On l’a sans doute oublié mais la Belgique a déjà connu une vague de régularisation du 1er août 1974 au 31 janvier 1975.

 

Vingt-cinq ans déjà et pourtant beaucoup de similitudes avec le contexte d’aujourd’hui:
- on ne parlait pas encore de sans-papiers mais de clandestins;
- grèves de la faim d’étudiants en 1970 contre l’arbitraire de la Police des étrangers, rebaptisée entre-temps Office des étrangers;
- revendication d’un statut de l’étranger comportant une réelle sécurité de séjour, il faudra toutefois attendre le vote de la loi du 15/12/80 sur l’entrée et le séjour; loi dont les acquis ont été progressivement détricotés par la suite;
- exigence d’une véritable politique d’immigration; les travailleurs immigrés étaient régulièrement piégés par une application rigoureuse de la réglementation et contraints à travailler dans la clandestinité. Les travailleurs arrivés au début des années 70 avaient peu de chances d’obtenir un permis de travail et des employeurs profitaient de la situation.
- et c’est aussi une grève de la faim menée par quelques travailleurs marocains dans l’église SS. Jean et Nicolas à Schaerbeek en mars 1974 qui mit à l’avant-plan la question de la régularisation.
Le principe d’une campagne de régularisation soutenu par de nombreuses personnalités, le monde associatif et les deux organisations syndicales sera concrétisé par un nouveau gouvernement mis en place quelques mois plus tard.
Ce gouvernement décide de régulariser sur la base de modalités discutées au sein du Conseil consultatif de l’Immigration institué auprès du ministère de l’Emploi et du Travail, conseil qui regroupe représentants de tous les départements concernés, les interlocuteurs sociaux ainsi que des experts du monde universitaire.
Les conditions:
o le travailleur devait introduire sa demande de régularisation entre le 1er et le 19 août 74 auprès de l’ONEm, soit une période de 19 jours seulement!
o il devait prouver:
- qu’il était en Belgique avant le 1er avril 1974 (pour éviter que des personnes ne viennent en Belgique à l’occasion de la régularisation);
- qu’il avait séjourné en Belgique entre le 1er avril 74 et le 1er août 74.
Si les preuves apportées étaient jugées suffisantes par l’administration, il recevait un document de séjour provisoire valable jusqu’au 1er octobre 74. Il restait alors au travailleur de revenir à l’ONEm avant cette date avec une demande de permis de travail d’un employeur qui s’engage aussi, par contrat, à l’occuper pendant un an.
Tous les acteurs de cette campagne de régularisation se souviendront d’une fameuse pagaille: difficultés de diffuser l’information dans une période trop courte et en pleines vacances; climat de confusion et de méfiance; peu ou pas de garantie d’être régularisé; preuves de séjour difficiles à réunir; manque de coopération des employeurs notamment peu disposés à signer un contrat d’un an. Les syndicats ont rapidement obtenu une négociation des conditions de régularisation et cela en fonction des difficultés rencontrées sur le terrain.
Le délai du 1er octobre 74 pour l’introduction d’une demande de permis de travail a été reporté au fur et à mesure; la date limite a finalement été arrêtée au 31 janvier 75. L’exigence d’un contrat de travail d’un an a dû être abandonnée.
Les preuves de séjour ont été appréciées avec beaucoup de souplesse d’autant que l’on se rendait compte que le nombre de travailleurs clandestins était nettement inférieur à certaines estimations. Des chiffres de 50.000, voire 100.000 étaient cités. Au 31 novembre 74, il restait 446 dossiers de travailleurs n’ayant pas trouvé un employeur. Finalement, quelque 7.500 travailleurs ont pu régulariser leur situation. Ce n’est toutefois qu’après avoir travaillé 2, 3 voire 4 ans selon leur nationalité et leur situation familiale qu’ils ont obtenu leur permis de travail de durée illimitée. Le nombre de personnes régularisées a toutefois été plus élevé puisqu’il faut aussi prendre en compte la famille de ces travailleurs.
De cette expérience, on peut tirer quelques enseignements:
Il faut des critères très simples, une bonne information du public visé, une implication de tous les acteurs concernés (administrations, associations, syndicats, employeurs), une concertation permanente pour prendre en compte les difficultés qui se révèlent en cours de procédure. Et il y a un préalable: la volonté politique de procéder à une régularisation générale en collaboration avec le monde associatif belge et d’origine étrangère.
Une nouvelle politique d’immigration aurait dû être mise en place par la suite; il n’en a rien été. Il est urgent de relever ce défi.

Edwin Loof
responsable national du service migrants de la CSC

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