L’énergie n’est pas un bien comme un autre. Dès la domestication du feu par nos lointains ancêtres, elle a fait l’objet de vives tensions au sein des communautés humaines, puis entre celles-ci. Vitale pour le développement des sociétés industrielles, elle a toujours été considérée comme un enjeu stratégique de la politique des nations. Pas étonnant dès lors que la question énergétique, dans toute sa complexité actuelle, ait tant de mal à être coordonnée au niveau européen et a fortiori à l’échelle mondiale.

 Pourtant, la réponse, impérativement internationale à défaut d’être mondiale, doit venir rapidement si l’on veut éviter une casse sociale majeure au XXIe siècle. Tout d’abord, le plus tangible des deux défis majeurs est celui de l’épuisement des réserves de combustibles fossiles telles que le pétrole et le gaz. Quoique mis sous l’éteignoir depuis la crise économique mondiale ayant entraîné un brusque repli de la demande de brut avec une forte baisse des prix à la clé, ce problème reste structurel pour nos sociétés dépendantes en hydrocarbures. La reconnaissance d’un déficit d’approvisionnement mondial de pétrole a été endossée récemment par la « très sérieuse » Agence Internationale de l’Énergie (AIE), certes longtemps après les avertissements de l’association des géologues pétroliers (ASPO). Fatih Birol, chief economist de l’agence, était présent sur le sol belge en novembre dernier pour présenter les perspectives énergétiques pour les prochaines années. Pour la première fois, l’AIE a procédé à une étude approfondie sur l’état des 800 plus grands gisements pétroliers représentant les trois quarts des réserves globales. Son constat, d’habitude si optimiste et politiquement correct, était sans appel : la production des champs pétroliers existants est en net déclin, à un rythme plus rapide que prévu. Même si la demande reste à son niveau actuel (hypothèse forte de stabilité théorique), il faudra « trouver de nouveaux champs pétrolifères pouvant extraire 45 millions de barils par jour, soit l’équivalent de la production de 4 Arabie Saoudite » ! De plus, la montée en puissance des compagnies pétrolières nationales, c’est-à-dire dans les mains des États producteurs de pétrole, va se poursuivre au détriment des Big Oil tels qu’Exxon ou Shell ; 80 % des nouveaux investissements destinés à maintenir les niveaux de production devront provenir de ces compagnies nationales.

Réchauffement climatique

Le second défi majeur du monde énergétique est sans conteste le réchauffement climatique. L’énergie est directement responsable de 2/3 des émissions anthropiques des gaz à effet de serre, qui s’accumulent dans l’atmosphère et sont à la source d’un rythme de réchauffement du climat inégalé depuis plusieurs centaines de milliers d’années. Si les tendances actuelles se poursuivent, ce seront 40 milliards de tonnes de CO2 qui seront rejetées annuellement d’ici 2030, causant un dérèglement climatique sans précédent s’élevant à terme jusqu’à +6°C par rapport à l’ère pré-industrielle, alors que le GIEC estime qu’il faut contenir le réchauffement en dessous de +2°C si l’on veut éviter les conséquences les plus néfastes. Les effets du réchauffement (augmentation du niveau des mers, diminution des réserves d’eau douce, sécheresses accrues, fréquence des épisodes météorologiques extrêmes, etc.) se feront sentir partout dans le monde, mais affecteront de manière plus forte les pays en voie de développement. L’adaptation aux changements climatiques à venir devient progressivement un enjeu aussi important que la réduction des gaz à effet de serre, particulièrement dans les pays vulnérables comme les Pays-Bas.
Pour répondre à ces enjeux de taille, trois approches découlant d’idéologies bien distinctes sont présentes dans les débats. La première approche est encore marginale à l’heure actuelle, et peut être qualifiée de néo-malthusienne : il y a trop d’êtres humains sur terre, et ceux-ci s’approprient un espace vital au détriment des autres espèces animales. Les deux solutions prônées sont radicales : au mieux, il s’agit de réduire drastiquement nos modes de vie (tenants de la décroissance), au pire, supprimer le nombre excédentaire d’homo sapiens notamment dans les pays pauvres (idéologie d’extrême-droite).

Quelle approche ?

Mais le véritable combat se situera entre les tenants d’une approche néo-libérale des politiques énergétiques/climatiques et ceux prônant une approche solidaire et fondée sur l’intervention des pouvoirs publics. La première approche, d’inspiration néo-libérale, a la cote actuellement, et semble devoir passer le cap de la crise économique. Deux mots-clés à retenir : laisser jouer les forces du marché et solutions technologiques. Dans une lettre adressée récemment aux ministres européens de l’environnement, BusinessEurope — la coupole des organisations patronales européennes — balise les contours d’un futur accord international sur le climat pour l’après-Kyoto ; celui-ci « doit encourager la croissance économique, le commerce international libéralisé et équitable (…) et créer des opportunités pour le business. Les entreprises vont fournir beaucoup de solutions (…) par l’innovation et le déploiement des technologies (…), pour autant qu’un cadre approprié soit établi et que les barrières au commerce soient abolies. Un prérequis est le respect des droits de propriété intellectuelle des sociétés privées ». C’est cette approche qui prévaut actuellement sur la scène internationale, notamment pour la mise en place d’un régime post-Kyoto sous l’égide des Nations Unies : un vaste système de cap and trade, où les pays industrialisés s’engagent sur des objectifs de réduction d’émissions de leurs gaz à effet de serre (pour l’Europe des 27 : -20 % à -30 % d’ici 2020), mais la réduction effective peut être en partie réalisée par l’achat de crédits d’émission sur les marchés mondiaux du carbone. À défaut de pouvoir instaurer une taxe mondiale sur le CO2, on compte sur les marchés financiers pour donner un prix au carbone, en autorisant notamment des mouvements spéculatifs qui engendrent une instabilité des prix (cf. figure page suivante) et partant, une incertitude pour les investisseurs dans les technologies propres.
Nul doute qu’une approche solidaire, fondée sur l’intervention des pouvoirs publics, eut été également plus efficace. À l’instar du régime de la sécurité sociale, elle serait basée sur l’instauration d’une cotisation climat sur l’ensemble des émissions, industrielles, mais aussi celles issues des transports. Donnant un signal à long terme en augmentant progressivement la valeur du carbone (par exemple, on passerait de 20 euros par tonne de CO2 à 50 euros en 2020), le niveau de la cotisation climat pourrait être ajusté périodiquement en fonction des objectifs à atteindre, notamment en se basant sur les recommandations du GIEC. Last but not least, les recettes issues de cette cotisation ne seraient pas « dégradées » par les multiples intermédiaires financiers et spéculateurs, mais seraient affectées intelligemment avec un contrôle public (i) au développement des énergies renouvelables et aux nouvelles formes de vivre ensemble (éco-quartiers, mobilités alternatives), (ii) à des investissements massifs dans la rénovation énergétique des bâtiments, en particulier les logements des ménages à faible revenu, (iii) à la modernisation écologique du tissu industriel via des aides publiques à la recherche et au déploiement des nouvelles technologies propres, (iv) à un fonds de transition juste, permettant aux travailleurs des secteurs en reconversion de bénéficier d’une protection sociale forte et de possibilités de formation dans les nouveaux métiers, (v) à un fonds d’adaptation dans lequel les pays en développement pourraient venir puiser afin de développer leur capacité de résilience au réchauffement climatique. Outre un respect plus assuré des objectifs à long terme de stabilisation du climat à des niveaux viables pour l’humanité, ce système permettrait une bien moindre dépendance énergétique au pétrole, avec pour corollaire une réduction des conflits liés à cette ressource et une préparation en douceur de nos sociétés au pic pétrolier. Cette approche, exigeante sur le plan politique, doit pouvoir compter sur une gouvernance publique de qualité et une évaluation permanente, faute de quoi la légitimité de tout le système risque de s’étioler.

Culte à la compétitivité

Malheureusement, cette approche solidaire est battue en brèche par l’idéologie prégnante de l’hyperconcurrence entre les pays et les blocs continentaux et le dogme de la compétitivité — l’Union européenne n’a-t-elle pas elle-même créé un Conseil des ministres spécifiquement dédié à la compétitivité ? Tout effort de modernisation écologique demandé au secteur économique est aussitôt perçu comme une menace pour les entreprises, qui doivent rester compétititives dans un monde où le capital financier a toute liberté de se déplacer. Le deuxième écueil rédhibitoire à la mise en œuvre de l’approche solidaire est la faiblesse du cadre multilatéral pour l’environnement des Nations Unies, qui consiste actuellement en un agrégat de conventions thématiques faisant peu de poids face à l’Organisation mondiale du commerce et son Organe de règlement des différends. En tant que mouvement social, nous devons continuer à plaider l’approche solidaire au niveau mondial, qui est la seule acceptable socialement et qui permettra de répondre « humainement » à la fois aux défis énergétique et climatique. Notre responsabilité dans ce cadre est de renforcer nos liens internationaux avec les mouvements sociaux du Nord comme du Sud, afin d’œuvrer à ce cadre multilatéral solidaire de l’environnement. À cet égard, l’échéance de Copenhague en décembre 2009, où se tiendra la prochaine conférence des Nations Unies qui doit déboucher sur la mise en place d’un régime post-2012 d’engagements pour contrer le réchauffement climatique, sera cruciale pour la crédibilité de nos mouvements sur ces questions.

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