Au-delà d’un certain niveau de réduction du coût salarial – via les réductions de cotisations sociales et/ou les aides à l’emploi – n’y a-t-il pas un arbitrage implicite entre deux objectifs également prisés par les partis politiques : la création d’emplois (durables) et le financement de la sécurité sociale ? Certaines aides à l’emploi n’organisent-elles pas un « carrousel » entre l’emploi et le chômage ?


 [Note à l'attention des internautes : les graphiques de cet article ne sont disponibles que sur la version papier de la revue. Voir sur cette page en haut à droite : "Pour recevoir Démocratie"]


Le Bureau fédéral du Plan publie en annexe de ses perspectives économiques annuelles un « Compte des administrations de sécurité sociale ». Deux rubriques nous intéressent plus particulièrement : la rubrique « Cotisations de Sécurité sociale – Employeurs, régime obligatoire » (cette rubrique tient déjà compte des réductions de cotisations sociales patronales dites structurelles) ; et la rubrique « Subventions aux entreprises ». Cette dernière rubrique reprend les aides à l’emploi non comptabilisées dans la rubrique précédente, à savoir le Maribel social, les allocations d’activation, le bonus jeunes non-marchand, le subside Titres-services et le soutien à la création d’emplois dans les hôpitaux. La différence entre ces deux montants constitue ce qu’on peut qualifier de Recettes nettes. Il est à noter que ces recettes nettes intègrent de facto tous les effets induits, directs et indirects, des créations d’emplois liées aux réductions de cotisations sociales patronales. On remarquera sur le graphique ci-dessous la baisse d’environ 1 % du PIB du poids relatif des cotisations nettes entre 1995 et 2010.
Qu’en est-il de l’emploi au cours de la même période ? Il ne s’agit pas ici de déterminer jusqu’à quel point les différentes mesures de soutien à la création d’emplois ont permis des créations nettes d’emplois. Mais on peut calculer l’apport moyen en cotisations sociales patronales de chaque emploi salarié. C’est ce que fait le graphique ci-dessous. On constate qu’à prix constants, le maximum est atteint en 1999. Depuis 2002, il y a une tendance à la baisse, même si on excepte les années 2009 et 2010 qui sont à la fois des années de crise et pour lesquelles les données sont des estimations ou des projections. Plus précisément, chaque emploi salarié rapporte, en 2010, en moyenne 364 Ä en moins par an qu’en 2002, soit une baisse en termes réels de 4,9 %. Quatre mises en perspective :
– à périmètre constant, cette baisse est probablement quelque peu plus marquée encore (en effet, l’emploi statutaire dans le secteur public ayant légèrement reculé en termes relatifs, cela génère, toutes choses égales par ailleurs, plus de recettes pour les administrations de sécurité sociale) ;
– l’emploi, pendant la même période, a augmenté de 6,3 % ; au total donc, les recettes nettes ont augmenté d’un peu plus de 1 % sur la même période, ce qui est inférieur au taux de croissance des dépenses ;
– tenant compte de la croissance très rapide des emplois dans le secteur titres-services et de la mise en place d’autres dispositifs, on peut supposer qu’à la marge les « nouveaux » emplois rapportent (beaucoup) moins que cette moyenne ; notons que l’essentiel des 364  de baisse est attribuable au coût des subventions titres-services ;
– ce n’est pas l’augmentation de la proportion de salariés à temps partiel qui explique cette baisse ; en effet, cette augmentation est contrebalancée par l’augmentation du temps de travail moyen presté par ces travailleurs.

Évolution des recettes fiscales

Un argument « standard » en matière d’aides à l’emploi est de dire qu’on ne peut regarder uniquement l’évolution des cotisations sociales, mais qu’il faut également tenir compte des allocations de chômage économisées et des recettes en matière d’impôt sur le revenu. La mesure des économies en allocations de chômage liées aux effets nets sur la création d’emplois des aides à l’emploi dépasse le cadre de cette note. Pour ce qui est des recettes fiscales liées au travail, le graphique suivant montre que l’évolution des recettes du précompte professionnel ne compense pas celle des cotisations sociales patronales nettes. Si l’on considère à nouveau la période depuis 2002, on constate que tant les cotisations sociales patronales nettes que les recettes du précompte professionnel sont en retrait relativement au PIB.
Ceci amène trois remarques. Primo, même si les recettes du précompte ne dépendent pas des seuls salaires (d’autres revenus — pensions, les indemnités d’assurance-maladie... — sont précomptés), tout indique que l’évolution globale des recettes du précompte professionnel donne une bonne idée de l’évolution des recettes liées aux salaires et traitements, mais à un niveau absolu et relatif inférieur. Secundo, il n’est évidemment pas exclu que les mesures d’aides à l’emploi aient eu — pour autant que ces mesures aient créé des emplois supplémentaires — un effet positif net sur les recettes du précompte professionnel ; mais quand bien même serait-ce le cas, cet effet a été insuffisant pour compenser les pertes de cotisations sociales nettes. Tertio, il faut rappeler qu’à côté des aides à l’emploi versées par la sécurité sociale, il y a aussi des aides fiscales ; celles-ci sont estimées à 2,2 milliards en 2010.

Sécu publique ou privée ?

La principale justification des aides à l’emploi est de favoriser la création ou le maintien d’emplois par la baisse du coût salarial. Mais de plus en plus d’employeurs, particulièrement dans le secteur privé, financent des systèmes de protection sociale privés. À titre d’illustration, les employeurs ont, en 2008, cotisé pour 5,9 milliards à des assurances privées, dont 3,8 milliards pour des pensions dites du second pilier et 2,1 milliards pour d’autres protections (assurances hospitalisation, etc.). De 1995 à 2008, on constate une très légère baisse relative des cotisations sociales patronales à destination de la sécurité sociale et une hausse d’environ 1 % de la part des cotisations sociales patronales finançant des systèmes de protection privés. On peut donc, alors que beaucoup d’employeurs se plaignent de la hauteur du coût salarial, évoquer une préférence implicite de leur part pour une sécurité sociale privée plutôt que générale et solidaire. Si la part des cotisations patronales allant à des systèmes de protection sociale privée était restée celle observée en 1995, les ressources disponibles pour financer la sécurité sociale collective et obligatoire auraient donc augmenté sans augmentation du coût salarial.
Une autre lecture possible consiste à comparer l’augmentation par rapport à 1995 des aides à l’emploi et des cotisations patronales à des systèmes de protection sociale privée. Et l’on constate qu’en 2008, les employeurs ont versé, par rapport à 1995, environ 2 400 millions en plus de cotisations « privées », ce qui représente quasiment la moitié des aides supplémentaires reçues par rapport à 1995.
Certes, il est difficile, vu la diversité des situations, d’établir un lien systématique entre l’évolution des aides à l’emploi et des contributions patronales à des systèmes de protection sociale privée. Il n’est pas impossible que certaines catégories d’entreprises (plutôt les grandes) aient activé plus que d’autres des transferts de moyens financiers de la sécurité sociale collective vers une protection sociale privée, jouant sur le principe des vases communicants.
On peut à tout le moins s’interroger sur l’intérêt de financer des systèmes de protection sociale privée — dont on sait qu’ils sont moins équitables, parce que répartis de manière inégale entre secteurs et entre catégories de travailleurs — par des subsides publics supposés avant tout soutenir l’emploi…
(*) Cet article est une synthèse de la note du 15 juin 2010 de l’Institut pour un développement durable (IDD), « Financement de la sécurité sociale : quelques observations et réflexions ». Voir : http://users.skynet.be/idd/

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