« Après une longue attente et de nombreuses péripéties, c’est à l’unanimité, moyennant 31 abstentions (CD&V, Blok et N-VA) que la Chambre a approuvé le 23 janvier 2003, la proposition créant un Service d’avance et de recouvrement de créances alimentaires au sein du ministère des Finances. » Un communiqué laconique pour une grande victoire. Démocratie revient sur cette fameuse loi et en décortique les différents aspects.


Quelles créances ?
Toutes les créances alimentaires constatées formellement, c’est-à-dire soit par décision judiciaire exécutoire, soit par acte authentique, entrent en ligne de compte, qu’elles soient dues à un enfant, à une épouse, divorcée ou non, ou à une cohabitante. Le niveau de revenus de la demandeuse n’est plus pris en compte. La créance doit être impayée, c’est-à-dire non payée (intégralement) deux mois, consécutifs ou non, sur les 12 derniers mois. Il faut également que bénéficiaire et débiteur aient leur domicile ou leur résidence principale en Belgique. Autrement dit, le Service ne peut poursuivre un conjoint parti refaire sa vie à l’étranger, et un conjoint belge domicilié à l’étranger ne peut réclamer d’avances auprès du Service.

Le fonctionnement
La procédure est assez facile à résumer. La demandeuse introduit une simple demande auprès du Service des créances alimentaires à l’aide d’un formulaire. Elle est examinée dans les 30 jours. Dès que le service a examiné le dossier et l’a reçu favorablement :
- l’avance sur le montant impayé est versée immédiatement avec un plafond de 175 euros par mois, par personne pour laquelle la pension alimentaire est calculée ;
- le débiteur est prévenu et a 15 jours pour prouver qu’il exécute convenablement ses obligations alimentaires ou que ses revenus ne dépassent pas le montant du revenu d’intégration.
Le débiteur paie la pension au Service. S’il paie régulièrement pendant 6 mois consécutifs ou à la demande de la créancière, le Service se retire et la pension est à nouveau payée directement. Le Service continue cependant les démarches envers le débiteur pour récupérer les sommes impayées. Si le Service refuse la demande, le créancier peut faire appel devant le juge des saisies. La participation aux frais de gestion du Service est de 10 % en plus des montants dus pour le débiteur et de 5 %, pour le créancier, des montants versés en plus des avances mensuelles.
La loi de février ouvrait donc le droit aux créances alimentaires tant pour le conjoint que pour les enfants, et sans distiction de revenu. La loi-programme du 12 décembre dernier réinstaure une barrière financière : 1100 euros par mois (mais seuls les revenus propres de la personne sont pris en considération, pas ceux du ménage éventuel). Au-dessus de ce montant, les créancières ne pourront bénéficier que de la seule aide su service « recouvrement » pour les aider à récupérer les sommes impayées.

Utilité et manquements
Le service raccourcit les délais entre la rupture de paiement d’une créance et les procédures de recouvrement et il permet des économies substantielles tant dans le chef des créancières que celui de la société (frais d’avocat, de justice, …). Le créancier, mais c’est généralement une créancière, peut, après trois mois, introduire une demande. Elle bénéficie rapidement d’une avance plafonnée. Sa situation financière et celle de ses enfants ne se dégradent plus au point de franchir la limite de la précarité voire de la pauvreté. Comme elle cède tous ses droits de recouvrement au ministère des Finances, elle n’a plus de frais à engager auprès d’huissiers, et autres intervenants pour faire valoir son droit. Le débiteur quant à lui, a tout intérêt à verser régulièrement sa quote-part. En cas de non-paiement récurrent, c’est désormais le contrôleur fiscal qui a son dossier en mains. Cela lui coûte beaucoup plus cher et il ne peut pas aisément sortir du système sans payer ses dettes, toutes ses dettes. Bref, le principal effet positif de ce système, c’est la dissuasion. Il vaut mieux payer les pensions alimentaires que de faire semblant de disparaître dans la nature.
Le fonds peut aussi avoir une mission d’information sur les droits et les devoirs de chaque partie, sur les procédures que l’un et l’autre sont en droit de demander, sur la médiation de paiement pour éviter que le débiteur s’enferme dans une spirale d’endettement qui ne résout rien. Une protection des revenus minimums a été intégrée par amendement.
L’État a également limité son action d’avances et de recouvrement. Il faut que le débiteur et le créancier soient domiciliés en Belgique. Ce qui exclut un certain nombre de cas. Il n’a pas été touché à la déduction fiscale pour les débiteurs qui paient une créance alimentaire. C’est un moyen pour vérifier si les créances sont payées. « Beaucoup contestent l’équité de ce principe de déduction fiscale, explique Marie-Thérèse Coenen, ex-parlementaire Ecolo et co-auteure de la proposition de loi votée en janvier, puisqu’il représente en fait, une prime à la séparation et à la non prise en charge éducative de l’enfant par rapport à des parents qui vivent en couple. Chez Ecolo, nous demandons un meilleur contrôle et la preuve de paiement annuelle, ce qui n’est pas le cas actuellement. »

Viabilité financière
Le système repose sur la gestion de comptes : une demande d’avance ouvre un compte au nom d’une créancière, le débiteur doit le solder. C’est relativement simple, c’est hors comptabilité de l’État. L’État doit avoir une trésorerie pour faire les avances. La tension avec le recouvrement est donc essentielle. Les recettes sont donc les amendes et les intérêts de retard que le débiteur doit verser ainsi que le forfait à charge de la débitrice pour le recouvrement de la dette passée et pour le solde de la créance par rapport aux avances consenties. Pour cela, il faut des outils informatiques, du personnel supplémentaire (ce qui normalement était inscrit au budget, en 2003). Le coût pour l’État est donc essentiellement les montants non recouverts par le service des Finances. L’évaluation est difficile car il n’existe aucun système performant d’information et de collecte des données. Les seules pistes existantes sont aujourd’hui les dossiers acceptés par les CPAS, mais on sait qu’ils seront beaucoup plus nombreux puisque nombre de femmes n’osent, par honte, faire la démarche de demande d’avance auprès du CPAS.
Actuellement, un budget de 5 980 000 euros (247 millions de francs) est inscrit annuellement pour le service des créances alimentaires via l’aide sociale mais c’est un véritable tonneau de danaïde. « Le recouvrement se fait parfois trois ou quatre années après la première avance, remarque Marie-Thérèse Coenen, l’aide sociale touche la population la plus pauvre et la plus précarisée et donc le recouvrement est quasiment impossible auprès des débiteurs, même si ces personnes ont bénéficié d’aides sociales spéciales ou d’allocations sociales majorées pour fait de créances alimentaires… Le délai est trop long. Aujourd’hui, même après une action de mobilisation, le recouvrement couvre 10 % des avances globales. » Dans les discussions préalables au vote de la loi, une première estimation du ministre du Budget s’élevait à 14 milliards de francs. Ce montant a été réduit de moitié, après examen et s’élève aujourd’hui à 6 milliards de francs, mais ne porte que sur les avances et n’intègre pas les recettes potentielles.
Les parlementaires ont également demandé à la Cour des comptes un avis sur le financement et le budget adéquat. Vu les imprécisions et la base d’estimation, on peut évaluer à 200 millions de francs par an, le différentiel entre les avances et les recettes. Ce serait le solde à financer mais, selon Marie-Thérèse Coenen, l’exemple québécois montre que la gestion dynamique d’un fonds de créances aboutit à une diminution du nombre de mauvais payeurs. Ce qui est l’objectif in fine.
Au-delà du fait que le droit à une créance alimentaire est le fruit d’un jugement et qu’il est donc un droit pour tous, l’intérêt de l’universalité de l’accès au Service est aussi un principe essentiel d’équilibre des comptes : il faut des riches et des pauvres qui relèvent du fonds de créances. Les intérêts et les amendes sont proportionnels. « Tous les analystes qui se sont penchés sur la question et sur la viabilité d’un fonds de créances, observe l’ex-parlementaire Ecolo, disent qu’il faut du personnel pour gérer de manière dynamique tant les avances que le recouvrement, qu’il faut réduire au maximum, le temps entre le constat du non-paiement et l’intervention du fonds. Qu’il faut toutes les catégories de revenus. Bloquer sur une catégorie, condamnerait le système à être non viable et à être en déficit permanent. »

Autres pistes
Lors des débats autour de la proposition de loi, plusieurs pistes qui auraient pu améliorer le système tel qu’érigé par la loi de février 2003 ont été envisagées.
– La piste « CPAS » : les CPAS, au départ, étaient d’accord de mettre à la disposition du Fonds, leur « know how », leur professionnalisme, les règles de déontologie, pour recevoir les demandes et les traiter administrativement, c’est en fait l’évolution des missions du CPAS vers ce que, en flamand, on appelle « la maison sociale », un lieu d’information des citoyens concernant leurs droits. Ils étaient prêts aussi à donner l’information, à aider un débiteur à régler sa dette mais aussi à faire connaître les procédures, etc. « Ce que les présidents des sections des CPAS des villes et des communes, ne voulaient absolument plus, c’était gérer les avances financières et supporter 10 % du total des avances, rappelle Marie-Thérèse Coenen. C’est leur ministre de tutelle qui a refusé cette solution parce qu’on mettait l’accent sur la création du Fonds. La solution finalement a été d’étoffer l’administration, de former du personnel existant pouvant être en contact avec les demandeurs, de créer un programme informatique de gestion. Ce n’est pas vraiment la solution la plus humaine et la plus proche du citoyen. Le dossier peut donc être préparé par les services sociaux, et les avocats avec la difficulté de mettre tout ce petit monde à niveau, régulièrement. Mais on aurait pu à moindre coût pour le budget fédéral, garder cette philosophie et cette proposition des CPAS. »
– La création d’un parastatal doté d’un fonds (actif financier) qui s’occuperait de la gestion des dossiers, des avances, des médiations avec les débiteurs et du recouvrement avec l’aide ou avec délégation au ministère des Finances, vu les pouvoirs étendus de recouvrement accordés via la constitution et le droit. Mais cette piste crédible, qui existe aux États-Unis, en Hollande et au Canada, a été rejetée par le ministre des Finances, Didier Reynders. Le Credibe (ex-OCCH) avait fait une proposition concrète et structurellement viable de gestion du fonds.
– L’objectivation du montant de la créance. « En Belgique, rien n’est fait pour arriver à une grille d’évaluation, dénonce Marie-Thérèse Coenen. Les colloques se suivent mais se ressemblent. Il n’y a pas de décision, il y a juste une contagion culturelle. Il existe bien la grille Renard mais elle n’est pas obligatoire et est laissée à l’appréciation du juge, des avocats, etc. Au Québec, la grille d’évaluation est sur le net, vous pouvez faire vous-même le calcul. Il y a donc un travail de simplification à mener de concert avec le monde de la justice et le monde des avocats. »

Conclusion
En matière de créances alimentaires en Belgique, nous sortons pratiquement du désert et n’en sommes qu’aux premiers balbutiements comparativement à d’autres pays. Maintenant que nous avons une loi, une méthode de travail, on peut légitimement espérer que le service se mette au plus vite au travail mais pour cela il faut une volonté politique forte qui semble faire défaut actuellement. Mettre à disposition le budget nécessaire à amorcer la pompe relève tout simplement d’un choix de société.

Ce texte s’appuie sur l’analyse réalisée par Marie-Thérèse Coenen, ex-parlementaire fédérale Ecolo et co-auteure de la loi

Comment fonctionnait-on avant ?

On estime à 175 000 le nombre de dossiers attendus : il n’est pas besoin de démonstration supplémentaire pour illustrer le problème des créances alimentaires non payées. Jusqu’ici, quels étaient les moyens dont disposait le parent créancier d’aliments ?


- L’exécution forcée, le plus souvent par une saisie sur salaire, ou sur meubles… Cette solution comporte des inconvénients non négligeables ce qui la rend impraticable pour bien des familles. En effet, elle n’est utilisable que lorsqu’on sait où saisir et qu’il y a quelque chose à saisir. Pour le travailleur salarié, pas de problème quand on sait où il travaille et qu’il y travaille toujours… Pour le travailleur indépendant, difficile de connaître l’identité de son plus gros client en vue de saisir des sommes chez ce dernier. Même problème pour la saisie sur meubles chez celui qui habite un meublé ou qui cohabite avec une personne qui peut prouver que tous les meubles lui appartiennent (comme par hasard…) : cela nécessite de faire appel chaque fois à un huissier de justice, dont coût entre 250 et 350 euros. Que l’on récupérera peut-être si et quand la saisie aboutit. Si le débiteur d’aliments fait opposition auprès du juge des saisies, cela engendrera encore des frais supplémentaires et du temps pour voir enfin apparaître les premiers cents… Cette solution ne s’applique que pour le passé c’est-à-dire pour les montants impayés pendant plusieurs mois… et le processus coûteux doit être répété chaque fois que nécessaire dans l’avenir. Résultat : méthode peu exploitée en général en raison de son coût élevé et de ses maigres chances de succès.
- La délégation de sommes : procédé très intéressant mais qui doit avoir été demandé dans un jugement qui consiste à autoriser le parent créancier d’aliments à demander directement le paiement de la pension alimentaire à l’employeur (exemple le plus fréquent) de l’autre parent. Malheureusement, cette mesure n’est que rarement utilisée par les magistrats chargés de ces questions notamment en ce qu’elle part d’un a priori de non-paiement dans le chef du parent débiteur… De plus, elle ne s’applique que pour le futur et ne permet pas de récupérer les arriérés pour lesquels il faudra recourir à la saisie et présente les mêmes inconvénients que la saisie face à des travailleurs indépendants ou des personnes qui auraient organisé leur insolvabilité.
- Les avances par le CPAS : système limité à tous points de vue : ne s’adresse qu’au parent dont les revenus n’excèdent pas un certain montant… En bref, celui qui a des revenus qui dépassent 1000 euros par mois environ n’a aucune chance de ce côté-là. Idem pour celui qui habiterait avec quelqu’un qui a des revenus… Les avances sont limitées à 125 euros par mois et par enfant et, surtout, il s’agit d’une demande qui ressemble à une demande d’aide sociale alors qu’il s’agit simplement de faire respecter un droit et une décision judiciaire, qui dépend de la décision du CPAS, qui engendre une enquête sur les ressources du demandeur etc. Bref, rien d’un droit automatique.

Source : Dossier sur les créances alimentaires réalisé par la Ligue des familles : www.liguedesfamilles.be

Les modèles français, québécois et suisse
En ramenant les systèmes législatifs et administratifs à leurs paramètres essentiels, on peut distinguer trois philosophies dans le domaine du recouvrement des créances alimentaires impayées.

1 Dans la première approche, le non-paiement d’une créance alimentaire est considéré d’abord comme une infraction pénale dans le cadre d’obligations entre deux personnes résultant d’une décision de Justice. Pour recouvrer les sommes impayées, la priorité est dès lors donnée à l’action en Justice menée à l’initiative du créancier lésé. Le pouvoir exécutif et son administration n’interviennent que de façon subsidiaire et subséquente, à la condition que l’action en Justice ait échoué. C’est le système appliqué en France.
2 Dans la seconde approche, le non-paiement est traité comme une « faute sociale » et appréhendé comme un acte qui, parce qu’il crée de la pauvreté et de l’insécurité, parce qu’il menace l’intégration sociale des enfants concernés, parce qu’il est une forme de violence à l’encontre notamment des femmes qui forment l’immense majorité des créanciers impayés, a des implications négatives sur l’ensemble de la collectivité. Le pouvoir exécutif intervient dès lors, à travers son administration, dans le cadre de sa mission générale d’assurer la paix et la sécurité sociales. Cela peut se faire à travers un système de perception automatique des créances analogue aux procédures mises en place pour la perception des impôts. Un tel système ne laisse que peu de compétences aux tribunaux. On peut en trouver une application au Québec.
3 Une troisième approche, que l’on pourrait qualifier de « mixte », laisse aux tribunaux l’essentiel des compétences en matière de recouvrement des créances impayées. Toutefois, pour des motifs analogues à ceux mis en œuvre dans la seconde approche, l’autorité exécute l’octroi immédiat d’avances dès la première échéance non honorée et l’assistance aux personnes dans les procédures de recouvrement. La Suisse a établi un système de ce type.

France
La France met en œuvre un système basé sur l’idée que c’est prioritairement à la Justice, à travers tribunaux et action des huissiers de Justice, qu’il incombe d’assurer l’exécution correcte des décisions de Justice en matière de versement des pensions alimentaires. Les interventions possibles des Caisses d’allocations familiales et du trésor public sont considérées comme subséquentes à l’échec des procédures judiciaires. Le créancier impayé doit impérativement apporter la preuve qu’il a entamé de telles procédures et qu’elles n’ont pas abouti avant de solliciter l’intervention administrative des pouvoirs publics. Toute action en recouvrement doit être entamée dans un délai de cinq ans. Au-delà de ce délai, les pensions impayées ne peuvent plus être récupérées par voie de procédure publique.

Québec
Le gouvernement du Québec a, en décembre 1995, fait adopter une « loi facilitant la perception des pensions alimentaires ». Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, c’est le ministère du Revenu du Québec qui perçoit directement les pensions alimentaires du débiteur pour les verser par la suite au bénéficiaire et ce, à raison de deux fois par mois. La perception des sommes dues peut se faire soit par retenues directes sur le salaire du payeur soit par ordre de paiement. Le payeur de pension alimentaire ne peut échapper à la perception automatique de la pension à moins qu’il ne signe une entente à cet effet avec l’ex-conjoint et qu’il mette en garantie un montant d’argent équivalant à un mois de pension.

Suisse
En cas de non-paiement d’une pension alimentaire, le créancier peut tenter de faire valoir ses droits en intentant d’initiative des actions devant les tribunaux (poursuite pour dettes, plainte pour violation d’une obligation d’entretien). Mais il peut également, dès le constat de défaillance du débiteur, s’adresser au Service cantonal d’aide au recouvrement et d’avance des pensions alimentaires. Un tel service doit, en vertu de la législation fédérale, être organisé dans chaque canton avec pour tâche d’aider gratuitement toute personne qui ne reçoit pas une contribution d’entretien à laquelle elle a droit. Son aide concerne aussi bien les pensions dues aux enfants que celles octroyées aux femmes séparées ou divorcées. Toutefois, les règles et critères de fonctionnement et d’intervention de ces services, en matière d’attribution et de montant des avances, varient d’un canton à l’autre.

Ces infos sont extraites d’une note très complète réalisée par Benoît Labaye du service d’études Ecolo présentée lors d’un colloque sur les créances alimentaires organisé par Ecolo le 15 décembre à la Chambre.