La législature qui se termine aura été fertile en transformations diverses du paysage politique de la Belgique francophone. Toutes les composantes de l’éventail politique ont mené, ces dernières années, un travail de « repositionnement » qui dépasse largement les traditionnelles démarches d’actualisation du message et du programme.


À des degrés divers, chacun des quatre principaux partis francophones s’est livré à une double opération : d’une part, une vaste réflexion interne, un large brassage d’idées, censé mobiliser les militants, anciens et nouveaux, à qui l’appareil n’avait plus souvent demandé leur avis ces dernières années (hormis le cas particulier d’Écolo, dont les « États généraux de l’écologie politique », qui furent considérés comme partiellement responsables du succès électoral de 1999, ont justement servi de modèle pour les autres), et qui fut le plus souvent ouvert à des contributions extérieures ; d’autre part, une action de rénovation d’image, qui a touché selon les cas l’appellation, le sigle, le logo, la communication publique. Contrairement à la Flandre (voir Démocratie du 15 janvier 2003) toutefois, qui a connu les signes avant-coureurs d’une probable recomposition mêlant transferts de personnalités, dissidences, implosion (celle de la Volksunie), rapprochements et élargissements, la Communauté française a été peu touchée par ce type de phénomène jusqu’à présent : hormis la dissidence MCC (dont on ne peut pas dire, finalement, que ses effets furent réellement funestes pour le PSC), et l’intégration des trois composantes de la fédération PRL-FDF-MCC en un mouvement unique, le paysage politique francophone est resté sensiblement le même, partagé entre deux grands partis et deux forces d’appoint.

PS : un électrochoc salvateur
Parti largement dominant pendant des décennies, le PS connut aux élections législatives de 1999 une défaite historique, venant ponctuer une dégringolade permanente de plus de 10 ans (entre 1987 et 1999, le PS wallon a perdu 1/3 de son électorat, passant de près de 45 % à moins de 30 % ; du côté bruxellois, le PS devient même le 3e parti de la capitale en 1999, derrière le PRL-FDF et Écolo). Comment expliquer cette « descente aux enfers » ? Par la perte d’une partie importante de l’électorat populaire, qui ne se retrouvait plus dans un programme de type « social-démocrate pragmatique », incarné par la participation du parti aux gouvernements qui ont géré la crise à coups de mesures d’austérité et par le style professoral et parfois suffisant du président Spitaels ; mais aussi, bien entendu, par les affaires politico-judiciaires qui ont secoué le parti durant les années 90 et provoqué des tensions internes fratricides et autres guerres de clans. Le nouveau président, Elio Di Rupo, en est convaincu lorsqu’il accède à la direction du parti : il faut, d’urgence, administrer un électrochoc à ce parti malade. Un vaste travail de transformations majeures est alors mis en œuvre : l’élection des présidents au suffrage universel des membres et des modifications statutaires faisant place aux jeunes et aux femmes ; le lancement d’une large réflexion ouverte sur l’extérieur pour redéfinir le programme du parti (les 500 jours des Ateliers du Progrès) ; plus récemment, un positionnement plus marqué à gauche, accompagné d’appels répétés à allier les forces progressistes ; également, une attention forte à l’image et à la communication du parti, fortement modernisée à l’instar d’un logo et de locaux reliftés… Cette volonté de renouveau se retrouve partiellement dans la composition des listes pour les prochaines élections (les listes du Hainaut et de Liège à la Chambre en étant deux illustrations parfaitement opposées). Et un autre signe fort de cette transformation est visible dans le programme électoral du parti, plus spécifiquement dans les matières sociales et fiscales où l’effet des « Convergences à gauche » avec le parti Écolo est évident.

MR : le changement dans la continuité
L’autre « grand » de la politique francophone est le MR, premier à Bruxelles et deuxième en Wallonie. Sa principale composante, le PRL, a connu, seul ou en fédération avec le FDF et le MCC, des succès divers durant ces quinze dernières années. En particulier, et malgré l’extraordinaire habileté de Louis Michel qui réussit à faire croire le contraire sur les écrans TV le soir du 13 juin 1999, la fédération n’a pas gagné ces élections, et ce, alors qu’elle « ratissait relativement large » puisqu’elle pouvait compter sur l’apport du MCC. Ses résultats, peu significatifs, furent contrastés selon les assemblées : en progrès à la Région wallonne, en recul à Bruxelles, en statu quo au niveau fédéral. Cela étant, les libéraux ont retrouvé le chemin du gouvernement et, avec leurs collègues du VLD, ils ont assurément été d’un poids déterminant dans la coalition, y imposant notamment leur cheval de bataille : une réforme fiscale composée de diminutions d’impôts. Parallèlement à l’opération d’intégration de ses trois composantes, qui fut quelque peu cahotique et connut divers soubresauts (bouderies de Gérard Deprez, interviews gaffeuses et dérapages de Daniel Ducarme, colères plus ou moins dissimulées de Louis Michel), le Mouvement réformateur a également mené un vaste débat sur son projet, par l’organisation de plusieurs congrès thématiques. Le résultat en est un programme dont les orientations principales sont toutefois dans la droite ligne du libéralisme social inventé en 1999 par le PRL : le libéralisme avant tout, avec ses options politiques que sont le marché, la concurrence, l’individualisme, le profit, accompagné de quelques considérations sociales qui visent à limiter l’exclusion de celles et ceux qui « ne peuvent pas suivre ».

Écolo débat et converge
Derrière le PS et le MR, deux autres partis sont en concurrence pour la troisième place. Deuxième parti à Bruxelles, et troisième en Wallonie aux élections de 1999, Écolo fut l’initiateur de débats ouverts vers la société civile : l’organisation des États généraux de l’écologie politique, qui a indéniablement permis au parti de pénétrer davantage l’ensemble de cette société et de mobiliser autour de lui des forces vives de diverses natures. Après le scrutin victorieux de 1999 (avec un résultat à la Chambre des représentants de 7,3 %, Écolo augmente son score de 1995 de 3,3 %), le parti est appelé à prendre part aux négociations pour la formation du gouvernement, et il fait pour la première fois, et non sans fortes oppositions internes, son entrée dans une coalition. Sa participation fut pour le moins chahutée, en raison de la culture de débat interne et d’évaluation qui lui est si chère et de la fracture restée vive dans le parti entre les pro- et les anti-participation. Fidèle à sa tradition de débat d’idées, Écolo a lancé lui aussi une nouvelle initiative : les Alliances pour le Développement durable. Et puis, surtout, Écolo et PS ont développé une recherche de convergences, concrétisée notamment dans un document commun sur la protection sociale et la fiscalité, dont l’essentiel se retrouve dans le programme de chacun des deux partis. Sans être une garantie à gouverner ensemble, ces convergences n’en demeurent pas moins un engagement de défendre des positions clairement marquées à gauche lors des prochaines négociations gouvernementales. Histoire de constituer un front plus uni face au libéralisme et à la droite.

cdH : renaissance et dissidence
Enfin, le parti francophone qui a incontestablement connu la mutation la plus forte est l’ancien PSC. Curieusement, pourtant, ses initiatives de rénovation sur le plan des idées et des valeurs (les conférences E.R.E.) ont connu moins de succès, tant dans la participation qu’au niveau médiatique : il n’empêche, le PSC, après être devenu le « Nouveau PSC », a fait le grand saut en abandonnant tout à la fois l’appellation de « parti » et la référence chrétienne. Son nouveau credo, incarné dans l’humanisme démocratique, a quelque peu fait grincer les dents : d’abord du côté du MR, qui en a justement fait lui aussi sa raison d’être ; ensuite, auprès de la branche la plus conservatrice du parti, qui décida d’en créer un nouveau, le CDF. Jusqu’ici, le pari de la présidente Joëlle Milquet est gagné : beaucoup d’observateurs annonçaient une disparition rapide du parti après la défaite de 1999 (il réalise alors, comme le PS, le plus mauvais score de son histoire) et le renvoi dans l’opposition ; c’est pourtant, en tout cas au niveau de l’image et du message, à une renaissance qu’on assiste. Moyennant vérification par les urnes le 18 mai prochain.

Et le paysage ne serait pas complet si nous n’évoquions Vivant, créé par un businessman qui ne savait pas quoi faire de son argent ; une dissidence socialiste qui s’estime seule représentante de la gauche ; une dissidence libérale qui s’estime seule représentante de la droite ; le mouvement wallon de Paul-Henri Gendebien pour rejoindre la France ; et le FN, qui semble heureusement hiberner… Pourvu que cela dure !
Thierry Jacques