Se loger correctement est de plus en plus difficile. La hausse constante des loyers, ou de ce que coûte l’accès à la première propriété, ne pose pas que des problèmes aux « pauvres », mais de plus en plus souvent à des personnes qui sont à l’emploi, mais avec des revenus peu élevés.

Pour tout le monde, la hausse des coûts du logement va beaucoup plus vite que la hausse des salaires ou des allocations sociales. Or, pas d’intégration sociale sans logement décent et accessible. Celui-ci constitue la condition première pour accéder aux autres droits qui font la citoyenneté : droit au travail, à la santé, à l’éducation, à la culture et à la consommation. Pour celles et ceux qui y tombent, le cercle est toujours vicieux : comment trouver un emploi si on n’a pas un logement où se poser ? comment trouver un logement si on n’a pas d’emploi ? Vivre en un lieu insalubre, c’est souvent avoir plus vite des problèmes de santé, qui vont rendre plus difficile le maintien à l’emploi ; la perte de l’emploi aura des conséquences sur la capacité à garder le logement… Dans un mauvais logement exigu, difficile pour les enfants de bien étudier ; de mauvais résultats scolaires augurent mal de l’avenir professionnel (déjà si difficile, même pour celles et ceux qui ont de bons résultats !).
Malheureusement, elles sont nombreuses à y tomber, toutes ces personnes dont le loyer représente la moitié de leurs revenus, voire plus : jeunes ménages se lançant à la recherche de l’emploi, familles mono-parentales, familles recomposées ayant des besoins de grands logements avec plusieurs chambres, bénéficiaires d’un revenu de remplacement, personnes ayant une petite pension, personnes âgées malades dont le logement est devenu inadapté, personnes à mobilité réduite, personnes étrangères ou d’origine étrangère faisant l’objet de discrimination. La demande de logement est essentiellement un problème de « marché résidentiel », tant locatif qu’acquisitif : à Bruxelles, le problème est massif et généralisé ; en Wallonie, le problème s’étend à la plupart des centres urbains, dans le Brabant wallon et le long de la N4, dans le Sud Luxembourg, dans les zones frontalières de l’Allemagne et, de manière générale, le long des voies de communication facilitant les « navettes » entre la résidence et le lieu de travail.
Pour avoir son efficacité maximale, une politique du logement doit pouvoir articuler des interventions fédérales, régionales, communales et associatives. Le fait que la compétence en matière de logement soit aussi éclatée représente une difficulté. Celle-ci ne doit pas autoriser un niveau de pouvoir à limiter sa politique à renvoyer la balle aux autres niveaux ! Notamment pour ce qui est du niveau fédéral, les compétences restent nombreuses, qui permettent de vraies politiques :
– l’inscription du droit au logement dans la Constitution : c’est fait ; il n’y a aucune raison de revenir en arrière. Néanmoins, on donnerait une vigueur supplémentaire à ce droit en en faisant un droit opposable (c’est-à-dire qui permet à une personne lésée de porter plainte en bonne et due forme contre l’autorité publique responsable)
– les baux à loyers (protection des locataires)
– la propriété
– la fiscalité immobilière
– la législation en matière de crédit hypothécaire.

Vive le marché ?

L’option néo-libérale prend acte des problèmes de logement, elle peut même parfois y compatir (cas des libéraux « sociaux »), mais elle compte sur les lois du marché pour les résoudre. De ce point de vue, on témoigne de l’hostilité à toute régulation, en particulier à l’idée de blocage des loyers. L’argument sera : faute de revenus jugés suffisants, les bailleurs vont négliger l’entretien, ou renoncer à la mise en location, ce qui aggravera la pénurie de logements. En conséquence ultime, une bonne politique du logement commence par la hausse des loyers. Si les locataires ne peuvent faire face, le pouvoir public doit les aider, par une allocation-loyer (c’est la version de droite de la mesure, dont on verra ci-après qu’il en existe aussi une version de gauche). Dans la même logique, le néo-libéral va justifier les loyers plus élevés demandés aux locataires précarisés par le fait que, vu la précarisation, le risque de non-paiement du loyer est plus grand : le renchérissement du loyer qui s’en suit ne serait rien d’autre qu’une forme de « prime de risque ».

Vive la régulation !

L’option progressiste se reconnaît au ciblage de ses tirs sur la protection des locataires, des mesures de fiscalité équitable et l’aide à l’acquisition de la propriété du logement qu’on habite. Commentons plus précisément les volets de la protection des locataires et de la fiscalité.
— Protection des locataires. Il y a propriétaire et propriétaire ! Ce n’est pas la même chose d’être propriétaire du seul logement qu’on occupe et être propriétaire bailleur. Ce n’est pas la même chose d’être petit propriétaire bailleur entretenant des relations locatives équitables et grand propriétaire spéculateur ou rentier. Ce n’est qu’à cette seule catégorie que la gauche s’attaquera, sans confondre : le traitement ne doit pas être égal entre le propriétaire responsable qui pratique un loyer normal et entretient bien sa propriété et celui qui pratique des loyers usuraires et entretient mal son bien. C’est au fédéral qu’il convient de protéger les locataires, notamment pour leur éviter de mauvaises surprises côté loyers en cas de renouvellement d’un bail, ou en cas de nouveau bail : en d’autres termes, il faut encadrer les loyers, en inventant, par exemple, des procédures d’objectivation. Le fédéral peut par ailleurs innover dans l’aide aux personnes modestes à trouver un logement, par exemple en rencontrant le problème de la difficulté qu’ont ces personnes à constituer leur garantie locative.
— Fiscalité. Les progressistes vont réclamer équité et efficacité dans la politique fiscale : de ce point de vue, le prélèvement (précompte immobilier et additionnels) qui s’appuie sur une très ancienne évaluation cadastrale débouche sur une forme de fiscalité qui n’a plus rien à voir avec une quelconque justice : à patrimoines identiques, taxations différentes selon l’endroit où le bien est possédé, et l’ancienneté de l’évaluation. Il faut, au contraire, une taxation des revenus réels que procure la propriété (pour cela, il faut connaître les loyers perçus).
Le logement exige une politique transversale et concertée entre les différents niveaux de pouvoir : il s’agit aussi bien de politiques fiscales que de politiques sociales, du pouvoir d’achat et des prix des loyers, d’une action sur le prix de l’énergie, d’une régulation du marché immobilier… Revendication première : il faut se donner les moyens de la concertation ; l’initiative doit être fédérale.
Il y a des réserves foncières publiques : elles doivent être mobilisées en faveur des politiques du logement. Les Régions et les communes doivent obtenir droit de préemption sur l’éventuelle cession de terrains (et plus largement de biens immobiliers) fédéraux, en particulier s’il s’agit de biens susceptibles d’être affectés (ou réaffectés) au logement. Il faut favoriser l’investissement des fonds de placement dans l’immobilier locatif. Si l’objectif est social, il peut y avoir prime.

Protection des locataires

Nous demandons des procédures d’objectivation et d’encadrement des loyers selon un système de critères clairement définis. Comme solution de court et moyen terme, nous soutenons la version de gauche de l’allocation-loyer : par ciblage de catégories de locataires et… donnée directement au bailleur, à condition qu’il mette en location à un taux conventionné (le subside reçu devant être déduit du loyer perçu). Le revendication ne trouve son sens plein que si l’on a aussi mis en place la procédure d’objectivation évoquée ci-dessus. Un fonds commun de garantie locative doit être créé. Son principe : chaque locataire constitue auprès d’une banque une garantie locative dont il assume la couverture soit par un versement unique soit par des versements morcelés pouvant s’étaler sur, au maximum, trois ans. En échange, et sans que soit détaillé le mode de constitution de la garantie, le locataire produit une attestation auprès du propriétaire de ce que la garantie locative a été constituée. On dissocie la relation entre le locataire et sa banque de la relation entre le locataire et son propriétaire : on facilitera grandement la recherche du logement par les personnes à revenus modestes. En cas d’appel à la garantie locative, à l’expiration du bail, soit la garantie a été entièrement constituée et joue son rôle normal, soit elle est insuffisamment constituée. Dans ce cas, le Fonds de garantie se substitue au locataire : l’alimentation du Fonds se fait par les banques participantes, vu l’avantage qu’elles tirent du taux d’intérêt bas qu’elles servent.

Fiscalité

Il faut appliquer la législation qui prévoit la péréquation des revenus cadastraux tous les 5 ans (la dernière péréquation remonte à 1979 !). C’est nécessaire pour mettre à jour les bases imposables au titre de l’impôt foncier. Au-delà, il faut réformer l’impôt sur le revenu : ce n’est pas le revenu cadastral qui doit servir de référence, mais les revenus locatifs réels nets. Ceux-ci feront l’objet d’une taxation progressive et différenciée (c’est-à-dire en tenant compte du nombre d’immeubles, du niveau des loyers demandés, des travaux d’entretien effectués…). Les déductions et abattements consentis pour frais de rénovation seront accordés sur la base des frais réels attestés, et non au forfait. Ce nouveau système ne doit pas entraîner d’augmentation du taux d’imposition globale sur les revenus immobiliers (en sorte qu’on ne décourage pas l’épargne à investir dans l’immobilier résidentiel). On allongera la durée de taxation des plus-values réalisées dans le cadre de transactions immobilières.

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