps sur plusieurs batailles en mettant en cause de nombreuses discriminations et stéréotypes à contre-courant du conservatisme politique, allié du néo-libéralisme qui continue son offensive. C’est notamment le cas de la lutte contre la précarité de l’emploi et ses conséquences, qui touche davantage une partie importante des jeunes. De plus en plus d’étudiant·es doivent travailler pour financer leurs études ce qui nuit à leurs chances de réussite. Le non-recours aux aides existantes comme aux allocations d’études est très élevé, tandis que les CPAS mettent souvent des conditions trop exigeantes à leur intervention. Quant aux jeunes au sortir des études, ils/elles ont été précarisé·es par les conditions de l’allocation d’insertion dont beaucoup sont désormais exclu·es. Tout cela concourt à faire des jeunes des victimes et des vecteurs de la flexibilisation de l’emploi 26. En matière de sécurité sociale, il faut complètement revenir sur les conditions de l’allocation d’insertion et allonger la période de référence pour le calcul du nombre de jours de travail donnant droit aux allocations de chômage. 

Un soutien aux allocataires sociaux

La reconquête des droits ne saurait faire l’impasse sur la façon dont les allocataires sociaux sont traités par les services censés appliquer la politique dite d’activation et s’opposer radicalement au transfert de responsabilité qu’elle a opéré de la collectivité vers les individus. Les mesures dites « d’activation » fragilisent les demandeur·ses d’emploi et notamment les jeunes, tout en nuisant à leur insertion socioprofessionnelle 27, et portent souvent atteinte à la dignité des assurés sociaux que la sécurité sociale est censée sauvegarder. Le respect de la dignité des personnes comme valeur essentielle de la sécurité sociale ne consiste pas uniquement à préserver de la pauvreté et à garantir une sécurité d’existence en limitant la perte de revenu consécutive à la survenance d’un risque social. Il doit aussi se marquer dans la relation entre les services chargés du contrôle ou de l’accompagnement et les ayants droit au chômage ou en incapacité de travail.

Une manière de revaloriser les allocations les plus basses ainsi que les revenus d’assistance est de supprimer le statut de cohabitant·e avec pour conséquence le relèvement de leurs allocations de cohabitant·e au niveau de celles des isolé·es. 

Comment pourrait-il en être autrement, également vis-à-vis des ayants droit à l’aide sociale, d’autant qu’ils/elles sont essentiellement victimes de leur situation ? Le soupçon, la culpabilisation, voire une relation de domination, représentent une contradiction flagrante qui décrédibilise la protection sociale aux yeux des usager·ères. On vise ici les politiques qui les induisent et leurs dispositifs comme la dégressivité des allocations de chômage et les sanctions, en reconnaissant que, sur le terrain, leurs effets peuvent être atténués par les initiatives des services. Ceux-ci pourraient être des alliés d’un basculement vers un véritable soutien coulé dans les législations et les financements. 

Une nouvelle stratégie collective

Il est clair que les pistes esquissées ici constitueraient une première étape ambitieuse d’une reconquête sociale sur le long terme, qui nécessiterait d’en prendre le temps nécessaire, de la détermination et une nouvelle stratégie collective. En effet, les progressistes de la société civile qui ont espéré le retrait de plusieurs mesures des gouvernements Di Rupo et Michel et pour une partie d’entre elles/eux la construction d’un « monde d’après » (d’après COVID), ne tablent plus sur le simple relais de leurs revendications auprès des partis et des élu·es. Les acteurs du monde associatif doivent tenter d’organiser et d’élargir divers fronts thématiques pour créer un meilleur rapport de forces. Ne pas se satisfaire de l’expression des revendications fussent-elles plus radicales, mais mettre au point des stratégies d’action efficace visant à obtenir des résultats intermédiaires, certes, mais surtout des victoires à terme. Le monde associatif, syndical, mutuelliste, doit légitimer ses positions par son travail de terrain, pouvoir témoigner de ce que vit la population et en particulier celles et ceux qui vivent dans la précarité, qui sont marginalisé·es, qui subissent des injustices ou des discriminations. Aujourd’hui, beaucoup d’associations actives en éducation permanente remontent encore la pente après le COVID en même temps qu’elles recherchent l’expression par les milieux populaires des difficultés aiguës et complexes auxquelles ils sont confrontés, dès lors que la crise sanitaire, la crise énergétique et l’inflation ont augmenté les précarités. Encore faut-il pour « faire bouger les choses » arriver à sensibiliser le plus grand nombre par un travail d’information et à alimenter les convictions militantes par la formation, mais aussi être en capacité d’organiser des mobilisations massives quand cela s’avère nécessaire, à propos de revendications majeures, sans provoquer de « fatigue des mobilisations ». # 

Patrick Feltesse, Conseiller socio-économique  au MOC


1. À noter que la réforme fiscale est censée ne pas augmenter « la charge fiscale globale » à savoir le pourcentage des recettes fiscales et cotisations par rapport au PIB, ce qui empêche de refinancer les fonctions collectives.
2. Comme l’assurance-chômage afin de soutenir la consommation et donc l’activité économique.
3. Les bénéfices des grandes multinationales dont le chiffre d’affaires annuel est d’au moins 750 millions d’euros seront imposés à un taux qui ne pourra pas être inférieur à 15 % à partir de 2024, ce dont bénéficiera chaque pays où elles sont actives.
4. Non sans rechercher de façon permanente plus d’efficacité et d’efficience dans les dépenses publiques.
5. Eurostat.
6. À 2.079 euros bruts en avril 2023.
7. Dits « cohabitant·es avec charge de famille ».
8. Avec un maximum de 1.499 euros bruts.
9. « Cohabitant·es sans charge de famille ».
10. Toutefois une dégressivité s’applique (depuis 2012) comme dans quelques pays européens.
11. https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/cartes-retraites-le-montant-des-pensions-en-europe/
12. https://health.ec.europa.eu/system/files/2022-12/2022_healthatglance_rep_en_0.pdf
13. France : 15 % ; Allemagne et Pays-Bas : 13 % ; Luxembourg : 11 %.
14. https://www.mc.be/media/sante-et-societe-4-etude-inegauxface-
a-la-sante_tcm49-77065.pdf
15. 60 % du revenu médian.
16. Le seuil pour une personne seule qui est disponible en 2022 par exemple (1.293 euros) est basé sur les revenus de 2020, ce qui fait qu’entretemps, le revenu médian qui sert à le calculer a pu s’accroitre notamment à cause de l’inflation.
17. Le seuil de pauvreté d’un ménage (par convention européenne) prend en compte les « unités de consommation ». Si le seuil de pauvreté pour une personne seule vaut 1, il faut ajouter 0,5 pour tout adulte ou enfant de 14 ans et plus, et 0,3 pour tout enfant de moins de 14 ans. Ainsi, pour calculer le seuil pour une personne avec personnes à charge, il faut multiplier le seuil de pauvreté en euros pour une personne seule par la somme des pondérations de l’allocataire et des personnes à sa charge. Ainsi, une allocation minimum à 10 % au-dessus du seuil de pauvreté représenterait pour 2022 (sans actualisation), un montant de 1.422 euros pour une personne seule, mais 2.559 euros pour une personne avec deux enfants à charge dont l’un de moins de 14 ans.
18. On ne se situe pas ici dans l’hypothèse d’une individualisation complète des droits qui pourrait intervenir dans le futur.
19. Avec la possibilité de compléter par une aide sociale sur base de budgets de référence selon les situations. Le seuil de pauvreté ne pouvant refléter la globalité de la situation d’une personne ou d’un ménage qui est à l’origine de sa précarité. 
20. Par comparaison aux salaires bloqués.
21. Ceux-ci touchent alors un forfait qui n’est qu’à la moitié du seuil de pauvreté.
22. Aux relèvements programmés des minima s’ajoutent l’indexation et l’adaptation au « bien-être ». Celle-ci est par exemple pour les chômeur·ses, de 2 à 3,5 % sur 2 ans selon les catégories pour 2021-2022 et de 1,3 % pour 2023-2024. Pour les cohabitant·es, cela aurait donné 8 % en 4 ans au total hors indexation entre 2021 et 2024 (un peu moins après le rabotage du dernier accord budgétaire).
23. À 4/5e temps en réalité s’agissant d’une condition de 5.000 jours de travail.
24. En abaissant la condition de carrière de 30 à 25 ans.
25. Voir https://www.ciep.be/images/Campagnes/2022_Campagne/Outils/Plaidoyer_consolid_4_GT_scu.pdf
26. Notamment via les jobs étudiants, les stages, les abus de l’intérim, les faux indépendants, l’économie de plateforme.
27. Comme l’ont montré de nombreuses études menées par l’UCLouvain, le Forem et l’Onem. (https://www.lesoir.be/496177/article/2023-02-20/la-fgtb-tord-le-cou-certaines-idees-preconcuessur- le-chomage-wallon)

 © Donatienne Coppieters / CSC

Le Gavroche

Les inégalités jusqu'au bout des dents

Franck Vandenbroucke veut interdire aux dentistes de facturer «des honoraires supérieurs… Lire la suite
Mai 2019

Tous les numéros

DEMO NOV 23