Dans de précédents numéros de Démocratie, nous nous étions penchés sur les grands enjeux pour l’avenir des pensions : perspectives démographiques, choix entre pension légale et pensions privées, entre répartition et capitalisation, taux de remplacement, niveaux de pension suffisants pour vivre (voir les numéros des 1er et 15 février 2009). Dans une nouvelle série d’articles en trois actes, nous aborderons les questions concrètes suivantes : faut-il relever l’âge de la retraite ? Que penser du travail des pensionnés et des pensions de survie (dans Démocratie n° 11) ? Quelles solutions en cas de divorce et de séparation (dans le n° 12) ?

 

Faut-il relever l’âge de la retraite 1 ? En Belgique, l’âge légal de la retraite, pour les travailleurs salariés, est de 65 ans. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut plus travailler après 65 ans, ou que le travail accompli après 65 ans ne compte plus pour la pension. C’est par contre à 65 ans que s’éteint le droit aux indemnités d’assurance maladie et aux allocations de chômage (y compris la prépension). Pour se constituer des droits supplémentaires après 65 ans, on ne peut donc plus compter que sur le travail effectif et quelques périodes assimilées directement liées au travail, par exemple les jours de vacances annuelles ou les jours de maladie couverts par un salaire garanti. Par ailleurs, si l’on veut travailler comme salarié, la condition de base est évidemment de trouver un employeur ! Licencier ou refuser d’engager un travailleur arrivé à l’âge de la pension n’est pas considéré comme une discrimination. Les employés arrivés à l’âge de la pension peuvent être licenciés (ou donner leur démission) moyennant un préavis réduit. Dans le secteur public — rappelons que les agents du secteur public relèvent du régime des pensions de salariés s’ils ne sont pas statutaires nommés à titre définitif —, la mise à la retraite à 65 ans est quasi automatique, par analogie avec le régime des agents statutaires.
Les travailleurs ayant au moins 35 années de carrière peuvent prendre leur pension à partir de 60 ans. Leur pension sera évidemment calculée en fonction des années de carrière atteintes à ce moment-là. Mais elle ne sera pas réduite, contrairement à ce qui est généralement le cas dans les pensions privées — et était naguère le cas dans les pensions légales —, pour compenser le fait qu’on bénéficiera de la pension plus longtemps que prévu. Seule exception : les prépensionnés ne peuvent prendre leur retraite qu’à partir de 65 ans.
Plusieurs pays européens ont décidé d’augmenter l’âge de la retraite. Cela veut-il dire qu’il s’agit d’un mouvement de fond qui doit nécessairement toucher la Belgique aussi ? En réalité, la plupart des pays qui ont augmenté l’âge de la retraite ou envisagent de le faire l’ont fait en fonction d’éléments qui ne sont pas présents en Belgique.

« Exemple » européen ?

Certains pays ont augmenté l’âge de la retraite ou envisagent de le faire alors que l’âge de la retraite y est inférieur à 65 ans. C’est le cas de la France, où l’âge de la retraite est de 60 ans et où la carrière complète est de 40 années — comme naguère chez nous les femmes. C’est le cas aussi de « pays du sud » (Italie, Grèce), où le système de protection sociale est dans l’ensemble assez lacunaire, y compris pour les personnes âgées, mais où certaines catégories de personnes bénéficient de régimes spéciaux de pension, avec un âge (parfois très) inférieur à 65 ans et/ou des conditions de carrière (parfois très) inférieures à 45 ans. Si ces paramètres ne changent pas, ces pays seront confrontés à des augmentations énormes du budget des pensions, qui devrait, dans les cinquante ans à venir, absorber jusqu’à 25 % de leur PIB ! En Belgique, on s’alarme parce que, dans le même temps, les pensions pourraient absorber 14 % de ce PIB, contre 9,5 aujourd’hui !
D’autres pays l’ont fait parce que les pensions dépendent essentiellement de pensions privées mises à mal par la crise financière. En Belgique, on a pris l’habitude de raisonner l’avenir des pensions dans le cadre global de la sécurité sociale. Si l’on retarde l’âge de la retraite, on fera évidemment des économies dans le secteur des pensions. Mais ce n’est pas pour cela que les gens trouveront du travail plus longtemps. Une bonne partie d’entre eux seront allocataires sociaux, et le coût de leurs allocations, qui n’est pas nécessairement inférieur aux pensions, doit être décompté des économies dans les pensions. Ce raisonnement de bon sens ne peut pas être tenu lorsqu’on a affaire à des fonds de pension privés désolidarisés du reste de la sécurité sociale : ceux-ci doivent équilibrer leurs comptes, quelles que soient les conséquences pour les gens et pour la sécurité sociale. Les Pays-Bas se trouvent dans cette situation.
Reste le cas de l’Allemagne, qui a décidé — sans l’avoir déjà réalisé — d’augmenter l’âge de la retraite à 67 ans à partir d’un système qui, en ce qui concerne l’âge de la pension et les conditions de carrière, est comparable au système belge. Cette réforme ne sera mise en œuvre qu’à partir de 2012, et moyennant une très longue période transitoire de 17 ans ! Si elle est réellement mise en œuvre, il faudra évaluer si elle se traduit par une augmentation du taux d’activité des travailleurs âgés, ou si elle entraîne simplement une diminution du niveau de vie de chômeurs âgés qui devront rester deux années de plus sur un régime d’assurance chômage ou d’aide sociale. Mais avant tout, il faudra voir si cette réforme, très impopulaire, résistera à un changement de majorité politique.

En Belgique

En Belgique, en tout cas, aucune force politique significative n’envisage d’augmenter l’âge de la retraite. La question en débat concerne plutôt ce qu’on en est venu à appeler « l’âge réel de la retraite », c’est-à-dire l’âge où on cesse réellement de travailler ou de chercher du travail. Selon les études disponibles, qui couvrent la période 1999-2002, seule une minorité de travailleurs, bénéficiaires de pensions de salarié, accèdent à la retraite à partir d’une situation d’activité effective. La majorité d’entre eux y accèdent à partir d’un statut d’allocataire social, notamment la prépension (surtout pour les hommes) ou, surtout en ce qui concerne les femmes, d’une situation d’inactivité. De même, seuls quelques milliers de travailleurs travaillent encore comme salariés après 65 ans sans avoir pris leur pension (c’est-à-dire en dehors du cadre de l’activité des pensionnés).
Il est possible que ces données aient quelque peu évolué depuis 2002, en fonction notamment des mesures prises dans le cadre du « pacte des générations » entré en vigueur à partir de 2006, qui ont restreint l’accès à la prépension, et ont instauré à titre expérimental un « bonus pension » qui valorise les périodes de travail à partir de 62 ans. Bien que ce soit techniquement étranger à la matière des pensions proprement dites, il vaut la peine de s’arrêter un peu à la problématique de la fin de carrière dans le droit social belge.

Dispositifs de fins de carrière

Puisque la prépension est au cœur de beaucoup de discussions, on peut commencer par elle, en rappelant l’histoire de ce dispositif. La prépension dite « conventionnelle », qui aujourd’hui reste seule en vigueur, trouve son origine dans la convention collective de travail (CCT) n° 17 du Conseil national du travail, conclue en décembre 1974 et mise en œuvre à partir de 1975. Au départ, et selon sa description juridique, il s’agit d’une mesure sociale d’accompagnement des licenciements. C’est dans cette logique que le texte de l’accord interprofessionnel 1975-1976 se réfère à la CCT n° 17, conclue quelques semaines plus tôt. En cas de licenciements massifs, voire de disparition d’un secteur d’activité, comme on les a connus dans le contexte des restructurations du tissu industriel dans les années 1970 et 1980, il n’est généralement plus possible de retrouver un emploi dans le même secteur d’activité. À partir d’un certain âge, on ne peut plus s’attendre à ce que le travailleur participe avec une chance raisonnable de succès à une réorientation de sa carrière.
Au-delà du contexte de réductions massives d’effectifs, la prépension a pu accompagner les importantes mutations technologiques et organisationnelles, celles en particulier liées à l’informatique, en désengageant des générations entières de travailleurs jugés incapables de s’adapter à ces mutations. Le régime spécifique des entreprises en difficulté ou en restructuration est la manifestation principale de cette préoccupation d’origine.
La prépension sert aussi de retraite anticipée. Le cahier de revendication syndical dans le cadre de l’accord interprofessionnel 1975-1976 prévoyait au départ des modifications dans le régime des pensions, en vue de permettre un départ à la retraite avant 65 ans, sans pénalisation, et un élargissement de la notion de « profession pénible », à préciser par les commissions paritaires, permettant d’avancer l’âge de la retraite. Dans le texte de l’accord, la conclusion de la CCT n° 17 est présentée comme un élément de réponse à cette revendication. La prépension a contribué à désamorcer les discussions sur l’âge de la retraite, qui ont été menées en Belgique dans une sérénité que n’ont pas connue d’autres pays. Les régimes dérogatoires des « métiers lourds » et des « travailleurs en difficulté » sont l’illustration la plus évidente de cet objectif. Mais au-delà, la prépension permet de « décrocher », en tout cas à partir de 60 ans, soit l’âge minimal prévu par la législation des pensions, tout en additionnant encore quelques années de carrière comme période assimilée.

Partage de l’emploi ?

À ces préoccupations premières s’est très vite ajoutée la notion de « partage de l’emploi ». La prépension a été présentée comme une mesure de réduction du temps de travail, dans le cadre de laquelle les travailleurs âgés « font la place aux jeunes ». Cet objectif était explicitement affiché par la prépension dite « légale » ou « à la carte », qui a existé entre 1977 et 1982. Cette prépension était entièrement à charge de l’assurance chômage ; il n’y avait pas d’indemnité à charge de l’employeur. Contrairement à la prépension conventionnelle, elle ne supposait pas que le travailleur soit licencié par l’employeur : il pouvait lui-même donner sa démission. Par contre, l’employeur devait s’engager à remplacer le travailleur. Dans la conception de nombreux acteurs, la prépension conventionnelle a suppléé dans la même logique à la suppression de la prépension « à la carte ». Une obligation de remplacement a été introduite dans le cadre de la prépension conventionnelle. Il est vrai que cette obligation connaît de plus en plus d’exceptions, et devient progressivement sans objet en fonction des restrictions dans l’accès à la prépension ; cet objectif de la prépension reste défendu par certains acteurs, mais n’est plus unanimement jugé pertinent. En somme, c’est surtout cet objectif de la prépension qui a été mis à mal par le « pacte des générations ». Celui-ci n’a pas mis fondamentalement en cause la possibilité de se servir de la prépension comme retraite anticipée pour des travailleurs devenus inaptes à des « travaux lourds », ni surtout comme formule d’accompagnement social en cas de restructurations.
Vu justement les importantes restructurations liées à la crise économique, notamment dans le secteur automobile, on peut se demander si le nombre de prépensionnés diminuera bien comme annoncé. Et s’il diminue, la question sera de savoir si les personnes concernées seront réellement maintenues au travail, ou passeront simplement dans un autre statut d’allocataire social (chômeur ou invalide), probablement moins avantageux que la prépension.

Conditions de travail

On l’a assez répété au cours des dernières années : la Belgique compte, en comparaison européenne, un taux d’emploi assez faible parmi les travailleurs âgés de 55 à 64 ans, autrement dit pendant les dix années qui précèdent l’âge normal de la retraite 2. Les travailleurs écartés prématurément du travail semblent se situer majoritairement parmi les catégories les moins qualifiées ; c’est également dans cette catégorie que se marquent les différences entre la Belgique et les pays connus pour leur taux d’emploi élevé, en particulier les pays nordiques. C’est par cet effet d’écrémage que l’emploi des seniors belges apparaît, par rapport à la moyenne belge — et aussi en comparaison européenne —, plutôt de meilleure qualité : moins d’emplois précaires, ou à temps partiel, ou comportant des prestations de nuit, du travail à pauses, etc.
S’il se confirme que les travailleurs écartés du travail avant l’âge légal de la retraite sont majoritairement des travailleurs moins qualifiés, voués normalement à des emplois exigeants sur le plan physique, il faut se demander dans quelle mesure les conditions de travail actuellement offertes sont inhérentes aux emplois de ce type, ou peuvent être améliorées suffisamment pour changer les comportements des employeurs et des travailleurs.
D’une façon générale, l’attitude des employeurs est un facteur crucial. Si l’on veut favoriser l’emploi des travailleurs âgés, il faut à tout le moins réduire les discriminations dont ils peuvent être victimes, notamment dans les embauches. À défaut de modifier substantiellement les conditions de travail, il faut adapter certaines procédures, voire la « culture d’entreprise ». De ce point de vue, la problématique de l’emploi des travailleurs âgés se présente de la même façon que celle de l’emploi d’autres groupes exposés au risque de discrimination.
Le consensus européen sur la nécessité d’améliorer le taux d’emploi des seniors met surtout en avant des arguments démographiques 3. Il est de fait que, depuis la décennie 1975-1985, qui a vu apparaître les politiques de retrait anticipé du marché de l’emploi, le contexte a un peu changé : la génération dite du « baby-boom », née dans les années d’après-guerre, part progressivement à la retraite, sans être compensée sur le marché de l’emploi par les générations de la dénatalité des années 1980. Mais cette donnée très générale ne suffit pas à rendre pertinente une politique de maintien ou de remise au travail des travailleurs âgés, si elle n’est pas complétée de données sur la qualification des travailleurs et sur le type d’emplois offerts. Les tensions généralement évoquées sur le marché de l’emploi semblent concerner avant tout des professions qui supposent soit une familiarité avec les nouvelles technologies, soit une bonne condition physique, qualités que l’on n’associe pas habituellement aux travailleurs âgés.

Taux d’emploi

On agite souvent dans la discussion des nécessités pour le système social. Rompu à terme par l’évolution démographique, l’équilibre financier de celui-ci nécessiterait une augmentation du « taux d’activité ». On peut longuement discuter, sinon du bien-fondé de l’analyse, en tout cas du caractère inéluctable du choix. À supposer que l’équilibre du système soit compromis à terme (s’il l’est actuellement, c’est en raison de la crise économique, et non de la démographie !), l’augmentation de la « masse imposable » n’est pas la seule façon de le rétablir. On peut aussi reconsidérer certaines dépenses, ou augmenter un peu le taux de prélèvement, et surtout prélever les ressources de la sécurité sociale sur d’autres revenus que les salaires. C’est peut-être le tabou qui entoure cette dernière option qui incite à envisager des options peut-être tout aussi compliquées à mettre en œuvre.
On peut aussi se demander si les travailleurs âgés représentent le « réservoir de main-d’œuvre » prioritaire. L’ONEm indemnise tout de même des centaines de milliers de personnes inscrites comme demandeur d’emploi et censées disponibles pour travailler. Le système social subventionne, par le biais de la couverture en soins de santé, des pensions de survie, du quotient conjugal, voire des interruptions de carrière, des « personnes au foyer » qui pourraient être mobilisées sur le marché de l’emploi.
En fait, on peut se demander si les comportements reflétés par le tableau ci-contre changeront fondamentalement pour ceux qui ont accompli une carrière professionnelle selon le profil typique des ouvriers. On vise par là une carrière commencée avant l’âge de 20 ans, dans le cadre de laquelle le travailleur a bénéficié de rémunérations, inférieures au plafond légal, liées à la spécialisation, le niveau maximal de spécialisation étant atteint peu après l’âge de 20 ans. Le régime des pensions lui-même n’offre, dans de tels cas, guère d’incitation à reprendre un travail qui ne sera généralement guère mieux payé que le dernier salaire d’activité, pris en compte pour la valorisation des périodes assimilées comme prépensionné, chômeur ou invalide.
A contrario, le maintien en activité pourrait intéresser les travailleurs qui ne correspondent pas à ce profil, surtout si l’insuffisance, de leur point de vue, de la pension légale, n’est pas compensée par des régimes complémentaires. On peut penser que c’est également dans ces catégories que se rencontreront les travailleurs les plus satisfaits de leur emploi, et les plus motivés pour le conserver. C’est peut-être ce public qui trouvera un intérêt au « bonus pension », qui pourrait compenser dans une certaine mesure la non-assimilation des années d’études, et donc l’impossibilité, pour ceux qui ont commencé leur carrière au-delà de 20 ans, de se constituer une carrière complète. Une expérience intéressante à observer pourrait être celle de la Finlande, qui a introduit un âge flexible de la retraite entre 62 et 68 ans.

Pas la panacée

Du point de vue de la politique sociale, la prépension pose d’autres questions, qui doivent retenir de la présenter comme une sorte de panacée. Pour en bénéficier, le travailleur dépend en réalité de l’attitude de son employeur : celui-ci doit, au strict minimum, prendre l’initiative de rompre le contrat pendant une période où le travailleur est « couvert » par une CCT. Ce qui implique pour l’employeur la volonté et, en principe, la capacité 4 de payer une indemnité complémentaire. En réalité, l’esprit de la prépension suppose une concertation plus étendue. Il arrive fréquemment, dans le cadre de cette concertation, que l’employeur licencie de préférence, voire exclusivement, les travailleurs qui le demandent, voire que la prépension soit considérée comme une sorte de droit pour le travailleur. Ces pratiques sont même si répandues que cela entraîne de fréquentes confusions, dans l’esprit des travailleurs, sur le mécanisme du système.
Faut-il le dire, tous les travailleurs ne bénéficient pas de ces avantages, ce qu’illustrent les inégalités dans l’octroi de la prépension. Les inégalités les plus visibles dans les statistiques de l’ONEm sont les différences entre hommes et femmes (la prépension est massivement un système pour les hommes) et les différences régionales (la prépension est sur-représentée en Flandre, et nettement sous-représentée à Bruxelles). Ces inégalités sont le reflet d’inégalités sectorielles. Le tableau ci-dessus présente les chiffres, en prenant à titre de comparaison les chômeurs âgés dispensés d’inscription comme demandeur d’emploi 5.
Les statistiques disponibles, basées sur les indemnités payées par l’ONEm, ne contiennent pas de données exhaustives sur le profil socioprofessionnel des prépensionnés, par exemple leur statut contractuel (ouvrier, employé) ou leur niveau de qualification. Intuitivement, on peut penser qu’il n’existe pas de grandes différences selon ces critères dans l’« octroi » de la prépension. Par contre, il peut en exister dans la façon dont la prépension est vécue par le travailleur. Pour les ouvriers en général, et pour la plupart des employés au bas de l’échelle, la prépension est généralement ressentie comme une libération, même si elle entraîne une diminution des revenus. C’est apparemment surtout dans le monde des employés supérieurs et des cadres, qui n’ont pas nécessairement perdu tout espoir de progrès dans leur carrière, et qui, entrés plus tard dans la vie active, sont peut-être davantage concernés par des échéances financières comme les études supérieures des enfants, que la prépension peut être vécue dans une certaine frustration.

Activités autorisées

Même si, en pratique, et dans la perception de ses bénéficiaires, la prépension sert de substitut à une retraite anticipée, elle n’en présente pas toutes les caractéristiques. Ainsi, le régime d’activités autorisées est totalement différent du régime des pensionnés, et peut jouer de façon assez paradoxale, surtout pour les « jeunes » prépensionnés censés inscrits comme demandeurs d’emploi. Le prépensionné qui reprend un travail, salarié ou indépendant, en dehors de l’entreprise qui l’a mis en prépension, conserve son droit à l’indemnité complémentaire à charge de l’employeur. À la fin de cette reprise du travail, il recouvre ses droits de prépensionné dans l’assurance chômage. Pour le reste, moyennant quelques dérogations en ce qui concerne les activités bénévoles et la gestion des biens propres, il est soumis à la réglementation du chômage. Cela signifie qu’en règle générale, il perd son droit à l’allocation s’il entame une activité, même si celle-ci lui rapporte moins que le montant de l’allocation. Il peut bénéficier en théorie du régime du travail à temps partiel avec « maintien des droits », mais ce régime n’est pas réellement incitatif. Arrivé à l’âge de 65 ans, il recouvre paradoxalement en tant que pensionné un régime d’activité beaucoup plus souple, qui lui permet de cumuler totalement sa pension avec un revenu d’activité partielle relativement conséquent.
On ne commentera pas dans ces lignes les autres formules proposées par la législation sociale belge pour accompagner les fins de carrière : la « prépension à mi-temps » ; le passage à 4/5e ou à mi-temps pour les travailleurs de plus de 50 ans ; divers dispositifs ciblés sur certains types de travail (par exemple, le travail de nuit) ou certains secteurs (par exemple, les soins de santé). On se contentera de dire que ces dispositifs sont moins inégalitaires que la prépension, mais concernent tout de même des travailleurs qui disposent d’un emploi stable à temps plein, ou proche d’un temps plein. Augmenter le taux d’activité des travailleurs âgés suppose sans doute le développement de formules intéressantes pour les travailleurs qui, arrivés dans les catégories d’âge concernées, se trouvent dans une situation de non-emploi, ou d’emploi « incomplet ».

Dans le prochain numéro : le travail des pensionnés et les pensions de survie.



1. Plusieurs données et arguments de ce chapitre sont repris de mon article « Les fins de carrière à l’épreuve du droit social belge » dans Th. Moulaert, M. Moulin (dir.), La fabrique des vieillissements, Revue de sociologie de l’ULB, n° 1-4 2008 (paru en octobre 2009).
2. Pour une synthèse des chiffres les plus récents, cf. Eurogip, « L’emploi et la santé au travail des seniors en Europe », note thématique 32F, Eurogip, septembre 2008.
3. Voir entre autres à ce sujet le rapport 2004 du Conseil supérieur belge pour l’emploi, p. 63 et suiv.
4. En cas de défaillance de l’employeur, l’indemnité à charge de l’employeur est, à certaines conditions, couverte par la garantie de paiement par le fonds de fermeture des entreprises.
5. Source : ONEm, décembre 2009. Les statistiques de l’ONEm ne recensent plus comme prépensionnés les travailleurs de moins de 58 ans, prépensionnés avant l’âge normal dans le cadre d’une fermeture ou d’une restructuration et qui doivent désormais être inscrits comme demandeur d’emploi. Malgré cette modification statistique, le nombre de prépensionnés a encore augmenté d’environ 3 000 unités entre 2007 et 2009, une légère diminution du nombre des hommes étant plus que compensée par une augmentation du nombre de femmes.

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