« Enseignants, oui. En saignant, non », scandent les profs en colère face aux nouvelles mesures gouvernementales : suppression de leur statut protecteur de fonctionnaire nommé, baisse significative de leur pension... Et pourtant, on dit lutter contre la pénurie et attirer des candidat·es dans le métier... Bientôt, ce seront les infirmier·ères qui verront leur salaire de nuit diminuer. Et pourtant, on dit vouloir revaloriser la profession. Bientôt, les chômeur·ses subiront une limitation de leurs allocations à un maximum de deux ans. Pour connaitre ce plafond, un savant calcul devra être opéré. Et pourtant, on dit oeuvrer à la simplification administrative… Bientôt touchées elles aussi, les personnes migrantes à qui l’on promet la détention en centre fermé ou un renvoi dans des centres d’asile à l’étranger (au Kosovo ?!). Et pourtant, on ne compte plus les études qui démontrent que la migration est bénéfique pour le pays d’accueil. Et bientôt... à qui le tour ? Les fonctionnaires, les femmes, les jeunes... Et tant d’autres. Combien de « et pourtant » ? « Le réel, c’est quand on se cogne », disait Lacan. Nous entrons dans le « dur » de l’Arizona, avec ses politiques migratoires et sociales douloureuses. Une « cure d’amaigrissement collective » selon les mots de BDW 1er. Collective ? Et pourtant... l’effort sera inégal, que l’on ait des réserves ou non ! #

«La santé de leurs (petits-) enfants», c’est l’inquiétude majeure des membres de la Mutualité chrétienne dans une étude qui vient de paraitre sur le dérèglement climatique. «Elle est particulièrement grande chez les personnes plus vulnérables en termes de situation économique ou d’état de santé», relève aussi la MC. Car si l’anxiété relative à la crise climatique traverse, comme on nous le raconte, les âges, les classes, et les frontières, ses effets sont eux moins universels. Quartier pollué, logement mal isolé, zones inondables... Des humains sont ici et aujourd’hui plus vulnérables que d’autres à cette crise. Pire, des humains et des territoires subissent déjà–et pour certains bien avant qu’on ne commence à s’en alarmer–de plein fouet les effets de la production et de la consommation effrénées. «C’est par une solidarité des “petits” que nous pourrons construire des résistances contre le capitalisme mondial», relèvent très justement deux activistes congolais dans ce numéro. C’est aussi en écoutant et en accueillant les savoirs de «ces petits» et de ces «sans»–sans-papiers, sans-chez-soi, sans-terre, etc.–pour qui c’est déjà la fin du monde ou presque, que des réponses et des luttes collectives valables pourront être formulées.#

 
«Les Palestiniens sont abattus. Les Palestiniens meurent de faim. Des enfants palestiniens sont retrouvés morts. Dans le cycle d'informations quasi-constant sur Gaza, les Palestiniens semblent mourir des mains d'un bourreau invisible. Mais où est l'obligation de rendre des comptes ? Les Palestiniens meurent, ils ne sont pas tués, comme si leur mort était due à leur propre faute.» C’est par ces mots que commence la chronique «La Palestine et le pouvoir de la langue», signée par Elena Dudum écrivaine palestinienne-américaine dans le Time. Elle y explique avoir, au fil des ans, «passé  au peigne fin les titres des journaux à la recherche d'une voix active dans un océan de passivité». Et termine son article en remettant les mots à leur place : «Permettez-moi donc de modifier les déclarations ci-dessus, comme mes anciens professeurs d'anglais me l'auraient demandé, et de les mettre à la voix active : Israël bombarde des écoles palestiniennes. Israël bombarde des hôpitaux avec l'aide nécessaire. Israël bombarde des centres communautaires et des lieux saints historiques qui existent depuis des siècles. Israël épuise les ressources palestiniennes. Israël bombarde Rafah, qui abrite plus d'un million de Palestiniens déplacés, après avoir déclaré qu'il s'agissait d'une zone sûre. Israël affame Gaza.»
 
Ses mots ne sont pas sans rappeler ceux - inoubliables - de l’autrice camerounaise Leonara Miano qui dénonçait aussi l'impact des forme grammaticales sur les représentations sociales. « On ne se fait pas violer. On est violé. On est, on est, on est violé. On ne fait rien. On est. C’est l’autre qui fait. Le viol, c’est l’autre qui le fait.» 
 
Ce ne sont pas juste des mots. C'est une grammaire plus juste pour dire mieux – ou moins taire –  les violences et les guerres.

La flamme des Jeux de Paris vient tout juste de s’éteindre. Avec 139 médailles au total, la France se classe en 7e position parmi les nations ayant participé aux Jeux olympiques et paralympiques (JP). La presse semble unanime sur les retombées positives des JP. Une médaille d’or alors à ajouter au palmarès français pour le travail d’inclusion? Ce serait voir le score sans regarder le match… Derrière les prouesses sportives des 4.400 athlètes, c’est l’inclusion des personnes en situation de handicap qui se joue avant tout. Et de ce point de vue-là, il reste des courses à gagner… Accessibilité limitée des bâtiments publics, infrastructures sportives inadaptées et inatteignables, accès aux transports publics, aux médias... En France, comme en Belgique, les scores en matière d’inclusion des personnes handicapées sont médiocres. Un récent rapport d’Unia pointe les nombreux retards de notre pays. Mais l’un des plus grands défis à relever reste la lutte contre les clichés validistes qu’un événement comme les Jeux continue de véhiculer. L’héroïsation des athlètes est un exemple. Pour Michaël Jeremiasz, ancien tennisman, le combat n’est pas seulement celui des 237 athlètes qui ont défilé Place de la Concorde, mais «celui des 12 millions de personnes handicapées en France, des 9 millions d’aidants qui les accompagnent au quotidien, et du milliard de personnes handicapées qui ne sont pas des “superhéros”.» Si «changer de regard, changer d’attitude, changer de société» était bien l’objectif affiché de ces jeux, on ne pourra l’atteindre qu’en passant des exploits individuels aux progrès collectifs. La flamme de l’inclusion pourra alors briller dans notre société !#

Le 10 avril dernier, leLe 10 avril dernier, leParlement européen a adoptéle nouveau Pacte sur l’asile et la migration. Ce pacte prévoit entre autres un mécanisme de « solidarité »entre États membres pour aider un État qui serait « sous pression », « à risque » en acceptant de relocaliser des demandeur·ses d’asile, en assumant la « responsabilité »  du retour et en prenant des mesures de soutien opérationnel.

En d’autres mots, quand Viktor Orbán proposera de liquider son stock de barbelés à un État« sous pression », il aura  exprimé sa solidarité avec les autres États membres…ou quand le Danemark aura relocalisé ses demandeur·ses d’asile au Rwanda, il aura lui aussi été solidaire. Face aux candidat·es à l’asile qui se noient dans la Méditerranée, les valeurs européennes prennent l’eau… On est loin du concept de solidarité au fondement même du projet européen après la guerre,de la création du mouvement polonais Solidarność et du ministère de la Solidarité en France dans les années 1980, de la charte des droits fondamentaux de l’UE qui stipule début des années 2000 dans son préambule que « l’Union est fondée sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ». Aujourd’hui,la solidarité mobilisée dans le discours européen est un projet de rejet de l’autre. Une solidarité d’extrême droite en quelque sorte… #

« La presse pour enfants ne va pas bien » alerte le journal des enfants. L’hebdo belge destiné aux enfants est né en 1992, huit ans après son grand frère français qui vient d’annoncer qu’il cessait de paraitre pour cause de recettes insuffisantes. La presse pour enfants ne va pas bien, celle pour adultes non plus. Baisse d’abonnements, certes. Mais aussi la décision du gouvernement en décembre dernier de mettre fin au système de concession postale accordée à Bpost, qui permettait aux journaux et périodiques d’avoir des tarifs postaux préférentiels. Cette suppression, malgré des aménagements décidés début d’année, va représenter un surcout, d’autant plus lourd sur les épaules des revues culturelles et associatives et des magazines indépendants.

« Ouvrir une école c’est fermer une prison », on connait la maxime. Fermer un journal, qui plus est quand il est destiné à la génération prochaine d’adultes, c’est freiner le débat d’idées et la réflexion, c’est empêcher le travail rigoureux de traitement de l’information, c’est donner un coup de pied à la curiosité. Fermer un journal dans un monde en crises et dans le tourbillon d’informations, c’est ouvrir la porte à quoi, et à qui ? À la veille des élections, il en faudrait des plumes et des pages sans d’autres intérêts que l’intérêt public pour alerter du danger qui pèse sur la presse libre, et donc sur la démocratie. #

irina gheorgita flickFranck Vandenbroucke veut interdire aux dentistes de facturer «des honoraires supérieurs aux tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance obligatoire pour les bénéficiaires d’intervention majorée». La loi dont l’application est prévue dès janvier a fait grincer des dents la Chambre de médecine dentaire, qui a déposé une requête en annulation de cette loi auprès de la Cour constitutionnelle, au motif notamment que «la loi porte atteinte au libre exercice de la profession»; ou encore qu’elle «va augmenter la pénurie de praticiens surtout présente dans les régions à fortes concentrations en patients BIM». Certains dentistes non conventionnés n’ont pas attendu la décision de la Cour pour ne plus recevoir ces patient·es, surtout pour des soins d’orthodontie, comme le rapportait Le Soir fin novembre 2023. Peu importe leur âge et tant pis pour leur rage! On savait que des patient·es reportaient déjà leurs soins dentaires, trop couteux, déjà trop honteux. Ce triage–emblématique d’une médecine à deux vitesses–menace de creuser encore davantage les inégalités dentaires, que la loi entend pourtant enrayer. Il illustre aussi «la guerre sociale» qui se joue sur cet organe vital mais aussi devanture sociale que décrypte l’auteur Olivier Cyran dans un essai mordant qui éclaire toutes les injustices que subissent celles et ceux qui sont né·es sans dents (coucou François Hollande!)* cuillère d’or dans la bouche.#

*rire jaune

©Irina Gheorgita / Flickr cc

68073930 318adf8c04 zLe candidat d’extrême droite et ultra-libéral Javier Milei a largement remporté dimanche 19 novembre l’élection présidentielle en Argentine dans un contexte économique grave qui voit les revenus chuter et le travail informel (et précaire) augmenter. Milei, un président qui suggère de permettre aux enfants d’aller à l’école avec des armes; qui a nié les féminicides ; qui a annoncé son souhait d’interdire à nouveau l’avortement ; qui juge la justice sociale « aberrante ». Un drame pour la démocratie rétablie depuis 40 ans dans le pays. Une catastrophe pour les droits des femmes et des minorités, qui ont réussi par leur lutte acharnée à arracher des victoires comme celle du droit à l’avortement fin 2020. Et qui ont mené une campagne sans relâche ces derniers mois contre ce « danger de destruction collective », comme le décrit Veronica Gago, activiste argentine membre de Ni Una Menos. Ce slogan – «Pas une de moins » – que scandent depuis 2015 les femmes dans les rues d’Argentine et du monde entier pour lutter contre les violences faites aux femmes et les féminicides. Contre les dirigeants machistes, climatosceptique, suprémacistes qui considèrent que certaines vies valent plus que d’autres, nous crions aussi : «Pas un de plus ! ». #

Faire une pause. Locution signifiant «interrompre une activité pendant un temps et la reprendre plus tard». Faire un break au boulot. Classique. Faire une pause dans son couple. Potentiellement salvateur. Mais faire une pause semble carrément tendance en politique. Notre Premier ministre a sorti la solution de la «pause environnementale» de son chapeau. Comme si le cours de la destruction du monde allait suivre cette injonction. L’idée semble aussi convaincre l’UE qui a proposé de faire une pause dans la guerre Israël-Hamas. Une solution «pragmatique» pour acheminer de l’aide humanitaire auprès d’une population prise au piège des bombardeWhatsApp Image 2023 11 06 at 172322ments. «Pause! On ne tue pas tout le monde d’un coup. On les aide d’abord...» Quel sinistre sursis... Quel sens aussi de faire une pause dans une relation asymétrique où l’une des deux parties pratique l’apartheid, l’invisibilisation, la déshumanisation de l’autre? Si les responsables politiques choisissaient la voie du courage face aux grands enjeux de notre temps, les mouvements sociaux, ONG, citoyen·nes et populations civiles en proie aux conflits pourraient eux se mettre en pause. Mais non, ils se doivent d’exiger un cessez-le-feu pour que soient trouvées les conditions d’une paix juste et durable. Car si l’on ne veut pas d’une «paix des cimetières », pour reprendre les mots de Mona Chollet, il est urgent de stopper le massacre en cours et de reconnaitre l’existence, l’humanité et la liberté des Gazaouis. #

27823352601 99edbaf50b cLe rien existe-t-il? Cette question anime les penseurs depuis le début de la philosophie occidentale. Ça commence avec Parménide (env. 500 – env. 440 avant JC.). Penseur de l’Être par excellence, il interdit aux philosophes de se laisser entrainer sur la voie du non-être. Dans son Traité sur le non-étant et la nature, Gorgias (483 env.-374 env. av. J.-C.) lui répond que la discrimination fondatrice entre le «est» et le «n’est pas» n’est pas si facile à opérer. Depuis, les philosophes s’interrogent. Quelle est la nature du rien? Le rien est-il absent ou présent? Le rien a-t-il une raison d’être? Comment distinguer le rien du néant? Pas rien comme questions… Aujourd’hui, on peut même se demander si le rien a une valeur commerciale ou pas! En effet, si vous souhaitez surprendre un ami avec un cadeau unique, il vous est loisible à présent de lui offrir du rien. Ce sont de simples boules de plastique vides entre 0.50 € et 59 € (pour des produits totalement identiques) que l’on peut se procurer sur des sites de ventes en ligne. « Un cadeau parfait pour celui qui a déjà tout », selon les concepteurs du produit. Et oui, rien que ça ! Et puis «si quelqu’un commence à se plaindre, vous pouvez toujours lui dire que la vie est injuste et qu’on n’a pas toujours ce qu’on veut, mais qu’on a ce dont on a besoin» vous rassurent-ils. Dans le fond, cette histoire de riens nous montre une fois de plus que le capitalisme, lui, est capable de tout.#

Le Gavroche

« Enseignants, oui. En saignant, non »

« Enseignants, oui. En saignant, non », scandent les profs en colère face aux nouvelles… Lire la suite
Mai 2019

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