Au quotidien, la pharmacie offre au public un univers d’ordre et de sérénité qui correspond bien à l’image commerciale, rassurante et performante, que l’industrie pharmaceutique cherche à donner d’elle-même. Rien ne saurait arrêter la marche du progrès scientifique et médical… pourvu que celle-ci puisse bénéficier de prix élevés et que soient respectées les règles de la propriété intellectuelle.


Contrairement aux apparences, « la vraie vie du médicament » n’est pas celle d’un long fleuve tranquille. Comme l’écrit le docteur Van Duppen, médecin généraliste à Deurne (près d’Anvers), dans un ouvrage récent qui a fait grand bruit (1), le monde du médicament est un univers où politique, médecine, médias médicaux, droit et entreprises pharmaceutiques sont pris dans des jeux d’influence et de lobbying, d’atermoiements et de pressions dont les patients n’ont aucune idée…
Ainsi, pourquoi F. Vandenbroucke, ministre des Affaires sociales, accordait-il en août 2003 au géant pharmaceutique Merck, Sharp & Dohme (MSD) le quasi-monopole du remboursement au Zocor – une simvastatine efficace dans la lutte contre l’excès de cholestérol, mais particulièrement coûteuse – alors que celui-ci n’était plus protégé par un brevet et qu’il existait un médicament générique moitié moins cher que le Zocor ? Un calcul très simple, observe le docteur Van Duppen, permet de constater que cette décision a eu pour conséquence de provoquer un surcoût – évitable – de 29,3 millions d’euros pour l’assurance maladie (entre juillet 2003 et août 2004), soit un montant représentant pratiquement le double du déficit des hôpitaux publics anversois (15 millions d’euros) !
Aucune raison médicale ne pouvait justifier cette décision. Les médicaments génériques, dont l’équivalence est soigneusement contrôlée, ont les mêmes qualités que les médicaments originaux. Cette péripétie confirme les affirmations de l’International Society of Drug Bulletins (2), lorsqu’elle constate que le prix d’un médicament ne reflète pas le prix de production, mais le prix maximum que le marché peut obtenir de l’assurance maladie. C’est aussi l’avis de l’Organisation mondiale de la santé lorsqu’elle affirme : « L’industrie met sur le marché un flot ininterrompu de nouveaux médicaments. Il est souvent malaisé de déterminer dans quelle mesure les prix de ces nouveaux produits reflètent réellement les coûts de développement, de production et de marketing. Mais il est clair que dans de nombreux cas, l’entreprise mettra tout en œuvre pour obtenir ce que, dans les milieux d’affaires, on appelle ‘ le prix le plus élevé que peut supporter le marché ‘. En fait, cela signifie pour les médicaments que le prix est déterminé par le prix le plus élevé que l’assurance maladie ou les pouvoirs publics peuvent supporter » (2002).

Joyau de la couronne
Les firmes pharmaceutiques ne manquent jamais de rappeler que, tout en étant conscientes de leurs grandes responsabilités en santé publique, elles restent des sociétés commerciales. Autrement dit, si elles ne dégagent pas des profits, elles ne peuvent se développer et répondre aux exigences de qualité et aux besoins d’une société qui place très haut le maintien de la santé dans son système de valeurs. Mais ce n’est pas le profit en tant que tel qui fait problème ! Une société commerciale doit effectivement dégager des profits pour se développer et innover. Le problème vient du fait des bénéfices exorbitants dégagés par l’industrie pharmaceutique qui apparaît comme « le joyau de la couronne capitaliste », selon l’expression de Philippe Pignarre, chargé de cours sur les psychotropes à l’Université de Paris-VIII (3).

En effet, selon le magazine Fortune (avril 2003), dans le top 500 des plus grandes entreprises américaines, l’industrie pharmaceutique dépasse de très loin et de manière ininterrompue le reste de l’économie selon trois critères de profit. Pour chaque dollar de chiffres d’affaires, il y a 17 % de bénéfices nets, soit 5,5 fois plus que la moyenne du top 500. Le taux de profit sur le capital atteint 14,5 %, soit 6 fois la moyenne de Fortune 500. Le bénéfice sur les actions atteint 27,6 %, soit presque 3 fois plus que la moyenne de Fortune 500.
Cette situation, il faut le rappeler, est le résultat historique d’une volonté constante de la politique américaine de faire de l’entreprise du médicament un enjeu stratégique de premier plan (comme elle l’a voulu pour le pétrole) en lui accordant d’importants avantages fiscaux. On comprend pourquoi, en retour, les plus importants laboratoires pharmaceutiques (comme le lobbying pétrolier) contribuent sans compter aux campagnes électorales américaines. Depuis plusieurs années, 60 % des brevets déposés dans le secteur du médicament le sont par l’industrie américaine, contre seulement 20 % pour l’Union européenne. Selon Philippe Pignarre (3), les entreprises américaines dominent le marché des 50 médicaments les plus prescrits en chiffres d’affaires.

Une industrie de l’innovation
Traditionnellement, l’industrie du médicament apparaît comme une industrie innovante plus que comme une industrie de reproduction. Cependant, la revue française Prescrire, lors de son bilan annuel du médicament présenté au début de cette année constate que «l’innovation est en panne».

L’industrie pharmaceutique est un des rares secteurs économiques où les coûts de recherche et de développement sont effectivement très élevés alors que les coûts de fabrication sont très bas. D’où la nécessité d’inventer en permanence. Aussi, lorsque le rythme d’invention est à la baisse, l’industrie, qui veut préserver ses importantes marges bénéficiaires, se bat afin de conserver le monopole des anciennes innovations le plus longtemps possible, d’augmenter les quantités vendues par un marketing agressif ou de proposer sur le marché de « fausses innovations» comme l’explique Bruno Toussaint, rédacteur en chef de la revue Prescrire (4), qui estime que trop de firmes pharmaceutiques font passer leurs intérêts commerciaux avant ceux de la santé publique : « Pour pallier à cette situation, les firmes rivalisent d’imagination : imposer des prix de plus en plus élevés ; pousser à des commercialisations de plus en plus rapides, et donc hasardeuses ; déformer et faire déformer la réalité des données ; délaisser et faire délaisser les médicaments anciens, utiles mais jugés insuffisamment rentables ; obtenir des aides financières massives des États ; développer des politiques protectionnistes, pénalisant l’accès aux soins dans les pays pauvres… »
L’industrie pharmaceutique, comme l’explique Philippe Pignarre dans un ouvrage récent (5), est sans doute entrée dans une période de rendements décroissants. Les investissements en Recherche et Développement, dit-il, tout en ne cessant pas d’augmenter n’améliorent pas sensiblement le nombre de produits mis sur le marché : « L’idée la plus largement répandue est que nous vivons une période d’intense innovation thérapeutique et que cela expliquerait l’envolée des dépenses de médicaments et, plus généralement, des dépenses de santé. Les laboratoires pharmaceutiques présentent chaque nouvelle molécule comme inaugurant une ‘nouvelle génération’ dans une classe de médicaments donnés. Les journalistes qui ont en charge la vulgarisation des découvertes scientifiques terminent rituellement leurs articles en annonçant des retombées thérapeutiques inévitables… Ce discours a une seule conséquence : il faut accepter de payer très cher les nouveaux médicaments pour participer au progrès thérapeutique. Mais l’industrie pharmaceutique tient parallèlement un autre discours qui est contradictoire : les frais de la Recherche et Développement pour mettre au point un nouveau médicament doublent tous les cinq ans, approchant désormais les 800 millions d’euros. On ne peut mieux dire que cette industrie est entrée dans une phase de rendements décroissants. Ce ne sont pas les progrès thérapeutiques que nous feraient payer les industriels, mais le ralentissement du progrès thérapeutique. »
Par ailleurs, avec le développement des génériques, nous sommes dans une économie de reproduction plus que d’innovation au point que certains se demandent si les génériques ne sont pas l’avenir de la pharmacie ! De plus en plus de spécialités tombant dans le domaine public, la place des génériques ne peut en effet que de grandir, surtout si les médicaments traditionnels ne sont pas remplacés par de nouveaux médicaments plus efficaces. Si cette tendance se confirme, les profits dégagés ne pourront plus atteindre ce qu’ils étaient depuis un demi-siècle. Des médicaments comme le Prozac ont chuté de manière importante en Bourse dès qu’ils sont tombés dans le domaine public. L’avenir de la plupart des grands laboratoires se trouve ainsi fragilisé quand leur sort est lié à quelques blockbusters, c’est-à-dire des médicaments dont le chiffre d’affaires annuel dépasse le milliard d’euros. Toutefois, l’industrie générique n’a pas encore rattrapé l’efficacité commerciale des grandes firmes pharmaceutiques.
Par ailleurs, observe Philippe Pignarre, les génériques souffrent d’un grave défaut : plus personne ne veut les étudier alors que ces médicaments tombés dans le domaine public pourraient avoir les mêmes qualités ou d’autres que les nouveaux médicaments lancés sur le marché. Mais aucun chercheur ne pourra le démontrer parce que cela reviendrait à travailler pour la concurrence : le médicament étant tombé dans le domaine public, chacun aurait le droit de faire valoir les résultats obtenus !

La technique d’appel d’offre
Le médicament n’est pas un produit commercial comme un autre à propos duquel on pourrait spéculer sans vergogne. Parce qu’il est avant tout un moyen de préserver la santé de tous et de chacun, le médicament est un bien public, même s’il est produit par des sociétés commerciales privées. Aussi, pour que celui-ci soit maintenu à des prix accessibles à tous, le docteur Van Duppen a proposé de recourir à la technique d’appel d’offres, en usage notamment en Nouvelle-Zélande, le pays du Kiwi, depuis une dizaine d’années.

La technique d’appel d’offres est un outil qui permettrait de modifier le rapport de forces actuellement défavorable aux patients et à l’assurance maladie. Sans prétendre qu’elle peut résoudre tous les problèmes, l’introduction de cette technique apporterait de grands changements. Le principe en est largement soutenu par des hommes et des femmes de toutes les grandes familles politiques de ce pays et par l’ensemble des organisations sociales. L’essence du modèle Kiwi est d’obliger les autorités à utiliser le pouvoir d’achat de la collectivité pour négocier de meilleurs prix avec les différentes firmes pharmaceutiques, dans l’intérêt des patients autant que celui de l’assurance maladie. Pour illustrer sa proposition, le docteur Van Duppen a observé de près le marché du médicament, et plus particulièrement de 5 blockbusters, depuis peu hors brevet. La simvastatine, un réducteur de cholestérol, est commercialisée par 9 firmes avec des différences de prix (pour la dose 40 mg) allant de 54,55 euros à 123,55 euros pour le médicament le plus cher. Le patient ne s’en rend pas compte puisqu’il paie (heureusement pour lui) le même ticket modérateur (15,1 euros). Mais l’assurance maladie paie un maximum quand le médecin prescrit le médicament le plus cher, soit le double du prix du générique équivalent. On doit bien sûr s’interroger aussi sur les raisons qui poussent 90 % des médecins, soumis à un important battage publicitaire, à prescrire le médicament le plus coûteux et au défaut d’une information indépendante des firmes commerciales. L’appel d’offres public a permis, en Nouvelle-Zélande, de faire baisser les prix jusqu’à 90 % constate Dirk Van Duppen. On peut poursuivre avec d’autres médicaments comme le citalopram, un antidépresseur qui a figuré pendant des années dans le top 5 des médicaments les plus chers. Celui-ci est vendu par 7 firmes à des prix très différents pour un même dosage et un même conditionnement, oscillant entre 20 euros et 31,80 euros. Suite à un appel d’offres public, en Nouvelle-Zélande, le prix a baissé de 89 % (3,33 euros la boîte). En comparant le prix obtenu en Nouvelle-Zélande et ceux pratiqués sur le marché belge, nous pourrions économiser quelque 36,1 millions d’euros par an.
L’oméprazole, un inhibiteur de la sécrétion gastrique distribué par 11 producteurs, est vendu à des prix qui varient de 24,95 euros pour le générique à 53,23 euros pour la marque la plus chère. Le surcoût évitable (en recourant au générique) est de 28,3 millions d’euros par an.
Enfin, l’amoxicilline, un antibiotique de premier choix utilisé en première ligne, vendu à des prix variant de 5,80 euros à 12,79 euros est fabriqué par 13 firmes pharmaceutiques. Après un appel d’offres public, celui-ci pourrait descendre jusqu’à 0,75 euro comme en Nouvelle-Zélande, ce qui représente pour l’assurance maladie un surcoût évitable de 45,1 millions par an.
Pratiquement, il s’agit donc de faire jouer la concurrence, ce qui n’est pas une hérésie dans notre système économique (!), en proposant au remboursement de l’assurance maladie les médicaments de qualité offrant le meilleur prix ! Au lieu de rembourser tous les médicaments qui reçoivent une autorisation de mise sur le marché, les autorités publiques demanderaient aux firmes pharmaceutiques proposant des médicaments équivalents de faire une offre de prix et ne rembourseraient que celle qui fait la meilleure offre. Les autres médicaments restent sur le marché, mais ils ne bénéficieraient pas d’un remboursement de la part de l’assurance maladie. L’application de ce principe pourrait amener un milliard et demi d’euros d’économies par an, selon Dirk Van Duppen (6).
Sentant venir la menace, l’industrie du médicament a immédiatement lancé des mises en garde à l’adresse des responsables politiques : selon elle, l’introduction d’un système d’appel d’offres réduirait dangereusement les moyens de l’industrie dans la mise au point de nouveaux médicaments et elle aboutirait à une réduction drastique des moyens thérapeutiques disponibles pour les patients.

La recherche
Le manque de moyens pour la recherche est un argument récurrent de l’industrie pharmaceutique qui cherche à préserver ses bénéfices. Mais il est très contestable. Une étude du National Institute of Health (février 2000), l’institution publique qui, aux États-Unis, subventionne toute la recherche biomédicale (le NIH) a révélé que 85 % des coûts de développement des cinq médicaments les plus vendus dans les années 90 ont été payés avec l’argent des impôts. C’est vrai pour le Zantac, le Zovirax, le Capoten et le Renitec, et le Prozac.

C’est surtout la recherche fondamentale qui est financée par les pouvoirs publics car c’est elle qui comporte le plus de risques financiers. Mais, lorsqu’un médicament paraît vendable, l’industrie s’en empare, poursuit son développement et le commercialise. D’après cette étude du NIH, l’industrie ne contribuerait qu’à 14 % dans la recherche fondamentale, chère et risquée, 38 % de la recherche appliquée et 48 % pour le développement final du produit ! De plus, la National Science Foundation (2002) estime que seul 18 % du budget total de la Recherche et Développement de l’industrie vont à la recherche de nouveaux médicaments, 82 % étant consacrés à la mise au point de produits dérivés de médicaments existants.
Enfin, n’oublions pas que les firmes investissent deux fois plus dans le marketing que dans la recherche, frais de marketing qui, en bout de course sont payés par les patients ! Ainsi, Le quotidien français Le Monde (31 mars 2005) rapporte que Pfizer, numéro un mondial de la pharmacie, entretient 38 000 visiteurs médicaux sur trois continents et a dépensé deux fois plus, en 2004, pour son activité marketing (16,9 milliards de dollars) que pour la recherche et le développement.

Appauvrissement de l’offre ?
Contrairement à ce qu’ont dit certains, le modèle Kiwi néo-zélandais ne mène pas à un appauvrissement de l’offre, mais plus exactement à une rationalisation de l’offre avec plusieurs choix par sous-classe. Prenons l’exemple du paracétamol. En Nouvelle-Zélande, le paracétamol (antidouleur) est complètement remboursé. Chez nous aucun ne l’est, alors que les pharmacies le vendent sous 15 noms commerciaux différents, avec des prix allant de 11 euros à 16 euros pour les mêmes 100 comprimés de 500 mg. Aux Pays-Bas, dans un supermarché, on paie 1,8 euro pour 100 comprimés. En Nouvelle-Zélande, ils coûtent, grâce à l’appel d’offres public, 0,75 euro. Le paracétamol est l’antidouleur de premier choix pour les patients atteints de polyarthrose. Et pourtant, actuellement, on prescrit beaucoup d’anti-inflammatoires, entre autres parce que le paracétamol n’est pas remboursé, alors que les anti-inflammatoires (remboursés) n’ont pas de meilleure action thérapeutique que le paracétamol en cas d’arthrose. Et ils sont plus dangereux, comportant des risques d’ulcères et d’hémorragies gastriques, d’insuffisance rénale et d’hypertension artérielle. De plus, ce groupe de médicaments coûte plus de 120 millions d’euros par an à la sécurité sociale alors que les trois quarts d’entre eux peuvent certainement être remplacés par le paracétamol à un prix ridiculement bas.

Il n’est pas exact de dire qu’en Nouvelle-Zélande on ne rembourse qu’un seul médicament par classe thérapeutique. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, il y a 6 antagonistes calciques contre 15 chez nous, 3 inhibiteurs de la sécrétion gastrique contre 6 chez nous, 8 anti-inflammatoires contre 19 chez nous (18 depuis le retrait du Vioxx !). En Nouvelle-Zélande, on distingue aussi le premier choix. Si celui-ci ne convient pas, on peut recourir à un autre médicament également remboursé à 100 %. Il suffit d’une motivation simple du médecin traitant. Par ailleurs, le modèle Kiwi, tel qu’il est pratiqué en Nouvelle-Zélande montre qu’il est aussi à même de soutenir de nouveaux médicaments. Par la technique du « cross deal », le gouvernement met en avant le pouvoir d’achat collectif de la sécurité sociale pour négocier son soutien à des médicaments vraiment innovants, en acceptant pour un temps limité un prix relativement élevé.
La technique du Kiwi n’est donc pas une technique pour période de « vaches maigres » ! Il s’agit de gérer au mieux l’argent de la collectivité, le produit des cotisations et des ressources publiques qui garantissent le fonctionnement du système. L’objectif est clairement un projet de santé publique : protéger la santé de la population en donnant accès à tous aux médicaments les meilleurs au prix le plus bas. Le comble serait que le pillage de la sécurité sociale soit organisé à partir du produit des cotisations des citoyens !

Les 5 problèmes résolus par l’appel d’offres public :
1. Il casse les prix. Selon le système néo-zélandais ceci pourrait représenter une économie de 1,49 milliard d’euros pour la sécurité sociale.
2. Il n’y a plus de raison de recourir à un marketing excessif. Les firmes n’auront plus besoin de convaincre les médecins que leur produit est meilleur que les autres imitations et copies.
3. C’est une simplification pour tout le monde, notamment pour le pharmacien qui ne devra plus garder en stock plusieurs marques commerciales différentes pour une seule substance active.
4. De ce fait, il garantit aux patients et aux médecins la réelle disponibilité permanente et immédiate de génériques vraiment moins chers dans toutes les pharmacies.
5. Il offre aux médecins la possibilité de prescrire qualitativement mieux, car ils auront un retour par des experts indépendants.
Les résultats du modèle Kiwi ont été empiriquement prouvés en Nouvelle-Zélande, mais également au Canada, dans certains États américains comme le Maine et l’Oregon pour leurs fonctionnaires et pour Medic-Aid. Également chez nous, le système a fait ses preuves pour l’achat de vaccins par les autorités communautaires pour l’Œuvre nationale de l’enfance ou à l’armée belge.
Du neuf à tout prix ?
Ne faudrait-il pas, écrit la revue française Prescrire, améliorer les moyens diagnostiques et thérapeutiques existants plutôt que de chercher du neuf à tout prix ? À force de penser en termes médicaux, ne néglige-t-on pas les moyens non médicaux, par exemple sociaux, de prise en charge des patients ? Veille-t-on suffisamment à éviter les traitements et les investigations inutiles ? Beaucoup de maux seraient évités si l’on améliorait l’organisation des soins, la qualité des produits de santé, la communication entre soignants et patients. Il reste aussi tant de choses à faire dans le domaine de la prévention primaire : nutrition, environnement, comportement... Les objectifs de la recherche fondamentale devraient être davantage définis en fonction des besoins de santé et non du bénéfice commercial. Il faudrait en somme « réfléchir aux moyens d’orienter vigoureusement la recherche vers les véritables manques, les maladies et groupes de patients jusqu’ici négligés, dans les pays riches comme dans les pays pauvres et se placer “dans le camp des patients” et de la santé publique ».
L’affaire Vioxx - par Christian Van Rompaey

Le 30 septembre 2004, la firme Merck Sharp & Dohme annonçait sa décision de retirer « volontairement » du marché mondial les spécialités contenant du rofécoxib, un médicament anti-inflammatoire utilisé dans le traitement de l’arthrose, l’arthrite et la douleur aiguë. Il s’agit, en Belgique, des spécialités Vioxx et Vioxxdolor. Consommé par 2 millions de patients, ce médicament commercialisé dans 80 pays concerne 30 à 35 000 Belges (1).

Le Vioxx avait connu une spectaculaire progression commerciale depuis sa mise sur le marché américain en 1999 et en Europe l’année suivante. Il faisait partie de cette nouvelle classe d’anti-inflammatoire, les coxibs qui devaient en principe soulager tout autant que les anciens médicaments, mais sans avoir leurs inconvénients (maux d’estomac, hémorragies digestives, risques d’ulcères). Après une campagne publicitaire énergique au début des années 2000 sur le thème : « Aussi efficace que les anti-inflammatoires conventionnels, mais mieux toléré ! », accompagné d’une distribution intensive d’échantillons et de vente à bas prix dans les hôpitaux, le Vioxx prit rapidement sa place dans de nombreuses pharmacies familiales. Il était donc en bonne place au classement des médicaments les plus remboursés par l’assurance maladie (2). Les bruits de cette vaste campagne de promotion couvrirent les quelques voix contradictoires qui estimaient que la supériorité et la sécurité de ces nouveaux médicaments n’étaient pas suffisamment démontrées. La question d’éventuels risques cardio-vasculaires n’était pourtant pas nouvelle.
Une augmentation du risque vasculaire avait déjà été notée dans une étude publiée en mars 2000 (Étude VIGOR) et avait entraîné une modification de la notice du produit. Dès août 2001, le journal de l’Association médicale américaine (Jama), dans un article de synthèse, exprimait aussi de sérieux doutes et signalait l’existence de plus de 200 dossiers de pharmacovigilance impliquant le Vioxx dans des accidents cardiaques ou vasculaires. L’Agence européenne du médicament (EMEA) confirmait en avril 2004 que la balance entre les bénéfices et les risques du Vioxx n’est pas plus favorable que celle des autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). L’Agence française des produits de santé multiplie les mises en garde et rappelle aux patients les précautions d’emploi afin de limiter les effets indésirables gastro-intestinaux et cardio-vasculaires, notamment à long terme. La prudence est particulièrement recommandée chez les patients ayant des antécédents coronariens. C’est la première fois qu’une étude apportait des éléments complémentaires sur le sur-risque à long terme (3).
Par ailleurs, en Belgique, la Mutualité chrétienne, en accord avec des experts, s’était opposée au remboursement du Vioxx estimant qu’il n’y avait ni urgence ni besoin pressant alors qu’il existait sur le marché des produits équivalents à moindre coût et que le Vioxx était controversé pour les risques d’accidents cardio-vasculaires qu’il pouvait entraîner.
Sachant que les problèmes, confirmés aujourd’hui, étaient déjà soulevés publiquement depuis le début des années 2000, peut-on dire que Merck a pris à temps la bonne décision, s’inspirant en quelque sorte du « principe de précaution » ? L’entreprise affirme qu’elle aurait pu se contenter de modifier la note d’accompagnement du médicament en apportant les précisions apportées par la dernière étude clinique qui avait fait apparaître un risque accru d’effets cardio-vasculaires graves après 18 mois de traitement. Une évaluation européenne du Vioxx, menée par l’Afssaps avait cependant souligné que :
• 11 % des prescriptions étaient faites « dans des indications non validées par l’autorisation de mise sur le marché » ;
• de nombreux effets indésirables « parfois graves, amenant le système national de pharmacovigilance à s’interroger sur le profil de sécurité réel des coxibs » ;
• et que les coxibs, pourtant annoncés comme mieux acceptés par l’estomac, étaient autant prescrits avec un médicament destiné à prévenir l’ulcère de l’estomac que les anciens médicaments.
Parallèlement, le quotidien français Le Monde soulignait que la Commission de transparence (mai-juin 2004) avait considéré la famille des coxibs comme n’apportant qu’une « amélioration du service rendu mineure » par rapport aux anti-inflammatoires classiques.

Éviter de nouvelles affaires
Pour éviter de nouvelles affaires Vioxx, dont on connaît aujourd’hui les dizaines de milliers de complications cardio-vasculaires et de décès dans le monde, les pouvoirs publics, soucieux de santé publique, selon Bruno Toussaint, rédacteur en chef de la revue française Prescrire, devraient respecter quelques principes essentiels.
• Avant toute autorisation de mise sur le marché, tout médicament doit faire la preuve qu’il représente vraiment un progrès thérapeutique par rapport à ce qui existe déjà. Aujourd’hui, les exigences réglementaires se limitent en effet à démontrer que la balance entre les bénéfices et les risques sont acceptables.
• Les Agences du médicament sont trop proches des firmes pharmaceutiques. Ce sont elles qui financent principalement leurs activités. Et beaucoup trop d’experts sollicités par les agences le sont aussi par les firmes pharmaceutiques. Il faut profiter de la situation actuelle où chacun constate à la fois « la raréfaction des progrès thérapeutiques en matière de médicament, et les risques que font courir à la population les stratégies commerciales de grandes firmes pharmaceutiques quand elles ne sont pas suffisamment encadrées. »
• Prescrire réclame l’« accès libre aux données cliniques ». Dès aujourd’hui, les agences pourraient mettre à la disposition des collectivités les données cliniques dont elles disposent. Certes, les études financées par les firmes sont les plus nombreuses. Mais les données issues de ces études de recherche clinique « n’appartiennent pas plus aux firmes qu’aux patients qui acceptent de participer aux essais et, au-delà, à la collectivité qui finance les soins… »
• Après la mise sur le marché, les pouvoirs publics doivent surveiller activement, et non seulement par obligation réglementaire, l’apparition d’effets indésirables pour mieux cerner la balance entre les bénéfices et les risques d’un médicament.
Enfin, Bruno Toussaint exhorte les professionnels de santé à exercer leur art en toute indépendance. L’affaire Vioxx a montré à quel point actuellement les agences du médicament sont sensibles au point de vue des firmes quand il y a doute : « le manque d’exigence des pouvoirs publics laisse la recherche clinique s’essouffler dans des domaines non prioritaires du point de vue de la santé publique, et laisse les patients exposés aux dégâts de nouveaux médicaments dont la balance bénéfices-risques est encore mal cernée, même dans des domaines où on dispose déjà de nombreux médicaments acceptables… »

(1) Texte complet du communiqué de presse de Merck sur le site : www.msd-belgium.be
(2) Voir la revue Prescrire (octobre 2004) : www.prescrire.org.
(3) Plus d’informations avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (site Internet : http://www.afssaps.sante.fr). Voir également sur http://www.health.fgov.be (rubriques médicaments).

(1) La guerre des médicaments. Dirk Van Duppen, avec les docteurs Johan Vandepaer et Sofie Merckx, coauteurs pour la version francophone. Aden Collection EPO, Bruxelles, 2005, 292 pages. Prix librairie : 20 EUR.
(2) Société fondée en 1986 à l’initiative de plusieurs bulletins indépendants d’Europe, d’Asie et d’Amérique centrale, sur le médicament et la thérapeutique avec le soutien initial du bureau européen de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
(3) Le grand secret de l’industrie pharmaceutique. Philippe Pignarre. Éditions La Découverte 2004 - 8,59 EUR.
(4) www.prescrire.org La revue Prescrire travaille depuis 25 ans à diffuser une information radicalement indépendante sur le médicament, orientée vers les médecins et les pharmaciens. On trouvera sur l’Internet de nombreux articles d’information. L’association « Mieux prescrire », qui édite la revue, anime également le « Collectif Europe et médicament ».
(5) Comment sauver (vraiment) la sécu. L’exemple des médicaments. Éditions La Découverte – 6,40 EUR.
(6) En Belgique, on pratique le remboursement de référence : lorsque le brevet d’une spécialité originale est expiré, et qu’apparaît sur le marché un générique qui contient le même principe actif que cette spécialité originale, le remboursement de celle-ci devient limité au montant qui est remboursé pour le générique. En pratique cela aboutit au fait regrettable que, pour les spécialités qui figurent dans le remboursement de référence, le montant à charge du patient pour la spécialité originale représente au moins 2,4 fois le montant qui est à sa charge pour le générique correspondant. À partir du 1er juillet 2005, suite à la « Loi-Santé » adoptée ce 15 avril 2005, les médicaments génériques devront être au moins 30 % moins chers que le médicament original (26 % actuellement). Et surtout, la loi introduit un « Kiwi à la belge », selon l’expression du ministre Demotte, parce que la technique d’appel d’offres sera limitée aux médicaments qui ne sont plus sous brevet. Le meilleur remboursement sera accordé au médicament le moins cher de sa classe thérapeutique, mais, sous la pression de l’industrie pharmaceutique, les produits de marque, plus coûteux et pas nécessairement innovants qui sont encore sous brevet, ne seront pas soumis à l’appel d’offre. La loi-santé stimule avant tout la concurrence entre les génériques.