Institué en 2004, le système de « contrôle du comportement actif de recherche » des chômeurs entre petit à petit dans sa vitesse de croisière. Il est dès lors possible de commencer à tirer quelques conclusions de l’expérience acquise. Cet article reste général, et ne s’étend pas sur les éventuelles corrections juridiques à apporter aux textes en vigueur, sauf lorsqu’elles touchent à l’essence du système. Il ne rappelle d’ailleurs qu’à très grands traits la description même du système, que le lecteur intéressé pourra trouver facilement dans d’autres publications 1.



La notion de chômage involontaire a été, de tout temps et dans tous les pays, à la fois la pierre angulaire et la pierre d’achoppement des régimes d’indemnisation du chômage. La pierre angulaire, car il est difficilement envisageable, selon tous les principes admis de la justice distributive – voire selon la simple logique –, de payer une allocation de remplacement de revenu à quelqu’un qui est en mesure d’acquérir des revenus propres, pour peu qu’il s’en donne les moyens. La pierre d’achoppement, car, malgré l’apparente évidence du principe, sa concrétisation juridique est extrêmement difficile : comment définir cette « obligation de moyens » de chercher à acquérir des revenus propres, alors que tous les chômeurs, précisément, ne disposent pas des mêmes moyens ? Selon quels moyens de preuve le respect de cette obligation s’établit-il ? Quelle est la juste sanction du « chômage volontaire » ? On peut ajouter que la notion de chômage involontaire participe à la fois d’une logique individuelle de justice distributive et d’une logique statistique de gestion du marché de l’emploi. Alors que ces deux logiques sont fondamentalement différentes, elles sont en pratique fortement imbriquées. La notion individuelle de chômage involontaire est en principe indépendante de la conjoncture du marché de l’emploi. Il s’agit de vérifier que le travailleur concerné est bien victime des circonstances économiques, et non de sa propre inertie. Si les circonstances économiques sont défavorables, le système devrait logiquement admettre qu’il ne sert à rien de chercher un emploi qui n’existe pas, sauf à vérifier si tel travailleur ne pourrait tout de même pas valoriser ses qualifications, malgré le contexte général déprimé. Mais, dans la pratique, comme l’ont démontré toutes les études empiriques, la majorité des chômeurs sont bel et bien désireux de retrouver du travail, et le font dès qu’ils en ont l’opportunité.

Sanctions

 Lorsque le plein-emploi se réalise, le nombre de chômeurs baisse, et les gestionnaires du système sont généralement prêts, après avoir éliminé quelques abus manifestes, à considérer avec un certain « benevolent neglect » les quelques « cas sociaux » qui subsistent dans les statistiques. C’est au contraire en période de forte croissance du chômage que le premier réflexe est d’activer les sanctions du chômage volontaire, pour juguler l’augmentation des dépenses sans devoir revoir les règles d’indemnisation. Tel fut le cas, de façon caractéristique, en Belgique : c’est dans la deuxième partie de la décennie 1970 – correspondant à la forte montée du chômage consécutive au choc pétrolier – que les sanctions du chômage volontaire furent les plus activement utilisées, avant que les responsables politiques prennent conscience de la nature de la crise, et que le système s’oriente vers une logique d’assistance aux plus démunis, sans trop questionner le caractère involontaire du chômage (et sans offrir aux intéressés de perspectives très concrètes de reclassement).  Tous les pays ont répondu à leur manière à ce dilemme. La réponse la plus répandue, et finalement la plus simple, est de limiter l’assurance chômage à un crédit limité dans le temps. Le chômeur est incité à retrouver du travail avant l’épuisement de son crédit, car, arrivé en « fin de droits » dans l’assurance, il se retrouve sans aucune protection, ou retombe sur un régime d’assistance encore moins favorable. On ne saurait cependant dire que c’est la réponse la plus juste, car elle transforme l’obligation de moyens, modulée selon la situation personnelle du chômeur, en obligation de résultat, généralement linéaire. De plus, elle renvoie simplement aux régimes d’assistance la question de fond que l’assurance n’a pas voulu affronter.

Système belge

La Belgique a abordé la question d’une autre manière mais, pas plus que les autres pays, n’a réussi jusqu’à présent à trouver un système parfaitement cohérent. Au départ, le système repose sur la présomption que le chômage est involontaire. Cette présomption peut être renversée sur la base d’actes ou de comportements, à prouver par l’ONEm : - le travailleur est responsable de sa mise en chômage (il a abandonné son emploi ou a été licencié pour faute) ; - le travailleur refuse un emploi convenable ; par la suite, toutes sortes de dispositifs, de plus en plus éloignés de la notion d’« emploi », et avec des critères de plus en plus vagues de « convénience », ont été assimilés à un emploi convenable : la formation professionnelle, le plan d’accompagnement, etc. ; - le chômeur se rend « indisponible pour le marché de l’emploi » ; on reviendra plus loin sur cette notion.  Dans ces différents cas de figure, le chômeur peut subir une « sanction » sous forme de privation, généralement temporaire, de ses allocations de chômage. Mais assez vite après la mise en place du système, fut instaurée une « sanction » supplémentaire, sous la forme d’une exclusion des chômeurs « dont le chômage se prolonge anormalement ». On peut dire que la base de ce système est un renversement de la présomption concédée au départ : si le chômage se prolonge un certain temps, il faut vérifier s’il reste encore involontaire. Dans ce cadre, la charge de la preuve est, pour l’essentiel, reportée sur le chômeur lui-même. La réglementation prévoyait que l’on tiendrait compte de trois critères : - les efforts du chômeur lui-même pour sortir du chômage : ses recherches d’emploi, son attitude face aux offres qui lui ont été faites par le service de placement, les formations accomplies, etc. ; - les problèmes de santé ;  - la situation sociale et familiale.  De façon constante, le système a manifesté une certaine compassion pour les « cas sociaux », « qui ont besoin d’une allocation pour vivre ». La sanction du « chômage anormalement long » a frappé avant tout des chômeurs faisant partie de ménages à plusieurs revenus, principalement des femmes dont le mari travaillait normalement ou des jeunes vivant chez leurs parents. Mais, globalement, c’était avant tout le premier critère – les efforts personnels du chômeur – qui guidait l’appréciation.  Ce système a toujours suscité de vives critiques, que l’on ne peut que partager sur le plan logique. La réglementation n’imposait pas aux chômeurs l’obligation positive de chercher un emploi ; à tout le moins, cette obligation n’était rappelée – et vérifiée – qu’après une période assez longue de chômage, à un moment où le chômeur s’était souvent découragé ou installé dans le chômage. Certains chômeurs étaient même pénalisés par la difficulté de prouver ces efforts, lorsque ceux-ci ne sont pas objectivés par des traces écrites ou par un résultat positif. Par ailleurs, pendant longtemps, il a régné un arbitraire certain dans le choix des dossiers examinés dans ce cadre, illustré notamment par d’énormes différences entre bureaux régionaux de l’ONEm.

Changement de nature

Dans les années 1980, le système a été profondément modifié. Dans une première étape, on a voulu l’objectiver, en posant en principe que les chômeurs atteignant la durée fixée seraient systématiquement convoqués. La durée de chômage ainsi fixée était sensiblement plus longue que celle prévue par la réglementation antérieure, et même que la pratique courante de l’ONEm. La proportion de chômeurs qui, après une telle durée, étaient encore en mesure de justifier du caractère involontaire de leur chômage, fut encore rétrécie. Dans une deuxième étape, le système changea tout simplement de nature. De moyen de contrôle du chômage involontaire, il se transforma en régime de « fins de droits » pour les chômeurs de moins de 50 ans qui n’avaient pas besoin de leur allocation pour vivre. Il garda un lien ténu avec la notion de chômage involontaire, en permettant aux chômeurs d’échapper à l’exclusion s’ils démontraient que la prolongation de leur chômage s’expliquait par leur état de santé, ou qu’ils avaient fait des « efforts exceptionnels et continus » pour trouver du travail.  En 2004, fut introduit progressivement le système aujourd’hui en vigueur, appelé à remplacer la suspension pour chômage de longue durée. La réglementation impose désormais au chômeur l’obligation d’avoir « un comportement actif de recherche ». En soi, cette obligation se distingue peu du critère selon lequel on appréciait, avant les modifications des années 1980, le caractère « anormalement long » du chômage.  Mais le système comporte tout de même deux différences essentielles. Premièrement, cette obligation est rappelée dès l’entrée dans le chômage, et contrôlée après une période beaucoup plus courte que dans le cadre du « chômage anormalement long ». Deuxièmement, si l’évaluation s’avère négative pour le chômeur, elle ne se traduit pas immédiatement par une « sanction » : le chômeur se voit imposer un « contrat », qui décrit ses obligations précises pour les mois à venir ; la sanction éventuelle se rapporte au respect de ce « contrat ».

« Non employables »

Réglementairement, le nouveau système se rattache à la notion de « disponibilité pour le marché de l’emploi ». Au moins jusqu’au milieu des années 1980 – autrement dit durant la période où cette obligation était systématiquement contrôlée par l’ONEm –, la définition juridique de la disponibilité pour le marché de l’emploi correspondait à celle du néologisme franglais « employabilité », le plus souvent utilisé aujourd’hui : il s’agit de la volonté, mais aussi de la capacité d’accepter tout emploi convenable. Pour la grande majorité des chômeurs, l’emploi convenable s’entend d’un emploi à temps plein2. Certes, en imposant au chômeur de « chercher » un emploi, la nouvelle réglementation semble opérer un glissement sémantique par rapport à une obligation d’« accepter » tout emploi. Le ministre à l’origine de la réforme, M. Frank Vandenbroucke (SPa), a lui-même parlé d’une évolution d’une « disponibilité passive » vers une « disponibilité active ». Mais il ne faut pas exagérer l’importance pratique de ce glissement. Selon les critères admis par la jurisprudence de l’époque, l’indisponibilité pour le marché de l’emploi peut se révéler à l’occasion d’une offre concrète d’emploi, lorsqu’il apparaît que le refus ne porte pas uniquement sur cette offre déterminée, mais procède de réserves plus générales à la remise au travail. Mais de telles réserves peuvent également se déduire de déclarations ou d’attitudes en dehors d’une offre concrète. Si l’on considère l’attitude psychologique ou les situations sociales visées par la notion traditionnelle d’indisponibilité pour le marché de l’emploi, celle-ci se distingue peu de la situation du chômeur qui ne recherche pas d’emploi.  Bref, le système repose sur le principe général que, pour bénéficier d’allocations de chômage, le travailleur doit être désireux et capable de travailler à temps plein ; c’est en fonction de cette prémisse qu’on attend de lui qu’il recherche activement un tel emploi.

Invalidité cachée

Couvrant les chômeurs de longue durée et des jeunes n’ayant jamais fait la preuve concrète de leur capacité à l’emploi, l’assurance chômage belge se confronte nécessairement à des publics voués dans d’autres pays aux régimes d’aide sociale, et qui ne correspondent pas nécessairement à cette définition. C’est d’autant plus vrai que la sécurité sociale belge ne reconnaît comme invalides, bénéficiaires d’indemnités d’assurance maladie, que les travailleurs atteints d’une incapacité importante (plus de 66 %). Dans l’évaluation de cette incapacité, il est fait abstraction de la situation concrète du marché de l’emploi : on ne tient compte ni des aléas de la conjoncture, ni des discriminations qui peuvent frapper des travailleurs âgés ou handicapés. Dans beaucoup de pays, on est amené, pour avoir une vue exacte du sous-emploi, à intégrer pour partie les statistiques de l’invalidité dans les statistiques du chômage ; les Pays-Bas sont l’exemple typique de cette situation. En Belgique, la situation est presque inversée : le chômage recèle une importante invalidité cachée. La réglementation reconnaît cette réalité en ménageant diverses exceptions aux règles ordinaires (notamment la procédure de suivi du « comportement de recherche actif ») au profit des chômeurs atteint d’une incapacité de plus de 33 %.  Mais la réglementation ne reconnaît pas comme règle générale que la disponibilité pour le marché de l’emploi peut être modulée, voire mise entre parenthèses, provisoirement ou définitivement, « pour des raisons de santé ou d’équité » 3, notamment des raisons familiales ou sociales, ou d’autres raisons médicales qu’une incapacité permanente de plus de 33 %. Elle n’admet pas que la solution des problèmes sociaux de divers ordres qui peuvent compromettre la disponibilité du chômeur, fasse partie d’un « projet d’insertion ». Les services de l’emploi ne sont pas équipés pour offrir l’accompagnement en la matière, ni même pour renvoyer utilement les chômeurs vers les services susceptibles de procurer cet accompagnement. Certaines dispositions éparses ont été prises dans ce sens, mais on ne saurait soutenir qu’elles suffisent à fonder un principe général.  Or, contrairement à l’ancienne suspension pour chômage de longue durée, qui ménageait les chômeurs qui ont besoin de leur allocation pour vivre, les mesures actuelles de contrôle du chômage involontaire frappent majoritairement ce que les acteurs de terrain appellent eux-mêmes des « cas sociaux » : des personnes qui, pour diverses raisons, ne sont pas en mesure de présenter à l’ONEm un projet d’insertion crédible, et subissent passivement un « contrat » parfois mal adapté à leur situation, et qu’ils n’ont pas la volonté ou la capacité de respecter.  Si cette orientation se maintient, on se dirige donc vers un recentrage de la sécurité sociale sur les travailleurs répondant à la notion classique de disponibilité pour le marché de l’emploi, laissant les autres à l’assistance. Une telle évolution ne serait pas sans conséquences politiques et budgétaires. La sécurité sociale est financée à près de 70 % par les cotisations des travailleurs et des employeurs. Le RIS – revenu d’intégration sociale – est financé en partie par le budget de l’État fédéral, et en partie par le CPAS lui-même (donc par la commune), lequel peut prétendre à une compensation dans le cadre du fonds des communes, autrement dit de la Région.  En attendant, la réglementation permet de bénéficier d’allocations de chômage sans être disponible pour le marché de l’emploi, lorsqu’on peut invoquer des « difficultés familiales ou sociales ». Ce système a été introduit dans la réglementation dans les années 1980, comme succédané de l’interruption de carrière des travailleurs. Contrairement à l’interruption de carrière, ce système n’est accordé qu’après reconnaissance par l’ONEm des motifs de la dispense. Mais en pratique, la simple présence d’enfants dans le ménage est reconnue comme « difficulté » justifiant l’octroi de la dispense, et constitue d’ailleurs, de loin, le motif principal – tout comme il constitue en pratique le principal motif d’interruption de carrière. Le système est propagé, sur les conseils de l’ONEm lui-même, comme moyen d’éviter le nouveau système de contrôle de l’activation, comme il était naguère utilisé surtout pour échapper à la suspension de l’article 80. Mais le chômeur qui bénéficie de cette dispense ne touche plus qu’une allocation réduite, dont le montant s’apparente à celui d’une allocation d’interruption de carrière. Comme l’interruption de carrière elle-même, ce système n’est donc concrètement accessible qu’à des chômeurs qui font partie d’un ménage à plusieurs revenus, ou qui disposent de revenus, par exemple mobiliers ou immobiliers, en dehors de leur allocation de chômage. Il s’agit d’une discrimination manifeste, qui devra être résolue dans le cadre d’une évaluation du système.

Droit et accompagnement L’autre question de fond posée par le système est son articulation avec les offres d’emploi, de formation ou d’accompagnement proposées par les services régionaux de l’emploi. En soi, la nécessité d’un tel lien ne fait pas l’objet de discussions. L’expérience commune ne confirme pas la perception selon laquelle tous les chômeurs acceptent avec enthousiasme les propositions qui leur sont faites, pour peu qu’elles soient convenables. La légitimité de principe de « sanctions » pour le chômeur qui refuse les offres d’insertion qui lui sont faites ne fait guère l’objet de débat. À l’inverse, il serait inéquitable de faire reposer sur un chômeur « abandonné » par les services d’accompagnement toute la responsabilité de sa réinsertion.  Mais, comme pour la notion de chômage involontaire en tant que telle, la concrétisation de ce principe est loin d’être simple. Au départ, les services de placement et de formation professionnelle étaient intégrés à l’ONEm. On a déjà relevé que les sanctions du chômage volontaire ont été utilisées intensivement dans la deuxième partie de la décennie 1970. Les services de placement ont été mobilisés pour dépister les refus d’emploi et les situations d’indisponibilité pour le marché de l’emploi. On n’a pas tardé à se rendre compte que cette confusion de rôles compromettait l’efficacité de ces services vis-à-vis des demandeurs d’emploi, mais aussi vis-à-vis des employeurs. Dressés à cacher à leur agent de placement tout problème pouvant être interprété comme « réserve rendant indisponible pour le marché de l’emploi », les chômeurs finissaient par donner d’eux un profil tronqué, qui compromettait l’efficacité du service de placement. Les services de placement en venaient à transmettre aux employeurs qui offraient des emplois une liste de chômeurs à tester sur leur disponibilité, et non une liste de candidats réellement intéressés par le poste. C’est cette réalité fonctionnelle qui a incité à séparer, au sein de l’ONEm, les services subrégionaux de l’emploi et les bureaux régionaux du chômage. La régionalisation de certains aspects de la politique de l’emploi a consacré cette scission, les anciens services subrégionaux de l’emploi étant à la base des nouveaux organismes régionaux de l’emploi et de la formation (Forem, Orbem et VDAB).

Compromis bancal Depuis lors, on s’est beaucoup focalisé sur cette scission comme source des problèmes fondamentaux du contrôle de la volonté de travail des chômeurs. Tout en scindant les services, puis les organismes, on n’a pas mis en cause les dispositions en fonction desquelles les sanctions du chômage volontaire étaient basées sur le refus des propositions des services de placement, et donc sur la dénonciation, par ces services, des « abus » qu’ils constatent. Des protocoles de collaboration ont été mis en place, qui obligent les services régionaux à inscrire les demandeurs d’emploi tenus de l’être par la réglementation du chômage, et à communiquer les radiations, ainsi que les divers manquements constatés.  Il faut bien dire que ce régime a tout du compromis bancal. Du point de vue des organismes régionaux, il oblige de définir leur action en tenant compte des exigences de l’assurance chômage, ce qui n’est pas nécessairement le plus opportun du point de vue de leur mission première. Du point de vue des demandeurs d’emploi, la relation de confiance nécessaire dans une relation d’accompagnement ou de formation n’est possible que « jusqu’à un certain point » ; ce « point » n’est par ailleurs pas juridiquement défini, ce qui est source d’une importante insécurité juridique.  Quant à l’ONEm, le système ne lui offre pas la garantie d’un contrôle systématique et uniforme. Les organismes régionaux s’engagent à dénoncer les abus, mais non à orienter leur action vers un contrôle au profit de l’ONEm. Celui-ci, relayé par ses ministres de tutelle successifs, n’a eu de cesse de se plaindre des « distorsions » que cela entraînait entre les organismes régionaux. À la pression politique exercée sur eux, les organismes régionaux et leurs propres autorités de tutelle ont rarement osé répliquer en imposant leur propre logique, et en invitant le législateur fédéral à redéfinir ses propres procédures. Au cours des derniers mois, on a même assisté à une forme de surenchère dans le zèle à appliquer les protocoles, le nombre de dénonciations à l’ONEm devenant apparemment, pour les organismes régionaux, le principal critère de « bon fonctionnement » ! Le contrôle du « comportement actif de recherche » est la réponse actuelle à cette problématique. Mais on ne saurait dire que cette réponse est entièrement satisfaisante. Pour mettre le chômeur à l’abri de cette procédure, les organismes régionaux ont développé une offre spécifique d’accompagnement dirigée vers les catégories concernées. On peut déjà s’interroger, en termes de priorités, sur l’opportunité de cette réorientation de moyens qui ne sont pas illimités. Mais plus fondamentalement, cette évolution tend à déplacer vers la relation entre le demandeur d’emploi et le service d’accompagnement le contentieux qui peut exister entre le demandeur d’emploi et l’ONEm.

Repenser le système Il y aurait sans doute moyen de repenser fondamentalement les relations entre le chômeur, l’ONEm et les divers services d’accompagnement. La convention entre l’ONEm et le chômeur pourrait décrire en détail un « parcours d’insertion » réellement adapté à sa situation personnelle, qui ne serait pas nécessairement limité à un « comportement actif de recherche ». Ce parcours d’insertion pourrait comprendre des prestations des services régionaux de l’emploi ou d’institutions travaillant en partenariat avec eux dans le domaine de l’emploi et de la formation, mais aussi, lorsque c’est nécessaire, des prestations d’accompagnement social ou médical.  Dans ce contexte, les services régionaux de l’emploi pourraient se centrer sur leur mission première, en fonction des priorités qui s’imposent à eux. Tout en restant les partenaires privilégiés de la majorité des chômeurs, ils perdraient la forme de monopole théorique dont ils disposent actuellement, notamment au profit de services pouvant offrir un accompagnement social plus général ou des prestations relevant de la notion médicale de revalidation.  On peut en tout cas douter que l’idée de rassembler en un seul organisme – en l’occurrence un « ONEm régionalisé » – l’accompagnement et l’octroi des allocations, permette de réellement sortir des dilemmes actuels. L’ONEm lui-même voit dans la procédure instaurée en 2004 une mesure de contrôle, mais aussi de « soutien ». De fait, il semblerait que les « facilitateurs » chargés de mener les entretiens qui sont à la base de la procédure, accueillent assez favorablement les projets d’insertion proposés par les chômeurs eux-mêmes, du moment qu’ils présentent une cohérence suffisante. Mais si le chômeur ne manifeste pas la capacité de formuler un tel projet, on hésiterait à soutenir que l’ONEm est réellement en capacité d’orienter dans les dispositifs qui peuvent concrètement l’aider. Lorsqu’ils ne renvoient pas purement et simplement le chômeur vers les services régionaux, les « contrats » proposés semblent en effet parfois assez stéréotypés.

Accompagnement L’accompagnement peut recouvrir une grande variété de dispositifs, répondant à une grande variété de situations dans la population en chômage. On peut admettre que même une procédure comme celle appliquée par l’ONEm représente une forme d’accompagnement ou de soutien, qui peut suffire pour certains chômeurs. Mais elle ne suffit certainement pas pour l’ensemble des chômeurs.  Malgré des augmentations au cours des dernières années, les budgets de l’accompagnement en Belgique sont loin d’atteindre le niveau des pays nordiques, souvent présentés comme modèles en la matière. En réalité, si l’on prend réellement au sérieux la notion d’accompagnement, il y faudrait sans doute un réinvestissement massif qui dépasse les possibilités financières actuelles des régions, et donc une révision de leurs mécanismes de financement. Ce serait sans doute un sujet sur lequel les consensus devraient être les plus faciles à trouver.  Le manque le plus évident, révélé par la procédure mise en place en 2004, ne concerne pas nécessairement l’accompagnement vers l’emploi proprement dit, mais un accompagnement social permettant de lever les obstacles à l’emploi. Quelle instance est la mieux à même de définir avec le chômeur le projet qui, à la fois, le soutiendra dans son insertion et concrétisera pour lui la notion de chômage involontaire ? Deux orientations peuvent être envisagées.  Soit, cette définition relève des organismes régionaux. Le rôle de l’ONEm est alors d’exercer une forme de contrôle marginal sur la recevabilité du projet défini pour chaque chômeur, en fonction de ce que l’on peut normalement attendre de sa part. Les éventuelles sanctions sont basées sur les dénonciations des organismes régionaux. Cette orientation n’évite pas tout à fait la suspicion d’application différenciée de la réglementation, selon la région. Elle confirme l’ambiguïté du rôle des organismes régionaux, et est source de contentieux entre ces organismes et le demandeur d’emploi, qui s’ajoute au contentieux avec l’ONEm.  Soit, ce rôle est dévolu à l’ONEm. Le rôle des organismes régionaux est alors de fournir un accompagnement, selon leur « métier » de base, à ceux pour lesquels le projet prévoit une telle intervention. Mais, le cas échéant, le projet pourra prévoir aussi d’autres interventions, fournies par d’autres prestataires.

Conclusion  Le système de contrôle du « comportement actif de recherche » est une réponse à un problème réel, sur lequel l’assurance chômage belge butait depuis de nombreuses années. Avant d’en dénoncer les limites, il faut pouvoir reconnaître que cette solution paraît tout de même préférable à celles qui prévalent dans d’autres pays (la limitation des droits dans le temps) ou qui ont existé dans le passé (la notion de « chômage anormalement long », le contrôle de la notion classique de disponibilité pour le marché de l’emploi, l’article 80). On soutient dans cet article qu’elle est préférable aussi à un système, évoqué récemment par un institut universitaire, basé entièrement sur des offres concrètes faites au chômeur par les services de placement4.  Certaines adaptations de détail devront sans doute être apportées à la procédure. Par exemple, l’ONEm ne s’est apparemment pas révélé capable, lors du « premier entretien », de proposer à tous les chômeurs des « contrats » réellement adaptés à leur situation. Il est sans doute nécessaire de prévoir un accompagnement en vue de préparer ce premier entretien, de façon à ce que le chômeur puisse se poser en réel partenaire de sa réinsertion, au lieu d’attendre passivement le « contrat » conçu par l’ONEm. Pour le reste, la procédure pose deux questions de fond, qui seront certainement à l’agenda des discussions futures :  1. que fait-on des chômeurs qui ne sont pas disponibles pour le marché de l’emploi « pour des raisons de santé ou d’équité », notamment des raisons familiales et sociales ? On a soutenu dans cet article que ces personnes avaient encore leur place dans la sécurité sociale. Les en éliminer se bornerait à déplacer vers les CPAS des problèmes que l’on n’a pas pu gérer dans la sécurité sociale ;  2. quel est le lien entre le contrôle du chômage involontaire et les aides à l’insertion ? Spécialement lorsque le chômeur a besoin d’autres aides que celles qui font classiquement partie de l’offre des services régionaux de l’emploi, quelle est l’instance la mieux habilitée à définir ses droits et ses obligations ? On a soutenu dans cet article que cette instance était l’ONEm, sans qu’il soit nécessaire, ni même souhaitable, de rassembler les deux fonctions en une seule instance.




1 Pour une description juridique ainsi que les chiffres disponibles, on peut consulter, tout simplement, le rapport 2006 de l’ONEm, téléchargeable à partir de son site onem.fgov.be. Voir aussi : Paul Palsterman, Le « contrôle des chômeur », commentaire de l’arrêté royal du 4 juillet 2004 portant modification de la réglementation du chômage à l’égard des chômeurs complets qui doivent rechercher activement un emploi, Chroniques de droit social 2004, p. 489 e .v. ; P. Palsterman, La notion de chômage involontaire (1945-2003), CH CRISP 2003, n° 1806.

2 Être disposé à travailler, sauf raisons de santé et d’équité, est la définition correspondante à celle du chômage involontaire, figurant dans la législation sur le revenu d’intégration.

3 Par exemple les affections chroniques entraînant des absences fréquentes, mais non une incapacité définitive selon les évaluations habituelles. 

4 Cf. Bruno Vanderlinden, Politique d’emploi, quelques enjeux fédéraux majeurs, Regards économiques, n° 50, avril 2007, UCL (uclouvain.be/regardseconomiques).

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