Le dernier gouvernement violet (2003-2007) s’était engagé dans la déclaration gouvernementale à « accorder un statut spécifique au volontariat ». C’est chose faite depuis deux ans avec « la loi relative aux droits des volontaires » du 3 juillet 2005, qui est entrée en vigueur en deux temps (le 1er août 2006 et le 1er janvier 2007). S’il est trop tôt pour en évaluer la mise en œuvre, c’est l’occasion de revenir sur une réalité relativement mal connue, difficile à mesurer… et répondant même à des appellations variables.



Si la loi – et cet article – reprend bien les termes de « volontariat » et de « volontaire », l’usage courant continue en effet à leur préférer ceux de « bénévolat » et de « bénévole » que le législateur a jugé trop chargé de connotations vieillottes et renvoyant à des pratiques charitables ou paternalistes.  En matières de chiffres, c’est évidemment le règne de l’estimation et des conjectures tant il est vrai que la réalité du volontariat s’ancre bien souvent dans l’informel et les pratiques locales foisonnantes mais méconnues. En 2004, l’Institut pour un développement durable (IDD) recense, sur la base des données de l’Enquête sur l’emploi du temps des Belges réalisée par l’INS en 1999, environ 1 500 000 volontaires en Belgique. Leur force de travail représenterait environ 200 000 équivalents temps pleins. Il apparaît, avec toutes les réserves à apporter aux approximations, que c’est dans le secteur de la culture, du sport et des loisirs que se concentre la majeure partie des heures prestées par les volontaires 1.  Mais les volontaires remplissent bien entendu une série de fonctions sociales et économiques, qui ne se résument pas à fournir une force de travail gratuite : ils participent aussi de la constitution d’un « capital social », terme un peu flou qui a pu être utilisé tant par Pierre Bourdieu (qui en fait une caractéristique des individus) que par la Banque mondiale (qui le considère plutôt comme une donnée macrosociale). Ainsi, selon Catherine Davister, chercheuse au Centre d’économie sociale de l’ULg, les volontaires servent, sur le plan social, de véritable moteur à l’action collective. Sur le plan économique, la présence de volontaires dans une institution sert également à renforcer le « signal de confiance » vis-à-vis de ses différents partenaires 2. Le fait que des personnes soient capables de s’y investir à titre gratuit constitue en effet un gage d’honnêteté et de sérieux pour l’ensemble de la structure. Les volontaires sont également source de créativité et d’innovation permettant de mieux détecter les besoins de la population, et donc d’y répondre : ce sont en quelque sorte les yeux et les oreilles d’une association.

Capital social

Si les volontaires apportent indéniablement de tels avantages aux associations, le jeu n’est pas à somme nulle et l’enrichissement est mutuel : il faut donc mentionner le développement du capital social qu’un engagement apporte aux volontaires – capital social au sens de Bourdieu : « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe (…) » 3. Les motivations des volontaires sont évidemment multiples et font autant appel au registre du don de soi ou de l’expérience religieuse qu’à des motivations plus « individualistes » liées à l’extension du capital social et du tissu relationnel. Le volontariat peut aussi tout simplement être une façon d’occuper son temps, notamment pour les personnes retraitées ou sans emploi. S’appuyant sur le discours que les volontaires tiennent sur leurs propres pratiques, la sociologue Maud Simonet-Cusset recense trois visions renvoyant respectivement au monde de l’engagement politique, à celui de l’engagement religieux, et finalement à un « nouveau monde » – souvent explicitement défini en opposition à un engagement politique plus traditionnel. Trois visions qui peuvent d’ailleurs coexister au sein de la même structure 4.  Il va de soi que ces aspects positifs ne sont pas le tout du volontariat. La gestion de la coexistence entre les volontaires et les professionnels/permanents est en effet une des difficultés fondamentales en matière de « management associatif ». Parmi les éléments de difficulté potentielle, Catherine Davister pointe le fait qu’aucun contrat de travail ne détermine les droits et devoirs de chacune des parties ; qu’aucun profil de fonction n’est réalisé ni aucune règle de subordination clairement définie. C’est d’ailleurs notamment pour éviter les effets pervers de cette informalisation que la loi sur le volontariat a été élaborée : elle prévoit l’obligation pour l’association d’informer le volontaire quant à sa finalité sociale, son statut juridique, les conditions d’assurance liée à la responsabilité civile du volontaire, les indemnités éventuellement octroyées ainsi que le respect du secret professionnel.  L’ensemble de ces éléments pointe en direction d’une professionnalisation du volontariat. Selon Maud Simonet-Cusset, il s’agit de distinguer en la matière ce qui correspond à un effet de discours et ce qui relève d’un véritable changement dans les pratiques. Au niveau des discours, il s’agit surtout, selon elle, de se distancer de l’image devenue peu valorisante des bonnes œuvres ou des dames patronnesses (volonté de distanciation dont témoigne également le changement de nom) « mais les véritables pratiques de professionnalisation sont inégalement mises en place, si l’on entend par là des pratiques de recrutement, et donc de sélection des candidats au bénévolat, pratiques de formation, de soutien, de suivi du bénévole dans l’exercice de son activité, définition des profils de postes bénévoles et parfois même des contraintes déontologiques qui y sont associées, ou encore pratiques contractuelles définissant la durée et la régularité de l’engagement… ». Par ailleurs, ajoute-t-elle, il convient de ne pas séparer à outrance les identités de volontaire et de professionnel. Ainsi, « au vu du nombre de médecins, d’enseignants, de travailleurs sociaux qui ont mené ou mènent, parallèlement ou successivement, des activités bénévoles et des activités professionnelles dans le même secteur d’activité, il faudrait bien plutôt parler (et penser en termes) de “casquettes” différentes… » Pour naviguer à travers cette complexité et cette multiplicité de motivations, Catherine Davister incite les responsables associatifs amenés à gérer la coexistence de travailleurs salariés et de volontaires à se poser sept questions fondamentales. Quelles sont les tâches et fonctions assumées par les volontaires ? Comment attirer, recruter et sélectionner les volontaires ? Comment gérer au quotidien le travail des volontaires au niveau de la répartition des tâches, de la planification des horaires, etc. ? Quelles sont les formations nécessaires pour que les volontaires puissent réaliser leurs tâches le plus efficacement possible ? Comment évaluer le travail fourni par les volontaires en l’absence de contrat de travail et de rémunération ? Quels sont les outils à développer pour assurer la motivation et l’implication des volontaires dans le projet de l’association ? Comment gérer les volontaires membres du conseil d’administration ?

Simplification administrative

Si elle s’attaque peu à ces questions de fond pour lesquelles existent, de l’avis général, relativement peu d’outils, la loi de 2005 facilite cependant la gestion quotidienne des volontaires, d’un point de vue administratif. Elle simplifie ainsi le cumul d’allocations de remplacement ou du revenu d’intégration sociale avec le défraiement des dépenses engagées dans le cadre d’une activité volontaire (avec un plafond forfaitaire, fixé à 1 139,02 euros par an pour chacun, quel que soit son statut). Dans la même logique d’encouragement, l’accord préalable du directeur du bureau régional de chômage n’est désormais plus nécessaire pour un chômeur souhaitant s’engager dans une activité de volontaire ; ce qui ne signifie pas que l’autorisation n’est plus requise : elle l’est, mais a posteriori, ce qui équivaut à une espèce de renversement de la charge de la preuve. Vincent Gengler, président de la plate-forme pour le volontariat, insiste en tout cas sur l’importance de « prendre soin que les aspects légaux concernant le contrôle de la disponibilité et l’activation des chômeurs ne contaminent pas d’autres textes légaux ». Autrement dit, il s’agit d’éviter que la logique de contrôle qu’implique le plan d’activation ne rejaillisse sur des secteurs de la société où elle n’a rien à faire.  Il est évidemment un peu tôt pour évaluer une loi qui est entrée en vigueur en janvier 2007. Si la plupart de ses arrêtés d’application ont été publiés au Moniteur ou, au moins, déjà rédigés, quelques nœuds de subsistent cependant, comme la question du contrôle de l’activité et de l’engagement effectifs des volontaires (article 22). Certaines associations pourraient en effet profiter de la latitude permise actuellement par le défraiement forfaitaire pour l’utiliser fictivement dans un système de constitution de caisse noire et de double comptabilité. Pour contrer ce risque, certains souhaiteraient que les associations procèdent à une déclaration immédiate du type Dimona, qui existe pour le travail salarié. Une telle mesure paraît administrativement assez lourde, surtout pour des associations de grande taille, qui ne peuvent pas toujours prévoir les frais engagés par chacun de leurs volontaires dans le cadre de leurs activités. Si la mise en œuvre de cet article paraît nécessaire pour éviter les abus, elle est cependant d’autant plus délicate, qu’outre les risques de lourdeur administrative, elle devra éviter tout empiétement sur la vie privée.  Parmi les revendications de la plate-forme, Vincent Gengler cite la nécessité d’un arrêté royal qui rende effectif l’article 9 de la loi. Celui-ci prévoit que la loi relative à l’occupation des travailleurs étrangers ne s’applique pas à l’engagement volontaire. Tant qu’un arrêté ne viendra pas en préciser les modalités, la capacité de volontariat des personnes étrangères présentes sur le territoire belge demeure théoriquement soumise à l’octroi d’un permis de travail. Pour la plate-forme, il s’agirait tout simplement de découpler les deux réalités que constituent travail et volontariat.  La plate-forme a en outre pour ambition de centraliser les feedbacks et expériences de terrain en rapport avec la loi, afin de contribuer directement à l’évaluation et, le cas échéant, la modification de la loi 5.

 Qu’est-ce que le volontariat selon la loi ?

 Selon la loi, un volontaire est une personne qui : - exerce une activité. Il s’agit donc de « produire » quelque chose pendant son temps libre : encadrer une activité, organiser une fête, donner un cours. La personne qui « consomme des loisirs », qui joue simplement au football dans le club dont il est membre n’est pas considérée comme un volontaire. - Sans rétribution. Des défraiements peuvent être accordés, mais uniquement pour couvrir les frais encourus, jamais pour rémunérer des prestations. - Ni obligation. Les volontaires ne peuvent être contraints ni même incités à s’engager. Les stagiaires, ALE, demandeurs d’emploi mis au travail ne relèvent évidemment pas de la loi. - Au profit d’autres personnes ou de la collectivité. Les prestations ne peuvent pas être destinées à la personne elle-même. La loi ne s’applique donc pas aux groupes d’entraide, ni aux systèmes de type SEL (services d’échanges locaux), aux personnes qui prennent en charge d’autres membres de leur famille ou qui se rendent des services entre voisins ou amis. - En dehors du contexte normal de travail. Une organisation ne peut pas utiliser comme volontaire quelqu’un qui est déjà lié avec elle par un contrat de travail, un contrat de services ou une désignation statutaire pour cette même activité (bref, un de ses propres salariés, fournisseurs ou fonctionnaires). - Dans une organisation sans but lucratif. Le volontariat en entreprises est donc exclu de la loi, même s’il existe.  



 1 Les données et leur analyse sont disponibles sur www.users.skynet.be/idd/documents/indicateurs/indic04-4.pdf

 2 Catherine Davister, « La gestion des ressources humaines en économie sociale », Les cahiers de la Chaire Cera, vol.1, mai 2006. Le texte est disponible en ligne sur le site du Centre d’économie sociale de l’ULg : http://www.ces-ulg.be/index.php?id=31

 3 Pierre Bourdieu, « Le capital social, notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, n°31, 1980.

 4 Maud Simonet-Cusset, « On est rarement d’emblée bénévole, on apprend à le devenir », Lien social, n° 679 du 25 septembre 2003.

 5 Voir son site : www.yaqua.org