La politique d’asile définie par le gouvernement en septembre dernier laissait entrevoir ses premiers contours : humanité et fermeté. Deux préceptes qui, selon le ministre de l’Intérieur, devaient servir de socle à la définition d’une nouvelle politique d’immigration. Dix mois plus tard et après le lancement des procédures de régularisation, le dossier bloque. Pour cause d'élections communales ?

 

En Belgique, le nombre de demandeurs d’asile est en augmentation constante : de 4.476 demandes d’asile en 1988, on est passé à 21.240 demandes en 1998. Pour les huit premiers mois de 1999, on atteindrait déjà le chiffre de 17.798 demandes dont 65% en provenance des pays de l’Est. Selon le ministre, cette réalité s'explique par la lenteur et la complexité de la procédure d'asile en Belgique, l’attractivité du système d’aide sociale et l’absence d’éloignement effectif de ceux qui n’obtiennent pas le statut de réfugiés. Un autre facteur est mis en évidence : le dysfonctionnement structurel propre aux instances chargées de l’octroi de l’asile. Des mesures urgentes et globales s’imposaient donc pour faire face à ces réalités. C'est ainsi que les huit axes d'une nouvelle politique ont été élaborés. Ils portent sur:

  • une simplification radicale de la procédure d’asile pour réduire la durée de la procédure et l’arriéré (on atteint les chiffres records de 30.000 dossiers en attente);
  • une procédure d’éloignement pour ceux qui se trouvent en situation irrégulière dans notre pays ou à qui on a refusé l’asile;
  • une procédure de régularisation au cas par cas qui n’a toujours pas donné de suite puisque les chambres qui devaient commencer à traiter les dossiers à partir du 1er mars ne sont toujours pas opérationnelles trois mois plus tard;
  • un observatoire dont les principales missions seront de jouer un rôle d’ombudsman en matière d’éloignement et un rôle d’analyse de flux. Celui-ci n’est cependant pas constitué et aucune garantie d’indépendance – pourtant nécessaire à sa mission de médiation et d’analyse – ne sont prévues… au contraire;
  • la capacité d’accueil des candidats réfugiés dans les centres ouverts sera augmentée d’un quart. La capacité actuelle est de 3.904 lits, elle sera portée à 5.100 places;
  • une aide matérielle qui remplacerait le minimum vital : l’aide en espèces, octroyée par les CPAS, sera remplacée par une aide matérielle (gîte, nourriture, soins médicaux et d’accompagnement). L’objectif est de supprimer "l’attrait" de notre politique d’accueil et ainsi d’éviter les prétendus agissements des trafiquants d’hommes et des spéculateurs, qui exercent une forte pression sur les demandeurs d’asile;
  • l’amélioration de la qualité de l'accueil par la mise sur pied d’actions coordonnées entre les centres ouverts, les personnes qui y sont hébergées et les habitants du quartier;
  • le calendrier: il fixe le délai d’un an pour résorber l’arriéré, exécuter les éloignements décidés, mettre en place les nouvelles procédures, finaliser la procédure de régularisation et dégager les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette politique.

Sécuritaire
Les axes de cette nouvelle politique renforcent la logique du ministre de l’Intérieur de lutter contre l’afflux de réfugiés et de poursuivre une politique sécuritaire. On ne supprime pas les centres fermés, on rafraîchit d’un coup de peinture les centres d’accueil, on améliore "la qualité" des expulsions et on remplace l’aide financière des CPAS par une aide matérielle. Bref, une politique qui se veut dissuasive et ferme. Quant à l’humanité…
La nouvelle procédure de reconnaissance de la qualité de réfugié, qui est le premier axe de cette politique, est en panne. En effet, depuis la consultation effectuée par le cabinet du ministre de l’Intérieur auprès des différents acteurs concernés par l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile au mois de février 2000, le silence règne. Pourtant, il avait été annoncé que tout serait bouclé pour les vacances de Pâques ! Le projet paraissait si simple (lire les encadrés en pages 3 et 4). Comment, aujourd’hui, l’évaluer ? En trois mots : des questions, des inquiétudes et des regrets…
Regrets tout d’abord quant à sa conception. Malgré des effets d’annonce répétés d’un ministre qui avait déclaré supprimer toutes les instances qui avaient pour mission de statuer sur les demandes d’asile pour les remplacer par d’autres, "plus efficaces et plus humaines", il faut constater que ce grand chambardement est principalement d’ordre linguistique; l’OE devient l’AFI, le CGRA devient l’AFA, la CPRR le JAA (cf. ci-contre). On peut apprécier ou non le nouveau look de ces différentes instances. La question reste pourtant posée de leur degré d’autonomie par rapport à l’exécutif : les personnes resteront, le ministre continuera à diriger l’AFI – OE et a même l’ambition de coupoler l’AFA, ce qui serait un recul par rapport à la situation actuelle. Les instances chargées de l’application d’une convention internationale se doivent d’être indépendantes de tout pouvoir. Le projet actuel ne garantit pas cette indépendance.

Sans concertation
Regrets également quant à l’absence totale de concertation dans l’élaboration du projet. S’il est vrai que l’associatif, le Barreau, les organisations ont été informés et appelés à débattre de celui-ci, de nombreuses propositions auraient plus utilement pu être formulées s’ils avaient dès le départ été associés. N’aurait-ce pas dû être la première tâche de l’Observatoire que de travailler sur cette réforme de la procédure d’asile et de proposer ses réflexions au ministre?
Regrets, enfin, quant au fait que le ministre propose une réforme purement institutionnelle en passant à côté de la possibilité "historique" d’en faire l’aboutissement d’un vrai débat sur l’immigration, ses causes, sa réalité, sa nécessité. Il n’a pas su résister à la pression de ceux qui lui demandaient de "régler" le problème des expulsions et a donc, caractéristique de la politique de l’Intérieur depuis des années, commencé… par la fin ! Pas un mot d’analyse sur les causes de l’exil, sur les conséquences de la disparité Nord-Sud, sur la nécessaire cohésion entre notre politique de coopération au développement, des relations extérieures et d’immigration. La conséquence de cette absence d’analyse est, tout en déplorant le nombre croissant de demandeurs d’asile, de garder ces mesures de la honte : maintien des centres fermés, détention administrative illimitée, possibilités renforcées d’enfermement dans le cours même de la procédure, extension des centres ouverts, vaccins réputés contre toute tentative d’intégration. Toutes mesures dont l’inefficacité a été prouvée mais qui permettent les discours de fermeté de certains messieurs musclés du gouvernement.

Inquiétudes et interrogations

Les inquiétudes portent sur la procédure. Si les principes de la réforme visant à une procédure à la fois plus rapide et plus respectueuse des droits des demandeurs d’asile est une indéniable avancée, les récents soubresauts et modifications d’un projet qui n’en finit pas de voir le jour sont inquiétants. Voulant rivaliser avec son collègue de la Justice, le ministre de l’Intérieur passe lui aussi à la mode de la procédure accélérée. Celle-ci conduirait à ce que les demandeurs d’asile ne puissent pas tous et également faire respecter leurs droits, notamment en matière de recours. La procédure doit permettre même à ceux qui ne sont pas réfugiés au sens de la convention de Genève de bénéficier d’une procédure respectueuse de leurs droits leur offrant les garanties que leur dossier a été correctement traité. La réponse à des augmentations du nombre de demandeurs d’asile ne peut être une procédure à deux vitesses.
Des questions aussi ou plutôt une question: qu’est-ce qui bloque ? Qu’est-ce qui a bloqué une procédure de régularisation décidée en juillet, promulguée par circulaire en octobre, mise en œuvre par une loi en décembre et dont l’ombre d’un indice d’une seule décision n’a toujours pas été prise près de... un an plus tard? Qu’est-ce qui bloque le débat au Parlement sur la politique d’immigration dont la nécessité est clairement affirmée par tous? Qu’est-ce qui bloque le projet de la réforme de la procédure d’asile décidée aux grandes vacances, préparée pour Noël, annoncée pour Pâques et qui, aujourd’hui, ne semble plus être au menu des devoirs de vacances du gouvernement?
La déclaration gouvernementale avait redonné des couleurs à notre nécessaire métissage social et culturel. Mais l’arc-en-ciel n’aime pas les orages. La prudence, que l’on dit mère de sûreté (politique), imposerait-elle d’attendre la soirée du 8 octobre pour faire taire les peurs de certains face à ceux qui ont pour but de "blokker" notre démocratie? Qui, aujourd’hui relèvera le défi de définir une politique d’asile garantissant les mêmes droits et les mêmes chances pour tous ?

Véronique Oruba

Les nouvelles instances (en projet) de la politique d'asile et d'immigration

Il existera désormais une procédure unifiée examinant à la fois la recevabilité et le fond de la demande. Il est mis fin à une procédure en quatre étapes : examen de la recevabilité par l’Office des étrangers avec recours possible devant le Commissariat général aux réfugiés (CGRA), examen du fond par le CGRA, recours sur la décision du CGRA auprès de la Commission permanente de recours (CPRR) puis un recours final au Conseil d’État.
  • L’Office des étrangers devient l’Agence fédérale de l’immigration (AFI) qui remplirait un rôle principalement technique et resterait habilitée à enregistrer la demande, à prendre l’identité et les empreintes digitales du demandeur, à placer celui-ci en centre ouvert ou fermé, à évaluer l’application de la convention de Dublin.
  • Le CGRA deviendra l’Agence fédérale de l’asile (AFA) qui statuera sur l’ensemble du dossier (recevabilité et fond).
  • La commission permanente de recours se transformera en Juridiction administrative de l’appel (JAA) qui sera la juridiction d’appel.
  • Il n’y aura plus de recours suspensif possible devant le Conseil d’État qui agira comme "cour de cassation" des décisions prises par la JAA.


La nouvelle procédure d’asile

Deux types de procédure sont possibles :

  1. La procédure accélérée, dans les cas suivants :La procédure normale, dans les autres cas.
    • lorsque la demande émane de pays où les libertés ne sont pas menacées; ces pays sont déterminés par l’Observatoire de l’immigration et à défaut par le ministre. Ce système s’inspire d’une loi française récente ("pays sûrs")
    • en cas de fraude sur l’identité et la nationalité du demandeur
    • en cas de nouvelle demande
    • lorsque la JAA accepte la demande de l’AFA de déclarer la demande manifestement non fondée.

Un auditorat instruit la demande
Il est composé de fonctionnaires spécialisés par secteur géographique. Ceux-ci instruisent le dossier et jouent un rôle analogue à celui d’un parquet au niveau judiciaire.

Trois types de propositions peuvent être soumises à la juridiction proprement dite :

  1. Proposition de reconnaissance du statut de réfugié.
  2. Proposition de demande manifestement non fondée, dans les cas limitatifs suivants :
    Proposition de demande non fondée dans tous les autres cas.
    • demande antérieure dans un des pays liés par la convention de Dublin
    • fraude manifeste sur l’identité et la nationalité du demandeur
    • motifs étrangers à l’asile, parce qu’ils ne se rattachent pas aux critères de la convention de Genève
    • renvoi ou expulsion depuis moins de dix ans lorsque la mesure n’a pas été suspendue ni rapportée.
    • séjour total de plus de trois mois dans un ou plusieurs pays tiers qu’il a quitté(s) sans crainte au sens de la convention de Genève
    • titre de transport valable et documents de voyage à destination d’un pays tiers
    • absence d’éléments constituant de sérieuses indications d’une crainte au sens de la convention de Genève
    • (le cas échéant) absence d’éléments nouveaux à l’appui de la nouvelle demande.

La juridiction proprement dite, qui est composée de plusieurs chambres à juge unique, est saisie des propositions qui lui sont transmises par l’auditorat.

Deux types de procédures sont possibles :

  1. La procédure accélérée, en cas de demande fondée ou de demande manifestement non fondée; dans ce dernier cas la décision doit intervenir endéans le mois qui suit la demande de statut, en tenant compte néanmoins des délais de vérification des critères "Dublin".
  2. La procédure normale, en cas de demande non fondée.
    La possibilité de siéger en chambres réunies est prévue en cas de demandes appelant des questions de principe et pour assurer l’unité de jurisprudence.

Le Conseil d’État
Compte tenu des garanties juridictionnelles de la juridiction administrative des réfugiés, le Conseil d’État ne traitera pas du fond de la demande. L’article 14 § 2 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, modifié en 1999, dispose en effet que la section statue par voie d’arrêts sur les recours en cassation formés contre les décisions contentieuses rendues en dernier ressort par les juridictions administratives pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité. Dans ce cas, elle ne connaît pas du fond des affaires.
Une procédure accélérée sera mise en place pour les recours contre les décisions de la JAA sur les demandes manifestement non fondées.

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