Deux sujets sont souvent revenus sur la table lors de la campagne électorale : la sécurité et la justice. On les retrouve largement développés dans l’accord gouvernemental (11 pages sur 66), réduisant à portion congrue les chapitres sur les quartiers viables et la société multiculturelle (5 pages). Le reflet d’un État qui se veut plus sécuritaire ou plus convivial ?
« Assurer la sécurité de la population nécessite une lutte quotidienne contre une criminalité qui se diversifie très rapidement. » L’introduction du chapitre « sécurité » est claire : il va falloir plus de moyens. Durant la prochaine législature, le gouvernement entend ainsi concentrer son action sur une série de phénomènes de criminalité spécifiques. Outre la sécurité routière (qu’il est question de régionaliser), il s’agit au niveau local : des cambriolages, du vandalisme et des incivilités. Au niveau fédéral, cela concerne le phénomène des bandes criminelles itinérantes, des réseaux criminels étrangers actifs sur notre territoire (drogues, trafic illégal des armes, …), du terrorisme, de la traite des êtres humains et de la grande fraude sociale, financière et économique. L’accord annonce également une révision de la loi de 1933 sur la détention d’armes pour les privés.
Sur le terrain, cela donnera davantage de policiers dans les rues, le texte de l’accord est précis : « la police locale sera renforcée avec l’équivalent de 2.500 unités » sans coût supplémentaire pour les zones de police, déjà mises à mal par la réforme des polices. Les tâches administratives seront confiées à des civils et pour soulager les services de police de tâches non policières, le gouvernement fera approuver au plus vite le nouveau projet de loi relatif au gardiennage. Les tâches qui seront confiées à ces sociétés de gardiennage ne sont toutefois pas détaillées dans l’accord… Autre point marquant du chapitre sécurité, il concerne plus particulièrement les communes : la chasse aux incivilités sera désormais punie d’amendes administratives étendues. Au niveau fédéral, il s’agit de développer une politique de prévention durable. Ce qui signifie en clair qu’on prolonge les contrats de sécurité et de prévention et qu’on augmente leur budget avec une attention particulière pour certains groupes dits « vulnérables », c’est-à-dire les personnes âgées et certaines professions telles que les libraires, les bijoutiers, les médecins… Quant à la réforme des polices, elle fera l’objet d’une évaluation basée sur l’audit de la police fédérale et du rapport de la commission ad hoc. Point positif à relever : dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, le gouvernement présentera un projet de loi permettant de sanctionner les « donneurs d’ordre », commanditaires de travaux à des sous-traitants recourant à l’exploitation de main-d’œuvre clandestine.
Justice
Après 4 ans de gestion très contestée du ministère de la Justice par Marc Verwilghen, on comprend que le chapitre consacré à la Justice se taille la part du lion (6 pages). Laurette Onkelinx, nouvelle ministre de la Justice ne devrait pas chômer… Le chapitre a d’ailleurs fait l’objet durant les négociations de longues discussions, un refinancement massif devrait être à l’ordre du jour. Première mesure d’importance : accorder aux victimes une place centrale : meilleure information, simplification du vocabulaire juridique, amélioration de l’accueil et écoute des victimes, communication des jugements aux parties concernées, information d’une décision de classement sans suite, élargissement de l’aide juridique et augmentation de son budget, réduction du coût et de la reproduction des dossiers.
Un revenant également dans l’accord : la mutualisation des coûts. Il n’est pas besoin de le rappeler, l’accès à la justice coûte cher. Laurette Onkelinx, alors qu’elle était ministre de l’Égalité des chances, avait déjà réfléchi à cette problématique et avait suggéré en mai 2002 de coupler l’assurance RC familiale à une assurance accès à la justice. De nombreuses voix s’étaient alors élevées contre le projet. En cause, la crainte de voir le prix de la prime d’assurance familiale grimper en flèche, et donc de voir de nombreuses personnes renoncer à cette assurance. Ensuite, on a évoqué la possibilité de surconsommation de procédures judiciaires, ce qui aggraverait l’arriéré judiciaire déjà phénoménal. La note d’intentions du gouvernement a évité l’écueil et ne fait pas directement allusion à l’assurance RC mais propose un système de solidarisation des risques judiciaires. Une mesure qui devrait se faire en concertation avec les différents barreaux mais pas sans difficulté car son application suppose qu’on fixe des honoraires d’avocat (comme pour les médecins).
Autres points importants : la résorption de l’arriéré judiciaire qui atteint à Bruxelles des proportions inquiétantes et la garantie d’une justice rapide. Pour le volet « prisons », les négociateurs ont voulu que la peine carcérale soit concentrée sur les auteurs de délits dont il faut protéger la société, c’est-à-dire les criminels graves. Pour les autres, histoire de diminuer la surpopulation carcérale, ils ont voulu privilégier les travaux d’intérêt général, la surveillance électronique l’interdiction de lieu, la réparation des dommages et la probation. Dans le même but, des investissements seront également effectués dans des bâtiments militaires vides pour les transformer temporairement en prisons. Quant à l’équipement des prisons, il fera l’objet d’un plan pluriannuel, tant au niveau sécurité qu’en ce qui concerne les conditions de vie et de travail. Une révision de la loi Lejeune sur les libérations conditionnelles sera également programmée. Enfin, et ce n’est pas sans conséquences sur le droit de la jeunesse, la loi relative à la protection de la jeunesse de 1965 sera modernisée « pour assurer une meilleure protection des jeunes » mais elle prévoira aussi des sanctions « pour les jeunes délinquants à l’égard desquels ces mesures constituent le seul instrument pour protéger notre société contre leurs activités criminelles. » Le très controversé centre fermé d’Everberg est évoqué et ainsi pérennisé alors qu’il n’avait, selon l’ancien gouvernement, qu’une mission provisoire en attendant le renforcement des places en IPPJ (institutions publiques de protection de la jeunesse).
Asile-immigration : manque d’ambition
Des deux pages consacrées à la société multiculturelle, on retiendra surtout un nouveau rendez-vous manqué et il s’agit ici d’une défaite socialiste: le renvoi au Parlement de l’octroi du droit de vote aux communales pour les étrangers non communautaires. Quant au volet migration, si on peut saluer l’effort consenti sur l’accueil des primo-arrivants et la mise en œuvre du service de tutelle des mineurs non accompagnés, on ne peut que rester pantois devant le cynisme de certaines « améliorations » de la coalition violette. Ainsi, les centres fermés seront humanisés : « des sections pour les familles y seront créées » (sic) ! En outre, « seront vérifiées avec le Conseil d’État les possibilités d’adaptation des procédures actuelles afin de rendre impossible l’introduction de recours en annulation ou de recours suspensifs téméraires, manifestement non fondés ou dilatoires ». Humaine et réaliste, c’est en ces termes qu’est qualifiée la politique que veut mener le gouvernement en matière d’asile. Les mêmes mots avaient été utilisés par Verhofstadt I. Quoi de neuf depuis ? Pas grand-chose, le gouvernement dit s’engager à appliquer comme en 99 la Convention de Genève, or, la réalité des faits n’a pas toujours été conforme à cet engagement : expulsion massive des Tziganes, mineurs non accompagnés expulsés ou lâchés dans la nature, etc. Aucune réforme de la procédure d’asile ni de politique d’immigration n’est envisagée. Les acquis de la régularisation sont aux oubliettes. La récente occupation de l’Église Sainte Croix d’Ixelles par quelque 300 Afghans et le dialogue de sourds qui s’en est suivi avec le directeur du CGRA (1), Pascal Smet et le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael, ne laissent présager aucune embellie.
Des quartiers viables
Dans le chapitre « Des quartiers viables dans des grandes villes viables », comme dans tous les autres, le gouvernement veut renforcer les moyens des plans initiés par Charles Picqué sur quelques quartiers de 15 grandes villes. On parle aussi de la lutte pour plus de sécurité et moins d’incivilités, de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, de « solutions structurelles » en faveur des sans-abri. Enfin, la problématique du logement dans les villes est également abordée. De compétence essentiellement régionale, la crise du logement ne peut être résolue au niveau fédéral que via deux leviers : la fiscalité et la loi relative aux baux. On retrouve ici quelques intentions intéressantes dont il faudra suivre la mise en œuvre : protection des locataires contre les marchands de sommeil, qualité des logements offerts, révision de la loi sur les baux, réexamen de la fiscalité fédérale en matière immobilière, rénovation urbaine encouragée, de même que le développement d’activités économiques dans les quartiers défavorisés. De ces quatre chapitres, on retiendra surtout le catalogue impressionnant de mesures qui attend la nouvelle ministre de la Justice Laurette Onkelinx. C’est finalement dans celui-ci qu’on retrouve les points les plus innovants, les trois autres volets n’étant en grande partie que des renforcements des mesures existantes. Et un très grand regret : le renvoi au Parlement du droit de vote aux étrangers, une mise au frigo qui en rappelle d’autres… et qui semble devenir une habitude des gouvernements Verhofstadt. Pour preuve, les nombreux dossiers litigieux absents de l’accord et qui seront traités sous la forme d’un « forum » associant Régions et Communautés.
Catherine Morenville
1 Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides.