La déclaration libératoire unique (DLU) a pris forme petit à petit, au gré des controverses. Comme l’indique l’exposé des motifs : « La déclaration libératoire unique ne constitue pas une mesure d’amnistie fiscale. Il s’agit d’une mesure réparatrice pour le Trésor ». Elle constitue une des premières actions symboliques de la coalition violette.


Quelques éléments de contexte sont présentés avant la proposition elle-même. Ensuite, plusieurs critères d’évaluation sont examinés, avec leurs aspects positifs ou négatifs. Voyons tout d’abord quels sont les éléments de contexte. Sur le plan politique, le ministre des Finances, M. Reynders, a soulevé plusieurs fois la question d’une amnistie fiscale, lors de la précédente législature, sans aboutir. Les libéraux flamands, au sein du VLD, sont également favorables à une mesure de ce type. L’accord de gouvernement du 8 juillet 2003 dans le chapitre « Un meilleur environnement pour les entrepreneurs indépendants », indique : « après un certain nombre d’autres pays (Allemagne), il serait opportun de lancer une opération unique (jusqu’à l’implémentation de la directive sur l’épargne) par laquelle les détenteurs de capitaux régulariseraient leur situation spontanément. Ceci pourrait notamment permettre de promouvoir l’investissement en capital à risque ». Le budget de l’État fédéral souffre de la faible croissance économique, de la réduction des recettes engendrée par la réforme fiscale et doit assumer les engagements compris dans la déclaration gouvernementale.
Au plan européen, une directive sur l’imposition transfrontalière des revenus d’intérêt a été approuvée en juin 2003. Elle pourrait être applicable dès le 1er janvier 2005. Une décision unanime doit en effet fixer la date de mise en œuvre du mécanisme. Ainsi, chaque pays dispose encore d’un droit de veto sur l’application de la directive. D’autres pays ont mis ou comptent mettre en place des mécanismes d’amnistie, comme l’Italie et l’Allemagne. Une pratique administrative proche de l’amnistie, préexiste en Belgique, basée sur la « déclaration volontaire ». Elle entraîne pour le contribuable le paiement d’un impôt que l’on peut estimer compris entre 3 et 5 % du capital déclaré. Il s’agit des précomptes mobiliers évités, auxquels s’ajoute une pénalité.

La proposition
Sont visés les fonds placés à l’étranger par des particuliers sur un compte auprès d’un établissement de crédit ou d’une société de bourse. Les titres au porteur (bons de caisse, actions, obligations) ont été ajoutés dans la dernière ligne droite. Les comptes belges ou la monnaie « cash » restent finalement hors du champ d’applications. Les montants à déclarer devaient se trouver sur ces comptes avant le 1er juin 2003. La déclaration de ces fonds et le paiement des 6 ou 9 % libèrent de toute sanction administrative ou pénale sur les éventuels impôts évités, pour autant que la déclaration soit faite entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2004.
Sont exclus du mécanisme, les fonds qui représentent du blanchiment d’argent (activités criminelles, drogue, prostitution…). La fraude fiscale, sauf à grande échelle (carrousels TVA par exemple), n’est pas assimilée à une activité criminelle. Les personnes qui ont des contentieux avec l’administration fiscale ou la sécurité sociale ne peuvent bénéficier du dispositif. Les montants issus de revenus récents (2001, 2002, 2003) sont exclus de la mesure.
Le taux applicable aux montants déclarés est de 9 % en principe. Il est réduit à 6 % si les sommes sont réinvesties pour une durée de 3 ans, selon des modalités qui restent à définir par arrêté royal. La régularisation des titres au porteur est soumise au taux de 9 %. La base sur laquelle s’applique le taux de 9 % ou 6 % fait l’objet de discussions. Le projet est rédigé d’une manière imprécise, avec de nombreux « ou » ; l’exposé des motifs, censé clarifier les choses, contribue à alimenter la controverse. On peut lire, dans le projet, que l’ensemble du capital déclaré fait l’objet du prélèvement, que seul le capital dont les revenus sont imposables en Belgique est à déclarer ou encore que seuls les revenus de ces capitaux forment la base imposable. Certains fiscalistes (1) estiment que seuls les revenus d’intérêt sont à déclarer pour bénéficier de l’amnistie, lorsque seul le précompte mobilier a été évité. Le total du capital serait soumis à la contribution si d’autres impôts étaient touchés par la fraude (cotisations sociales, impôts sur le revenu…).
Les différences sémantiques paraissent faibles, mais les conséquences dans les faits sont importantes. Un exemple : 1 million d’euros se trouve sur des comptes au Luxembourg, 1/3 investi en Sicav, 2/3 sur un dépôt donnant droit à des intérêts. Le rapatriement donne, dans le premier cas, un impôt de 60 000 ou 90 000 euros. Ces montants sont réduits à 40 et 60 000 dans le deuxième cas. Si seuls les revenus sont à déclarer, il s’agira, avec un taux d’intérêt de 4 %, de déclarer 80 000 euros et de payer 4 800 ou 7 200 euros, soit 8 % de l’impôt dû dans le premier cas. L’écart est plus que considérable. Il correspond à la différence entre une contribution sur les revenus du capital ou sur le capital lui-même.

La déclaration
La déclaration libératoire unique est faite via un intermédiaire financier belge ou via une succursale d’un intermédiaire financier étranger, après inscription spécifique auprès de la Commission bancaire et financière. Si les fonds restent à l’étranger, la déclaration est à faire auprès du Service public fédéral Finances. L’anonymat à l’égard du fisc est garanti si l’intermédiaire est belge : la liste des bénéficiaires sera transmise à la CTIF, cellule anti-blanchiment. Le contribuable recevra une attestation opposable au fisc. À noter que l’étranger ne se limite pas aux pays de l’Union européenne. Seuls sont exclus les pays mis à l’index par l’OCDE. Pour l’instant, il s’agit des Îles Cook, de l’Égypte, du Guatemala, de l’Indonésie, de la Birmanie, de Nauru, du Nigeria, des Philippines et de l’Ukraine. Le projet prévoit que la déclaration ne peut être utilisée comme indice ou indication pour effectuer des enquêtes ou des contrôles de nature fiscale, pour déclarer de possibles infractions à la législation fiscale ou pour échanger des informations. Le volet succession de l’amnistie doit, vu la régionalisation, faire l’objet de trois décrets régionaux. Cet aspect a été retiré du projet fédéral.

Éléments d’évaluation
L’aspect budgétaire est régulièrement mis en avant par les défenseurs de la mesure. La recette possible oscille selon les sources entre 500 millions et 1 milliard d’euros. Cette rentrée serait intéressante, notamment pour financer les soins de santé. Le budget 2004 prévoit une recette de 850 millions d’euros. Les adversaires de la mesure rappellent qu’il s’agit d’une recette unique, qui ne se reproduira pas en 2005. La participation au financement des biens et services collectifs est donc au mieux limitée dans le temps. De grosses incertitudes entourent la rentrée effective des capitaux, qui va dépendre notamment de comportements individuels et de l’action des intermédiaires financiers. D’un point de vue moral, le projet récompense la fraude par rapport au paiement normal de l’impôt. En outre, il renforce le sentiment que ceux qui peuvent payer échappent aux sanctions. Il confirme une tendance à graduer les comportements illégaux, il y a la petite fraude, la grande fraude, le blanchiment. Rik Daems (VLD) n’a pas hésité à légitimer la fraude fiscale tout en stigmatisant la fraude sociale. Les arguments économiques sont également utilisés par les défenseurs du projet : le retour de capitaux en Belgique aurait un effet positif sur l’emploi. Il s’agit d’une forme de retour à un nationalisme économique plutôt curieux dans le chef de formations libérales, acquises aux thèses de la mondialisation marchande. En réalité, les moyens financiers abondent en Belgique, les taux d’intérêts sont bas, il y a un surplus important de la balance courante, qui se traduit par une augmentation des avoirs belges vis-à-vis du reste du monde. Les investissements sont freinés par une faiblesse de la demande, plutôt que par un manque de financement. Les mouvements entre le Luxembourg et la Belgique n’affectent pas la zone euro. Il n’y a pas d’effet à attendre sur le taux d’intérêt ou le taux de change. En cas de retour massif, le principal effet économique pourrait être un transfert d’activités entre intermédiaires financiers. La BNB estime l’effet possible sur l’économie à 0,05 % du PIB, soit peu de chose. Outre l’aspect moral, la constitution belge prévoit l’égalité devant l’impôt. L’amnistie fiscale comporte plusieurs volets qui pourraient prêter le flanc à des recours en annulation :
– les contribuables qui ont payé leurs impôts normalement peuvent se sentir lésés par rapport à ceux qui bénéficient de l’amnistie
– les contribuables qui ont pratiqué la fraude à des degrés divers sont traités de la même façon
– certains produits financiers sont traités différemment, comme les titres au porteur.
D’un point de vue européen, la directive « intérêts » sert de justification au projet. Cependant, la directive ne touche que le paiement d’intérêts. Elle ne concerne pas les dividendes, les produits d’assurance. Les règles européennes interdisent de favoriser des activités en Belgique et de traiter moins bien les opérateurs étrangers. Rappelons également que pour la directive intérêt, la Belgique avec l’Autriche et le Luxembourg ont refusé le principe de l’échange d’information et ont opté pour une retenue à la source. La déclaration libératoire unique serait représentative d’un nouvel apport des revenus financiers au financement des fonctions collectives. Pour rappel cet apport est unique. En outre, le taux favorable (6 %) est envisagé pour des investissements dans des produits financiers non imposables (sicav, bons d’assurance…). Par ailleurs l’anonymat des contribuables est préservé, s’ils s’adressent à un intermédiaire implanté en Belgique.
Les contrôles futurs seront handicapés par l’amnistie. En effet, un instrument intéressant pour permettre à l’administration de lutter contre la fraude est la taxation sur la base d’indices (investissements immobiliers, voitures…). Les personnes qui auront bénéficié de l’amnistie pourront opposer une attestation à l’administration, même si cette dernière se rapporte à d’autres fonds.
La proposition laisse un sentiment d’injustice pour ceux qui ont payé régulièrement leurs impôts. Elle représente une pénalité pour l’évitement de l’imposition des revenus mobiliers, Cependant, il n’est pas nécessaire d’expatrier des fonds pour éviter cette imposition. En outre, la pratique administrative permet déjà des rapatriements avec un taux bien inférieur. Les fonds que le gouvernement espère voir revenir ont probablement échappé à d’autres prélèvements que ceux qui frappent les revenus mobiliers : les droits de successions, la TVA, voire l’impôt des personnes physiques et les cotisations sociales pour les revenus professionnels. Dans ce cas, les taux évités dépassent 20 % et 50 % pour les revenus professionnels.
Pour répondre aux nécessités budgétaires, des alternatives existent : elles portent pour nom impôt sur la fortune et cotisation sociale généralisée, appliquée aux revenus financiers. Pour cela, il est impératif de supprimer les titres au porteur, l’anonymat, la discrétion bancaire à l’égard du fisc. On en est loin. Même si certaines taxes sur la livraison de titres financiers au porteur devaient être relevées. Le contexte politique, budgétaire et européen a été favorable à l’émergence du projet d’amnistie, rebaptisée déclaration libératoire unique. La proposition paraît simple mais comporte de sérieuses incertitudes juridiques et budgétaires. Les éléments d’évaluation ne plaident globalement pas en faveur d’une telle mesure, surtout si l’on donne un poids important à l’aspect moral. Des alternatives existent, elles n’ont pas été prises en compte cette fois-ci.

Luc Simar
Service d’Études CSC

(1) Guy Kleynen, in L’Écho, 28 octobre 2003 ; Fiscale actualiteit 23 octobre 2003.