Voilà une question qui doit brûler bien des lèvres en ce début d’année morose et incertain. Les 1.400 ouvriers et employés de Caterpillar Gosselies, comme les 1.300 travailleurs d’ArcelorMittal Liège, et les 8.000 autres de Ford Genk et ses sous-traitants connaissent la réponse : ce sera chômage ! Et dégressif, de surcroît, grâce au gouvernement fédéral qui continue de penser qu’il n’y a qu’à chercher du travail pour en trouver...
Pour tous ces nouveaux demandeurs d’emploi, la question est davantage de savoir ce qu’ils vont manger et servir à leur famille. Ce sera vaches maigres... Et pour longtemps. Oubliés les petits restos du vendredi et les lasagnes toutes préparées en semaine. Au moins, ils pourront se consoler; si la crise économique les frappe au cœur, la crise alimentaire ne les atteindra pas. Quoique... Chaque semaine nous apporte son lot de révélations dans l’affaire de la fraude à la viande de cheval. À tel point qu’on a vite fait d’oublier que du porc, aussi, s’est glissé dans des hamburgers 100 % pur bœuf servis notamment à des prisonniers musulmans. On n’en est plus à se préoccuper des minorités. C’est toute la chaîne alimentaire qui vacille, comme voici dix ans lors de la crise de la vache folle. Et l’Europe n’est plus la seule touchée. Ikea a décidé de retirer ses boulettes de ses magasins de Malaisie, de Thaïlande et à Hong Kong. Et, comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’on apprend par le journal « Le Monde » que de la viande de girafe aurait été décelée dans des bâtonnets d’antilope en Afrique du Sud... La crise est planétaire, ma bonne dame ! Non seulement on ne sait plus ce qu’on mange, mais on ne sait toujours pas à quelle sauce on sera mangés. Et on voudrait nous faire croire qu’il n’y a que les vaches pour être folles dans ce monde du tout au profit...
Je m’étais récemment ému ici des vacheries que peuvent s’envoyer au visage responsables politiques et autres humoristes à la mode. Au risque de paraître obsessionnel, je dois avouer que je continue à m’interroger. Par exemple, je ne comprends pas comment on a pu passer avec autant d’aisance du « politiquement correct » au « médiatiquement méchant ». En d’autres termes, comment se fait-il qu’on n’ose plus dire d’une personne qui ne voit pas qu’elle est aveugle, ce qui est un fait et n’ôte rien aux qualités de cette personne, mais qu’on se permet de dire d’un président de la République française qu’il est un « sale mec » ou d’un joueur de football qu’il n’a que trois neurones, ce qui reste encore à prouver ? Le doute m’étreint d’autant plus que depuis quelques jours je me demande dans quelle catégorie classer la députée-bourgmestre MR de Jurbise. Est-ce faire preuve d’aveuglement que de décréter que ses concitoyens n’ont pas besoin de logements sociaux ? Ou est-ce de la bêtise pure de refuser des logements sociaux alors que les prix des locations flambent à cause de la proximité du Shape ? Et si ce n’était ni aveuglement ni débilité ? Et si Madame Galant avait simplement trouvé le moyen de se hisser au rang du président de la République française ? Rejeter les pauvres de sa commune, n’est-ce pas un peu comme renvoyer les Roms dans les pays où ils sont opprimés ? En plus modeste, certes, en moins flamboyant. Mais le résultat est le même. Désigner un bouc émissaire reste le meilleur moyen de rassurer ses électeurs les plus égoïstes. Mais si Madame Galant n’est ni aveugle ni sotte; se pourrait-il qu’elle soit une... Non, vous ne me ferez pas dire ça.
Dans le jargon journalistique, on appelle ça des « marronniers ». Des sujets qui reviennent tous les ans à la même époque, faciles à traiter, et qui remplissent aisément les pages des gazettes. Un exemple ? Le Nouvel An : après les fêtes et les excès de saumon, foie gras et champagne qui nous avaient donné l’illusion de mener enfin la grande vie, les journaux ont pour habitude d’énumérer tout ce qui va changer à l’an neuf. Et ce ne sont pas que de bonnes nouvelles... Hausse des prix des titres de transport, de ceux des timbres poste, des accises sur le tabac et l’alcool, augmentation de la valeur des titres-services, et j’en passe. Difficile à digérer, malgré nos bonnes résolutions, si rapidement révolues. Et comme si cela ne suffisait pas, il faut aussi qu’on bouscule nos vieilles habitudes. La télé nous inflige de nouvelles grilles de programmes, la direction nous impose de nouveaux objectifs, et même cette bonne vieille revue Démocratie s’offre le luxe de changer de périodicité et de mise en page, sans demander l’avis de personne...
C’est en janvier aussi que le Parti socialiste joue à la chaise musicale. Comme promis, Paul Magnette a quitté le gouvernement fédéral pour sa belle ville de Charleroi. Mais contre toute attente, il en profite pour rafler au passage la présidence f.f. du parti. Le voilà donc bourgmestre, président de parti, sénateur et président de la fédération PS de Charleroi. J’en oublie ? Un sacré cumul pour ce chantre du décumul, imposé d’ailleurs à l’ensemble de ses échevins carolos. Au fédéral, c’est Jean-Pascal Labille qui le remplace. Le Liégeois aux 48 mandats trouvait sans doute son emploi du temps trop léger. Promis, il mettra quelques mandats de côté et toute son énergie pour achever la délicate réforme de la SNCB, pendant que le « beau Paul » ne comptera pas ses heures pour redresser le pays de Charleroi qui en a tant besoin. Finalement, la politique c’est rassurant ; c’est mercato toute l’année... pas besoin de « marronniers » pour nous le rappeler.
Peut-être avez-vous lu comme moi les derniers chiffres publiés par Eurostat, la direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique. Interpellant. En un an, de 2010 à 2011, la pauvreté a progressé de 0,8% dans l’Union. On dénombre désormais 120 millions de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale, soit un quart de la population européenne (24,2 %). Avec des variantes suivant les pays, certes. La Bulgarie déplore 49 % de personnes précarisées, une sur deux ! La Belgique s’en sort « plutôt bien », avec 21 %, soit plus d’une personne sur cinq, et une augmentation de 0,2%. Pendant ce temps, la Commission européenne ambitionne toujours de (faire) respecter ses objectifs pour 2020 : réduire de 20 millions (25 %) le nombre de personnes précarisées. Et cela, tout en diminuant drastiquement les budgets sociaux alloués à l’intégration sociale, comme on peut le lire dans l’article de Bart Vanhercke, Ramón Peña-Casas et Matthieu Paillet, en pages 5 à 7. Et tout en poursuivant aveuglément les politiques d’austérité budgétaire dans l’ensemble de la zone euro. Ces trois auteurs parlent de « schizophrénie » européenne. J’ignore s’ils sont diplômés en psychiatrie, mais je me demande si leur diagnostic ne devrait pas être étendu. Une récente étude a révélé qu’un Belge sur trois est exposé à un stress élevé au travail. Une proportion en constante progression, elle aussi. Ce qui n’empêche qu’on continue à nous imposer de travailler encore plus pour gagner toujours moins, tout en laissant de plus en plus de personnes sur le carreau du chômage et en enrichissant sans cesse quelques actionnaires nantis. Je ne suis pas psychiatre, mais à «schizophrénie», j’ajouterais... « hallucinatoire ». Pas vous?
« Je vois la vie en rétréci », témoignait, il y a peu, une jeune mère de famille espagnole. Autrefois, elle aimait l’art, les musées. Aujourd’hui, elle a perdu son emploi. Elle se contente d’un café, tous les matins, avec sa mère qui tente de lui venir en aide. Depuis la crise, des centaines de milliers d’Espagnols ont vu leur vie rétrécir de la sorte, souvent réduite à la seule survie. Le chômage frappe plus d’un actif sur quatre dans la péninsule. Et depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2008, plus de 350.000 propriétaires ont été expulsés de leur logement dont ils ne parvenaient plus à payer les traites. La maison ou l’appartement, en Espagne, sont le socle de la famille. On ne s’y marie souvent qu’après avoir trouvé un toit. Ce qui explique que 83% des Espagnols sont propriétaires de leur habitation. Et ce qui a poussé deux personnes à se donner la mort peu avant l’arrivée des huissiers. Le 25 octobre, José Luis Domingo a été retrouvé pendu dans le sud du pays. Le 9 novembre, Amaya Egana, une ancienne élue socialiste s’est suicidée au Pays basque. Pour eux, il n’était pas possible de rétrécir la vie davantage. D’autres, comme cette mère de famille menacée d’expulsion qui a mis ses organes en vente sur internet, tentent de repousser les limites de la survie au-delà du supportable. Il a fallu ces drames et une vague d’indignation pour que les banques ibériques suspendent les expulsions. Tardif et court répit. Un bref répit, c’est ce qu’ont connu, chez nous aussi, 18 demandeurs d’asile déboutés. Faute de budget, les avions qui devaient les rapatrier en Albanie et en Grande-Bretagne sont restés cloués au sol. La crise peut aussi avoir du bon, serait-on tenté de sourire... Mais je ne sais pourquoi, cette fois, le sourire ne vient pas.
Voilà quinze jours que les élections communales sont derrière nous. Et je reste perplexe. Je ne parle pas des urnes sans scellés à Spy ou du témoin MR indélicat au bureau de dépouillement de Montigny-le-Tilleul. Des anecdotes. Je pense davantage à une série de rebondissements qui ont émaillé ce scrutin. Dès avant le 14 octobre, d’ailleurs. Comme beaucoup de démocrates, j’ai failli m’étrangler en lisant que la ministre de la Justice avait annoncé que les électeurs qui n’iraient pas voter ne seraient pas sanctionnés. Belle confusion des rôles et des pouvoirs. Puis, le soir des élections et les jours suivants, je n’ai pu m’empêcher de me demander s’il est démocratique ou non de renvoyer dans l’opposition la liste qui a fait le plus de voix... Et d’exclure un parti d’une majorité parce qu’il a conclu d’autres alliances dans d’autres communes ? Et de confondre scrutin local avec test national ? Et de contraindre l’électeur à voter sur des ordinateurs aux écrans trop sensibles qui offrent des voix de préférences indues à des candidats qui n’avaient rien demandé ? Au bout de quinze jours, donc, je reste perplexe. Mais j’ai enfin compris une chose : pourquoi Elio Di Rupo ne s’est pas rendu au Sommet de la francophonie qui se déroulait au Congo ce même week-end des 13-14 octobre dernier. Ce n’était pas pour finaliser sa campagne électorale à Mons, comme on aurait pu le croire. Non. C’était pour ne pas devoir donner des leçons de démocratie à Jospeh Kabila. Déjà qu’en novembre dernier nous avions envoyé des dizaines d’observateurs pour s’assurer du bon déroulement des élections législatives et présidentielles congolaises... Jamais Kabila n’aurait pris Di Rupo au sérieux !
Ça faisait un moment que je n’avais plus allumé la télévision. Pas envie de regarder un film doublé, criard et violent, ou une série qui en est déjà à son vingt-huitième épisode de la septième saison, un talk-show dont le seul suspens est de savoir qui dira le plus de méchancetés, un match de foot aux enjeux financiers décidément indécents, une télé crochet qui ne parvient pas à m’accrocher, une télé-réalité où tout est faux sauf le maquillage. Bref, écran plat ou pas (en l’occurrence), ça faisait donc un long moment que je n’avais plus allumé la télé. Et puis l’autre soir, rentré tôt, de bonne humeur, le téléphone éteint, le repas presque prêt, je me suis offert de regarder le JT. Grand luxe ou retour à la civilisation ? J’hésite encore sur la nature profonde de ma démarche. Reste que j’ai franchi le pas, prudent certes, et dans un registre connu. Le JT est l’émission la plus regardée et la plus critiquée aussi, corollaire de son succès. Je pouvais m’y engager sans trop prendre de risque et avec tout le loisir d’exprimer ensuite mon (f) lot de critiques, colères, indignations, soupçons de partialité, de manque de déontologie, d’excès de populisme, d’amateurisme et d’autres mots en «isme», comme disait la chanson de l’Eurovision. Bref, j’étais prêt... et puis rien. Rien à redire d’un JT plutôt bien présenté, correctement équilibré, assez critique, pas trop racoleur, ni poujadisme, ni populiste, ni communiste, ni socialiste, ni capitaliste, ni écologiste, ni aucun adjectif en «iste». Bref, j’étais prêt à garder la télé allumée toute la soirée... jusqu’à ce que le JT se referme sur un premier tunnel de publicités. J’ai craqué au troisième spot vantant les vertus d’une voiture. J’ai éteint la télé. Et pour un bon moment. C’est con.
Bernard Arnault, la plus grosse fortune de France, le patron du luxe et du superflu, l’homme qui murmurait à l’oreille du président Sarkozy, Bernard Arnault donc veut devenir belge... tout en restant français. La nouvelle fit du bruit, début septembre, en France, où Libé titrait «Casse toi riche con!», comme en Belgique, où l’édito de La Libre affichait fièrement «Bienvenu M. Arnault». On a beaucoup commenté la Une de Libé, l’estimant tantôt excessive, tantôt vulgaire ou partisane. On s’offusqua moins des éditos successifs de La Libre, pourtant autrement indécents. A l’heure où le débat sur les naturalisations se crispe sous la pression d’une droite prête à empêcher les familles de se regrouper, il est choquant de se réjouir qu’un homme cumule les nationalités dans le seul but d’accumuler les milliards. Pour M. Arnault, la Belgique n’est qu’un moyen, alors que pour des milliers de migrants elle est l’aboutissement d’une pénible quête d’une vie digne. Cette demande est insultante. Loin de moi l’idée d’opposer le « mauvais riche » au « bon pauvre ». Mais comparer, comme le fit La Libre, ce milliardaire qui a abusé des subventions publiques et des fermetures d’usines pour construire son empire à des « des entrepreneurs – des hommes et des femmes qui prennent des risques et créent de l’emploi dans notre pays » est d’une malhonnêteté intellectuelle inquiétante. La même malhonnêteté qui anime celles et ceux qui depuis des décennies dénoncent la rage taxatoire qui frapperait les entrepreneurs belges. De ce point de vue, merci M. Arnault. Votre démarche démontre qu’au contraire la Belgique est un paradis fiscal pour grosses fortunes. Peut-être ferez-vous avancer le débat malgré vous... Dans ce cas, «Bienvenue, riche con» !
On a beau détester les avions, la cuisine exotique, les bêtes sauvages. On a beau redouter le soleil comme on fuirait la peste. On a beau aimer son boulot plus que tout... La rentrée reste un moment traumatisant. D’abord, il y a toutes ces choses qui changent au 1er septembre : l’indemnisation des victimes d’erreurs médicales, la fin des ampoules à incandescence, la stérilisation des chats de refuge. Notamment. Ensuite, il y a les nouvelles grilles des programmes radio et télé qui bousculent nos habitudes, comme nos certitudes. Après la refonte de Pure FM et de Matin première, en quoi la RTBF se différenciera-t-elle encore de Fun Radio ou des « auditeurs ont la parole » de Bel-RTL ? Il y a enfin cette fichue rentrée des classes avec son lot de dépenses superflues, de stress inévitables et de larmes inconsolables. Fallait-il y ajouter la menace d’apparition des tablettes numériques dans les cartables ? Que l’école doive mieux préparer les enfants à devenir citoyens d’un monde en pleine mutation est un fait que Michel Serres ne démentirait pas. Que les Tweets aident les enfants à apprendre à synthétiser leur pensée, comme plaidait un prof à la radio, pourquoi pas ? Mais que l’iPad devienne une idée de cadeau de Noël pour les petits, comme le suggérait le JT de 19 h 30, laisse songeur... et me rappelle, je ne sais pourquoi, cette autre nouveauté de la rentrée : pour s’adapter à la « pauvreté qui revient en Europe », la multinationale Unilever va s’inspirer des méthodes utilisées dans les pays en développement. Elle vendra désormais des échantillons individuels de ses produits pour quelques centimes d’euros. Et si les directions des écoles les moins favorisées suggéraient à Apple de commercialiser ses tablettes en pièces détachées...