Avec la mondialisation, les accords bilatéraux de commerce et d’investissements se multiplient. Et nourrisssent la ctitique, tant ils font peu de cas de l’environnement, des droits des travailleurs, des droits humains. A l’heure où l’Europe, sous présidence belge, révise ses politiques commerciales et d’investissement, la CSC paufine avec la KUL une recherche sur les normes qui pourraient garantir un travail décent.


Le commerce et l’investissement sont au centre de la mondialisation de l’économie. Un coup d’oeil sur l’évolution des investissements directs à l’étranger1 (IDE) suffit à mesurer leur essor: alors qu’ils ne représentaient que 5 % du PIB mondial en 1982, ils comptaient en 2008, selon l’OMC, pour 25 % de ce produit. Même la crise économique et financière de 2008-2009, qui a provoqué une chute temporaire des investissements, n’a pas altéré la tendance. Le constat est le même pour le commerce international2. Dans ses rapports annuels, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) montre que la part des importations et exportations de marchandises et de services dans les PIB des pays a explosé ces dernières décennies, même si, là encore, la crise a causé une diminution importante du volume total des marchandises, soit de 12 % en 2009 dans le PIB mondial.
Qu’il s’agisse d’investissements ou de commerce, l’Union Européenne occupe une position centrale : elle est le premier exportateur et le deuxième importateur de marchandises et de services, elle est aussi la principale source et destinataire des IDE. L’Europe a dès lors un rôle politique majeur à jouer, les flux de capitaux, de marchandises et de services ayant inévitablement besoin d’un cadre politique pour pouvoir fonctionner.
Pour ce qui concerne le commerce, ce cadre légal a été forgé dès l’immédiat après-guerre par les cycles successifs de négociations multilatérales de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). C’est ainsi que les taux de douane pour de nombreux produits sont passés de plus 40 % en 1948 à 3 et 5 % en 1994. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui a succédé au GATT, devait approfondir ce cadre multilatéral, mais les négociations sont bloquées depuis plusieurs années. Dès lors, seuls des accords commerciaux bilatéraux sont conclus actuellement, en vue de dépasser le cadre GATT/OMC en vigueur. C’est l’UE qui négocie pour ses 27 Etats membres.
A ce titre, l’Union a récemment conclu un accord commercial important avec la Corée du Sud, comme elle l’avait fait en mai dernier avec l’Amérique Centrale, la Colombie et le Pérou. Aujourd’hui ce sont les négociations avec l’Inde et la relance des pourparlers avec le Mercosur (projet d’intégration de la plupart des pays sud-américains) qui retiennent l’attention.
Pour ce qui concerne les investissements, avant le Traité de Lisbonne (entré en vigueur le 1er décembre 2009), les Etats membres s’efforçaient de conclure un maximum d’Accords Bilatéraux d’Investissement (ABI) visant la protection et la promotion des flux de capitaux. C’est ainsi que, pendant des décennies, la Belgique s’est associée au Luxembourg, au sein d’une entité appelée l’Union Economique Belgo-Luxembourgeoise (UEBL), pour conclure environ 80 accords avec de nombreux pays. Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, c’est à nouveau l’Europe qui est théoriquement en charge de négocier les accords d’investissement. Mais l’opérationnalisation reste encore à définir.
Mais qu’ils touchent aux investissements ou au commerce, ces accords bilatéraux font l’objet de nombreuses critiques pour leurs conséquences négatives sur l’environnement, sur les droits des travailleurs, voire sur le respect des droits humains. On se souviendra qu’en 1996, la société civile organisée avait pu bloquer le projet d’Accord Multilatéral d’Investissement (AMI) négocié discrètement au sein de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE). Un projet qui risquait d’éroder gravement les normes sociales et commerciales dans les pays de l’OCDE.

Présidence belge

La question de la régulation des accords internationaux de commerce et d’investissement revient aujourd’hui d’autant plus dans l’actualité que l’Union Européenne, sous présidence belge, révise et restructure profondément ses politiques commerciales et d’investissement. Un débat qui reste, faut-il le dire, largement absent des médias malgré l’importance de l’enjeu.
La future gestion politique de ces compétences est une priorité dans l’agenda de l’Union pour quatre raisons. Tout d’abord, l’Union doit approuver un nouveau cadre pour sa politique d’investissement. Si le projet est approuvé, il fixera les principes de négociation d’accords d’investissement avec les grands blocs du Sud (Inde, Chine, Brésil…). Il rendra probablement à chaque État membre la compétence de conclure des ABI avec les petits pays et il maintiendra probablement les ABI déjà en vigueur entre pays membres et pays, en toute sécurité juridique. Ensuite, les responsables politiques de l’UE se penchent actuellement sur l’élaboration d’une nouvelle stratégie commerciale pour l’UE en 2020. Dans ce contexte, une Table Ronde des ministres du commerce de l’UE présentera en novembre les grandes lignes de cette future politique commerciale d’ici 2020. De plus, le Parlement européen discute en ce moment de deux projets de résolution sur les normes sociales et environnementales dans les accords internationaux qui seront votés au plus tôt en novembre 2010. Enfin, s’annoncent en coulisses des débats cruciaux sur des accords commerciaux particuliers, déjà conclus mais encore à ratifier en 2011. Techniquement, ce sont le Parlement et le Conseil européens qui doivent approuver un accord purement commercial après qu’il ait été conclu entre la Commission européenne et l’autre partie. S’il touche aux compétences des Etats membres, les parlements nationaux qui doivent aussi donner leur accord, avec la particularité pour la Belgique que les entités fédérées compétentes sont également associées.
A titre d’exemple, l’accord le plus souvent critiqué aujourd’hui par de nombreux parlementaires et une large coalition de syndicats et d’ONGs est celui qui fut négocié avec la Colombie, pays où plus de 2 800 syndicalistes ont été assassinés depuis 1986. C’est la raison pour laquelle des projets de traités de libre-échange, comme ceux que l’Union vient en conclure, restent bloqués aux Etats-Unis ou encore en Norvège. En Belgique, pour des mêmes raisons un accord bilatéral d’investissement avec la Colombie avait été bloqué l’an passé suite notamment au plaidoyer de la coalition travail décent qui associe syndicats et ONGs.
La question cruciale est aujourd’hui de savoir quelle politique l’Europe entend mener dans ces domaines. Compte-elle promouvoir et protéger les flux de marchandises, de services et de capitaux selon les seuls intérêts des entreprises et des investisseurs privés ? Ou envisage-t-elle, au contraire, de les réguler, de les encadrer, notamment en conditionnant le commerce et l’investissement au respect de normes sociales ou environnementales fondamentales et prises déjà comme engagement par ailleurs (à l’ONU, à l’OIT…)?
Pour les organisations syndicales, il faut inclure à ces différents niveaux toutes les références possibles aux normes internationales du travail, avant tout de l’agenda travail décent. C’est une question de cohérence avec des engagements que les mêmes gouvernements ont souvent déjà pris ailleurs. Ensuite, il faut des mécanismes de suivi, de contrôle et de sanction intelligents en vue de renforcer le travail décent. En effet, sans ces mécanismes, des références aux normes du travail ou clauses sociales risquent d’être purement déclaratoires. L’accès à l’information et la participation des organisations des travailleurs au long du processus, de l’initiation à la négociation, de la ratification jusqu’à l’évaluation, est également une revendication majeure. Elle est centrale pour que les accords ne soient pas seulement régis par des objectifs économiques mais aussi par des objectifs sociaux. Prévoir des études d’impact et de rapportage qui permettent de mesurer les bénéfices et les pertes, non seulement d’un point de vue économique mais aussi d’un point de vue social et environnemental, est une revendication phare portée par le mouvement syndical.
Afin d’approfondir ces questions au niveau technique, la CSC a entamé un projet de recherche avec l’Institut Supérieur du Travail (HIVA) de la KUL. Celui-ci fait un état des lieux des normes de travail dans les accords commerciaux et d’investissement déjà en vigueur ou actuellement en négociation. Les résultats de cette recherche seront présentés prochainement au Parlement européen. Voici, en primeur, quelques résultats clefs de cette recherche qui nourrira le travail que la CSC mène avec d’autres, que ce soit au niveau belge, européen ou international.

Quelles normes ?

Lorsqu’on parle de normes de travail dans les accords internationaux, le terme est utilisé au sens large. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) définit, dans son rapport sur le monde du travail de 2009, les normes du travail comme suit:
1. tout standard professionnel ayant trait aux conditions de travail minimales, à l’encadrement de la mise au travail ou aux droits du travail ;
2. toute norme de la législation nationale ayant trait à la protection des droits des travailleurs ;
3. tout cadre de coopération ou de contrôle relatif à ces droits . Cela signifie qu’une norme de travail peut renvoyer tant à la législation nationale sur le travail qu’aux standards et normes internationaux, comme les conventions de base définies par l’OIT. Huit conventions de base de l’OIT forment les normes fondamentales du travail définies par l’OIT qui concernent 1) la liberté d’association et le droit de négociation collective, 2) l’élimination de toute forme de travail forcé, 3) l’abolition effective du travail des enfants et 4) l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. Les références à la coopération, comme le renforcement de la capacité de contrôle du Ministère du travail, en font également partie.
Bien que trop rare, l’inclusion de normes de travail dans les accords commerciaux internationaux est de plus en plus fréquente. Alors que 4 % seulement des accords commerciaux entrés en vigueur entre 1995 et 1999 contenaient ce type de normes, ce chiffre est passé à 11% pour la période 2000-2004 et à 31% pour la période 2005-2009. Les accords commerciaux de l’Union Européenne incluent des normes du travail au sein d’un chapitre appelé « développement durable », avec un focus sur les normes fondamentales mentionnées plus haut même si certains accords font référence à d’autres conventions de l’OIT.
Pour les accords d’investissement, une étude de l’OCDE portant sur 269 accords bilatéraux d’investissement (ABI) montre que plus de la moitié des pays concernés (23 sur 39) ne font pas référence aux droits des travailleurs, à la protection de l’environnement ou à la lutte contre la corruption. Et quand ils y font allusion, c’est de manière très sommaire.
Pour l’Union Economique Belgo-Luxembourgeoise (UEBL), ce n’est que depuis 2002 que des normes du travail font objet du texte modèle que l’UEBL met sur la table au début des négociations avec des pays avec lesquels elle compte conclure un accord. Les 65 accords bilatéraux de l’UEBL a conclu avant 2001 ne contiennent dès lors pas de références à des normes du travail. En ce qui concerne les accords qui ont été négociés après 2002, l’inclusion de normes du travail n’est pas obligatoire car le texte modèle sert uniquement de base à la négociation. Les parties peuvent se mettre d’accord pour ne pas inclure les références du texte modèle.
Généralement, quand il y a référence aux normes du travail dans les accords bilatéraux d’investissement, il s’agit de références à la liberté syndicale et au droit à la négociation collective. D’autres conventions sont parfois mentionnées, voire l’ensemble des normes fondamentales de travail de l’OIT. Mais pour garder une cohérence entre les politiques et ce qui est déjà ratifié par les Etats par ailleurs, les accords ne devraient pas seulement contenir ces conventions mais aussi des références aux autres conventions sur l’inspection du travail, la sécurité sociale... qui sont reprises dans l’agenda du travail décent de l’OIT.

Quelles contraintes ?

Une fois ces accords signés, encore faut-il s’assurer que les engagements seront effectivement respectés. Des mécanismes permettent de vérifier – et d’imposer, si nécessaire – le respect des normes du travail énoncées dans les accords. Cependant, pour les accords bilatéraux d’investissement de l’UEBL, aucun mécanisme de suivi, et encore moins de sanction, des normes du travail n’existe. Quant à l’UE, son attitude varie selon les accords commerciaux : selon les cas, trois niveaux de contraintes peuvent être appliqués.
Le premier niveau est celui de mesures dites « douces », qui ne sont en rien coercitives. Il s’agit le plus souvent d’instruments de coopération ou de renforcement de capacité. L’autre extrême, le troisième niveau, est celui des mesures dites « dures ». Il s’agit de sanctions ou d’incitants économiques. Par exemple, les accords Système Préférentiel Généralisé (SPG+) – conclus entre l’UE et une série de pays en développement – permettent un accès supplémentaire au marché de l’Union aux pays partenaires qui font des démarches significatives en vue du respect de 27 conventions internationales. A l’inverse, le non-respect de ces conventions peut entraîner des limitations d’accès au marché. Des pays comme la Biélorussie, la Birmanie et le Sri Lanka en ont déjà fait l’expérience. Enfin, certains accords permettent d’imposer des sanctions économiques aux pays qui bafouent les droits humains sans pour autant limiter leur accès au marché. L’option peut être de réduire, par exemple, le budget de coopération au développement, comme dans le cas de l’accord entre l’UE et les pays caribéens (CARIFORUM).
L’approche reste l’exception. Ces mesures « dures » ne peuvent en effet être appliquées que si toutes les autres possibilités de conciliation ont été épuisées. Ce qui ouvre un stade intermédiaire entre mesures douces et dures : le deuxième niveau de contrainte. À ce niveau, une pression croissante est exercée, allant du dialogue diplomatique entre gouvernements à la désignation d’un comité d’experts chargé d’enquêter au sujet du conflit. En cas d’échec, un médiateur peut être nommé. Ensuite seulement, on pourra passer à un mécanisme régulier d’arbitrage des conflits.
En résumé, l’UE préfère utiliser les mécanismes « doux » ou exercer une pression diplomatiques. Ce n’est qu’en dernier recours (et même alors, de façon très limitée) qu’elle fait appel à de sanctions économiques. Ces dernières restent un sujet sensible car ils peuvent être interprétés par les pays en voie de développement comme un moyen déguisé de protectionnisme de la part de l’UE. Pour des raisons évidentes de crédibilité, ces mécanismes « doux » et plus diplomatiques doivent pouvoir coexister avec la possibilité de mesures «dures».

Quelle participation ?

Le Traité de Lisbonne reconnaît l’importance d’un dialogue ouvert, transparent et suivi avec la société civile, les travailleurs et les employeurs ainsi que d’autres instances représentatives, comme les organisations religieuses. L’implication d’un large éventail d’acteurs est censée légitimer le caractère démocratique du processus européen de prise de décision. Ce principe s’applique aussi aux accords internationaux de l’UE.
Toutefois, la participation est souvent limitée à l’accès à l’information, par exemple en ce qui concerne les programmes de négociation ou les études d’impact. En revanche, l’initiation de la négociation, ses processus, mais aussi leur mise en application restent souvent opaques. Aucun mécanisme tripartite n’existe, pas plus qu’un dialogue social structurel au long du processus. Quant à l’accès aux mécanismes et aux résultats de l’arbitrage des conflits dans les Accords Bilatéraux d’Investissement (ABI), il demeure totalement verrouillé. Seuls les investisseurs privés ont la possibilité de déposer plainte contre les Etats qui ne respectent pas les engagements pris dans les accords.

A suivre...

Comme on a pu le constater, il y a quelques évolutions techniques positives, tant au niveau de l’inclusion de normes qu’aux niveaux des mécanismes de suivi et de la participation prévue par les dernières générations des accords commerciaux et d’investissements. Toutefois, le tableau dressé ici montre que l’inclusion de tels mécanismes varie au cas par cas et surtout demeure largement insuffisante même pour garantir un cadre minimal pour le travail décent.
Débat à suivre, notamment 26 janvier 2011 à Bruxelles, où les résultats de la recherche seront présentés prochainement présentés par la CSC et la KUL.

Renaat Hanssens est collaborateur au service d'études de la CSC, Thomas Miessen est collaborateur au service international de la CSC et Rafael Peels, est chercheur HIVA (KUL).



1. Les mouvements internationaux de capitaux non spéculatifs et en vue de créer, développer ou maintenir une filiale à l’étranger et/ou d’exercer le contrôle sur la gestion d’une entreprise.
2. Compris comme les flux de marchandises et de services entre pays.

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