L’ensemble des impôts représente un peu plus de 90 milliards d’euros par an en Belgique. Cette masse provient pour un gros tiers de l’impôt des personnes physiques (35 %) et pour un autre tiers (32 %) des impôts sur la consommation (TVA). Les impôts sur le capital (impôt des sociétés, précompte mobilier, immobilier et droits d’enregistrement…) apportent 20 % des recettes. Le solde provient d’autres impôts comme la taxe de circulation ou les taxes locales.



Les impôts sont utiles et nécessaires pour financer les biens et services collectifs : l’enseignement, les routes, la justice, les transports collectifs, la sécurité, l’accueil de l’enfance, les services aux personnes âgées... Lorsqu’ils sont progressifs, c’est-à-dire quand leur poids augmente avec le revenu, ils contribuent à redistribuer les revenus. Ils conduisent à plus d’égalité lorsque les services bénéficient autant ou davantage à ceux qui ont de faibles revenus. Des impôts (ou des réductions d’impôts) sont également utilisés pour influencer les comportements de la population : pour économiser l’énergie, par exemple. L’impôt des sociétés représente environ 9 milliards d’euros. Il apporte 7 % des moyens collectifs belges, sécurité sociale comprise. Il s’agit du principal impôt sur les revenus du capital. L’impôt des sociétés n’est pas redistributif en lui-même. Cependant, les moyens qu’il apporte ne doivent pas être prélevés sur d’autres revenus comme ceux du travail, ou sur la consommation.  L’impôt des sociétés est un élément de concurrence entre les pays pour attirer ou garder des investisseurs externes. L’élargissement de l’Union européenne et le manque de coordination entre pays ont provoqué des réformes qui poussent vers le bas l’impôt sur les bénéfices, alors que ceux-ci augmentent rapidement. Ce processus est illustré ci-contre.  Les grosses sociétés utilisent les différences d’imposition entre les pays, les régions et localisent leurs sites notamment en jouant sur le « dumping fiscal ». À terme, la mise œuvre de la société européenne pose le débat d’un impôt européen des sociétés. En 2002, en Belgique, l’impôt des sociétés belges a été réformé en profondeur. Le taux d’imposition est passé alors de façon drastique de 40,2 % à 33,99 %. Selon la Cour des comptes, cette réforme n’a pas entamé le budget, les mesures compensatoires étaient suffisantes. Depuis lors, l’impôt des sociétés a une nouvelle fois été revu à la baisse avec la création des intérêts notionnels.  À partir de l’exercice d’imposition 2007, chaque entreprise pourra déduire de ses bénéfices, un rendement fictif de l’impôt des sociétés (un peu moins de 4 %), en fonction de ses fonds propres. Pour les entreprises, c’est une bonne nouvelle. Mais c’est une mesure qui va coûter beaucoup d’argent à l’État et qui, selon nous, offre peu de garanties pour inciter les entreprises à investir en Belgique, attirer de nouvelles entreprises et rapporter suffisamment de recettes à l’État.

Vive la concurrence fiscale ?

 Selon les libéraux, la concurrence fiscale entre États membres est une bonne chose. Elle favorise la bonne gestion des pouvoirs publics et limite les impôts, particulièrement pour les facteurs de production les plus mobiles : les capitaux et dans une moindre mesure, le travail très qualifié. Les tenants de cette option trouvent dès lors dans les pays voisins (ou un peu plus loin) des réformes qui réduisent l’impôt des sociétés. Ils invitent la Belgique à s’aligner. « Nous n’avons pas le choix » disent-ils. « Si nous ne faisons rien, les bénéfices s’en iront, puis les activités elles-mêmes ». Deux arguments principaux sont utilisés : l’un se rapporte au budget, l’autre à l’emploi. Le premier, traditionnel, consiste à dire que réduire un impôt va avoir un tel effet stimulant sur l’économie que finalement il y aura plus de moyens pour la collectivité. Ce raisonnement peut se vérifier pour quelques impôts spécifiques, mais pas pour l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Les réformes passées ont nécessité de nombreuses mesures compensatoires pour combler un manque à gagner bien réel. En Belgique, l’impôt des sociétés n’est pas un « petit impôt », il est le troisième en importance, après l’impôt des personnes et la TVA. Il représente quasiment autant que l’ensemble des accises. Jouer aux apprentis sorciers peut donc coûter cher.  Le deuxième registre néolibéral est celui de l’emploi. Pour illustrer la différence entre une approche libérale et une plus objective, voici la comparaison de deux études sur le même sujet. La plus libérale indique que, sans diminution de l’impôt des sociétés en Belgique, une « fuite » de 1 700 à 9 000 emplois est à prévoir. Si la Belgique réduisait son taux d’impôt des sociétés de 34 à 25 %, cela permettrait de créer 90 000 emplois en plus dans le pays. Ces calculs reposent sur plusieurs hypothèses éloignées de la réalité : – que les autres pays ne suivent pas le mouvement de baisse de l’impôt des bénéfices ; si d’autres pays font la même opération que la Belgique, l’effet sur l’emploi est nettement réduit, voire totalement annulé ; – que les entreprises locales réagissent comme les multinationales, en déplaçant leurs activités de pays à pays (cela est très éloigné de la réalité) ; – que le financement de la mesure est « automatique » à 100 % : il ne faut pas réduire les dépenses ou augmenter d’autres impôts.  En 2004, le Bureau du Plan estimait qu’une augmentation de 1,5 milliard d’euros de l’impôt des sociétés pourrait causer la perte d’environ 6 000 emplois. Les méthodes utilisées permettent de tenir le raisonnement inverse : une diminution de 1,5 milliard pourrait engendrer la création de 6 000 emplois. Cela voudrait dire 8 000 emplois, pour deux milliards d’euros de moindres recettes, soit un coût très important. L’écart entre les deux évaluations, en termes d’impact sur l’emploi, est de 1 à 10. Ce qui démontre manifestement le caractère « utopiste » de l’option néolibérale.

Vive l’impôt européen des sociétés !

 Un constat est partagé de manière assez large en Belgique : les revenus du travail contribuent relativement plus que les autres revenus au financement des biens et services collectifs. Pour l’option progressiste, les « autres revenus » (c’est-à-dire les revenus du capital) doivent contribuer plus, ce qui pose un double problème : inégalité de traitement entre revenus et pouvoir d’achat des travailleurs. Cela concerne l’impôt des sociétés, mais aussi les prélèvements sur les revenus financiers ou immobiliers des particuliers, sur le patrimoine… Un impôt des sociétés renforcé permettrait de socialiser une partie des bénéfices des entreprises, qui sont en augmentation ces dernières années. La Belgique se situe, en 2006, dans la moyenne des pays de la « Vieille Europe », pour l’imposition effective des bénéfices.  Les progressistes ne peuvent ignorer la vive concurrence entre les pays pour garder ou attirer les entreprises. L’impôt des sociétés est un instrument souvent utilisé. Si les pays européens continuent dans cette voie, les revenus du travail et la consommation vont devoir contribuer davantage pour compenser la moindre taxation des bénéfices des entreprises.  Une piste de travail est de mettre en œuvre une coordination de cet impôt au plan européen. Il faut pouvoir déterminer un taux minimum, comme cela existe pour la TVA, et une base comparable d’imposition. Pour l’instant, les travaux se font surtout vers une base commune. Sans balise, celle-ci peut renforcer la concurrence plutôt que l’atténuer. Le taux serait alors le principal indicateur.  Une voie plus ambitieuse serait d’imaginer une imposition européenne des bénéfices des groupes actifs en Europe. Devant des projets de réforme, la réaction progressiste consiste notamment à mettre en avant les conséquences possibles des projets. Rien ne se crée, rien ne se perd. La fonction essentielle de l’impôt est de permettre le financement des biens et des services collectifs. Une réforme visant la réduction des recettes publiques pose inévitablement la question des compensations : autres recettes ou moindres dépenses.

Coordonner l’imposition

 La concurrence fiscale entre pays se renforce en matière d’impôt des sociétés dans l’Union européenne. La Belgique est engagée dans cette course vers le bas, notamment avec la mise en œuvre des intérêts notionnels, qui réduisent les moyens budgétaires alors que les effets sur l’activité et l’emploi risquent d’être très faibles. Or il faut sérieusement évaluer l’impact réel de cette mesure. Le MOC est favorable à une coordination de l’imposition des sociétés dans l’Union européenne : base comparable et taux minimum autour de 30 %. La Belgique doit porter ce dossier au sein de l’Union. Il est nécessaire de poursuivre la lutte contre les paradis fiscaux, aux niveaux européen et mondial. Au plan belge, trop de revenus glissent de la base imposable des personnes physiques vers celle des sociétés, nettement plus avantageuse pour les hauts revenus (taux de 25 à 35 %). Pour stopper ce mouvement, il faut : – supprimer les taux réduits de l’impôt des sociétés pour les PME ; – augmenter la rémunération minimale des dirigeants d’entreprise, ce revenu est soumis à l’impôt des personnes ; – augmenter le capital minimum requis, ce qui permet aussi de réduire les faillites.  Si cela s’avère insuffisant, on peut étudier la possibilité de soumettre à l’impôt des personnes physiques les bénéfices des sociétés qui ne réunissent pas plusieurs actionnaires différents.

Le Gavroche

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