La question des retraites est, comme on l'a vu dans le précédent numéro de Démocratie, au centre des préoccupations politiques actuelles. En Belgique, un projet de loi a été approuvé en janvier dernier concernant le développement des pensions complémentaires. Le point sur la question.


D'ici 2030, point culminant du "papy boom", la part des pensions dans le produit intérieur brut va augmenter dans d’importantes proportions (en particulier, les pensions des travailleurs salariés). Les soins de santé vont eux aussi augmenter. Par contre, la dénatalité devrait entraîner une diminution des dépenses dans les secteurs du chômage et des allocations familiales. Cette réduction des dépenses pourra en partie compenser l'augmentation de celles des pensions et des soins de santé. Par ailleurs, l'assainissement des finances publiques devrait permettre de dégager des surplus budgétaires qui alimenteront, avec d'autres sources de financement, un "Fonds de vieillissement" (1). C'est dans ce contexte que s'inscrit le débat sur le développement du 2e pilier. Pour rappel, il existe trois types de régimes, appelés "piliers". Le premier est celui de la pension légale, par répartition, basée sur la durée de carrière et les rémunérations plafonnées. Le deuxième, par capitalisation, est celui des assurances-groupes ou des fonds de pension offerts par les entreprises. Le troisième est basé sur les pensions complémentaires individuelles privées. Étant donné le défi que représente le vieillissement de la population, une forte tendance existe au sein de l'Union européenne à vouloir développer les 2e et 3e piliers. En Belgique, le Conseil des ministres a approuvé, le 26 janvier dernier, un projet de loi proposé par le ministre Vandenbroucke. Ce projet vise à étendre les pensions complémentaires du 2e pilier.

Désavantages
Le 2e pilier a de nombreux désavantages en termes de justice sociale. Primo, tout le monde n'y a pas accès. Les travailleurs du non-marchand, les chômeurs, les employés dans des petites entreprises, les ouvriers, les indépendants ne profitent pas, ou dans des mesures très différentes, du développement des pensions complémentaires. Autrement dit, le 2e pilier ne stimule pas la solidarité. Secundo, il faut souligner le caractère aléatoire des rendements des capitaux épargnés et les risques financiers, comme l'illustrent les réguliers soubresauts de la Bourse. Le 2e pilier est un pari sur l’activité économique, celle-ci devant assurer aux capitaux constitués un rendement suffisant. Tertio, la politique d'investissement des fonds de pension peut avoir un lien négatif avec l'emploi. Les gestionnaires de ces fonds sont, en effet, des acteurs importants sur les marchés financiers. À la recherche de rendements élevés, ils poussent les entreprises à des politiques de gestion à court terme entraînant dans certains cas des ventes de filiales, des fermetures de sites, etc. Ils contribuent aussi à l'augmentation des capitaux spéculatifs sur les marchés des changes.
Le projet de Vandenbroucke tente d'apporter des réponses à ces différents problèmes. Il a l'ambition de "démocratiser" le 2e pilier, c'est-à-dire promouvoir son extension à tous les travailleurs, notamment par le développement de plans de pension sectoriels instaurés sur la base de conventions collectives. Le projet de loi propose également d'accorder un stimulant fiscal supplémentaire aux régimes de pensions du 2e pilier qui satisferaient à certaines conditions sociales (telles que la gestion paritaire, l'applicabilité à tous les travailleurs, l'ajout d'un volet "solidarité" aux plans de pension, etc.) (2). Par ailleurs, une garantie de rendement minimal des investissements serait instaurée, et les travailleurs salariés seraient informés régulièrement de l’évolution du rendement, du mode de calcul de la participation aux bénéfices, etc. Enfin, compte tenu de leur mission sociale, les organismes de pension seraient appelés à mener une politique d’investissement "socialement responsable" ou satisfaisant aux exigences en matière de "développement durable".
Si le projet de loi paraît conçu pour répondre à certaines craintes qu'inspire le 2e pilier, il fait cependant l'impasse sur d'autres questions. Ainsi, le développement des plans de pension sectoriels permet d'étendre le bénéfice du 2e pilier à tous les travailleurs du secteur mais ne prévoit pas de solidarité entre secteurs. Or, étant donné les importantes disparités entre secteurs, certains d'entre eux pourront fournir à leurs travailleurs de copieuses pensions complémentaires tandis que d'autres ne parviendront qu'à faire face à leurs obligations légales. Pensons par exemple au non marchand. De ce point de vue, les plans de pension sectoriels organiseront la solidarité... entre les riches (3).
Autre critique : le projet de loi poursuit discrètement un autre objectif, à savoir le relèvement du taux d'emploi des travailleurs âgés. Il prévoit que le paiement des prestations de pension complémentaire ne pourra plus se faire qu'à 65 ans ou à l'âge de la retraite anticipée (60 ans au plus tôt). Autrement dit, les travailleurs prépensionnés de moins de 60 ans ne pourront bénéficier de leur 2e pilier qu'à partir de 65 ans, ce qui, selon les organisations syndicales d'employés, s'apparente à une rupture de contrat. L'objectif sous-jacent du ministre serait donc de freiner la prépension.
Comme on le voit, le développement du 2e pilier – que l'on dit incontournable, mais l'est-il vraiment ? – n'offre pas encore toutes les garanties d'égalité et de justice sociale. La pension légale demeure la meilleure garantie pour le travailleur, même si elle doit être améliorée. Le risque est que le développement de la pension complémentaire ne détricote la solidarité.

Christophe Degryse

  1. Ce fonds sera créé sous la forme d'un organisme public doté de la personnalité juridique. Il aura pour but de créer les réserves financières devant permettre de payer les dépenses supplémentaires des différents régimes de pension légale entre 2010 et 2030.
  2. Ce volet "Solidarité" peut par exemple prévoir l'octroi de couvertures pour les périodes non prestées en cas de maladie ou de chômage, l'octroi de couvertures en cas de faillite de l'employeur et le nivellement des droits dans des plans de type contributions définies, etc.
  3. Lire la carte blanche de Jean Hallet, président de l'Union chrétienne des pensionnés, dans Le Soir, 3 mars 2001.

 

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