Beaucoup de choses auront bougé en Wallonie en matière d’insertion socioprofessionnelle durant la législature qui s’achève. (Très !) bref panorama, et éléments d’appréciations.
Remontons quelques années plus tôt, à la période 1995-1999. L’Union européenne théorise un concept de « parcours d’insertion ». Deux principes simples peuvent le résumer :
– réussir une insertion professionnelle, c’est souvent le résultat d’une succession (ou d’une simultanéité) d’initiatives, d’activités. Il y a « parcours » à identifier ;
– les initiatives sont extrêmement nombreuses, dans les domaines de l’aide sociale, la formation professionnelle, l’éducation permanente. Toutes ces initiatives peuvent être lues comme ayant un objectif ou une fonction à remplir dans l’accompagnement des personnes qui se sont mises en « parcours ». Il y a une cohérence à organiser, pour éviter les zigzags, les impasses, au profit de l’efficacité.
En quelque sorte, mettre en place une politique de « parcours d’insertion » nécessite comme moyen prioritaire l’organisation des partenariats entre opérateurs, et le dialogue avec les personnes en insertion. C’est pourquoi la montée en puissance de ces politiques s’est accompagnée de la mise en place de structures institutionnelles de coordination dans les sous-régions, ainsi que d’expériences (généralement timides) de « participation » des stagiaires (à la définition des politiques les concernant).
Toutes ces choses, globalement exactes, constituaient certes une découverte, mais bien plus pour le ministre de l’époque (1) que pour la plupart des acteurs de terrain, qui n’avaient pas attendu d’injonction gouvernementale pour organiser entre eux les partenariats utiles. Même la création d’instances sous-régionales de coordination faisait largement double emploi avec d’autres créées quelques années auparavant, avec grosso modo les mêmes interlocuteurs (2). Il en est vite résulté des tensions entre un ministre et des acteurs, qui se voyaient intimer l’ordre de faire ce que de toute façon ils faisaient déjà, sous peine de perte de subsides ! Les temps étaient à un barnum, durant lequel chaque opérateur devait signer une pièce de puzzle, puis aller la coller à côté d’autres sur un grand mur : la démarche était supposée marquer l’adhésion à une charte du parcours d’insertion. Détail cocasse : les pièces ont aussitôt été égarées. C’est-à-dire que plus personne ne sait exactement qui a adhéré, ce qui oblige les formulaires de l’administration à comporter la question : « Avez-vous signé la charte du parcours d’insertion ? Oui - Non ». Il va de soi que seuls les inconscients cochent « Non ».
Il y avait cependant des difficultés plus sérieuses. Pointons les trois principales :
– le parcours d’insertion a été décomposé en quatre étapes : socialisation et restructuration ; mise à niveau – préqualification – orientation ; formation qualifiante ; transition à l’emploi. Comprendre ce qu’est la vraie vie ne semble pas à la portée de chacun : beaucoup ont considéré que ces étapes constituaient désormais une obligation linéaire à remplir par chaque demandeur ;
– l’objectif est l’emploi, donc on indique à chaque opérateur qu’il sera évalué sur sa capacité à mettre des chômeurs à l’emploi. Sauf que certains opérateurs, c’est le cas des associations, se retrouvent interdites de « formation qualifiante » : bonjour la double contrainte schizophrénique ;
– au nom de l’efficacité, il faut suivre chaque demandeur d’emploi, établir sa « traçabilité ». Les associations ont beaucoup tempêté sur ce thème, qui évoquait la mise en place d’un effroyable « big brother », au terme duquel, le chômeur ne dispose plus d’aucune marge de liberté. La crise de la vache folle a contribué à mettre l’idée au moins en sourdine : la comparaison était brusquement devenue pénible avec la situation des bovins, pour lesquels la traçabilité désigne un suivi de la naissance jusqu’au stade du steak dans l’assiette du consommateur.
Dispositif intégré
Nous voici à l’époque la plus récente, 1999-2003, avec une nouvelle ministre (3). Sort du chapeau la notion de « dispositif intégré d’insertion socioprofessionnelle ». Il s’agit d’un décret-cadre pour tout le système. En fait, une belle série d’initiatives de la période précédente avait été lancée sans base légale : sous l’argument d’une « régularisation », il a y réorientation. En effet, tant la notion de « parcours » organisait les coopérations entre opérateurs mais renvoyait largement la responsabilité de cohérence de l’itinéraire au travailleur sans emploi, tant celle de « dispositif » renvoie la responsabilité de cohérence aux opérateurs. Il n’y a pas que synonyme ou subtilité langagière. Ce sont deux versions différentes de « l’État social actif » qui se confrontent, même si on ne le dit jamais comme cela.
Avant même le vote du décret « dispositif » est mise en œuvre une très grande avancée, insuffisamment soulignée, l’harmonisation du statut des stagiaires en formation, quel que soit le lieu où celle-ci est suivie : indemnité horaire, frais de déplacements, et – nouveauté – intervention dans les frais de garderie. Dès le moment où le stagiaire se retrouve dans un organisme agréé par la Région, son statut est identique à celui de son collègue en formation professionnelle dans le service public du Forem.
À peu près tout ce que la ministre a sous la main, elle le réforme : ont ainsi été mis en piste de nouveaux décrets pour les initiatives associatives de type « entreprises de formation par le travail » (EFT) et « organisme d’insertion socioprofessionnelle » (OISP), ainsi que pour les « missions régionales pour l’emploi » et l’organisation des formations des Classes moyennes.
La réforme la plus conséquente a cependant été celle du Forem. Comme membre de l’Organisation internationale du travail (OIT) d’une part, de l’Union européenne d’autre part, la Belgique est tenue de respecter les normes qui en émanent. De ce point de vue, d’une part l’OIT a passé en 1997 une convention qui casse le monopole public en matière de placement, d’autre part le droit européen impose le respect de règles de concurrence : le « T-intérim », intégré dans et donc subventionné par le pouvoir public était de plus en plus dans le collimateur du secteur privé (4). La réponse à ces problèmes s’est organisée en deux mouvements conjoints :
– le « T-intérim » a été sorti du Forem. Une nouvelle société anonyme de travail intérimaire a été créée, sous le nom de « Traces ». Même si l’actionnariat est destiné à s’ouvrir au privé, le secteur public y restera très majoritaire (5) ;
– le pouvoir public ne doit pas s’interdire toute capacité de régulation au nom de la libre concurrence : un nouveau décret a été voté sur les conditions d’agrément des agences de placement.
L’évaluation du parcours d’insertion a incité une autre réforme du Forem : en effet, il était réputé être le grand organisateur du parcours. Mais en même temps qu’on lui donnait cette « fonction arbitrale », il était aussi partie prenante comme acteur de la formation ! Pour sortir de cette contradiction, le Forem a été splité en entités différentes :
– Forem-Formation ne fait plus qu’organiser de la formation qualifiante (6). Les partenariats ne sont plus de sa responsabilité ; la balle est renvoyée à…
– Forem-Conseil, défini comme « régisseur-ensemblier ». La notion même de « conseil » comporte un message aux particuliers ainsi qu’aux entreprises : la mission est moins l’imposition d’une série d’obligations que l’accompagnement des uns et des autres pour permettre à des projets de se formuler et d’aboutir. C’est à ce titre qu’il est l’interlocuteur public pour les partenariats. Le fait qu’il y ait eu option pour le terme de « partenariat » est positif en soi, puisque le mot véhicule une connotation « il existe un espace pour la négociation des parties entre elles ». En l’occurrence, on n’est ni dans le registre de la pure sous-traitance, ni dans celui de la relation client-fournisseur.
Outils de coopération
Outre le cadre général et l’action sur la définition des missions de chaque opérateur et des conditions à les remplir, la législature a aussi avancé sur les outils de coopération entre les uns et les autres.
– Les services d’information et de contacts avec les demandeurs d’emploi sont déconcentrés, dans un système de « poupées russes », organisées en partenariats : une centaine de « Maisons de l’Emploi » sont réputées être créées au niveau local d’ici 2005 ; 10 « carrefours emploi formation » sont organisés dans les villes de moyenne importance (7) ; 4 « cités des métiers », spécialisées plus précisément dans les métiers de haut niveau en partenariat avec les universités, sont prévues à Charleroi, Liège, Namur et Mons.
– La validation des compétences est apparue comme un compromis honorable entre la simple attestation délivrée à la carte par les différents opérateurs et l’impossibilité absolue de discuter d’équivalence des diplômes avec l’enseignement qui campe fermement sur son monopole. L’idée est de permettre à quiconque le souhaite de pouvoir faire le point (dans un centre de validation) sur ce qu’il a réellement comme compétences, que celles-ci aient été acquises par voie scolaire, par expérience professionnelle, par responsabilité en mouvement de jeunesse…
Appréciation
Tout cela est fort ambitieux, et plutôt cohérent, mais ne va pas sans problème. Pointons-en quelques-uns :
– le demandeur d’emploi est supposé réussir en 24 mois maximum, quelle que soit sa situation de départ. Il est transparent que pour certains, ce sera beaucoup trop court. Mais il y a, pour réguler cela, une obligation de s’entendre avec le fédéral, dont les options sont systématiquement plus à la « traque » des fraudes supposées des chômeurs que d’aide à leur insertion. La norme de 24 mois serait le maximum que le fédéral accepterait de concéder ;
– outre que les « maisons de l’emploi » ne sont pas à l’abri du clientélisme de mandataires locaux, il est vite apparu que certaines communes ne parvenaient pas à s’entendre entre elles, que des conflits opposaient entre eux de supposés partenaires, et que… ça coûterait cher : on parle déjà de rationalisation à une cinquantaine. Quant aux « cités des métiers », le titre avait été piqué à un dispositif énorme que les Français ont monté en un unique exemplaire parisien : lorsqu’on a appris que la Wallonie allait s’en offrir quatre, on s’est d’abord demandé si elle n’était pas atteinte du syndrome dit de « la folie des grandeurs ». En réalité, le projet wallon est beaucoup plus modeste que le parisien : simplement, il y avait espoir de capter des subsides européens spécifiques… qui se sont défilés depuis. Pour les uns, l’affaire aurait sérieusement du plomb dans l’aile ; pour les autres, ce ne serait que partie remise ;
– le partenariat pourtant célébré sur tous les tons n’est pas organisé dans tous les nouveaux dispositifs législatifs. Ainsi, le secteur associatif est-il tenu à l’écart des projets de validation des compétences. Ces derniers sont par ailleurs très susceptibles de faire les délices de bataillons de bureaucrates : on en est à exprimer que, pour réussir quoi que ce soit, il faut préalablement définir 5 référentiels différents, puis trouver leur articulation : emploi, métier, compétences, validation, formation. Si on laisse faire certains comiques, il faudra environ 200 ans pour se mettre d’accord, ce qui n’est pas très raisonnable. On découvrira sans doute alors à ce moment-là qu’on n’a plus besoin du métier de sabotier (sauf improbable revival du babacoolisme des années 70) ;
– aux uns la formation qualifiante ; aux autres, celle qui ne l’est pas. Problème : la formation donnée n’est dite qualifiante que par les acteurs qui s’autoproclament la dispenser (principalement le Forem et l’enseignement), rejetant par là les autres opérateurs dans des actions connotées de moindre légitimité. On gagnerait sans doute à d’autres définitions. Ainsi, serait qualifiante toute formation centrée sur les besoins d’un métier auquel on formerait un stagiaire ; et préqualifiante toute formation centrée d’abord sur les besoins du stagiaire et sa progression.
Pierre Georis
Le point de vue des travailleurs sans emploi
Constats Philippe Paermentier |
1 M. Jean-Claude Van Cauwenberghe.
2 On veut signifier que les Commissions sous-régionales de coordination du parcours d’insertion, initiées par M. Jean-Claude Van Cauwenberghe, faisaient à peu près la même chose que les Commissions Emploi-Formation-Enseignement des Comités subrégionaux de l’Emploi et de la Formation créées quelques années plus tôt par son prédécesseur M. Jean-Pierre Grafé. On aurait aussi bien pu réformer l’ancien plutôt que d’ajouter une couche.
3 Mme Marie Arena, succédant à M. Michel Daerden, qui n’a assuré qu’un bref intérim dont il n’y a rien à dire.
4 D’après Federgon, la fédération de la majorité des entreprises de travail intérimaire, le «T-intérim » occupait près de 12 % du marché de l’intérim wallon. 5 À concurrence de 80 %.
6 Sur 52 sites, pour 150 métiers. Dans la cartographie, ce qu’on nomme « centres de compétence » sont les sites organisés en partenariat avec les partenaires sociaux et des centres de recherche universitaire en vue d’organiser des formations de haut niveau dans des domaines technologiques de pointe. Localement, cela prend parfois un autre nom : Technofutur pour divers dispositifs à Charleroi ; mais Technifutur si on parle le wallon de Liège ; ou encore Technocité en picard montois !
7 Par regroupement de deux dispositifs créés au tour précédent, et dont il est apparu que la coexistence ne facilitait pas la clarté pour les demandeurs d’emploi : Carrefour Formation ; Espace Ressource Emploi.