Surpopulation, manque de personnel, vétusté des locaux, encadrement insuffisant. C’est un constat accablant que dresse l’Observatoire international des prisons (OIP) (1) dans son « Rapport sur l’internement en Belgique ». Des observations récurrentes ces dernières années lorsqu’il s’agit d’étudier le système carcéral belge, sauf que cette fois, il est question d’internement, c’est-à-dire d’une mesure décidée à durée indéterminée, rappelle l’OIP.


Première faille : lorsque l’internement est ordonné par le juge d’instruction, l’inculpé attend son passage devant la commission de défense sociale pendant 3 ou 4 mois dans l’annexe psychiatrique de la prison, puis il lui faudra attendre entre 8 et 15 mois avant d’être transféré en établissement de défense sociale (EDS) en raison de la surpopulation régnant dans ces établissements.
De nombreuses prisons belges possèdent une annexe psychiatrique. En pratique, la plupart de ces annexes accueillent non seulement des internés en attente de transfert vers des établissements de défense sociale (EDS), mais aussi des détenus qui présentent des troubles mentaux, des toxicomanes (Forest) ou parfois des détenus ayant commis des faits de mœurs.
Le mélange des pathologies aggrave l’état de santé des détenus. Les annexes ne disposent pas toujours d’infirmiers de manière continue ; ce sont souvent des agents sans formation qui sont chargés d’une série de soins, dont des injections. Les agents n’ont pas toujours la possibilité d’effectuer une formation en psychiatrie et quand ils le peuvent, ce n’est qu’après de longs mois, voire des années de travail sans formation. À l’annexe psychiatrique de Namur, par exemple, la possibilité de formation n’existe que depuis septembre 2003.
L’encadrement thérapeutique fait lui aussi défaut : un psychiatre vient au mieux quelques heures par semaine dans ce service et n’effectue principalement que des distributions de prescriptions. Il n’y a aucune place pour un réel travail psychiatrique. Une situation non seulement dénoncée par l’OIP mais par les médecins eux-mêmes. Ainsi Gaëtan de Dorlodot, directeur médical à la prison de Saint-Gilles et par ailleurs président de l’Amep (l’Association des médecins des établissements pénitentiaires) (2) ne mâchait pas ses mots lors de la présentation du rapport de l’OIP à la presse : « Les annexes sont surpeuplées, elles ressemblent à ce qu’on peut voir dans les prisons d’ex-URSS, nous faisons un bond de 200 ans en arrière. Je ne vous cache pas qu’en tant que médecins nous sommes très inquiets de la situation. Placer des malades mentaux en prison n’est pas une solution, ce n’est pas leur place, de plus, le séjour en prison est lui-même pathogène. Pouvez-vous imaginer qu’on mette les détenus qui ont fait une tentative de suicide dans des cachots ? Le seul traitement est la punition et les neuroleptiques pour assommer les plus agités. » Des médecins qui parlent également de médecine de guerre, de médecine du tiers-monde, en violation flagrante avec la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.

Vétusté et insalubrité
Les activités offertes aux détenus sont elles aussi très réduites. À Forest, par exemple, la seule activité consiste en un atelier créatif une fois tous les 15 jours. Les annexes psychiatriques disposent en outre de locaux totalement vétustes. L’annexe de Lantin a été fermée début 2003 pour insalubrité après une visite du CPT, le Comité de prévention de la torture. Ce qui a entraîné une surpopulation encore plus grande des autres annexes psychiatriques belges. Les détenus sont souvent trois par cellule ne pouvant normalement en accueillir qu’un ou deux. Ainsi, à Forest, on a rajouté en urgence une vingtaine de paillasses à même le sol pour « accueillir » les patients. À Namur, où les locaux sont eux aussi insalubres, il y a 55 détenus pour 24 places. En raison de cette surpopulation, certains détenus dont la place devrait être en annexe sont placés dans d’autres ailes de la prison, en régime cellulaire normal. Une situation qui a pour conséquence de nombreuses tentatives de suicide. On compte qu’en prison, les tentatives de suicide et les suicides sont dix fois plus nombreux qu’à l’extérieur (3). Paradoxalement, selon les directeurs, les médecins et les agents pénitentiaires, de nombreux détenus sont placés à l’annexe alors qu’ils n’y ont pas leur place (détenus pour faits de mœurs, toxicomanes…). La cause en est entre autres des rapports d’expertise mal rédigés qui ont conduit à une décision d’internement. En dix ans, le nombre d’internés n’a cessé d’augmenter : ils étaient 3 146 en 2000 contre 2 393 en 1992, soit une augmentation de 20 %. L’OIP, dans son rapport, pointe également la situation désastreuse des EDS. Il en existe cinq en Belgique. Ici aussi, la surveillance est le plus souvent faite par des agents pénitentiaires. Les internés restent parfois plus d’un mois sans avoir la possibilité de rencontrer un psychiatre ou un psychologue. Le manque de personnel qualifié a été reconnu par le gouvernement belge après la visite du CPT en 2001. En mai 2002, le tribunal des référés de Liège a condamné le ministre de la Justice à mettre sur pied dans l’EDS de Paifve une équipe de psychiatres. « L’internement est une mesure à durée indéterminée. La commission de défense sociale peut prendre une décision de liberté si l’état de santé mentale de l’interné s’est amélioré. Mais sans suivi thérapeutique, cette amélioration est impossible », constate l’OIP. Une boucle sans fin qui aggrave les problèmes de surpopulation.

Des propositions existent
Un projet de loi qui date de 1999, mais quasi oublié au parlement, introduit pourtant une amélioration dans le système en prévoyant la possibilité pour certains internés d’être envoyés dans les hôpitaux psychiatriques passant ainsi du régime de la Justice à celui de la Santé publique. « Mais le problème est moins celui de la loi que celui de l’absence de moyens financiers », conclut l’OIP. Du côté de la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), on reconnaît que la situation des détenus internés est le problème le plus criant du dossier pénitentiaire et que des propositions concrètes seront bientôt présentées.
L’association d’aide aux handicapés mentaux (4), elle, a tiré la sonnette d’alarme le 1er mars. Elle demande que la problématique des handicapés mentaux emprisonnés soit enfin reconnue et que des mesures efficaces soient prises en termes de prévention, de formation des personnels au handicap mental, de durée d’emprisonnement (en tout cas pas plus longtemps que quelqu’un de sain condamné pour un crime similaire, ce qui est pourtant fréquent) et d’accompagnement. Vu les compétences morcelées de l’État fédéral, des Communautés et des Régions, elle demande enfin la mise sur pied d’une commission intergouvernementale sur la question pour qu’on arrête de se renvoyer la balle !

Catherine Morenville


1 OIP, chée d’Alsemberg, 303 à 1190 Bruxelles - tél. : 02 209 62 80 - fax : 02 209 63 80.
2 L’Amep a été créée en mai 2003 pour faire valoir les revendications des médecins des prisons auprès du ministre de la Justice. Celles-ci ne se limitent pas aux soins psychiatriques. Ces médecins dénoncent l’organisation des soins dans les prisons, le manque de personnel infirmier, le retard de paiement de leurs honoraires, le peu de temps dont ils disposent pour soigner les détenus, etc. (Amep, Gaëtan de Dorlodot, GSM : 0477 52 71 24, courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)
3 Neuf suicides en 2003 et 23 tentatives de suicide...
4 ANAHM, av. Albert Giraud 24 à 1030 Bruxelles - tél. : 02 247 60 10 – fax : 02 219 90 61 – courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

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