Que ce soit dans une optique de démocratie culturelle – la politique qui rend possible l’expression culturelle de tous, et particulièrement des milieux populaires – ou de démocratisation de la culture – la politique qui permet l’accès de tous aux différents produits culturels –, la politique culturelle est un ferment de démocratie lorsqu’elle vise à faire émerger des situations de vie, à élaborer des savoirs pour les comprendre et les analyser, à débattre et confronter des pistes d’action pour le changement, et ainsi à donner du sens aux actes individuels et collectifs. À côté de la culture de masse (médias, grandes institutions musicales, scéniques, etc.) et de la myriade d’expériences, de dispositifs ou de projets, on reste toutefois souvent en attente de projets culturels cohérents et d’une politique culturelle concertée dans les communes et provinces de la Communauté française.

La réputation de notre Communauté française comme vivier d’activités associatives (des clubs de toute nature aux organisations d’éducation permanente), et comme ressource de création artistique dans les domaines les plus variés (cinéma, bande dessinée, littérature, création vestimentaire, etc.) n’est plus à faire. Mais il ne faut pas s’y tromper : les moyens qui y sont consacrés par les pouvoirs publics restent globalement très faibles, les écarts entre secteurs sont énormes, des pans entiers de formes culturelles sont réservés à une élite et les politiques globales sont inexistantes. Bref, notre Communauté foisonne d’actions et d’activités culturelles trop éparpillées, et trop peu soutenues.
Au plan communal, les actions culturelles sont une réalité importante mais souvent trop peu ou mal financée, un enjeu majeur pour la démocratie, et une fonction collective peu appréhendée dans sa complexité.

Budgets superflus ?

Dans le budget communal, les dépenses et recettes en matière culturelle montrent souvent la faiblesse du secteur : ces postes sont des dépenses dites « facultatives », c’est-à-dire qu’en cas de difficulté budgétaire, ils seront les premiers à être « rognés » par le pouvoir communal, ou à se voir imposer des diminutions par la tutelle. Une des résistances possibles – mais non garanties – peut consister à établir des conventions. En effet, les conventions décidées en Conseil communal, rendent leur annulation plus délicate. Cela est encore plus vrai lorsqu’elles font intervenir des partenaires d’autres niveaux de pouvoir. Par exemple, les dispositions concernant les subsides aux associations qui sont fixées par un règlement voté en Conseil communal, ou les contrats programmes avec la Communauté française liés aux décrets relatifs aux institutions culturelles sont moins fragiles que les dépenses fixées annuellement sur des postes maîtrisés ensuite par le seul Collège des bourgmestre et échevins.

Dispersion et manque de cohérence

Une autre caractéristique est l’aspect assez « nébuleux » de ce que recouvre la culture au plan communal : les budgets dits culturels incluent parfois des postes aussi variés que les plantations, le culte, le sport, l’enseignement obligatoire… ! Il convient donc d’être attentif et prudent dans la lecture des budgets communaux relatifs à ces matières, en distinguant bien les matières au sein de l’ensemble des dépenses, pour avoir une vision claire des efforts financiers réellement déployés dans le champ culturel.
Par ailleurs, on constate parfois que les compétences sont éparpillées entre des échevins différents : formation, académies, jeunesse, troisième âge, arts, bibliothèques publiques, patrimoine, etc. Cela ne facilite pas l’élaboration d’une politique culturelle globale et cohérente. D’autant plus que, depuis quelque temps, le CPAS dispose d’un budget spécifiquement culturel ! Tout cela conduit souvent à un enchevêtrement de compétences et à l’éparpillement des moyens. Certes, contrairement à la Flandre qui déploie des moyens conditionnés au développement d’un plan pluriannuel de politiques culturelles intégrant tous les secteurs au niveau local, la Communauté française se veut peu incitative. Cela ne doit cependant pas exonérer les pouvoirs locaux du développement de plus de cohérence dans ces politiques.

Développement des connaissances

Le niveau local a peu de maîtrise sur les grands médias : télévision et presse. Cependant de plus en plus, le constat est fait d’un intérêt réel des populations pour leur télévision locale, pour l’information locale et régionale (dans les « toutes-boîtes » comme dans la presse quotidienne) et pour les journaux d’information communale. Ces derniers sont cependant encore souvent réduits à une vitrine des élus locaux plutôt que des espaces d’information contradictoire, de formation et de débats.
Des moyens sont octroyés aux communes et aux écoles pour développer les réseaux d’accès à l’Internet. Les communes sont cependant souvent démunies en termes de projet culturel, et risquent, faute d’aides extérieures et de concertation avec les citoyens, de répondre plus à des modes et à des offres commerciales qu’aux besoins réels de la population.
Selon les communes ou zones géographiques, les écoles de devoirs et les cours d’alphabétisation sont plus ou moins développés, mais des lacunes importantes existent et un effort devrait être fait pour les combler.

Institutions connues et reconnues

Les académies de musique, des arts de la parole et de la danse sont des lieux très fréquentés, mais les publics de milieux populaires y sont sous-représentés. Les méthodes et les types de formation y sont souvent très « académiques », basés sur des formes d’apprentissage de type scolaire (solfège ou déclamation par exemple). Les nouveaux modes d’expression, musicale ou autre, restent confidentiels.
Les bibliothèques publiques fonctionnent souvent très bien et font preuve d’innovation en proposant des formes d’animation qui leur permettent de s’ouvrir à des publics diversifiés (cela vient peut-être du fait que, dans ce secteur, la Communauté française a des règles plus incitatives, voire impératives).
Les centres culturels locaux et régionaux sont des acteurs importants qui, s’ils appliquent les règles décrétales, doivent favoriser la participation des citoyens, promouvoir et soutenir les associations, développer l’éducation permanente et la création artistique. Cela ne se fait toutefois pas toujours naturellement, et la vigilance des citoyens et de leurs associations est nécessaire pour que ces missions ne soient pas oubliées. De plus, il faut constater que certaines communes créent des centres culturels non reconnus, qui ne sont pas contraints au respect de ces règles, et s’en écartent dès lors parfois de manière conséquente.

Aide aux associations et soutien à l’éducation permanente

La commune joue souvent un rôle important en termes de soutien logistique pour les initiatives prises par les citoyens et leurs associations. Le plus souvent, c’est par l’infrastructure que des aides sont octroyées : des locaux sont mis à la disposition des associations, pour leurs réunions ou pour des événements organisés par elles. La question qui se pose au pouvoir communal est celle des investissements à réaliser pour construire et entretenir ces bâtiments ; une autre question est celle des règles de répartition et d’octroi de ces espaces, en fonction des différentes demandes : ordre de priorité, tarifs de location, etc. Les communes peuvent aussi prévoir des budgets pour octroyer des subventions aux associations. Les règles à ce sujet doivent être élaborées de manière démocratique et transparente.
Les communes développent enfin des événements culturels qui mettent en valeur un folklore, un patrimoine ou suscitent un apport touristique ou artistique positif pour l’entité. Certains de ces événements sont parfois réalisés avec des moyens considérables (qui à eux seuls engloutissent une bonne partie du budget culturel de la commune !), misant sur une « consommation » immédiate (et donc sans effet réel sur le moyen et le long terme) et pour des projets peu concertés, qui bénéficient plus à l’image des élites locales qu’aux attentes de la population.

Pouvoir communal et provincial

Si, jusqu’aux années 1970, la commune était le pôle majeur des politiques culturelles, tant en initiatives qu’en financement (musées, académies, théâtres, bibliothèques publiques, centres culturels et même une part de l’éducation populaire), un net recul de son rôle en cette matière est apparu ensuite. L’application du principe de subsidiarité, la crise financière des villes et communes et le caractère facultatif des dépenses culturelles en sont les causes essentielles.
Depuis les années 1990, cependant, d’autres facteurs ont remis le pouvoir local au centre des politiques culturelles : les difficultés financières de la Communauté française, la conscience de la place importante de la culture dans le développement global (y compris sur le plan social et économique) et l’attrait de la médiatisation des événements culturels comme élément de promotion des responsables politiques.
La fonction des villes et des communes en matière culturelle est de différents ordres : mettre en place, gérer, cogérer, soutenir les services culturels de proximité (bibliothèques, musées, lieux de diffusion, espaces de créativité, lieux de rencontres pour les associations, ateliers d’artistes et salles de répétition) ; organiser, soutenir et coordonner les événements culturels à dimension locale; inscrire la culture dans le projet de ville ou de commune et dans un projet de développement territorial (définir les axes d’une politique culturelle inscrite dans un projet global, garantir la participation, coordonner les opérateurs culturels entre eux, apporter un soutien financier, etc.). Selon les communes, ces différentes missions sont plus ou moins assumées, de manière plutôt effective pour la première, dans une moindre mesure pour la deuxième, et à un degré nettement moindre pour la troisième.

3 questions fondamentales


En terme de démocratie culturelle, trois questions fondamentales peuvent être formulées. Comment favoriser un développement culturel qui s’ancre dans les aspirations des populations exclues de l’accès au capital culturel et dont elles devraient dès lors être les bénéficiaires prioritaires ? Comment construire cette politique avec les gens eux-mêmes ? Comment garantir une création et une expression culturelle accessibles au monde populaire ?

1. L’application des règles de participation
Le pouvoir communal doit garantir le fonctionnement démocratique et la représentation paritaire (c’est-à-dire associant de façon équilibrée des représentants « publics » et « privés », citoyens et associations) des Conseils, Commissions et autres instances relatives à la politique culturelle. Il s’agit par exemple du Conseil culturel dans les Centres culturels (avec une section « éducation permanente », idéalement en transversalité avec les autres missions du Centre culturel), du Conseil des usagers en bibliothèques, du Conseil de participation dans les écoles, mais aussi des commissions consultatives de jeunes, du troisième âge, des comités mis en place pour l’octroi des subsides, etc.

2. Des politiques culturelles publiques débattues
Comme dans le cas des contrats programmes liant la commune, la Communauté française et le centre culturel local, il serait judicieux que chaque commune élabore un plan de politique culturelle global et transversal. Cela supposerait un regroupement de compétences culturelles dans le chef d’un seul échevin ainsi que la présentation de ce contrat et son évaluation au sein du Conseil communal, d’une part, et avec l’ensemble des acteurs concernés, les associations et les citoyens intéressés, d’autre part. La participation à l’élaboration de coopérations entre entités proches selon une logique de bassins culturels : cela suppose des concertations entre acteurs culturels et échevins de communes voisines dont le public fréquente un territoire commun plus large. De même, il faudrait favoriser le développement d’actions et d’événements locaux en partant des institutions culturelles reconnues et fonctionnant de manière paritaire afin d’éviter que les manifestations culturelles ne soient rien d’autre que des « vitrines » à la gloire des élus locaux. Enfin, il s’agirait de procéder à l’évaluation de ces politiques sur la base d’indicateurs de développement culturel observables et mesurables, tels que l’accroissement de la participation, la diversification des publics, la diminution des écarts ou des ruptures à l’égard des publics culturellement défavorisés, etc.

3. Des conventions valorisant l’action et l’expertise des acteurs locaux
Les communes doivent s’appuyer sur l’expérience du secteur associatif pour en faire des partenariats fructueux. Ainsi, l’établissement de conventions avec le secteur associatif, et plus particulièrement les associations et mouvements d’éducation permanente, pourrait entre autres porter sur l’organisation et l’animation des temps d’échanges et de débat (pour élaborer ces politiques de façon participative et pour les évaluer régulièrement), l’animation de débats publics sur des thèmes d’actualité, et la rédaction de comptes rendus critiques des débats du Conseil communal.

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