Après plusieurs années de tergiversations, l’Union européenne a donc lancé une nouvelle " stratégie " en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. D’une conception basée sur le " chacun chez soi ", on est passé à une volonté commune de collaborer et de se fixer des objectifs concrets. L’Union est donc passée de la parole aux actes. Encore faut-il que ceux-ci portent leurs fruits…
Juste avant l’été, sous présidence suédoise, chaque État membre de l’Union européenne a dû remettre à la Commission européenne son "Plan d’action national sur l’inclusion sociale", dans le cadre d’une stratégie lancée en mars 2000 par le Conseil européen de Lisbonne. Le 1er juillet, la Belgique a repris le flambeau de l’Union européenne pour six mois. Pour tous les acteurs impliqués dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ce second semestre 2001 s’avère crucial puisqu’il doit déboucher sur l’adoption d’indicateurs communs lors du Conseil européen de Laeken des 14 et 15 décembre ; indicateurs qui devraient permettre une comparaison des résultats atteints par les États membres.
La stratégie européenne s’accompagne d’objectifs communs de lutte contre la pauvreté et de l’exclusion sociale, adoptés l’an dernier lors du Conseil européen de Nice. Ces objectifs se répartissent en quatre groupes :
- la promotion de la participation à l’emploi et l’accès de tous aux ressources, droits, biens et services ;
- la prévention des risques d’exclusion (surendettement, " sans-abrisme "…) ;
- l’aide aux personnes les plus vulnérables dans la société ;
- la mobilisation de l’ensemble des acteurs, y compris la société civile.
Le Conseil a ajouté un autre objectif : celui d’intégrer la dimension de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes dans toutes les politiques. Sur la base de ces "objectifs de Nice", les États membres ont été invités à remettre leur Plan d’action national pour le 1er juin 2001.
Évaluation
Le rapport de la Commission sur ces Plans d’action nationaux a été officiellement adopté le 10 octobre dernier, après une série de rencontres bilatérales avec chacun des États membres. Le Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (European Anti-Poverty Network – EAPN), de même que d’autres associations œuvrant contre l’exclusion sociale, n’ont pas caché leur scepticisme, voire leur déception, face à ce rapport. Les principales critiques peuvent être regroupées de la façon suivante :
- Des politiques existantes plutôt que de nouvelles initiatives : en règle générale, la plupart des gouvernements ont vu dans le processus des Plans l’occasion de faire l’inventaire et de relier des politiques et programmes déjà en place plutôt qu’une opportunité d’innover et de lancer de nouvelles mesures.
- L’emploi au centre des préoccupations : presque tous les Plans mettent l’emploi au centre de la stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, mais tous ne font pas la distinction entre l’objectif d’accroissement de la main-d’œuvre et celui de la réduction de la pauvreté qui, s’ils sont liés, restent différents.
- Manque de propositions visant les groupes particulièrement vulnérables et absence d’analyse de la dimension "genre" : la plupart des Plans omettent totalement les enjeux liés à des groupes spécifiques, comme les demandeurs d’asile, les réfugiés et les immigrants, et font l’impasse sur la dimension de l’égalité entre les hommes et les femmes, si ce n’est à travers le prisme de l’emploi.
- Participation: la consultation et la participation des ONG et des populations vivant en situation de pauvreté restent le maillon faible de tous les Plans. Il semble qu’aucun des gouvernements n’ait consulté les populations vivant en situation de pauvreté et/ou d’exclusion sociale. Le manque de temps est la raison la plus souvent invoquée par les États membres.
- Exemples de bonne pratique : les gouvernements ont à peine essayé de justifier leur choix. Nul ne sait si les exemples de bonne pratique se basent sur l’évaluation de programmes et de politiques.
- Suivi et indicateurs: les données d’Eurostat n’étant pas interprétées de manière uniforme dans les différents pays et la collecte/analyse des données n’étant pas identique, il s’avère impossible de procéder à des comparaisons transnationales. Si les indicateurs sont assez explicites dans certains cas, comme dans le Plan du Royaume-Uni, il s’agit souvent d’une somme d’aspirations (comme dans le Plan espagnol) ou de généralités dépourvues du moindre objectif précis.
Et les indicateurs ?
La question des indicateurs n’est pas mince… Faut-il privilégier les indicateurs quantitatifs ou qualitatifs, les indicateurs de performance ou politiques ? L’avantage d’une approche purement statistique est sa simplicité… apparente. Les chiffres, on peut leur faire dire presque tout et son contraire ! L’Union européenne considère comme " pauvre " un ménage dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian du pays. Mais quelle valeur donner à un critère statistique qui définit comme " pauvre " le ménage dont le revenu atteint 59 % du revenu médian et comme " non pauvre " celui dont le revenu est à 61 % ?
La difficulté de fixer un seuil de pauvreté commun n’est que la partie émergée de l’iceberg. Pourtant, il est impératif d’élaborer des indicateurs pertinents prenant en compte l’impact des politiques de lutte contre l’exclusion. De tels indicateurs ne peuvent être déterminés que par une méthode participative, associant les personnes concernées à des travaux de recherche menés avec rigueur. La Belgique va d’ailleurs soutenir un projet pilote de ce type, mené par des associations de lutte contre la pauvreté.
Vincent Forest
European Anti-Poverty Network
Il est possible de trouver des informations complémentaires sur le site web d’EAPN: www.eapn.org
Un programme européen de lutte contre la pauvreté va prochainement être lancé couvrant la période allant du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2005. Doté de 75 millions d’euros, ce " programme d’action communautaire d’encouragement de la collaboration entre États membres dans la lutte contre l’exclusion sociale " vise à stimuler la collaboration entre les responsables politiques, partenaires sociaux, ONG et les pauvres eux-mêmes. Les actions proposées dans le cadre de ce programme doivent se référer à trois dimensions principales :
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