Un nombre croissant de jeunes demandeurs d’asile débarquent sans leur famille en Europe. Chez nous, ils n’ont aucun statut et la question de leur accueil se discute toujours.On les appelle dans le jargon politico-administratif des MENA – des mineurs étrangers non accompagnés. Ce sont parfois des enfants, le plus souvent des adolescents qui débarquent seuls dans notre pays pour demander l’asile. Ils sont en moyenne 200 par mois, soit plus de deux mille l’an dernier…
 
Cela fait des années que les ONG et le Commissariat général aux réfugiés s’époumonent à réclamer un statut et une protection spécifique pour ces mineurs : l’État et les Communautés se sont toujours renvoyés la balle. Aujourd’hui, plus de 80 associations rassemblées au sein de la plate-forme "Mineurs en exil" (1) clament leur colère et leur impatience : l’attente n’a que trop duré, c’est l’avenir de milliers de jeunes qui est compromis chaque année… Il est vrai qu’à la lecture des divers manques et dysfonctionnements relevés, on ne peut que rester pantois… "C’est le petit bonheur la chance, ou plutôt le petit bonheur la malchance", s’indigne la plate-forme. "Il n’existe en Belgique aucune procédure généralisée pour accueillir ces jeunes et leur fournir systématiquement un hébergement adéquat, qui réponde parfaitement à leurs besoins de base." Certains jeunes passeront d’abord par un centre fermé pour des périodes indéterminées. D’autres, mais il est plus difficile de le contrôler, passent par le centre "Inads" (pour inadmissibles) de l’aéroport de Zaventem. Certains arrivent sur notre territoire et trouvent refuge chez des particuliers, membres de leur famille ou connaissances. D’autres sont accueillis par des "bonnes âmes", munies de sentiments plus ou moins bienveillants à leur égard, parfois après avoir erré pendant quelques jours ou quelques semaines, comme le relate régulièrement la presse. Un certain nombre aboutit dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile. Quelques-uns sont accueillis dans des centres spécialisés pour mineurs non-accompagnés comme le "Cade" du Petit Château. D’autres sont dans des centres généralistes ou accueillis par des centres dépendant de l’Aide à la jeunesse. L’orientation vers l’une ou l’autre de ces filières dépend bien souvent de l’étiquette qu’on aura collé arbitrairement sur le jeune : demandeur d’asile, illégal, débouté, réfugié reconnu… "Rarement, mais cela est arrivé, témoigne la plate-forme, certains mineurs sont purement et simplement mis à la porte d’un centre d’accueil, sans qu’aucune autre solution de rechange ne leur soit proposée. Ils se retrouvent ainsi littéralement livrés à eux-mêmes."

La procédure d’asile

Nous vous en parlions dans le n°24/2000 de Démocratie : un projet de réforme de la procédure d’asile est en cours d’élaboration. Il concerne également les mineurs, sans cependant que la spécificité de leur situation ne soit d’aucune manière prise en compte. "En ce qui les concerne, le projet prévoit uniquement que l’audition doit se faire en présence du tuteur. Or, le projet relatif à la tutelle n’avance pas, remarque Benoît Van Keirsbilck de l’asbl Service Droit des jeunes, membre de la plate-forme "Mineurs en exil". Ce projet est actuellement au point mort et un projet de loi sur la procédure d’asile qui avait été déposé précédemment n’a jamais été pris en considération."
"Actuellement, poursuit Benoît Van Keirsbilck, le premier interview à l’Office des étrangers est réalisé par des personnes qui n’ont aucune formation spécifique pour accueillir ou interroger les enfants, de plus, dans des locaux totalement inadéquats. Je ne pense pas exagérer en affirmant que cette audition est traumatisante et constitue bien souvent un traitement inhumain et dégradant. De plus, la personne qui auditionne l’enfant n’est pas celle qui statue sur le dossier, une façon supplémentaire, s’il faut encore en ajouter, de déshumaniser la procédure." Autre reproche de la plate-forme : la présence des avocats est interdite. "Ils tolèrent parfois la présence d’autres adultes mais tout dépend du fonctionnaire que vous avez en face de vous, c’est l’arbitraire le plus total. La moindre petite contradiction dans le récit de l’enfant sur des événements parfois bien lointains et traumatisants apporte immédiatement la suspicion sur l’ensemble du récit." Résultat ? La procédure se solde bien souvent par une première décision négative qui doit faire l’objet de procédures longues, complexes et qui maintiennent ces enfants dans une situation d’incertitude difficilement tolérable.

Le séjour

Pour le moment, la seule possibilité de séjourner légalement en Belgique reste donc la demande d’asile… qui n’aboutit positivement, on l’a vu, que dans un nombre infime de cas. Tout enfant non accompagné souhaitant rester en Belgique le temps de clarifier sa situation, éventuellement retrouver ses parents ou pour trouver simplement un lieu où vivre dignement, n’a d’autre choix que de demander l’asile, même si cette procédure est totalement inadéquate. Point positif cependant : une cellule "mineurs" a été mise en place à l’Office des étrangers début 1999 sauf que… "depuis lors, le responsable de cette cellule a été changé à cinq reprises, sans compter le turn over important dans le personnel de la cellule, pointe Benoît Van Keirsbilck. Une note interne à l’Office des étrangers a été également rédigée le 1er avril 1999. Elle prévoit un certain nombre de mesures à prendre dès que l’Office est averti de l’existence d’un mineur non-accompagné. Elle est actuellement appliquée à la carte, selon le bon vouloir des membres de la cellule mineurs de l’Office, et ne débouche que très rarement sur l’octroi d’un titre de séjour, fût-il temporaire, comme le prévoient pourtant les règles que cette administration se donne à elle-même."

La tutelle

Alors que tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit de la première priorité en matière d’accueil et surtout de protection des mineurs non accompagnés, force est de constater qu’on est encore loin d’une solution adéquate à ce problème. On sait depuis longtemps que les CPAS refusent de remplir leur mission, pourtant prévue par leur loi organique. Certains condamnés en justice organisent, en traînant les pieds, une tutelle, qui n’a d’existence que sur papier. Seule exception, le CPAS d’Assesse qui, lassé de l’immobilisme institutionnel, a décidé de réagir en ouvrant en octobre 2000 un centre d’accueil pour ces mineurs que personne ne semble vouloir prendre en charge.
La question de la tutelle a pourtant fait l’objet d’un des groupes de travail au sein de la "Task Force" mise en place par le ministère de l’Intérieur et qui est chargée de coordonner des groupes de travail rassemblant les différents ministères et administrations compétentes, pour enfin déboucher sur un projet global et cohérent… Il est un de ceux qui a le mieux fonctionné puisqu’en juin 2000, un projet de loi a été élaboré qui, dans les grandes lignes, répondait aux propositions et suggestions formulées par la plate-forme "Mineurs en exil". Depuis, lors ce projet n’a pas progressé d’un iota malgré que l’annonce de son adoption imminente par le gouvernement ait été faite à plusieurs reprises. "Aucune justification valable n’a été donnée à ce statu quo, avance la plate-forme. Il semble seulement justifié par un manque de coordination entre le ministre de la Justice (qui a rédigé le projet) et celui de l’Intérieur, ou, à tout le moins, par une absence réelle de volonté politique de progresser sur ce dossier."
La liste des manquements de la Belgique en ce qui concerne les mineurs étrangers non accompagnés est encore longue. Citons en pagaille l’aide et l’accompagnement juridique, l’assistance psycho-médico-sociale, les expulsions, les ordres de quitter le territoire… des manquements qui dérogent à la Déclaration des Droits de l’enfant signée par notre pays et qui placent la Belgique à la plus mauvaise place parmi ses consœurs européennes en matière d’accueil des mineurs étrangers non accompagnés. Il est par exemple significatif de constater que la question des mineurs non accompagnés, qui n’a plus progressé au niveau européen depuis la résolution du 26 juin 1997 (2), ne figure même pas à l’agenda de la Présidence européenne. "Par contre, après un an et demi de travail, souligne la plate-forme, le seul projet concret débouchant de la Task Force vise la création de centres fermés pour mineurs à la frontière. Mais faut-il s’en étonner ? C’est également l’aspect répressif et policier qui est la priorité des préoccupations du gouvernement belge dans le cadre de sa présidence de l’Union : coopération policière, lutte contre les trafiquants…" Pointons cependant une avancée significative au niveau de la Communauté française qui vient d’adopter un décret concernant la scolarité des primo-arrivants. Maigre consolation…

Catherine Morenville

    Plate-forme des mineurs en exil, c/o Service Droit des jeunes, rue du Marché aux Poulets, 30 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 209 61 61, fax : 02 209 61 60.
    Mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers, résolution du Conseil de l’Union européenne du 26 juin 1997 (97/C 221/03).

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