La commune est le niveau où se vivent le plus intensément les solidarités courtes et où s’expriment le mieux les projets citoyens. Parce qu’elle peut jouer un rôle capital pour aider les citoyens à affronter les injustices qu’ils rencontrent sur le plan social et économique, la commune occupe donc une place très importante dans la lutte contre la pauvreté.

 

L’ampleur et la complexité des causes de pauvreté ne cessent de croître ; l’origine du basculement dans la pauvreté peut revêtir, en effet, des formes très diverses : cela peut être, par exemple, le chômage, mais aussi l’invalidité, le surendettement, la marginalisation et l’exclusion dans divers domaines, comme le logement, le décrochage scolaire chez les jeunes, l’éclatement familial, le handicap ou un problème de santé, la mise à la retraite… Le plus souvent, ces facteurs s’ajoutent les uns aux autres, interagissent entre eux, et l’enchaînement semble devenir « inéluctable » : un accident de la vie, par exemple, peut conduire à des problèmes familiaux, puis une difficulté de logement, et finalement à des conséquences sur le plan économique qui mènent tout droit à la pauvreté. Le risque des politiques souvent menées aujourd’hui est de renvoyer aux « exclus » la responsabilité de leur propre situation. Or, l’ensemble des situations qualifiées d’exclusion ne peut acquérir de sens et donc devenir compréhensible que s’il est resitué dans des processus et des dynamiques sociales dont elles ne sont que l’aboutissement ultime.

État des lieux
En 2004, un Belge sur quatre ne peut payer ses factures à temps. Ce chiffre est en augmentation par rapport à l’année 2001, où il était de 1 sur 5 (1). Concernant le revenu d’intégration sociale (RIS), il est intéressant de relever des données significatives mises en lumière par une récente enquête menée auprès d’un millier de bénéficiaires en Flandre :

• parmi les personnes qui vivent exclusivement du RIS, 35 % signalent qu’elles doivent consacrer en moyenne 40 % de leur allocation au loyer ;
• un ayant-droit sur quatre voit un quart de son budget absorbé par les charges locatives (chauffage, électricité) ;
• 16 % de ces personnes consacrent en moyenne 1/4 de leurs revenus à des dépenses (fixes) de santé ;
• après avoir payé la pension alimentaire, 9 % des hommes interrogés ne conservent qu’1/3 du RIS pour couvrir leurs autres frais ;
• pour 8 % des personnes interrogées, la moitié du RIS sert à rembourser des dettes ou des emprunts ;
• enfin, 5 % des gens consacrent 1/4 du RIS pour payer les études de leurs enfants.
Toutes les études le démontrent : on assiste à une paupérisation croissante de la population, et ce, malgré l’efficacité et la qualité du système belge de sécurité sociale, qui assure un haut degré de sécurité de revenu et d’existence, basé sur la solidarité entre les personnes. Pourtant, hormis les situations extrêmes relayées par les médias, comme celle des sans-abri en période de grands froids, il ne semble pas y avoir un très haut niveau de conscience de cette augmentation de la pauvreté. C’est qu’en une décennie, comme l’indique, dans le rapport général sur la pauvreté (cf. article à ce sujet dans les pages précédentes), le gouverneur de la province du Hainaut, « la pauvreté a assuré sa mutation au point de devenir insidieuse, voire silencieuse. »

Premières cibles : les femmes et les jeunes
Par ailleurs, la pauvreté touche la population de manière différenciée. L’inégalité entre les femmes et les hommes est tout à fait nette face à la pauvreté : le taux de chômage des femmes atteint 9 %, tandis qu’il est de 7 % pour les hommes, avec des disparités plus fortes encore dans certaines sous-régions. Les femmes représentent 54 % des chômeurs de longue durée, et la toute grande majorité de ceux qui bénéficient de l’allocation de chômage la plus basse : celle liée au statut de cohabitant. 44 % des travailleuses le sont à temps partiel, pour 9,4 % du côté des travailleurs. L’écart global des salaires est estimé à 25% en faveur des hommes, tandis que les femmes assument encore 80 % des tâches domestiques. Enfin, si seuls 14 % des cas sont signalés à la police, les associations spécialisées estiment qu’une femme sur cinq est un jour victime de violences conjugales.

Les jeunes et les plus âgés sont également de plus en plus touchés par le phénomène de la paupérisation. La pauvreté est donc de formes multiples : lutter contre elle nécessite de mettre en place une politique transversale, globale et coordonnée, menée dans tous les domaines de compétences et suppose une évaluation de toutes les initiatives et actions entreprises.
De plus, la pertinence des politiques mises en œuvre, en particulier sur le plan local, implique la participation de toutes les autorités et personnes concernées, et surtout les personnes vivant elles-mêmes dans la pauvreté. (2)

Le pouvoir communal
En matière sociale, la commune a une fonction partagée entre l’action sociale qu’elle peut mener « en direct », et la politique d’aide développée par son CPAS.

En ce qui concerne sa fonction sociale en direct, elle est multiple : la politique sociale de la commune concerne aussi bien le domaine du logement, des équipements collectifs (garde d’enfants, initiatives en faveur des personnes âgées, etc.), de la mobilité (accès aux services), de la santé, de l’enseignement, etc.
Quant au CPAS, il a une fonction bien définie par la législation : sa mission est de permettre d’être en mesure de mener une existence conforme à la dignité humaine, en octroyant ce qu’on appelle communément « l’aide sociale » à charge du CPAS. Depuis 2002, cette aide sociale consiste en fait en 2 prestations :
1 le droit à l’intégration sociale par un emploi ou un revenu d’intégration, assorti ou non d’un projet individualisé d’intégration sociale ;
2 l’aide sociale au sens large du terme.
Si les conditions pour le droit à l’intégration sociale sont remplies, celui-ci doit être accordé prioritairement à l’aide sociale. L’aide sociale peut prendre différentes formes. Elle peut être soit matérielle (financière, si on ne remplit pas les conditions d’un revenu d’intégration, ou en nature, par exemple par l’octroi de bons d’alimentation), ou immatérielle (tels que la guidance budgétaire, le conseil juridique, etc.).
Les CPAS peuvent également créer et gérer des infrastructures collectives comme des maisons de repos pour personnes âgées.
En Wallonie, le Président du CPAS pourra à partir des élections de 2006 faire partie du Collège des Bourgmestre et Echevins. Cela présente à la fois une opportunité et un risque : l’opportunité est que cela favorise le débat au sein du Conseil communal sur la politique sociale de la commune, y compris l’action développée par le CPAS ; le risque est que cette action menée par le CPAS perde de son autonomie par rapport à la majorité et au Collège.

Des pistes pour des revendications
Nous proposons que la commune adopte en matière sociale une approche novatrice, avec le concept de cohésion sociale comme fil conducteur. Il ne s’agit donc pas seulement de garantir contre les risques sociaux, ou de « réparer » les dégâts des accidents de la vie, mais bien de poursuivre un objectif d’égalité dans l’ensemble des domaines de la vie quotidienne (logement, santé, culture, éducation, formation, emploi, etc.). Ce qui permet de rencontrer le caractère multidimensionnel de la pauvreté.

Lutter contre la pauvreté ne consiste pas uniquement à chercher des solutions pour les pauvres, mais à construire des avancées démocratiques et progressistes pour l’ensemble de la société.

Un outil : le partenariat
« Le partenariat individuel suppose un libre choix entre deux personnes, ce qui n’est pas le cas dans une relation d’aide. D’un côté, il y a quelqu’un qui se débat dans une situation de crise, de l’autre côté quelqu’un qui fait son boulot. » Il est toutefois très intéressant de faire collaborer en tant que partenaires les associations et organisations de lutte contre la pauvreté avec les fédérations et les associations qui organisent l’aide sociale.

Ces partenariats collectifs peuvent du même coup défendre avec plus de chances de succès la cause du respect et de l’exercice du droit à une existence digne. Ceci implique beaucoup plus que la simple « aide sociale ». Une adaptation réaliste du revenu d’intégration s’impose, mais cette décision relève du niveau fédéral.
Il convient également de mettre davantage l’accent sur une approche structurelle de la pauvreté et de l’exclusion. Des méthodes telles que l’éducation permanente peuvent jouer un rôle important à cet égard (dynamisation d’un quartier, rétablissement du tissu social…).
Il convient aussi de favoriser la mise en œuvre effective des droits fondamentaux. Cela passe par plusieurs types d’actions :
1° La mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels dépend de l’intervention de nombreux acteurs du monde économique et social. Cela impliquera des autorités locales l’établissement d’un dialogue et d’une concertation avec ces acteurs tant lors de la programmation que de la réalisation des mesures visant à concrétiser ces droits.
2° L’effectivité des droits fondamentaux dépend également de la connaissance et de la compréhension qu’en ont leurs titulaires. Elle repose donc sur une information adéquate concernant la nature et l’étendue des droits, nécessitant la diffusion de renseignements accessibles à tous.
3° Une attention particulière devra être également apportée à la simplification des documents administratifs relatifs aux actions menées dans le cadre de la mise en œuvre des droits fondamentaux. En effet, la lisibilité et la compréhension de ces documents par tous leurs utilisateurs potentiels sont une des conditions nécessaires à l’effectivité recherchée. De nombreuses initiatives sont déjà en cours à cet égard.

Évaluation et participation
Il faut également assurer la cohérence dans la programmation des mesures, et ainsi proposer une réponse intégrée à l’accès aux droits fondamentaux et à la lutte contre l’exclusion :

1° Il s’impose d’appréhender les droits fondamentaux économiques, sociaux et culturels dans leur ensemble et d’en favoriser l’accès globalement. La première étape pour réaliser cette approche intégrée consiste à analyser, avant toute décision, les répercussions, sur l’ensemble des droits fondamentaux reconnus, que pourrait avoir la mise en œuvre d’une mesure spécifique. Ce n’est que dans un second temps, sur base des conclusions de l’analyse préalable, que l’adoption et la réalisation de programmes visant à promouvoir une réponse intégrée à l’accès aux droits fondamentaux pourront être envisagées en tenant compte de leur aspect multidimensionnel. Ce dispositif, outre qu’il devra être respectueux des facteurs temps et coût, assurera la transversalité des actions menées.
2° Une réponse intégrée à la mise en œuvre des droits fondamentaux requiert la participation de l’ensemble des composantes de la société civile et, plus spécifiquement, de leurs titulaires, tant dans le processus décisionnel que dans la concrétisation d’actions dont l’objet est d’en favoriser l’effectivité. Seule une écoute attentive de l’ensemble des titulaires des droits permettra de définir et, par la suite, de rencontrer les besoins de tous. Cette collaboration active pourrait se formaliser au sein d’une « charte » instituant le principe du partenariat entre les autorités publiques et la société civile. Mieux encore, elle pourrait être inscrite au cœur même des dispositifs organisant les mesures.
Une approche globale de ces droits implique un croisement des données disponibles de façon à établir des corrélations entre tous les domaines visés. Cela pourrait se formaliser par la mise en place de personnes relais au sein de chaque institution concernée. Il convient enfin d’évaluer les mesures prises par la commune de manière assez systématique et en associant les citoyennes et les citoyens directement concernés par ces mesures, ainsi que leurs associations.

(1) C’est le constat que dresse une étude réalisée par le bureau d’études Trendbox à la demande d’Intrum Justitia, le leader du marché européen de recouvrement de créances.
(2) En 1998, un « Accord de coopération entre l’État fédéral, les Communautés et les Régions relatif à la continuité politique de la politique en matière de pauvreté » est signé. Il est approuvé par tous les parlements du pays. MB du 16/12/98 et du 10/07/99) et a donc valeur légale (cf. encadré p. 2 à ce sujet).

 

Le Gavroche

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