La crise est économique, climatique, financière, sociale. Dans sa dimension financière, elle a éclaté en 2008 et s’est propagée dans les champs économiques et sociaux. Quelle sera la réponse ? L’Union européenne et ses États membres cherchent encore. Et, avec la Confédération européenne des syndicats, nous pensons qu’elle se trompe de voie. Si la crise était une opportunité ? Un moment charnière que les syndicats et les progressistes utilisaient pour stimuler davantage de justice fiscale. Illusion, utopie ? Ou perspective qui permettra au peuple, au monde du travail de retrouver de l’espoir en des lendemains plus justes.


Dans cet article, nous chercherons à mettre en évidence les principales évolutions qui se sont opérées sur le terrain de la fiscalité en Europe depuis le déclenchement de la crise en 2008.
La fiscalité est fort différente d’un pays européen à l’autre. Le chemin vers l’harmonisation ressemble plus à une étape du Tour de France avec quatre cols hors catégorie qu’une balade en cuistax sur une digue de la côte belge. Certains pays se caractérisent par une fiscalité plus basse, inférieure à la moyenne européenne. C’est le cas par exemple de la Grèce, du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne ou du Royaume-Uni. Est-ce une surprise, ce sont ces pays qui ont le plus souffert de la crise, qui ont connu les récessions les plus sévères et les plus fortes contractions de l’emploi. En revanche, les pays avec un poids de la fiscalité proportionnellement plus important ont eux mieux résisté à la crise. La Commission européenne elle-même le dit 1. Mesurée statistiquement, la corrélation est légère, mais réelle. Il semble que la fiscalité est importante pour jouer un rôle de stabilisateur et faire face aux chocs.
Ce n’est pas pour autant que les experts du monde économique et financier, Commission européenne en tête, plaident pour que les différents États membres corrigent les déséquilibres actuels. Et qu’ils accroissent dans les pays les plus touchés par la crise la taille des contributions, pour qu’elles se rapprochent de la moyenne européenne. Non, bien sûr, les efforts, selon les «experts», doivent en priorité porter sur la baisse des dépenses publiques. Nous connaissons ce discours en Belgique également.
Une part de l’assainissement dans les différents États membres repose malgré tout sur l’augmentation des recettes. C’est aussi le cas dans les pays les plus libéraux comme le Royaume-Uni par exemple. Quand il s’agit d’augmenter les impôts, la voie privilégiée est d’augmenter les taxes sur la consommation : TVA, accises.
Le taux moyen standard de TVA dans l’Union européenne, qui était d’environ 19,5 % depuis le début des années 2000, est à partir de 2008 en augmentation. Il a franchi le cap des 20,5 % en 2011. Les augmentations les plus importantes s’observent au Royaume-Uni (baisse du taux standard de TVA de 2,5 % en 2009 puis augmentation de 2,5 % en 2010 suivie d’une nouvelle augmentation de 2,5 % en 2011), en Grèce (+ 4 % en 2010), au Portugal (+ 1 % en 2010 et + 2 % en 2011).

On observe aussi une tendance à l’augmentation des accises sur les produits énergétiques comme sur le tabac et l’alcool. C’est le cas particulièrement en Grèce, mais aussi au Danemark, dans les pays baltes et dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. La croissance des recettes liées aux taxes indirectes pour l’Union européenne est significative. Elle est estimée sur la période 2009-2012 à l’équivalent de 0,5 % du PIB. Du côté de la fiscalité directe, une augmentation est également constatée, mais elle est bien moindre. De l’ordre de 0,2 % du PIB.
Quelle analyse convient-il de privilégier devant ce constat de l’augmentation de la fiscalité indirecte ? Nous reviendrons sur l’évolution de la fiscalité environnementale. Mais la voie choisie par la majorité des pays européens pour accroître les recettes publiques pose question. D’un point de vue redistributif, il est préférable de faire porter par les épaules les plus larges les charges les plus importantes. Or, la TVA n’est pas un impôt redistributif. Les personnes avec les plus petits revenus consacrent l’entièreté de celui-ci pour consommer. Ils n’ont pas la possibilité d’épargner. Ils paient donc la TVA sur la totalité de leurs dépenses. Par contre, plus on progresse dans l’échelle des revenus, plus les ménages ont une propension à épargner qui augmente. La part de leurs revenus consacrée à des dépenses soumises à la TVA est donc plus faible. L’augmentation de la TVA en Europe pour contribuer à gonfler les recettes publiques n’est donc certainement pas la voie la plus juste.

Et la fiscalité verte ?

On le sait, au-delà de la crise financière, un défi fondamental est la lutte contre le réchauffement climatique. Pour rencontrer les objectifs de limitation de l’augmentation de la température sur terre, un des outils est la fiscalité verte. Elle consiste notamment à inciter ou décourager certains comportements en fonction de leur impact sur le milieu naturel. Un des enjeux est la limitation de la consommation énergétique, en veillant à ne pas pénaliser les ménages avec de faibles revenus.
Que constatons-nous ? D’abord, qu’au-delà des discours sur l’importance de la défense de l’environnement, nous assistions ces dernières années en Europe à une baisse des revenus liés à la fiscalité environnementale. C’est paradoxal. Avec la crise financière, le mouvement s’est stoppé et même inversé. Nous verrons ce qu’il en sera sur le long terme.
À ce stade, l’augmentation reste malgré tout modeste. Par exemple, les accises sur l’énergie, après correction pour tenir compte de l’inflation, sont simplement revenues à des niveaux semblables à ceux observés au début des années 2000. La situation reste insatisfaisante à plusieurs niveaux. La Commission européenne observe qu’il existe encore des divergences fortes dans les niveaux de fiscalité sur l’énergie entre États membres. La Belgique par exemple connaît des niveaux de prélèvements beaucoup plus bas que ceux observés au Danemark ou même en Allemagne et aux Pays-Bas. La Commission plaide pour davantage de convergence en cette matière, de même que pour une taxation du CO2 dans des secteurs actuellement très peu ou peu taxés. C’est le cas particulièrement pour le transport aérien.

Une fiscalité plus juste ?

Avant la crise de 2008, la tendance en Europe était claire. La fiscalité devenait année après année de moins en moins juste. La concurrence fiscale entre États membres jouait à plein et les entreprises et les individus les plus riches en profitaient tant que faire se peut.
Pour ce qui concerne l’impôt des sociétés, la course au moins-disant fiscal a connu un succès considérable. Le taux moyen de l’impôt sur le bénéfice des entreprises est ainsi passé de 35 % en 1995 à moins de 24 % en 2008. Les chiffres se passent de longs commentaires. On ne peut certainement pas parler d’une inversion de tendance, mais cette course vers le bas, grâce à la crise, a enfin connu un coup d’arrêt. Depuis 2008, la fiscalité sur les bénéfices des sociétés a arrêté sa chute et les taux moyens restent aux alentours de 24 %. Sans résultats concrets à ce stade, le duo Merkel-Sarkozy a plaidé en 2011 pour une harmonisation de la fiscalité des entreprises. La crise offre une fenêtre d’opportunité que feraient bien d’exploiter les progressistes en Europe. Car les chiffres sont cruels. Faut-il rappeler que malgré les aides européennes reçues, le taux sur l’impôt des sociétés en Irlande reste inchangé et se situe à … 12,5 % ? D’autres pays européens font « mieux » encore comme la Bulgarie avec un taux de 10 %. L’harmonisation de l’impôt sur les sociétés en Europe est indispensable et devrait constituer une vraie priorité. À l’occasion des élections qui se profilent dans différents États membres de premier plan, espérons qu’elle sera portée clairement par les candidat-e-s de gauche.

Ce qui est vrai pour la fiscalité des entreprises l’est de manière plus globale pour la fiscalité sur le capital. La diversité des niveaux de prélèvements reste énorme dans l’Union européenne. De plus de 30% dans les pays scandinaves à une vingtaine de pour cent en Allemagne, et beaucoup moins dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale. Il doit être mis fin au jeu néfaste de la concurrence sur ces terrains.
En matière de fiscalité juste, il est intéressant de se pencher également sur les évolutions relatives à la taxation des personnes. Là aussi, la tendance était préoccupante avant le déclenchement de la crise financière en 2008. Dans la plupart des pays européens était constatée une baisse de la redistribution avec notamment l’écrêtement des taux marginaux pour les ménages avec les revenus les plus élevés. Nous avons connu une telle évolution en Belgique également. Certains pays d’Europe de l’Est ont même mis en place des systèmes d’impôt des personnes physiques à taux unique (« flat tax »), supprimant toute progressivité.
La crise a permis de corriger partiellement cette détérioration de la justice fiscale. La moyenne des taux marginaux supérieurs avait baissé dans l’Union européenne durant les deux dernières décennies. Le taux marginal supérieur était d’environ 50 % en 1995 et a diminué jusqu’à un niveau d’un peu plus de 40 % en 2008. Ces taux se sont depuis lors légèrement accrus. Certains pays ont décidé de l’augmenter en 2010 ou 2011. C’est le cas pour l’Espagne, le Portugal, la Grèce, mais aussi la France, l’Italie, le Luxembourg et même le Royaume-Uni. Par contre, certains pays à l’Est ont décidé de continuer à baisser les taux sur les tranches supérieures de revenus. C’est particulièrement le cas dans un État membre tristement mis en avant par d’autres mesures prises par son gouvernement. Il s’agit de la Hongrie qui parmi les mesures pour répondre à la crise économique qui le frappe a décidé de baisser le taux d’imposition supérieur et de le faire passer de 40 à 16 % ! Le néolibéralisme à l’état pur.

À l’offensive !

Pour la droite en Europe, largement représentée dans les gouvernements des pays et aussi dans les institutions supra nationales, la réponse à la crise ne fait aucun doute. Il n’y a pas d’alternative à la rigueur et, en matière de finances publiques, aux coupes dans les dépenses. Pourtant, des alternatives existent. Et ce n’est certainement pas un slogan. Des arguments solides existent pour défendre la fiscalité juste. Une analyse de ce qui s’est passé à partir de 2008 est éclairante. Les pays qui ont le mieux résisté à la crise sont ceux qui disposaient de systèmes solides en matière de fiscalité avec un degré élevé de redistribution. Le contre-exemple majeur est bien sûr la Grèce. Est-ce un hasard ? Très certainement pas.
La crise est une opportunité pour la gauche européenne. Et elle doit la saisir. C’est le moment ou jamais de défendre une plus grande justice fiscale : reconstruction d’une plus grande redistribution en matière d’impôt sur les personnes physiques, surtout, harmonisation de la fiscalité sur les entreprises et l’épargne. Des pas, trop modestes, sont effectués dans cette direction. La détérioration de la justice fiscale observée depuis plus de quinze ans est pour le moment enrayée. Mais c’est tout à fait insuffisant. Il est temps de passer des souhaits aux actes. L’assainissement des finances publiques ne peut continuer à s’opérer via principalement des coupes dans les dépenses. Ou, lorsqu’il s’agit d’accroître les recettes, via la fiscalité indirecte dont on sait qu’elle est moins redistributive, en pesant proportionnellement davantage sur les personnes avec des revenus modestes.
Une offensive syndicale et progressiste est opportune. La justice fiscale est une vraie solution pour une sortie durable de la crise. La Belgique ne pourra agir seule. Elle aura besoin et devra pouvoir compter sur l’Europe, par exemple en matière d’impôt des sociétés. Mais elle peut montrer le chemin, notamment en révisant le mécanisme des intérêts notionnels. C’est l’occasion pour les syndicats belges, en front commun, de passer à l’offensive.



1. European Commission, « Taxation trends in the European Union. Focus on the crisis : the main impacts on EU tax systems », 2011, http ://ec.europa.eu/taxtrends.

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