L’« affaire » Angelica, du nom de cette jeune Équatorienne sur le point d’être expulsée avec sa maman fin juillet, a une fois de plus relancé le débat sur la régularisation des sans-papiers, l’immigration et l’application restrictive du droit d’asile. Le nombre de demandes d’asile en Belgique chute depuis plusieurs années (14 600 en 2006, soit le chiffre le plus bas depuis 15 ans). Depuis un an, la Belgique met également en œuvre un nouveau statut de protection internationale : celui de « protection subsidiaire » accordée à des personnes qui n’ont pas droit à l’asile, mais courent un risque réel d’atteintes graves dans leur pays. Une mise en œuvre « à la belge », elle aussi restrictive... Bilan d’un an de protection subsidiaire.


 Le 15 septembre 2006, le parlement belge modifiait loi du 15 décembre 1980 sur l’accès, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers : loi fondatrice des droits… et des non-droits des étrangers. C’est dans ce cadre législatif qu’un nouveau statut apparaît dans le droit belge 1 à côté de celui du statut de réfugié : le statut de « protection subsidiaire », entré en vigueur le 10 octobre 2006. Cette modification législative ne résulte pas d’un brusque accès de générosité du ministre de l’Intérieur, mais simplement de l’obligation de transposer dans notre droit national une directive européenne du 29 avril 2004 qui permet de reconnaître un statut qui a longtemps fait défaut dans notre système de protection (lire l’encadré page 5). Le contenu juridique du statut de protection subsidiaire peut être résumé de la manière suivante. Il est octroyé à l’étranger qui ne peut être considéré comme réfugié au sens de la convention de Genève 2, mais qui a de sérieux motifs de croire que, s’il était renvoyé dans son pays d’origine – ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle –, il encourrait un risque réel de subir des atteintes graves. Trois « catégories » de situation sont considérées comme des atteintes graves : la peine de mort ou l’exécution, la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants du demandeur dans son pays d’origine, et les menaces graves contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international.

Ce qui change en Belgique

En Belgique, avant l’instauration du statut de protection subsidiaire, seules existaient des protections sous forme de clauses de non-retour et de clauses humanitaires. Ainsi, les clauses de non-retour s’appliquaient à des personnes venant de Côte d’Ivoire, d’Irak (pas le nord de l’Irak), du Soudan (uniquement du Darfour), de la Serbie – Monténégro (Kosovo) et d’Érythrée. Quant aux clauses humanitaires, elles s’appliquaient à l’Angola (certaines régions et certains groupes vulnérables), au Liberia (pour certaines catégories), aux Palestiniens des territoires occupés (mais elle va être révisée prochainement), à la Birmanie, au Sri Lanka… Cette liste de pays varie bien sûr en fonction des conflits en cours dans le monde. Toutes ces personnes étaient considérées comme « inéloignables » et ne recevaient aucun statut, ni titre de séjour, ni titre de voyage, aucun accès au travail. Leur ordre de quitter le territoire était prolongé périodiquement. Elles avaient cependant droit à une aide sociale provisoire.
Avec le nouveau statut de protection subsidiaire, elles seront mises en possession d’un titre de séjour en tant que bénéficiaires de la protection subsidiaire. Dans un premier temps, elles obtiendront un séjour en Belgique pour une durée limitée soit un titre de séjour d’un an prorogeable et renouvelable. Cinq ans après l’introduction de sa demande d’asile, le bénéficiaire sera admis au séjour illimité. En ce qui concerne les autres droits dérivés, aussi longtemps qu’il est admis pour une durée limitée, l’étranger aura accès au marché du travail au moyen du permis C, à l’aide sociale si l’état de besoin est avéré, ainsi qu’au regroupement familial selon les règles actuelles. Cette phase de la réforme n’entrera en vigueur qu’au 1er novembre 2007.
Ce sont les instances d’asile qui sont également compétentes pour octroyer le statut de protection subsidiaire. En effet, toutes les nouvelles demandes d’asile seront examinées d’abord sous l’angle de la Convention de Genève puis de la protection subsidiaire telle que définie dans la loi.

Avancées et dérives

Le monde associatif était sceptique, voire très critique, sur le fait que ce statut soit un statut de second rang par rapport à celui conféré aux réfugiés. Cette crainte s’est vérifiée. De fait, durant une période de 5 ans, les bénéficiaires de la protection subsidiaire n’auront qu’un droit de séjour limité, renouvelable annuellement. Néanmoins, c’est une avancée pour les personnes qui relevaient des clauses de protection, et une solution pour tous ceux qui fuient une situation de conflit armé – Tchétchènes, Afghans, Colombiens, etc. – déboutés de la procédure d’asile, mais qui ne peuvent retourner dans leur pays d’origine en raison d’une situation de violence aveugle due à la guerre.
Une dérive, cependant, s’installe dès la mise en place de cette nouvelle procédure. En effet, les instances d’asile appliquent immédiatement une interprétation restrictive de la loi, en tenant compte dans la troisième catégorie de la notion de « risque personnel », une notion inscrite dans la directive européenne, mais que le législateur avait supprimée (car il est permis aux États membres d’adopter des dispositions plus favorables). On comprend difficilement que ce caractère personnel du risque doive être démontré dans le cas de menaces graves contre la vie de personnes civiles dans le cadre d’un conflit armé interne ou international !
Le Siréas (Service international de recherche, d’éducation et d’action sociale) a mené une analyse approfondie 3 qui permet de suspecter les instances d’asile d’utiliser la notion individuelle à partir des premières réponses notifiées par l’Office des étrangers aux Afghans : « Ces Afghans s’étaient rendus à l’Office des étrangers munis d’une note de leur avocate faisant état de la situation générale de conflit en Afghanistan et demandant l’octroi de la protection subsidiaire, l’élément nouveau à l’appui de leur nouvelle demande d’asile consistant en l’entrée en vigueur des dispositions relatives à la protection subsidiaire et le fait qu’ils soient originaires d’un pays dont ils estiment qu’ils courent, en cas de retour, un risque réel de menace grave en raison de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne ou international ». L’Office des étrangers refusa de prendre en considération leur nouvelle demande d’asile au motif que « L’intéressé fait état d’une situation générale d’insécurité dans son pays d’origine et ne démontre pas qu’il court un risque personnel et réel d’atteinte grave », et dès lors que les Afghans ne produisent pas d’élément nouveau à l’appui de leur nouvelle demande d’asile.

Il n’est de pire sourd…

Le 8 novembre 2006, le ministre de l’Intérieur, M. Patrick Dewael, était interrogé en Commission de l’Intérieur de la Chambre des représentants par une députée qui ne comprenait pas la raison d’une telle attitude de l’Office des étrangers à l’égard des Afghans, alors que « justement, la protection subsidiaire a pour vocation de protéger, entre autres, des civils qui courent des risques réels, des menaces graves pour leur vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». Elle rappelait au ministre qu’« il y a quelques jours encore, des dizaines de civils ont été tués (…) dans un raid aérien de l’OTAN au sud de l’Afghanistan. On leur demande de prouver qu’ils risquent d’être personnellement victimes d’une violence aveugle, condition supplémentaire qui n’est en outre pas prévue par la loi. » Et encore que « par ailleurs, même votre collègue, le ministre de la Défense et les militaires belges qui ont été rapatriés récemment, ont bien expliqué que la situation sécuritaire en Afghanistan était loin d’être garantie à peu près partout sur le territoire. Même les militaires sortaient très peu du périmètre qui leur était confié car leur sécurité n’était pas assurée. » Elle s’interrogeait également sur le fait que « dans un article du Soir de la semaine dernière, le Commissaire général aux Réfugiés et aux Apatrides semblait exclure l’Afghanistan des pays pour lesquels la protection subsidiaire s’avère nécessaire. » Et ajoutait également « ces décisions de l’Office des étrangers sont d’autant plus étonnantes qu’il s’agit de refus de prise en considération de nouvelles demandes d’asile, sans recours possible au CGRA, mais uniquement auprès du Conseil d’État. Or, vous savez que leurs délais pour obtenir une décision se comptent en années en raison des problèmes d’embouteillage de cette juridiction. » Elle faisait part de son inquiétude par rapport à « ces décisions, les premières depuis l’entrée en vigueur de ce volet de la réforme du droit d’asile, (…) parce qu’elles me paraissent démontrer une volonté de réduire la protection subsidiaire à peau de chagrin ». Enfin, elle demandait au ministre de lui expliquer les raisons pour lesquelles son administration avait pris de telles décisions.
Dans sa réponse, le ministre qui soutenait que les instances d’asile sont indépendantes (!), justifia l’attitude de l’Office des étrangers en disant que « ces ressortissants afghans se sont tous présentés munis d’un document identique, une lettre qui faisait état de problèmes dans certaines parties de l’Afghanistan (…) que l’on ne peut déduire du simple fait que des combats ont lieu dans certaines régions d’Afghanistan que l’intégrité de chaque Afghan est menacée et que (…) d’autres régions en Afghanistan sont sous le contrôle de la Force internationale de paix ». En outre, il ajouta : « Le fait que vous vous référiez par exemple à des déclarations du ministre de la Défense, sur la base desquelles vous dites qu’il faudrait décider autrement, démontre à nouveau que vous n’acceptez pas le fait que nous vivions dans un pays où les décisions en cette matière sont prises par des instances indépendantes. Vous souhaitez prendre les décisions vous-même ! Si cela ne vous convient pas, vous dites que vous n’êtes pas d’accord avec l’appréciation des faits par le commissaire général, vous dites qu’un tel à dit ceci, qu’un tel a dit cela et que c’est moi, le ministre, qui doit prendre une autre décision ! Il y a des instances indépendantes et vous ne pouvez vivre avec elles ! »
Ce faisant, le ministre de l’Intérieur occulte le fait que c’est sa propre administration, l’Office des étrangers, qui a pris la décision. N’est-il pire sourd que celui qui ne veut entendre ? Le ministre considère ainsi qu’il est normal que son administration nie l’existence d’un conflit armé généralisé en Afghanistan alors que dans le même temps, au sein du même gouvernement, le ministre de la Défense soutient le contraire…
Le Conseil d’État a eu à connaître d’un recours en extrême urgence introduit par un Afghan détenu. Contredisant l’interprétation donnée par l’Office des étrangers dans sa motivation, il a suspendu la décision de refus de prise en considération de la nouvelle demande d’asile rendue par l’Office des étrangers par un arrêt rendu le 1er décembre 2006. Le Conseil d’État s’est référé à l’explication donnée par le ministre lors des travaux parlementaires : « une situation générale qui est menaçante pour la population d’un pays ou région, peut être suffisante pour décider d’accorder la protection subsidiaire. Cette juridiction a dès lors considéré que les éléments nouveaux présentés par les Afghans dans la note qu’ils ont déposée à l’appui de leur demande d’asile et qui se base sur la situation générale en Afghanistan constituent l’élément nouveau leur permettant d’introduire une nouvelle demande d’asile ». Espérons que cet arrêt mettra fin à l’interprétation restrictive donnée par l’Office des étrangers à l’article 48/4, C nouveau de la loi du 15 décembre 1980, interprétation qui pouvait aboutir à nier l’effectivité de cette disposition pour toute une série de personnes fuyant un pays en guerre et nécessitant cette protection.

Restrictif

De manière générale, il ressort des déclarations faites par les représentants des instances d’asile une propension à vouloir interpréter de manière la moins souple possible les dispositions de la protection subsidiaire. Lors de l’après-midi d’information du 6 octobre 2006, l’Office des étrangers et le CGRA affirmaient que, finalement, la protection subsidiaire ne s’appliquerait qu’à un nombre très limité de personnes… Et qu’en outre, il fallait être très prudent lorsqu’on conseille à une personne déboutée de la procédure d’asile (examinée antérieurement sous l’angle de la Convention de Genève) d’introduire une nouvelle demande pour la voir cette fois-ci examinée sous l’angle de la protection subsidiaire, vu le risque de détention, la réforme de la loi de 1980 ayant ajouté des nouveaux motifs de détention, et notamment lorsqu’une nouvelle demande d’asile est introduite. Ces administrations cachaient mal leur crainte de voir, dès l’entrée en vigueur de cette protection, des attroupements quotidiens de personnes venues introduire une nouvelle demande d’asile à l’Office des étrangers…
Une administration – l’Office des étrangers – sous la tutelle d’un ministre de l’Intérieur, qui se permet de ne pas respecter les lois ou de les interpréter en contradiction avec les définitions fixées par le législateur, cela pose question. Une administration qui remet en cause la guerre en Afghanistan alors que les rapports des Nations Unies, des organisations internationales démontrent le contraire avec une situation dans ce pays qui ne cesse de se dégrader, c’est inquiétant. Si la personne du réfugié est centrale dans le cadre de la procédure d’asile comme dans celle de la protection subsidiaire, ce dernier statut doit permettre de surmonter les problèmes dus à l’individualisation à outrance, dérive de l’application de la Convention de Genève. Les causes de l’exil restent identiques, mais peut-on demander à un ressortissant du Darfour de prouver par qui il est persécuté ? Des décisions récentes du CGRA acceptent d’ailleurs la reconnaissance d’une protection subsidiaire à celui qui peut prouver, non une persécution personnelle, mais le fait d’être originaire d’un pays aux proies à un conflit interne armé 4.
Il nous faut cependant demander que toute clarté soit faite quant à la reconnaissance par les instances d’asile de lieux où l’impossibilité de retour devrait être consacrée. Ni l’Office des étrangers, dans l’opacité de ses décisions, ni les instances d’asile, dans leur simulacre d’indépendance, ne peuvent seuls le faire. Ne pourrait-on pas proposer que des représentants de ces instances ouvrent leur discussion aux organisations internationales de défense des droits de l’homme telles Amnesty International, Human Rights Watch ou la FIDH ? À défaut d’oser un peu d’audace démocratique, ne risque-t-on pas, une fois de plus, de bâillonner les voix des sans-voix ?


1 L’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980.
2 Qui, pour rappel, s’applique à toute personne « qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».
3 Doc. n°17 - année 2006.
4 V. doc. CGRA, 29 juin 2007. ABDI AHMED AMINA c/E.B.


 

Un « asile européen » minimal, que les États membres sont appelés à améliorer…

Pourquoi fallait-il définir au niveau européen les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour pouvoir bénéficier de l’« asile » ou de la « protection subsidiaire » (1) ? L’objectif premier est de mettre en place un régime d’asile commun aux 27 pays de l’Union européenne. Cet objectif a été proclamé en octobre 1999, lors du Conseil européen de Tampere, en Finlande. Il vise à définir des normes « minimales » fondées sur l’application de la convention de Genève de 1951 complétée par le protocole de New York de 1967. Chaque État peut, s’il le souhaite, renforcer ces normes au niveau national. Le régime d’asile commun vise également à limiter les « mouvements secondaires » des demandeurs d’asile entre les États membres. Le Conseil des ministres européens de l’Intérieur a mis de longues années pour s’entendre sur ce projet en raison, notamment, du veto du gouvernement allemand sur la question de l’accès à l’emploi des personnes bénéficiant de la protection subsidiaire (cette question était alors en pleine discussion entre le gouvernement fédéral et les Länder). La question des droits de la famille du bénéficiaire divisait également les États membres. Ainsi, contrairement aux Allemands et aux Autrichiens, les Finlandais et Suédois estimaient que les droits devaient être rigoureusement les mêmes entre l’asile et la protection subsidiaire. Ce n’est qu’en mars 2004 qu’un accord politique fut trouvé, au prix d’une certaine « dilution » des droits accordés à la protection subsidiaire.
Bien que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ait salué le fait que la directive confirme que les actes liés au genre peuvent constituer une forme de persécution, et que la persécution ne doit pas seulement émaner de l’État ou de ses agents, mais peut aussi provenir d’agents non-étatiques (seigneurs de guerre ou milices…), le HCR n’en dénonce pas moins le « fossé grandissant » entre les droits et aides accordés aux « vrais » réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, alors que « leur besoin de protection est tout aussi impérieux ». Lors de l’entrée en vigueur de la directive européenne, en octobre de l’année dernière, le HCR rappelait d’ailleurs aux 27 que cette directive ne contient « que des normes minimales ». Il leur recommandait vivement « d’offrir des normes de protection plus élevées ». Ce message n’est apparemment pas passé en Belgique…
C.D.




(1) Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.


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