Disposer d’un logement est la base de l’intégration sociale. Il n’y a pas de lien social possible si l’on est sans domicile fixe ou habitant d’un logement insalubre ou inadapté. Alors qu’il devrait permettre l’intégration, le logement, en Wallonie et à Bruxelles, devient au contraire générateur d’inégalités. Le fossé se creuse entre l’offre et la demande, en même temps que se renforcent les inégalités de revenus. Un logement décent et accessible à tous constitue cependant la condition première pour accéder aux autres droits qui font la citoyenneté : droit au travail, à la santé, à l’éducation, à la culture et à la consommation.

Le logement, entendu comme droit fondamental, signifie l’exercice de la « liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif et d’un secteur d’accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales ». Cette liberté est virtuelle pour beaucoup, puisque rares sont ceux qui, aujourd’hui, peuvent réellement choisir leur logement. La loi précise également ce qu’est un logement décent : doit être qualifié de « décent » un logement « ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation ». Ainsi défini, le lien entre le logement et d’autres droits qui en découlent devient évident : un logement décent permet une vie saine et est un espace d’habitation vivable et donc adapté aux rapports humains et sociaux, ainsi qu’aux nombreux actes de la vie quotidienne ayant trait à la vie familiale, au travail scolaire, aux relations interpersonnelles, etc. En Régions wallonne et bruxelloise, il est manifeste que les citoyens sont inégaux face au droit au logement.

Le marché du logement a la cote

Le phénomène n’est pas tout à fait neuf mais devient de plus en plus problématique. La flambée foncière et immobilière se poursuit en Régions wallonne et bruxelloise, et les effets de précarisation, d’endettement et d’exclusion sociale ne sont que chaque jour plus visibles et touchent un nombre toujours croissant de citoyens. Aujourd’hui, ce ne sont plus uniquement les personnes les plus démunies qui pâtissent de l’envolée des prix des logements, mais également les ménages aux revenus moyens. L’achat de terrains et de bâtiments devient un véritable mode d’investissement plus sûr que les placements financiers soumis aux aléas du marché boursier.
– La variable géographique. La situation géographique d’un terrain ou d’un bâtiment joue un rôle important : outre la Région bruxelloise où, notamment, la fonction de capitale européenne a entraîné une explosion des loyers et un exode des populations à revenus moyens, les provinces du Brabant wallon et du Luxembourg sont particulièrement touchées par la pression immobilière. En effet, les nouvelles populations qu’elles attirent sont, pour la première, des Bruxellois à hauts revenus en quête de verdure et de quiétude, pour la seconde, des Belges ayant trouvé leur bonheur financier au Grand-Duché voisin.
– La variable revenu. Le rapport proportionnel entre la croissance du prix du logement et la croissance du revenu est une autre donnée du problème : si le coût global d’un logement a augmenté de 95 % sur les trente dernières années, le revenu des ménages n’a crû, lui, que de 5,9 %. De manière générale, 75 % des Bruxellois et des Wallons consacrent au logement plus de 33 % de leurs revenus. Aujourd’hui, en Brabant wallon, les bénéficiaires du revenu d’intégration y consacrent de 50 à 80 % de leur revenu... Bref, la population touchée par la « crise du logement » s’amplifie : ce sont évidemment les personnes à faibles revenus, mais également les jeunes, les personnes à revenus moyens, les familles monoparentales ou les personnes isolées qui éprouvent une difficulté à trouver un logement.
– La variable qualité. La pression immobilière et foncière a également un impact négatif sur la qualité du logement : le parc locatif wallon est vieux, c’est un fait… Un tiers des logements wallons date d’avant 1919, la moitié d’avant 1945. On loue, on vend à des prix exorbitants, même si le logement est insalubre.

Logement social

La faiblesse du marché locatif public n’est plus à démontrer. Le nombre de logements sociaux est insuffisant pour répondre aux besoins. Actuellement, la moyenne wallonne et bruxelloise de logement public est de 8 % ; elle est, en comparaison, de 18 % aux Pays-Bas et en France. Mais ce n’est qu’une moyenne ! Dans certaines communes, la situation est encore plus dramatique : à Ixelles, commune bruxelloise comportant un grand nombre de quartiers populaires tel le réputé quartier « Matongé », le logement social dépasse à peine les 3 % du parc total. Dans la province du Luxembourg, 3 120 logements sociaux sont disponibles et dans le Hainaut, 49 050. Il existe de grandes disparités régionales, mais la situation est partout préoccupante, car les listes d’attente ne cessent de croître. En Wallonie, 42 000 familles sont en attente d’un logement social. Et les besoins futurs sont estimés à 18 % à l’horizon 2015. La structure de l’habitat public est également un problème. Les logements sociaux ne sont pas adaptés aux nouveaux modes de vie des familles monoparentales, des personnes seules, mais aussi des familles nombreuses. De plus, la construction d’immenses quartiers sociaux situés dans certains cas loin des centres-villes isole les habitants et constitue un frein à la mixité sociale.
Si le logement dépend avant tout de compétences fédérales et régionales, la volonté des Régions est de renforcer l’ancrage communal, afin de responsabiliser les communes, tout en veillant à la cohérence régionale des politiques menées.

En Région wallonne

Dans les modifications du « Code wallon du logement» (CWL) est désormais prévu le « plan triennal du logement », qui oblige chaque commune à faire le décompte des terrains et immeubles disponibles sur son territoire. Au-delà du diagnostic, ce document doit révéler la politique locale du logement par le biais d’une projection que doit faire la commune de l’utilisation des espaces disponibles. Il permet de programmer les investissements et ainsi d’obtenir éventuellement une aide de la Région wallonne.
Par ailleurs, la Région a encouragé la création d’agences immobilières sociales (AIS), dépendant soit de la province (cas du Brabant wallon et de la province du Luxembourg), soit de communes regroupées (il en existe cinq dans le Hainaut, quatre dans la province de Liège, quatre dans la province de Namur). Celles-ci jouent le rôle d’intermédiaire entre un propriétaire bailleur et un locataire et apportent au propriétaire une double garantie : le paiement mensuel du loyer et la récupération de son bien en l’état. Le dispositif est sans aucun doute intéressant, mais des problèmes sont relevés et doivent être rencontrés :
– ce système ne concerne encore que très peu de logements : en Wallonie, 19 AIS gèrent 1 500 logements, tandis qu’en Région bruxelloise, 14 AIS gèrent 732 logements ;
– le privé trouve facilement des locataires, de sorte que l’AIS n’est que peu utilisée comme intermédiaire ;
– le différentiel d’intervention entre ce que l’AIS perçoit du locataire et ce qu’elle paie au propriétaire dépend financièrement des subsides que l’AIS reçoit de la Région et de la province/commune. Ce différentiel varie selon les régions, étant donné la pression immobilière et foncière que subissent certaines régions. Concrètement, sur l’axe N4 par exemple, l’AIS paiera un différentiel plus grand puisque le propriétaire loue plus cher.
Il existe également les sociétés de logement de service public (SLSP), dépendant de la Région wallonne, dont la mission est d’acquérir ou de construire des logements, les rénover, les transformer pour les louer ou les vendre. Le travail des SLSP se concrétise au niveau communal par la collaboration des pouvoirs locaux avec une des 71 SLSP qui existent en Wallonie. Cette obligation pour la commune d’être unie à une seule SLSP vise à responsabiliser les communes dans leur rôle de partenaire de terrain en matière de logement. À nouveau, des problèmes peuvent être soulignés :
– si chaque commune doit être attachée à une société de logement, rien ne l’oblige à posséder des logements sociaux et publics en propre. Alors que dans certaines communes, le pourcentage de logements sociaux s’élève à 25 %, il peut être, dans la commune voisine, de 0 %. Cette situation est liée à des choix politiques : certaines majorités communales privilégient le développement de maisons unifamiliales ou plurifamiliales, et rejettent toute idée de développer du logement social. Ces choix ont pour conséquence de conduire à un déficit de mixité sociale, par la création de « ghettos » dans les autres communes moins égoïstes ;
– le paradoxe de l’attribution : les sociétés de logement accueillent les personnes en grandes difficultés financières. Cependant, les SLSP n’ont d’autres recettes que le loyer que paie le locataire, et qui est fonction de son revenu. Les SLSP sont donc confrontées à un dilemme : favoriser les plus démunis ou rentabiliser la société pour la faire subsister ;
– il semble y avoir globalement une amélioration dans les modes d’attribution des logements sociaux. Cependant, le clientélisme n’a pas disparu et les démarches administratives sont encore complexes.

En Région bruxelloise

Le gouvernement « olivier » se propose de :
– soutenir les communes sur le plan financier et logistique dans la réalisation des objectifs en matière de logement, notamment la création de régies foncières. La création de telles régies sera encouragée dans toutes les communes afin de leur permettre d’acquérir de nouvelles propriétés. Ce soutien sera conditionné à l’affectation exclusive au logement de ces nouvelles propriétés ;
– renforcer l’action et les moyens des AIS de manière à doubler le parc actuel au terme de la législature ;
– doter les communes de moyens supplémentaires afin de permettre un meilleur contrôle du bâti (compétence du bourgmestre) ;
– développer, en partenariat avec les communes, le « plan pour l’avenir du logement » visant la production de 5 000 nouveaux logements publics.
D’un point de vue global, les compétences en matière de logement appartiennent à la fois aux niveaux fédéral, régional, provincial et communal. Il est donc nécessaire que les communes prennent leurs responsabilités, mais il faut également qu’elles en aient les moyens.

Pistes d’action

Les constats relevés amènent à réaffirmer l’importance du rôle de l’acteur public pour garantir la véritable application du droit constitutionnel qu’est le droit au logement. Il faut renforcer l’action des pouvoirs publics afin de réguler le marché, en tant que promoteur propre, mais également pour réguler le marché privé. Ainsi, le MOC propose :
– l’imposition de 10 % de logements publics (logements sociaux, d’urgence ou pour demandeurs d’asile) comme taux minimal dans chaque commune sans quoi la situation inégalitaire entre les communes ne fera que se renforcer ;
– l’obligation de création d’Agences immobilières sociales (AIS) dans chaque commune ou par regroupement de communes ;
– le renforcement de la participation des associations et des usagers dans la définition des actions et des politiques en matière de logement. Par exemple, par la participation de l’associatif dans les comités d’attribution de logements sociaux et dans la construction des plans triennaux, par l’obligation de fonctionnement des comités consultatifs des locataires et propriétaires dans le logement social, par la création de commissions consultatives du logement dans les différentes entités, etc.
Plus particulièrement en Région wallonne :
– l’application de la réquisition des immeubles inoccupés prévue par le code wallon afin d’assurer la mise à disposition de logements à loyers maîtrisés pour les ménages en attente de logement. En cas de refus de réquisition, une taxe serait perçue auprès des propriétaires ;
– la création dans chaque commune d’un guichet unique d’inscription pour les demandeurs de logements publics. Le but de ce service, qui devrait travailler en collaboration avec les différents partenaires concernés (AIS, associations, etc.) serait de : guider et conseiller la population en matière de logement ; tenir un répertoire des différentes aides, primes et subventions possibles en matière de logement ; tenir un inventaire permanent des logements inoccupés, des terrains à bâtir et des garnis, et coordonner l’information sur la demande de logement ; faire des propositions sur l’usage des logements inoccupés ; trier/préparer les informations à diffuser à la population ; aider les plus démunis en particulier au niveau technique, administratif et juridique afin de préserver les droits de chacun en matière de logement, notamment en cas de vente du bien, d’expulsion, etc. ;
– la création d’un fonds « de solidarité logement » intercommunal ou provincial qui permettrait à la fois le financement des garanties locatives et la rénovation de logements publics. Ce fonds pourrait être alimenté par une réforme de la fiscalité du logement, et notamment la taxation des plus-values réalisées par la location de biens privés au-delà d’un coefficient de rentabilité, la taxation sur les terrains non bâtis, immeubles inoccupés et secondes résidences, ou encore le prélèvement sur leurs ressources fiscales pour les communes qui ne respecteraient pas le pourcentage minimum de 10 % de logements publics sur leur territoire.
Plus particulièrement en Région bruxelloise :
– l’application effective, par les communes et CPAS, du « droit de gestion publique » instauré par le Code du logement bruxellois pour les logements inoccupés. Ce droit de gestion, qui est une formule plus souple que la réquisition, ne nécessite pas de décision judiciaire et permet la mise à disposition rapide de nouveaux logements à caractère social ;
– l’investissement des communes dans le « plan logement » par la mise à disposition des réserves foncières communales et par une action décidée en faveur du logement social, surtout dans les communes où l’offre est fortement déficiente ;
– la mise en place de régies foncières communales susceptibles de dynamiser l’offre de logement à caractère social ou, dans une moindre mesure, moyen.

(Texte rédigé par le CIEP)