- Pourquoi la diminution de l’offre ferroviaire ne peut pas être une option ?

- Céline Tellier: Cette décision va à l’encontre des évolutions nécessaires en matière de mobilité. Premièrement cela ne répond absolument pas à la demande des usagers puisque depuis 1995 on constate une augmentation de plus de 55 % du nombre de voyageurs au niveau de la SNCB. Deuxièmement, nous devons d’ici à 2020 réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 30 % par rapport à 1990. Dans cet effort à fournir, le secteur du transport est un enjeu énorme. Entre 1990 et 2009, les émissions de CO2 imputables à ce secteur ont augmenté de 33 % ! Diminuer l’offre de trains est en contradiction complète avec la nécessité d’un report modal massif vers le train qui reste le mode de transport le moins polluant. Enfin, selon les estimations du Bureau du Plan, on devrait assister à une augmentation de 30% du nombre de déplacements entre 2005 et 2030 à l’échelle nationale. Cela va nécessiter des investissements massifs dans le secteur ferroviaire et celui des transports publics en général.

- Pour vous, d’autres pistes existent en matière d’économie ?
- CT: La réduction de l’offre ferroviaire va permettre d’économiser, d’après les chiffres de la SNCB, 23,6 millions d’euros. À côté de cela, le projet de gare Calatrava à Mons, qui aura très peu d’impacts positifs pour les voyageurs, va coûter au minimum 150 millions d’euros. Le projet de liaison ferroviaire vers l’aéroport de Gosselies coûtera, quant à lui, la bagatelle de 600 millions d’euros selon Infrabel. C’est démesuré ! Plutôt que d’investir dans des gares « cathédrales » et des projets non pérennes, il faut en priorité rénover l’ensemble des gares de proximité tout en redéveloppant l’offre locale. Cette stratégie s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de la politique d’aménagement du territoire engagée en Wallonie qui prône le développement de l’urbanisation autour de noyaux d’habitats. Dans ce schéma, les gares de proximité doivent être envisagées comme un moteur du redéploiement urbanistique des centres urbains et villageois.

- En quoi le secteur du transport est un enjeu déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
- CT : À politique inchangée, l’augmentation tendancielle de la demande de transport rend impossible nos objectifs de réduction en matière de CO2. Les émissions des GES liées aux transports sont passées de 14 % des émissions totales en 1990 à 21 % en 2009. Ce niveau croissant est dû à l’augmentation du trafic routier, qui représente 98 % du total des émissions par le secteur en 2009. Le secteur du transport est le seul dont on n’arrive pas à maîtriser l’évolution des émissions de GES. Ce n’est pas étonnant : il manque encore une réelle politique volontariste et la mise en place d’outils fiscaux pour impulser de nouveaux comportements en matière de mobilité.

- Les projections du Plan en matière d’augmentation de la mobilité sont interpellantes. Cette « hyper-mobilité » est-elle durable ?
- CT: En matière de mobilité nous travaillons selon un triple principe : « Moins. Autrement. Mieux ». « Moins », c’est réduire la demande de déplacements. « Autrement », c’est favoriser l’utilisation d’autres modes de transport. « Mieux », c’est améliorer l’efficacité énergétique. Dans ce schéma, la dimension « Moins » est la priorité d’une politique de mobilité qui se veut durable. Or, actuellement on constate que les politiques mises en place sont centrées essentiellement sur le « Mieux », avec par exemple, le soutien, à grand renfort de deniers publics, au développement de la voiture électrique qui pose pourtant question sur le plan environnemental. La mobilité n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’accès vers des services, vers un emploi, vers la culture, etc. Il faut veiller à rendre accessible ces services à l’ensemble de la population, mais cela ne doit pas nécessairement passer par une augmentation de la mobilité, non viable tant du point de vue de la congestion, de la confiscation de l’espace public qu’en matière de pollution de l’air ou d’émissions de GES. Raisons pour lesquelles il est fondamental d’articuler la politique d’aménagement du territoire avec la politique de mobilité.

- N’y a-t-il pas une contradiction entre la volonté au niveau européen de diminuer les émissions de GES et promouvoir en même temps l’ouverture totale à la concurrence du rail ?
- CT: Le risque que l’on perçoit avec la libéralisation, c’est que les petites lignes et les petites gares qui, selon nous, doivent être redéployées de manière massive risquent de passer à la trappe si on prend uniquement le critère de la rentabilité immédiate. L’ouverture totale à la concurrence risque donc d’entraîner une diminution de l’offre ferroviaire et un report vers des modes de transport plus polluants. Dans ces conditions, comment atteindre l’objectif que se fixe la Commission d’une réduction de 60 % des émissions de GES liées au transport pour 2050 par rapport à 1990 ?