La consommation traverse toutes les dimensions de la vie (alimentation, habitat, énergie, loisirs, etc.). En tant que consommateurs, nous pouvons nous considérer seuls maîtres de nos besoins et de nos habitudes personnelles. Mais nous sommes aussi partie prenante d’un modèle de consommation et de développement qui génère des inégalités sociales croissantes et engendre un coût écologique insupportable pour la planète.

 
Le marketing tend à nous attribuer ce statut de consommateur isolé dans ses actes. Mais nous sommes aussi des citoyens confrontés à des enjeux collectifs de justice sociale et de développement : celui de l’accès de tous aux biens de consommation et aux services, et celui des risques liés aux excès de production et de consommation. Le recours au crédit est de plus en plus intégré à nos modes de consommation et entraîne un public fragilisé à vivre dans l’endettement permanent.
Le crédit permet d’étaler dans le temps l’achat de biens de consommation, facilitant ainsi l’accès à un bien-être minimum. Mais il ne représente pas une solution durable au problème du manque structurel de revenus. Dans une société où la surconsommation devient un mode de vie, l’incitation au crédit accroît le risque d’exclusion des consommateurs les plus fragiles. Lorsque survient un accident de parcours dans leur vie (maladie, séparation, perte d’emploi), nombre de personnes connaissent brutalement des difficultés insurmontables pour équilibrer leur budget et rembourser les sommes empruntées. La virtualité de l’argent (cartes de banque, paiements par informatique) complique également la gestion d’un budget. « On ne voit pas l’argent filer » : l’expression prend ici tout son sens. Dans ce contexte, le succès croissant des ouvertures de crédit mérite une attention particulière.
L’analyse de l’évolution des chiffres montre que le marché du crédit se porte bien en Belgique. Il convient cependant de relativiser quelque peu, en remarquant que les crédits à la consommation ne représentent que 8 % des revenus disponibles des ménages en Belgique, alors que la moyenne européenne est de 15 %. Les pouvoirs publics ont apporté des améliorations significatives à la législation en matière de crédit, en la modifiant dans le sens d’une meilleure protection du consommateur (loi sur le crédit à la consommation du 12 juin 1991, modifiée le 24 mars 2003). La création de la Centrale positive des crédits aux particuliers – qui enregistre tous les crédits en cours – est à cet égard un exemple d’outil législatif très important en matière de lutte contre le surendettement. Cependant, cette législation ne fera ses preuves que si l’on peut en garantir un contrôle efficace d’une part, et la modifier pour limiter la durée des ouvertures de crédit d’autre part. En effet, le succès croissant des ouvertures de crédit et l’augmentation constante des défaillances de paiement pour cette formule deviennent inquiétants.
On constate que de plus en plus de consommateurs fragilisés par des revenus trop faibles et/ou des accidents de vie recourent aux ouvertures de crédit pour des biens de première nécessité, qu’ils paient donc très cher (taux d’intérêt les plus élevés du marché). En matière de crédit comme dans bien d’autres domaines (logement ou énergie par exemple), plus on est pauvre, plus on paie cher l’accès aux besoins vitaux… En effet, une partie de la population n’a guère accès aux formules de crédit proposées par les banques et moins encore les moyens d’épargner. Ceux-là sont pris au piège, d’autant que le superflu d’hier devient toujours plus rapidement le nécessaire d’aujourd’hui. Ne faut-il pas alors réfléchir au sens d’un accès au crédit qui tienne compte de la dimension sociale des personnes ? Les formules de crédit social prennent ici tout leur sens. Pour une partie de la population, le crédit n’est en effet pas un moyen d’investissement mais une très coûteuse tentative de faire face à un manque de revenus. De nombreuses situations de surendettement ne sont plus liées à une surconsommation mais bien à des revenus insuffisants ou précaires. Le problème se pose donc de plus en plus en aval, dans le manque de liaison des allocations sociales au bien-être et dans la précarisation croissante de l’emploi. Les situations de surendettement doivent pouvoir trouver rapidement une solution financière. La médiation de dettes et le règlement collectif de dettes ont été instaurés dans ce but. Ici aussi, les besoins sont criants.
En résumé, on peut dire que, par rapport à la majorité des pays européens, la Belgique est un « bon élève » en matière de protection des consommateurs, mais que les mesures de contrôle de la législation et les moyens financiers de lutte contre le surendettement devraient être amplifiés. Le plus grand danger en matière de crédit à la consommation réside sans doute dans le projet de directive européenne qui vise la libéralisation du marché européen du crédit et qui risque de faire fi de la protection des consommateurs belges au nom de la concurrence. Des instruments tels que la Centrale positive des crédits ou la législation encadrant la publicité pour le crédit sont clairement menacés si le projet de directive est adopté en l’état.

Une logique de surproduction

La problématique du crédit – en particulier des ouvertures de crédit – s’intègre dans une réflexion plus large à propos de la consommation. Inévitablement, l’analyse de nos modes de consommation nous amène à mettre en examen les modes de production des biens et des services. Les choix des consommateurs ont un impact non seulement sur le type de produit, mais aussi sur la façon dont il est produit. Aujourd’hui, nous ne consommons pas seulement pour répondre à nos besoins vitaux. Notre mode de consommation, encouragé par un marketing insidieux ou agressif, soutient la (sur)production. Ce mécanisme pousse inévitablement à recourir de plus en plus au crédit. Ce recours excessif au crédit montre à quel point l’économie de marché vise le profit maximal, en faisant fi des dégâts sociaux que provoque un discours laissant croire que le bonheur, c’est d’avoir tout, tout de suite, et que nous sommes les seuls responsables de nos choix de consommation. De manière générale, l’économie de marché vise davantage à protéger la consommation – et donc à encourager le crédit – que le consommateur… Est-ce un simple hasard si Mme Freya Van den Bossche est ministre « de la protection de la consommation » et pas des consommateurs, comme on le pense généralement ?

Culture critique

L’emballement pour le crédit est donc clairement lié au mode de consommation qu’on nous propose, ou plutôt qu’on nous impose subtilement. Il vise une augmentation de la croissance par la production et la consommation effrénées, alors que cette croissance ne devrait être qu’un moyen pour répondre aux besoins collectifs.
Pour ce faire, une politique égalitaire de revenus est essentielle afin de permettre à chacun de couvrir ses besoins, sans devoir recourir au crédit pour boucler ses fins de mois ou payer des dettes de loyer, de santé ou d’énergie. Le problème du surendettement ne trouvera de solution durable que dans une meilleure politique de l’emploi et de la couverture sociale. Par ailleurs, l’image d’une société qui s’endette pour consommer toujours plus doit nous amener à développer une « culture critique » par rapport à nos habitudes de consommation, mais aussi à envisager collectivement un autre modèle de développement (sans nécessairement remplacer « croissance » par « décroissance »). Enfin, puisque le recours au crédit est parfois indispensable, il est nécessaire de favoriser des formules de crédit qui ne pénalisent pas les revenus les plus faibles, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Ce qu’il faut faire

– Renforcer le contrôle de la législation. Mettre en place une bonne législation, c’est bien. Faire en sorte qu’elle soit appliquée, c’est encore mieux. C’est même indispensable si on veut que la Belgique reste un modèle en matière de protection des consommateurs. En ce qui concerne la loi sur le crédit à la consommation, ce contrôle doit être renforcé, en particulier dans le domaine de l’obligation d’information des consommateurs par les organismes de crédit, et dans celui de la publicité pour le crédit, au sein duquel les infractions sont peu, voire pas sanctionnées.
– Limiter la durée du crédit. Le développement des contrats d’ouvertures de crédit octroyées par le secteur de la grande distribution et des sociétés de vente par correspondance est inquiétant. Cette formule de crédit, de plus en plus prisée par des personnes à revenus modestes, connaît une augmentation importante du nombre de défaillances de paiement. Afin de limiter les effets pervers de cette formule de crédit, il est indispensable de rendre effective l’application d’un délai de zérotage (article 22 de la loi sur le crédit à la consommation) à tous les crédits, ce qui n’est pas le cas actuellement. En effet, la plupart des ouvertures de crédit échappent à cette obligation de zérotage, qui consiste à « remettre à zéro » la somme empruntée dans un délai maximum de 5 ans, afin d’éviter l’endettement à perpétuité.
– Mener une politique axée sur la prévention et le traitement du surendettement. En 2006, contrairement à ses promesses, le gouvernement fédéral n’a alloué aucun moyen financier à des campagnes de sensibilisation au surendettement. Il semble que celui-ci ait l’intention de réserver une enveloppe de 150 000 euros à cet effet en 2007. Gageons que ce ne soit pas, une fois encore, des promesses sans lendemain. Nous plaidons également pour une augmentation sensible des moyens financiers attribués aux services de médiation de dettes (privés et publics) qui assurent un travail essentiel en matière d’aide aux personnes surendettées.
– Dire non au projet de directive européenne sur le crédit. La proposition de directive européenne sur le crédit à la consommation telle que rédigée par la Direction générale Santé et Protection du consommateur de la Commission européenne vise à « harmoniser » (entendez « libéraliser ») le marché européen du crédit. Ce projet représente un recul de 20 ans par rapport à ce que la loi belge prévoit en matière de protection des consommateurs. Nous demandons donc la plus grande vigilance des parlementaires belges et européens pour que ce projet de directive ne soit pas adopté dans sa version actuelle.

Le Gavroche

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