Les effets concrets de la crise financière et économique sur la situation de l’emploi commencent à se faire sentir. La Banque Nationale de Belgique parle de 57 000 emplois en moins dans notre pays en 2009. Et ensuite ? Puisqu’il est difficile de prévoir l’évolution de la crise, il importe donc de prendre des mesures dans la perspective d’en limiter au maximum les impacts en matière d’emploi.

Conserver et développer l’emploi de qualité ne peut se faire que si l’on réfléchit à moyen terme, dans une logique de développement durable, tout en investissant en urgence des moyens qui permettent de sauver ce qui peut l’être à court terme. C’est dans cette perspective que le Mouvement ouvrier chrétien a développé ses axes prioritaires en matière d’emploi. Ceux-ci peuvent se résumer de la manière suivante : lutte contre la précarisation et l’insécurité de l’emploi ; développement d’actions spécifiques par rapport au public jeune et lutte contre les discriminations ; développement de l’emploi dans les secteurs non-marchands, tels que l’accueil de l’enfance et les soins et services aux personnes, et dans le logement social et les services publics. À plus long terme, le développement de l’emploi dépend aussi des investissements dans la recherche et le développement, notamment dans des secteurs qui allient environnement et emploi (économie d’énergie, développement des énergies renouvelables, isolation des bâtiments, biocarburant, cogénération). Il dépend aussi de la réduction du temps de travail (semaine de 4 jours) et de l’instauration du dialogue social dans les PME.

Évaluation

Depuis 2004 et la Conférence nationale de l’Emploi, nous avons pu constater une évolution importante du discours et du positionnement du politique par rapport à la problématique de l’emploi. La tendance forte a été vers la « responsabilisation » des demandeurs d’emploi. Par une politique d’activation accrue, le politique s’est déresponsabilisé des problèmes liés au manque d’emploi en renvoyant la responsabilité, qui s’est souvent muée en culpabilité, sur l’individu « demandeur d’emploi ». Cette tendance a été renforcée par le discours — initialement véhiculé par le patronat, mais que le politique a fait sien — à propos des pénuries d’emploi.
Concrètement, depuis les dernières élections de 2004, on ne peut pas réellement parler de développement d’emplois durables et de qualité. Pour les jeunes, les contrats intérimaires sont souvent la porte d’entrée à l’emploi. On peut d’ailleurs constater un renforcement de la collaboration entre les services publics et les sociétés d’intérim notamment au travers des appels à projets, en matière de formation, organisés par les offices régionaux de l’emploi et de la formation.
Au niveau des conditions de travail, celles-ci se sont détériorées : la pression pour accroître les cadences augmente partout, la souffrance au travail est importante, la flexibilité devient permanente et peu gérable par les travailleurs. Développer une vraie politique de l’emploi, c’est aussi permettre aux gens de s’y présenter ! Il est donc indispensable d’allier politique de l’emploi et développement de services de garde d’enfants, de transports… L’emploi doit permettre de vivre dignement et être un facteur de cohésion sociale sans quoi, il devient destructeur pour celui qui l’occupe.
Dans les communes, les emplois PTP (Programme de transition professionnelle) se sont développés. Ils peuvent être utiles s’ils permettent aux jeunes d’acquérir une première expérience professionnelle et s’ils les font progresser dans leurs apprentissages. Aujourd’hui, les PTP ne visent plus à développer de l’emploi non récurrent dans les entreprises, mais bien à financer structurellement certains postes de travail. À ce financement devenu structurel, ne correspondent pas des emplois durables. La rotation reste la règle. Une fois de plus, le travailleur paie la flexibilité.
Pour les jeunes qui sortent de l’école, le gouvernement a mis en place le plan « Job Tonic ». Celui-ci consiste en un encadrement immédiat du jeune, et ce, avant qu’il n’ait une longue période de chômage. Si l’initiative est tout à fait louable, ce plan est conçu en référence à des jeunes diplômés, largement autonomes dans leur recherche d’emploi. Il offre des perspectives limitées aux jeunes en difficulté à la sortie du système scolaire.
Des efforts ont été réalisés pour le développement de l’emploi dans le secteur non-marchand, entre autres afin d’augmenter le nombre de places disponibles pour l’accueil extrascolaire, mais cet effort est encore largement insuffisant pour couvrir les demandes.
En matière environnementale, les Régions ont mis l’accent sur l’octroi de primes à la rénovation des bâtiments ou à l’installation de moyens permettant de réduire les coûts énergétiques des logements. Celles-ci contribuent au développement tant environnemental qu’à celui de l’emploi.
L’accroissement de l’offre de services en termes de transports en commun peut aussi être un véritable vecteur d’emploi — en ce compris l’emploi de personnes peu qualifiées —, mais l’évolution constatée reste insuffisante dans ce domaine.
Le développement de l’emploi dans le cadre du système des « titres-services » a été largement favorisé par les gouvernements fédéral (déductions fiscales) et régionaux. Si ce système permet effectivement l’accès à l’emploi pour des personnes peu qualifiées, les dérogations à la loi sur le contrat de travail et l’accès au secteur par les sociétés intérimaires conduisent à des formes de précarisation de l’emploi et à une concurrence destructrice sur le plan social à l’égard des services non-marchands d’aide aux personnes.

Enjeux

La revendication de l’emploi durable et de qualité doit rester centrale. Au-delà du court terme, il faut réfléchir et mettre en place des politiques pour les emplois de demain. Les investissements dans la recherche et le développement, notamment dans des secteurs qui allient environnement et emploi peuvent y contribuer, de même que le développement de projets en matière d’économie d’énergie (isolation, transports en commun), et de développement des énergies renouvelables (y compris investissements publics dans les infrastructures publiques telles qu’écoles, centres culturels, administrations, etc.).
Les gouvernements régionaux peuvent jouer un rôle décisif à cet égard, et pas seulement en offrant des primes aux ménages : ils doivent favoriser la conclusion d’accords de branche entre partenaires sociaux dans les filières du développement durable, encourager l’orientation des formations initiales et continuées dans les secteurs concernés, effectuer les investissements publics qui sont productifs d’emplois durables et non délocalisables.
Par ailleurs, les gouvernements devraient moins parler des pénuries d’emploi et agir davantage pour répondre aux réels besoins en matière de fonctions critiques. Le service public de placement doit effectuer une évaluation des postes de travail réellement disponibles. Il est indispensable que cette évaluation contienne un volet qualitatif, c’est-à-dire incluant les exigences, les compétences et niveaux de formation souhaités et les conditions de travail et salariales du poste à pourvoir. C’est seulement à partir de là qu’on pourra identifier le nombre et la localisation des postes de travail réellement disponibles.
La problématique de l’emploi des jeunes et des discriminations à l’embauche est encore bien présente. C’est pourquoi il convient de développer des actions spécifiques liées à ce public en vue de lutter contre les discriminations notamment au travers du développement de la formation en alternance et des actions d’insertion. Il ne s’agit pas seulement d’organiser l’accompagnement comme cela est réalisé dans le cadre de Job tonic. Il faut revoir le système des aides à l’embauche.
Les gouvernements régionaux doivent encourager les entreprises à embaucher, intégrer ou maintenir au travail un certain nombre de personnes handicapées et faire respecter les quotas dans le secteur public. Quant à l’emploi en milieu spécialisé (ETA), il devrait être subsidié sur la base d’un nombre d’équivalents temps plein plutôt que d’un nombre de places, afin de permettre le travail à temps partiel et la souplesse pouvant répondre aux difficultés de certaines personnes malades et handicapées.
La formulation des offres d’emploi et leurs exigences sont souvent telles que les personnes éloignées de l’emploi n’osent plus postuler. Un travail de mise en regard de l’offre d’emploi et des compétences exigées doit être organisé par le service public de l’emploi. Seul ce travail permettra un accompagnement réel des demandeurs d’emploi et leur permettra de trouver une intégration de qualité dans l’emploi.

Réduire le temps de travail

L’accès à l’emploi dépend aussi de nombreux autres facteurs, entre autres la mobilité, la santé, la garde des enfants… Il faut développer l’emploi dans le secteur non marchand public ou associatif pour rencontrer ces besoins. Cela permettrait à la fois de créer de l’emploi dans les secteurs concernés et de favoriser l’accessibilité à l’emploi, et ce, principalement pour les femmes. En vue de développer l’emploi et permettre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et familiale, il faut réfléchir à la mise en œuvre d’un plan global et cohérent de réduction du temps de travail. Les perspectives liées à la crise financière et économique, la « performance » de la Belgique en matière de productivité par personne mise à l’emploi, ainsi que la nécessité absolue de revoir notre modèle de développement sont autant d’arguments qui plaident pour que le partage du travail soit remis rapidement en chantier.
Le développement des titres-services avait pour objectif premier de « blanchir » du travail non déclaré. Le nombre de personnes occupées aujourd’hui au travers de ce système montre que les besoins pour ce type de travail existent. Néanmoins, l’incitant fiscal et les aides massives octroyées aux entreprises concernées représentent un coût colossal pour l’État sans offrir un statut complet aux travailleurs concernés. Il faut donc un encadrement plus strict des entreprises agréées. Les bénéfices générés par cette activité doivent être investis dans le capital travail de l’entreprise afin de pouvoir maintenir les travailleurs à l’emploi quand ils n’ont plus accès aux aides à l’emploi, et de leur octroyer une évolution barémique décente. Sans cette obligation, on assiste à l’organisation d’un turn-over des travailleurs. De plus, l’obligation de dispositif de formation et d’encadrement, et de respect des conditions de travail sont des critères qui doivent être ajoutés pour l’octroi de l’agrément titres-services. Nous restons par ailleurs farouchement opposés à l’élargissement des titres-services à l’accueil de l’enfance et aux soins des personnes, car nous privilégions en ces domaines des formules de financement public qui permettent de garantir le caractère non-marchand et la qualité des emplois.
Enfin, le MOC revendique le soutien au développement de projets d’économie sociale qui se situent dans une logique de développement local, durable et qui s’adressent à des publics faiblement qualifiés.