La coopération au développement est en mutation : réforme du financement, évolutions sociétales, défis multiples... Pour y faire face, de nouvelles formes de coopération voient le jour et les ONG sont amenées à adapter leur cadre de pensée et d’action. WSM (WeSocialMovements, ex-Wereldsolidariteit/Solidarité Mondiale), l’ONG du MOC, n’y échappe pas, mais tire profit de ces bouleversements pour faire le point sur son identité, définir de nouvelles stratégies et prendre un nouveau départ.
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WSM s’est récemment dotée d’une nouvelle identité visuelle. Pourquoi un tel changement ?
Il ne s’agit pas seulement d’une opération cosmétique visant à relooker notre logo. C’est avant tout l’expression d’un repositionnement de notre ONG dans le secteur évolutif de la coopération internationale. Ce repositionnement est le fruit d’un processus de réflexion que nous poursuivons depuis plusieurs années et qui nous a amenés à nous pencher sur notre origine, notre position actuelle et sur notre vision du futur comme acteur de la coopération. Cette réflexion stratégique était nécessaire dans un monde en pleine mutation et une coopération au développement sous pression.
Comment la coopération au développement évolue-t-elle ?
Depuis son émergence dans les années 1970, le secteur de la coopération a fortement changé. Le modèle de coopération, qui est né des mouvements de solidarité de l’époque postcoloniale était celui de « l’aide au développement ». Les ONG avaient pour mission d’« aider » les pays du Sud afin de combler le fossé existant avec les pays du Nord. On cherchait sans doute à gommer la honte des stigmates de la colonisation, dans une vision d’assistance plus que d’émancipation. Trop souvent, il a été question – et cela l’est encore pour certaines ONG – de récoltes de fonds misérabilistes, d’interférences des donateurs dans les programmes, parfois même de perturbations des structures et des dynamiques locales.
Aujourd’hui ce modèle de la coopération n’est plus adapté à l’évolution de la société. La pauvreté et l’exclusion sociale ne suivent plus la ligne de fracture Nord-Sud. La pauvreté est surtout présente dans les pays à croissance rapide, les zones en conflit, les États faibles, mais aussi chez nous. Par ailleurs, les pays du Sud possèdent des richesses liées à leurs ressources naturelles. Les inégalités sociales émanent donc de rapports de forces inégaux. Ce n’est dès lors pas avec un volume d’aide plus important que l’on va pouvoir en sortir. Ce qu’il faut c’est une plus juste répartition des richesses.
Face à ces constats, la coopération internationale s’est acheminée depuis une dizaine d’années vers un nouveau modèle construit autour du concept beyond aid (au-delà de l’aide). Ce modèle vise la construction d’une société durable, ce qui implique de travailler avec les partenaires locaux, d’agir sur les systèmes politiques et économiques de manière structurelle, d’investir dans le partage de connaissances et de bonnes pratiques entre les différents acteurs de la coopération, des actions de plaidoyer politique etc.
Dans ce contexte, comment WSM s’est-elle repositionnée ?
Nous avons redéfini notre approche en huit points. 1 Tout d’abord, nous nous profilons comme une ONG unitaire qui regroupe les forces du mouvement autour d’un programme commun de coopération internationale. Ensuite, nous avons décidé de concentrer notre expertise sur une thématique spécifique qui est la défense du droit à la protection sociale et au travail décent. Aujourd’hui, 80 % de la population mondiale n’ont pas accès à un revenu stable et décent. Parmi ces personnes qui doivent survivre avec maximum 10 dollars par jour, 71 % n’ont pas accès à la sécurité sociale. Presque les ¾ de la population mondiale sont donc sans droits sociaux et économiques leur permettant de participer pleinement à la société.
Avec cette spécialisation des ONG, ne risquez-vous pas de passer à côté d’autres enjeux prioritaires pour certains de nos partenaires ?
C’est clair que le fait de se spécialiser limite le champ d’action. L’enseignement, l’éducation, l’accès à l’eau potable sont d’autres enjeux de développement importants, mais ils sortent de notre expertise en tant que mouvement social. Intervenir sur toutes les thématiques de développement conduit inévitablement à la dispersion, et nuit à l’identité propre de chaque acteur. De plus, aujourd’hui l’administration de la coopération au développement, la DGD, exige des ONG qu’elles développent une spécificité propre. C’est donc aussi une question de nécessité pour nous. Si on veut survivre à l’avenir comme ONG, il faut faire des choix. Les thématiques sur lesquelles nous avons choisi de nous concentrer (le droit à la protection sociale et le travail digne) sont très larges et permettent dès lors de couvrir de nombreuses problématiques rencontrées localement. Par exemple, nous n’avons pas de programmes directement liés aux problèmes de la paix dans certaines parties du monde, comme au Moyen-Orient ou en Afrique, mais à travers les actions que nous soutenons, nous luttons pour la paix sociale qui est souvent à la base d’une paix durable.
Pourquoi We Social Movements ? Le choix de l’anglais est-il anodin ?
Nous voulons prendre notre place dans une dynamique internationale. Aujourd’hui, tous les défis importants ont une dimension internationale, telle que la crise financière, la crise migratoire, la crise écologique, les conflits sociaux, les inégalités croissantes, la violence, etc. Il s’agit d’un autre aspect de notre repositionnement stratégique dans une approche multi-acteurs avec différents mouvements représentatifs de la société : mouvements de femmes, d’aînées, de jeunes, d’économie sociales, etc. Au lieu de soutenir et maintenir des liens uniquement avec des partenaires bilatéraux, nous développons des programmes dans lesquels nos partenaires sont connectés entre eux et avec d’autres acteurs de la société dans un réseau régional, national et international, sur la thématique de la protection sociale et du travail récent. Nous agissons comme facilitateurs de ces réseaux. L’idée est de soutenir nos partenaires pour qu’ils renforcent la place de la société civile dans leur pays et permettent ainsi à dette dernière d’avoir du poids dans les réformes portées par les gouvernements et par les acteurs sociaux. De les faire reconnaitre comme acteurs pour qu’ils puissent construire aussi des solutions structurelles aux problèmes d’exclusion et construire une société de droit. Une société durable et inclusive. Nous sommes convaincus que la société civile doit impérativement s’organiser pour construire un contre-pouvoir fort dans le triangle des forces qui aujourd’hui construisent les sociétés : État, acteurs économiques et société civile. On constate en effet que là où les acteurs de la société civile sont reconnus et peuvent prendre une place, les sociétés sont plus équilibrées. Par contre, là où ils sont écartés et poursuivis, la situation se détériore clairement. En Mauritanie par exemple, on a pourchassé les syndicats. Résultat aujourd’hui, l’esclavagisme y est de retour.
De quelle manière la réforme initiée en 2015 par le ministre de la Coopération Alexander De Croo influence-t-elle le repositionnement des ONG ?
En matière de coopération, on voit clairement l’orientation libérale dans la ligne définie par ce cabinet. L’État cherche à faire des économies budgétaires et se tourne alors vers le secteur privé en espérant qu’il pourra résoudre lui-même les problèmes sociétaux. Il essaie d’impliquer les entreprises dans la coopération et d’y diminuer le rôle et la place des organisations sociales. C’est une vision que nous combattons. Nous sommes persuadés qu’il n’y aura pas de développement durable et social sans une implication forte des forces sociales. Partout dans tout le monde, le constat est le même : on tente de mettre la société civile au pied du mur. Le secteur de la coopération n’y échappe pas. Et c’est notamment pour cette raison que nous développons cette stratégie de renforcement des organisations sociales par leur mise en réseau. Résister aux tentatives d’affaiblissement et de dénigrement des forces sociales est un combat de tous les jours et un combat international. Nous avons d’ailleurs formé un réseau thématique sur le droit à la protection sociale et au travail décent avec neuf organisations représentatives dans le secteur 2 pour mieux nous défendre dans un environnement fortement libéral dans son approche et qui peut menacer notre liberté de nous organiser avec nos stratégies propres. #
1. WSM, Changeons la donne, une introduction, Bruxelles, octobre 2019.
2. Plateforme de Coordination Travail Décent : WSM, IEOI (CSC), ANMC, MSI (CGSLB), Fos, SolSoc, IFSI (FGTB), Solidaris-Socialitische Mutualiteiten, Oxfam-Solidarité.
Propos recueillis par Stéphanie Baudot