Nous ne sommes pas égaux face à la mort et à la (mauvaise) santé. Et c’est invariablement aux dépens des populations socialement défavorisées. La Mutualité chrétienne (MC) a souhaité attester et mesurer ces inégalités, non pas sur la base d’un échantillon, mais bien à l’échelle de ses 4,5 millions d’affiliés (*).

Si les constats présentés ne sont pas neufs, ils n’en sont pas moins frappants. Réduire ces inégalités est possible et devrait être une priorité. Cela implique une mobilisation de tous les acteurs sociaux et politiques, bien au-delà du seul secteur de la santé.
Mesurer des inégalités en santé suppose de mettre en relation des indicateurs de santé avec une échelle sociale. Celle-ci comprend cinq groupes ou classes de revenus de « valeur » croissante (construites d’après les revenus fiscaux 1 déclarés au niveau des quartiers 2 où tout un chacun réside), parmi lesquelles tous les affiliés de la MC ont été répartis. Leurs données administratives et de consommation en soins de santé permettent de faire état d’événements liés à la santé. On parle d’inégalité quand la fréquence de ces événements, mesurée par un indice standardisé, varie défavorablement d’une classe à l’autre. Le tableau ci-contre reprend, pour divers événements en 2006, la valeur observée de l’indice pour les deux classes extrêmes.

Inégalité face à la mort et à la maladie

Bien des études l’ont montré : être situé au bas de l’échelle sociale signifie vivre nettement moins longtemps. De façon précise, le risque de décéder dans l’année est supérieur de 45 % pour celles et ceux qui appartiennent à la classe la plus faible (par rapport à la plus élevée). L’endroit où l’on décède n’est pas socialement neutre : mourir chez soi, à la maison, est 24 % moins fréquent pour le groupe le plus faible. Le coût des services d’aide et de soins à domicile, la plus grande difficulté à faire appel à son entourage ou à un réseau social n’y sont pas étrangers.
Les populations défavorisées ne vivent pas seulement moins longtemps, elles sont aussi plus souvent confrontées à des maladies graves et invalidantes. La fréquence de la bronchite chronique et obstructive est de 26 % supérieure parmi les populations pauvres par rapport aux plus riches. Pour les troubles cardiaques, cet écart relatif est de 16 %. Causes : tabagisme plus marqué, régime alimentaire moins sain (notamment). L’incapacité de travail frappe plus souvent les titulaires appartenant au groupe le plus faible : le risque d’être victime d’au moins 30 jours d’incapacité y est accru de 55 % par rapport au groupe le plus élevé. Ce même risque augmente de 66 % pour ce qui est de devenir invalide. Sont en cause, entre autres, les conditions matérielles de travail moins favorables avec un travail physique plus dur.
Se trouver en bas de l’échelle sociale fragilise également la santé mentale. Ainsi, la catégorie la plus faible a un taux de consommation d’antidépresseurs supérieur de 14 % à celui de la catégorie la plus élevée. Ce gradient social est encore plus marqué pour les admissions en service psychiatrique où on mesure un risque deux fois plus important pour le groupe le plus défavorisé par rapport au plus favorisé. Par ailleurs, les troubles mentaux sont de plus en plus souvent une cause d’invalidité.

Prévention moins efficace

Les populations socialement vulnérables manifestent une moins bonne adhésion aux principes de prévention et programmes de dépistage. Le dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus touche moins bien les femmes issues des catégories sociales faibles, où le taux de participation est de 17 à 20 % inférieur à celui de la catégorie la plus élevée. Pour ce qui est du recours aux soins dentaires préventifs chez les enfants, l’écart est même de 36 %. Ces résultats peuvent, en partie, être expliqués par le fait que moins on croit en un avenir positif, moins on est enclin à suivre les conseils de prévention. Par ailleurs, l’information pertinente est peut-être moins bien diffusée.
Il y a également des différences quant à la façon d’utiliser le système de santé. Elles ne sont pas toutes spectaculaires (contacts avec les médecins, les kinésithérapeutes, détenir un Dossier médical global). Au niveau de la consommation de médicaments moins chers (génériques, copies, médicaments dont le prix public a diminué jusqu’à celui des génériques correspondants), il n’y a pas de grandes variations entre les classes de revenus. C’est plutôt positif. Cela dit, on aurait pu s’attendre à un plus grand usage des médicaments moins chers de la part des populations moins favorisées.
Le forfait pour soins urgents est par contre très révélateur. Ce dispositif a été supprimé et remplacé en 2007. Il avait pour but de « responsabiliser » le patient pour avoir sollicité à tort le service des urgences. Sa facturation a été nettement plus fréquente, à raison de 64 %, au sein du groupe le plus faible, par rapport au plus élevé. Ceci doit nous inciter à réfléchir à l’organisation non seulement des services d’urgence (en tant que porte d’entrée vers les soins hospitaliers), mais aussi à la médecine de garde et à l’information du public par rapport à ces structures de soins.

Facteurs explicatifs

À mesure que l’on descend le long de l’échelle sociale, on voit les indicateurs de santé se dégrader. Les causes de ce phénomène dépassent de loin la question de l’accès financier aux soins et de leur qualité. Divers facteurs explicatifs ont été mis en évidence par la littérature scientifique. Les facteurs structurels ont trait aux conditions de travail (charge, niveau d’autonomie), de logement (espace, salubrité) et d’environnement (sécurité, qualité de l’air). Les populations moins favorisées peuvent aussi moins compter sur leur réseau social en cas de difficultés et ont, généralement, moins d’autonomie, de contrôle quant à leur vie sociale et professionnelle. Tous ces éléments génèrent stress et anxiété.
Les facteurs culturels font référence aux pratiques et attitudes influençant la santé. Les populations moins favorisées fument davantage et depuis plus longtemps, mangent moins de fruits et légumes, ont plus de problèmes d’obésité, etc. Un accès et une compréhension plus difficile de l’information sur les bonnes pratiques en matière de santé et/ou une attitude moins réceptive à leur égard sont à l’origine de ces différences comportementales.

Pas de fatalité !

Réduire les inégalités de santé est une question de justice sociale, un impératif éthique et n’est en rien utopique ! Pour y arriver, il faut agir simultanément sur différents déterminants sociaux de la santé (emploi, revenus, logement, éducation, environnement matériel et social) et ce, de manière concertée et intégrée. Tous les niveaux de pouvoirs de notre pays, les partenaires sociaux et la société civile sont donc concernés. C’est le message clé du travail réalisé en 2007 par la Fondation Roi Baudouin. Plus récemment, l’Organisation mondiale de la santé a lancé le défi de combler le fossé en une génération.
Les acteurs du système de santé ont également leur rôle à jouer. Pour les prestataires (surtout de première ligne), on pense à l’application du tiers-payant social, à la prescription des génériques, aux soins préventifs. Pour les mutualités, les champs d’action sont nombreux : prévention et éducation à la santé, diffusion ciblée et adaptée d’informations, optimisation des droits, efforts soutenus quant à l’accessibilité aux soins de santé (par exemple : simplification administrative pour obtenir le statut OMNIO).

(*) Les résultats complets de l’étude sont disponibles et téléchargeables sur www.mc.be



(1) Source : Direction générale Statistique et Information économique du SPF Économie.
(2) Près de 20 000 secteurs statistiques composent les 589 communes du Royaume.