Le 28 novembre dernier, le tribunal civil de Bruxelles condamnait la société Eternit à indemniser la famille d’une des victimes de l’amiante. Un procès dont l’issue ne doit pas faire illusion sur les possibilités qu’offre le droit civil aux autres personnes malades pour avoir été exposées à ce produit toxique. Plus largement, l’indemnisation des victimes de l’amiante peut être considérée comme exemplative des problèmes que pose une indemnisation correcte du risque professionnel, mais aussi du risque environnemental.

 

L’amiante, appelé aussi asbeste, est un minéral aux excellentes propriétés de résistance thermique. Pour cette raison, il a eu beaucoup de succès comme matériau de construction ou d’isolation, ou pour la fabrication de pièces mécaniques résistantes à la chaleur, par exemple des plaquettes de freins. Ces propriétés même constituent aussi le danger qu’il représente pour la santé : il se décompose en filaments microscopiques qui, inhalés, parviennent à pénétrer très profondément dans l’appareil respiratoire, où ils s’accrochent et provoquent des dégâts qui peuvent être graves.
Ces dangers sont connus pratiquement depuis les débuts de l’utilisation industrielle du produit, à la fin du 19e siècle. Dès 1907, les maladies liées à l’amiante ont figuré sur la liste britannique des maladies professionnelles indemnisables.
La plus caractéristique de ces maladies est l’asbestose, qui appartient au groupe des pneumoconioses, au même titre que la tristement célèbre silicose des ouvriers mineurs. Elle a des caractéristiques assez proches de l’asthme ; elle provoque une insuffisance de ventilation qui, à terme, apporte diverses complications.
L’amiante provoque aussi des maladies que la réglementation belge appelle « affections bénignes de la plèvre et du péricarde ». « Bénigne » s’oppose ici à « maligne », autrement dit à « cancéreuse », et non à « grave » : en fait certaines de ces maladies sont très invalidantes ! Il s’agit de certaines formes de pleurésie, ainsi que des « épaississements pleuraux diffus », provoqués par l’enkystement des fibres d’amiante dans les membranes qui entourent les poumons, et qui ont des effets semblables à ceux de l’asbestose.
Dans les années 1920, on a établi que le risque d’asbestose était lié à l’intensité de l’exposition, ce qui a conduit à des mesures préventives au profit des travailleurs de l’amiante. Quant au respect de ces dispositions, c’est une autre affaire. Un groupe de militants CSC issu de l’ancienne usine de fibrociment « Coverit », dans la région de Mons, très actif pour aider à l’indemnisation des victimes, s’efforce par ailleurs de perpétuer la mémoire des conditions de travail. On trouve dans la petite galerie de photos qu’ils ont constituée des témoignages hallucinants sur l’absence totale de conscience du danger dans le chef des ouvriers jusque dans les années 1970, à la veille de la fermeture de l’entreprise. On peut néanmoins retenir que si des mesures de prévention adéquates sont appliquées, le risque d’asbestose est éliminé. On peut également retenir qu’on n’est pas soumis au risque d’asbestose si on n’a inhalé que de faibles doses d’amiante, suite à un contact accidentel ou occasionnel, ou suite à une exposition faible comme on peut le rencontrer dans un bâtiment « contaminé par l’amiante ».
L’amiante est également corrélé à des risques de cancer, ce qui pose diverses questions de causalité. Selon la définition classique retenue notamment en droit de la responsabilité civile, un fait est la cause d’un autre lorsque, sans le premier fait, le second ne serait pas survenu.


Une maladie infectieuse, par exemple, trouve sa cause dans l’action d’un microbe. À vrai dire, ce n’est généralement pas la seule cause. Toutes les personnes contaminées par un microbe ne développent pas la maladie ; c’est donc qu’interviennent aussi d’autres facteurs, comme la résistance plus ou moins grande de l’organisme. Mais l’action du microbe est bel et bien la cause de la maladie, car sans elle la maladie ne serait pas survenue. En règle générale, il n’est pas possible de situer dans un fait déterminé la « cause » d’un cancer. Les diverses formes de cancers sont corrélées statistiquement à divers facteurs de risques, mais il n’est généralement pas possible de prouver que, si la victime n’avait pas été exposée à ce risque, la maladie ne serait pas survenue. Il faut donc décider dans quelle mesure la corrélation statistique est assez forte pour justifier des mesures de prévention, voire d’interdiction, par « principe de précaution », ou pour être assimilée à un lien causal justifiant une indemnisation.
L’amiante est associé à des cancers de l’appareil respiratoire (larynx, poumon). Mais le cancer du poumon est associé à de nombreux autres risques, à commencer par la fumée en général, celle du tabac en particulier. Le facteur de corrélation le plus évident a été établi avec le mésothéliome, un cancer localisé sur la plèvre ou sur le péritoine : cette maladie est toujours associée à une exposition à l’amiante, ou éventuellement à un autre minéral, inexistant en Belgique. Lorsqu’il est établi qu’une personne atteinte de mésothéliome a été exposée à l’amiante, on peut donc reconnaître que l’amiante est la cause du cancer, au sens classique du terme, car sans exposition à l’amiante, le cancer ne serait pas survenu. Ce qui ne signifie pas qu’une exposition à l’amiante entraîne toujours un mésothéliome : en fait cette forme de cancer reste heureusement rare.
Comme les autres cancers, le mésothéliome, ne survient pas immédiatement après l’exposition au risque : il y a une période de latence de plusieurs années, et même plusieurs dizaines d’années. Mais une fois qu’il apparaît, il est incurable, et provoque une maladie pénible, et le décès dans un délai de quelques mois. Et, contrairement à d’autres cancers, aucune forme de dépistage ou de traitement à un stade précoce ne semble de nature à améliorer le pronostic. Le mésothéliome constitue une forme particulièrement cruelle de loterie. Qui a été exposé à l’amiante, même à faible dose, n’a aucune certitude de ne pas développer la maladie. D’où la revendication d’une indemnisation du dommage moral lié à la simple exposition, même sans lésion incapacitante immédiate.
Est-il fautif, en soi, d’exposer au risque d’un produit reconnu comme dangereux ? La question est de savoir en quoi l’amiante se distingue, au point de vue des risques, d’autres produits aux « effets secondaires » indésirables. Il n’a pas manqué, jusqu’à ces dernières années, de voix pour soutenir que les « quelques » cas de cancers liés à l’amiante pouvaient être légitimement mis en regard des « milliers » de vies sauvées grâce à la présence de l’amiante dans les isolants anti-incendie des bâtiments. En Belgique, l’amiante avait été imposé dans les constructions suite à l’incendie de l’Innovation, en 1967 ! Ce genre de raisonnement est aujourd’hui devenu presque politiquement incorrect, et est dépassé par l’innovation technique, qui a fourni des alternatives acceptables à l’amiante, sauf à découvrir – ce qui n’est nullement exclu à ce stade – que les produits de substitution comportent eux aussi des dangers pour la santé ! Mais c’est le point de vue que l’on peut encore trouver, par exemple, dans « Safe Work », l’encyclopédie OIT des conditions de travail. S’il s’agit d’apprécier le caractère fautif de raisonnements ou d’attitudes il y a plusieurs dizaines d’années, la question mérite d’être posée.


Un aspect important de la question pourrait être celui de l’information. Une chose est d’exposer à un risque. Autre chose est de le faire sans en avertir ceux que l’on y expose. En ce qui concerne l’amiante, il est frappant de constater que des données auxquelles on accède aujourd’hui en quelques clics sur Internet – par exemple via les sites de l’OIT, de l’OMS ou d’autres instances officielles, sans compter les innombrables initiatives associatives – étaient manifestement inconnues des personnes directement concernées, même parmi le personnel de cadre, alors qu’elles étaient disponibles. On a déjà signalé l’absence totale de conscience du danger qui semblait régner chez les travailleurs de l’usine Coverit. L’Association belge des victimes de l’amiante (Abeva) s’est constituée autour de la famille d’un ingénieur de l’usine Eternit de Capelle-au-Bois, apparemment contaminée, comme le père de famille lui-même, par les vêtements de travail ramenés de l’usine et par des bricolages sur fibrociment effectués dans la cave de la maison ! Le père de famille, malgré ses compétences d’ingénieur et ses responsabilités dans la production de l’usine, y compris dans les consignes de sécurité à l’adresse des ouvriers, était manifestement inconscient des risques qu’il courait et faisait courir.
Cette constatation est au centre du procès mené par la famille de cet ingénieur contre la société Eternit, et qui s’est conclu par un jugement sévère du tribunal civil de Bruxelles, le 28 novembre dernier. Dans ce procès, comme dans d’autres « procès de l’amiante » menés dans divers pays, les demandeurs ont été reconnus victimes d’une « loi du silence » propagée notamment par les industriels du secteur.
Que l’industrie en général, et celle de l’amiante en particulier, n’a pas intérêt à trop mettre l’accent sur les dangers de ses produits, n’a pas besoin d’être démontré. Peut-on en déduire que c’est son action – sous forme de lobbying ou autre – qui a empêché le public et spécialement les pouvoirs publics d’accéder à l’information pertinente et de prendre les mesures nécessaires?
À certaines entreprises du secteur, on peut reprocher davantage que la minimisation du risque inévitable eu égard aux avantages du produit : on a tenu les travailleurs, même les cadres, dans l’ignorance de risques bien répertoriés, et de surcroît évitables ! Si l’on en croit les comptes-rendus de presse, c’est avant tout cette circonstance qui est à la base de la condamnation de la société Eternit.

Les insuffisances du droit commun

Ce succès juridique, dans lequel les particularités du cas d’espèce ont manifestement joué un grand rôle, ne doit pas faire illusion sur les possibilités qu’offre le droit civil aux victimes de l’amiante.
Selon le Code civil belge, semblable sur ce point au droit commun de la plupart des autres pays, la victime d’un dommage est indemnisée si quelqu’un peut être déclaré responsable de ce dommage. La principale cause de responsabilité – la seule dont il faille tenir compte ici – est la faute. En fonction des sensibilités actuelles, il y a beaucoup de chances qu’un juge estime qu’il était fautif d’exposer au risque de l’amiante. La réponse ne va pourtant pas de soi, si on se replace dans les sensibilités à l’époque où la faute est censée avoir été commise. Moins discutable est la faute d’avoir soumis à un risque évitable sans en avertir les personnes concernées ; mais, même si elle a été reconnue dans un cas d’espèce emblématique, cette faute-là est plus localisée, et ne couvre pas tous les cas de dommages résultant de l’amiante.
Si une faute est démontrée, encore faut-il établir son dommage, et le lien causal entre la faute et le dommage. Il ne faut donc pas seulement établir qu’on est victime d’une maladie liée à l’amiante, mais aussi prouver positivement que cette maladie est provoquée par l’exposition au risque de la maladie à un endroit déterminé. Preuve difficile, si l’on s’en tient aux critères classiques de la causalité, rappelés ci-dessus.
Dans beaucoup de cas se posera un problème de prescription. Selon les dispositions actuelles du Code civil, les actions en responsabilité civile doivent être intentées dans les cinq ans à compter du jour « où la personne lésée a eu connaissance du dommage (…) et de l’identité de la personne responsable », mais en tout cas dans les vingt ans à partir du « fait qui a provoqué le dommage ».
Et enfin, « last but not least », il faut que la personne responsable existe encore, soit solvable… ou assurée. Chose pas évidente, lorsque le dommage est lié à des fautes commises il y a plusieurs dizaines d’années. Le secteur de l’amiante comporte des entreprises que l’on peut considérer comme de « riches multinationales ». Mais, il comporte aussi des entreprises qui ont aujourd’hui disparu, des PME du bâtiment, du recyclage des déchets et d’autres. Et même lorsque l’entreprise à l’origine du dommage existe encore et a de l’argent, une société commerciale n’est finalement qu’une abstraction juridique. Ceux qui se sont enrichis grâce aux attitudes du passé ne sont pas nécessairement les dirigeants et les actionnaires d’aujourd’hui, et encore moins les travailleurs, qui seraient les premiers à supporter concrètement le poids d’une condamnation financière, si celle-ci devait entraîner la fermeture de l’usine. Cela seul peut expliquer que les délégations syndicales des entreprises concernées sont rarement en première ligne dans les initiatives des associations de victimes ou des ONG environnementales.

L’indemnisation des maladies professionnelles

La législation sur les maladies professionnelles couvre les travailleurs salariés. L’indemnisation est plus ou moins calquée sur celle des accidents du travail. Cette réparation s’écarte sur plusieurs points d’une indemnisation intégrale, qui est la règle en droit commun. Mais, elle n’est finalement pas très éloignée de ce que la victime peut concrètement espérer dans le cadre d’une procédure en droit commun : compte tenu de tous les aléas de celle-ci, la majorité des indemnisations sont déterminées par une transaction, et ne sont pas en fait intégrales. Et pour ce qui concerne l’incapacité de travail et les soins de santé, la réparation est assez proche d’une réparation intégrale.
Pour obtenir cette réparation, le travailleur doit prouver qu’il a été exposé, pendant une occupation en tant que salarié, au risque d’une maladie figurant sur une liste établie par arrêté royal. Il ne doit pas prouver que sa maladie a été concrètement causée par l’exposition au risque. Il faut par contre que sa maladie figure sur la liste, ce qui implique que le législateur a reconnu un lien causal, ou une probabilité suffisante de lien causal, entre cette maladie et un risque professionnel. Dans les faits, la liste belge des maladies professionnelles est assez complète, si l’on tient compte des risques répertoriés en Belgique.
Dans le cas de l’amiante, elle reconnaît l’asbestose, les « affections bénignes de la plèvre et du péricarde provoquées par l’amiante », le « mésothéliome provoqué par l’amiante », le cancer du poumon et le cancer du larynx « provoqués par l’amiante ».


La précision que les affections « bénignes » et le mésothéliome doivent être « provoqués par l’amiante » ne pose guère de difficulté, comme on l’a vu. Il n’en va pas de même en ce qui concerne les cancers du poumon et du larynx. Le texte ne dit pas que la maladie doit être provoquée par une exposition professionnelle à l’amiante, mais les critères élaborés par le Fonds des maladies professionnelles ne peuvent être remplis qu’à la suite d’une exposition assez intensive et pendant une assez longue période, qui ne se rencontre en pratique que dans le milieu professionnel.
La législation belge ne reconnaît pas certaines autres maladies parfois associées à l’amiante, et reconnues dans certains pays, par exemple certains cancers du tube digestif. En théorie, le travailleur peut obtenir réparation pour une maladie ne figurant pas sur la liste, s’il établit qu’elle a été causée « de façon directe et déterminante » par l’exercice de la profession. Il est peu probable que cette disposition puisse jouer pour des maladies de l’amiante non reprises sur la liste belge, dont le lien causal avec une exposition à l’amiante est justement controversé.
Corrélativement à l’indemnisation, la loi sur les maladies professionnelles, comme d’ailleurs celle des accidents du travail, prévoit une immunité de l’employeur contre toute action civile de ses travailleurs. Ceux-ci bénéficient de l’indemnisation sans devoir prouver la faute, mais ils ne peuvent pas se retourner contre l’employeur pour obtenir une réparation intégrale, dans le cas où la maladie résulte de sa faute. Cette règle ne tombe que si l’employeur a intentionnellement provoqué la maladie professionnelle, ou dans le cas de la faute inexcusable qui consiste à continuer d’exposer les travailleurs à un risque qui avait été dûment constaté par les services d’inspection compétents 1.
Cette règle controversée fait cependant l’objet d’un consensus entre partenaires sociaux. D’un point de vue syndical, ce consensus est justifié par le raisonnement suivant :
– le but normal d’une action civile en responsabilité est d’obtenir réparation du dommage ; celle-ci est mieux assurée par une réparation forfaitaire comme celle du FMP ;
– si la victime recherche dans son action un objectif moral, comme la reconnaissance de son statut de victime ou la punition de l’auteur du dommage, cet objectif est celui des procédures pénales ; il n’y a pas d’immunité en matière pénale ; la notion de faute qui y joue est identique à celle qui jouerait pour une action civile ;
– si on cherche un effet préventif par la menace de condamnations civiles, cet effet peut être atteint par la notion actuelle de faute inexcusable, ou par la menace d’activer ce mécanisme.

L’utilité d’un fonds d’indemnisation

La législation des maladies professionnelles laisse deux catégories de victimes sans indemnisation :
– les travailleurs indépendants, qui peuvent être soumis au risque professionnel de l’amiante, mais dont le « statut social » ne comporte pas de branche spécifique « maladie professionnelle » (pas plus d’ailleurs qu’accident du travail) ;
– les victimes non professionnelles.
C’est au départ à leur intention qu’a été institué, à partir du 1er avril 2007, le « Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante », ou « AFA » 2, intégré au Fonds des maladies professionnelles. On ne s’étendra pas, dans cet article, sur les péripéties qui ont entouré la création de ce fonds, qui ont fait l’objet d’études détaillées 3. On dira tout de même que le gouvernement est intervenu à un moment où tous les partis politiques démocratiques s’étaient ralliés à une proposition de loi élaborée par la députée Écolo Muriel Gerkens, en concertation avec les associations de victimes, et dans la ligne d’un avis du Conseil national du travail. Cette proposition visait à une indemnisation proche de celle du Fonds des maladies professionnelles, qui soulage les victimes des contraintes du droit commun, tout en étant cohérente avec l’indemnisation dont bénéficient les travailleurs salariés. Les travailleurs n’étaient pas formellement exclus des interventions du Fonds. Mais celui-ci ne leur était pas prioritairement destiné, et il y avait une interdiction de cumul entre les prestations de l’AFA et celle du FMP.
Le gouvernement a repris de cette proposition la création d’un Fonds, doté d’un financement spécifique, intégré au Fonds des maladies professionnelles. Il faut cependant bien dire qu’il a profondément dénaturé la proposition d’origine, ce qui n’est pas sans créer des problèmes de logique.
D’une part, seuls l’asbestose 4 et le mésothéliome font l’objet d’une indemnisation. On pouvait comprendre qu’on commence par là, puisque ce sont ces maladies dont le lien causal avec l’amiante est le plus indiscutable. Mais fondamentalement, cela ne répond pas à l’entièreté de la problématique. Le cancer du poumon, par exemple, n’est pas indemnisé par l’AFA. Il est vrai que, comme on l’a dit, cette forme de cancer ne se rencontre, en fonction des critères actuels, que dans le contexte d’une exposition professionnelle. Et les travailleurs indépendants, si l’on en croit leurs représentants dans la concertation sociale, ne sont pas demandeurs d’une indemnisation, si celle-ci les oblige à participer au financement du fonds…


L’asbestose est une maladie typiquement professionnelle, liée à des conditions de travail aujourd’hui disparues. Il n’y a aucun risque qu’une telle maladie soit développée par une victime « familiale » ou « environnementale », et peu de dangers qu’elle le soit par un travailleur indépendant.
D’autre part, l’indemnisation de l’AFA est intégralement cumulable avec toute autre réparation, y compris celle du FMP. Ce qui pose la question de la justification d’un traitement différencié des victimes de l’amiante. Le mésothéliome est une maladie pénible et cruelle, mais ce n’est pas le seul cancer professionnel reconnu sur la liste. L’asbestose est une maladie invalidante, mais c’est le cas aussi des autres pneumoconioses, et de certains autres asthmes professionnels
Le bilan de l’AFA reflète cette anomalie. Entre sa création et octobre 2010, il a accordé environ 1.200 indemnisations, dont 654 pour le mésothéliome et 545 pour l’asbestose. Sur ce nombre, 15 % à peine concernent des travailleurs indépendants ou des victimes non professionnelles, qui n’auraient probablement bénéficié d’aucune indemnisation si le fonds n’avait pas existé. La quasi-totalité de ces 15 % concerne le mésothéliome. Pour l’asbestose, le fonds n’a indemnisé que 3 travailleurs indépendants et aucune victime non professionnelle. 85 % des indemnisations (75 % pour le mésothéliome et 99 % pour l’asbestose) ont été accordées à des travailleurs salariés, du secteur privé ou du secteur public, bénéficiaires par ailleurs d’une indemnisation au titre de maladie professionnelle. Les dépenses, évaluées pour 2011 à environ 12,5 millions d’euros, sont structurellement inférieures aux recettes, ce qui suscite des discussions sur le sort des réserves accumulées : faut-il réduire les recettes ? permettre à l’État d’accaparer les réserves pour soulager ses finances ? reconnaître d’autres maladies de l’amiante ? Des maladies liées à d’autres agents ?
Au bout du compte, pas mal d’arguments plaident pour en revenir à la proposition du CNT et de Muriel Gerkens !


 1. Cette disposition n’a pratiquement jamais été appliquée, et jamais en matière d’amiante.
2. Loi-programme du 27.12.2006, AR 11.5.2007 ; AFA = Asbestfonds – fonds de l’amiante.
3. Voir surtout : Marc Molitor, « Négociations et tensions autour de la création du Fonds Amiante », CRISP 2010, CH 2048-2049.
4. Le fonds assimile à l’asbestose les « épaississements pleuraux », qui ne se distinguent guère du point de vue de la causalité, ni du point de vue de leurs séquelles.

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