Depuis de nombreuses années, le secteur de la santé semble confronté aux mêmes enjeux: la maîtrise des dépenses, la responsabilisation des acteurs, le libre choix du patient et la liberté thérapeutique, le maintien de la sécurité tarifaire grâce aux accords et conventions entre les mutualités et les professionnels de santé, etc. Les époques ne se distinguent que par la plus grande mise en évidence de certains de ces enjeux par rapport aux autres. Rien de nouveau sous le soleil ?

 

Aujourd'hui, tout le monde l'admet : l'assurance maladie et l'organisation de la santé doivent être adaptées pour que le système puisse intégrer à la fois le vieillissement de la population et les apports souvent coûteux du progrès médical. Pour y arriver, il existe cependant plusieurs voies. Alors que les mutualités et les représentants des prestataires (syndicats médicaux, institutions de soins, etc.) réclament de desserrer un peu le frein imposé à l'évolution des dépenses - 1,5% par an, hors inflation -, il leur est répondu que le secteur finance encore beaucoup de dépenses inutiles. Pourquoi le coût pour une même opération banale est-il quatre fois plus élevé pour l'INAMI et pour le patient dans tel hôpital que dans tel autre? Pourquoi tant de prestations d'imagerie médicale ont-elles été effectuées tour à tour avec différents appareillages de radiologie?. Rationaliser les soins est donc la première réponse face à un budget étriqué. Cela suppose au préalable de montrer aux prestataires la diversité de leurs pratiques, de les amener à débattre dans leurs institutions et au sein de groupes d'évaluation entre confrères des circonstances qui justifient les écarts et des attitudes ou situations qui occasionnent des dépenses inutiles à l'assurance maladie. Mais il s'agit, à cette fin, de quitter la vision individualiste et orgueilleuse selon laquelle le médecin détient toute la science et n'aurait rien à apprendre des pratiques de ses confrères telles qu'elles apparaissent dans les profils médicaux. Il s'agit aussi de convaincre les prestataires qu'ils peuvent trouver individuellement un avantage à participer à la recherche d'une meilleure efficacité, d'abord par fierté et conscience professionnelle, et ensuite pour permettre au système d'assurance maladie dont dépend leur activité d'intégrer le progrès médical et de répondre aux besoins liés au vieillissement de la population. Cet intérêt est nécessaire pour que les données de profils médicaux hospitaliers en particulier soient enregistrées de manière fiable et que les prestataires acceptent de participer à des discussions au sujet des écarts de pratiques et de dépenses.

INTENSIFIER LES COLLABORATIONS
Par ailleurs, le fait que les budgets ne sont plus extensibles rend nécessaire d'évaluer également la qualité des soins qui pourrait en pâtir et les conditions qui la déterminent. De manière générale, la recherche d'une meilleure qualité et opportunité devrait amener à intensifier les collaborations: renvoi de patients vers le prestataire ou le service de santé le plus adéquat, partage de certaines fonctions techniques entre hôpitaux de la région, synergies entre maisons de repos pour améliorer la sécurité etla qualité de vie des pensionnaires, intégration des soins et de l'aide à do micile, etc.

CONSULTER LES GENS
À tous les niveaux, INAMI, hôpital, médecin, des choix sont faits de manière implicite. Parce que la limite budgétaire y oblige et qu'il est difficile de le reconnaître. Devoir les faire explicitement encouragerait au débat de fond. Mais la légitimité d'un tel débat ne suppose-t-il pas que la population soit aussi consultée? Non qu'il suffise de réaliser des enquêtes d'opinion, ce qui serait déjà bien, mais que l'expression des gens soit entendue et travaillée par dialogue dialectique entre des citoyens et les mutualités lors de rencontres d'éducation permanente, avec si possible le concours de professionnels de la santé. Les décideurs mandatés, mutualistes, politiques et autres, pourraient s'en inspirer pour établir des priorités qu'ils oseraient ensuite communiquer. Mais en aucun cas un tel débat ne devrait servir d'alibi pour un rationnement budgétaire plus important.
Enfin, il serait vain de s'illusionner sur la facilité avec laquelle les acteurs vont parvenir à améliorer leur collaboration pour le bien commun. C'est au politique d'exercer une pression suffisante si nécessaire. Pourquoi pas en prenant à témoin l'opinion du refus de certains acteurs d'améliorer le système de santé (par exemple de la part de tel lobby de l'industrie pharmaceutique, telle organisation de professionnels de la santé ou d'institutions de soins ... ). Le ou les ministres qui en auraient le courage favoriseraient de surcroît la maturation des rapports entre médecins et patients et l'intéressement des citoyens à la politique de santé.
Sans doute sera-t-il malgré tout nécessaire de permettre progressivement à l'assurance maladie d'obtenir une évolution un peu plus rapide de ses ressources. Aussi, le financement alternatif par le rééquilibrage de la fiscalité entre catégories de revenus et entre capital et travail représente un défi important pour le secteur de la santé. Défi que syndicats, mouvements et candidats politiques progressistes se doivent de relever, notamment en cherchant à rallier à cet objectif leurs partenaires européens.

GARE AUX PÉRILS
La santé sera-t-elle un enjeu électoral et si oui sous quel angle? L'angle communautaire uniquement ? Le secteur a besoin de progresser après avoir élaboré tant d'instruments d'observation, d'évaluation et de concertation sous-utilisés. Il importe d'insuffler un nouveau dynamisme à la décision politique dans ce domaine. Or, tout cela risque d'être balayé par une fièvre communautaire et de longues négociations épuisant les acteurs et qui ne régleront aucun des problèmes évoqués. Autre péril: la venue au pouvoir de partis politiques qui souhaitent défendre une certaine vision par trop libérale des professions de santé, lotir davantage leur propre zone d'influence dans le secteur et éviter un rééquilibrage de la fiscalité. Ils exigeront au gouvernement plus de sélectivité non pas selon les besoins mais selon les ressources. Leurs programmes montrent qu'ils veulent faire virer l'assurance sociale vers l'assistance, en stigmatisant les plus démunis comme des “faibles” inadaptés, alors qu'ils sont le produit d'une économie de l'exclusion.
Croyant à la suprématie du marché et à la vertu du profit, et sublimant une vision égoïste et méritocratique de l'individu, ces mêmes partis font miroiter une réduction de la fiscalité. Dès lors, ils pourraient rationner le budget de l'INAMI et, par des avantages fiscaux, forcer le développement d'assurances privées de substitution à la sécurité sociale. Au lieu de progresser, nous ferions alors demi-tour vers moins de solidarité et plus d'inégalité de santé. Le problème, c'est qu'à doses progressives on risque de s'y habituer. Il faut bien lire ce qu'il y a derrière le discours mielleux des marchands.

Le Gavroche

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