Au travers du financement de la sécurité sociale, globalisé depuis 1995, l’assurance soins de santé est un instrument important de redistribution entre riches et moins riches. En outre, il s’agit d’un instrument de redistribution entre bien portants et malades au travers des prestations.


En effet, les remboursements effectués par les mutualités sont très concentrés sur une minorité de personnes malades ; les 15 % de patients qui bénéficient des remboursements les plus importants reçoivent près de 81 % du total de ces remboursements effectués en une année. Ceux qui reçoivent des remboursements sont évidemment ceux qui paient des tickets modérateurs. Ici aussi, la concentration est loin d’être négligeable puisque les 15 % de patients qui paient le plus de tickets modérateurs déboursent près de 60 % de la totalité des tickets modérateurs payés en une année. Lorsqu’on différencie le ticket modérateur en fonction de critères liés au patient, on organise une redistribution entre malades. Cette troisième forme de redistribution est sans doute plus problématique que les deux premières, elle est pourtant de plus en plus utilisée.
Le « maximum à facturer » ou MAF est une extension et une généralisation des systèmes de franchise sociale et fiscale instaurés en 1994. Le MAF est donc un système qui permet de plafonner les interventions personnelles des patients en fonction de leurs revenus. Il s’agit des interventions personnelles officielles appelées également « tickets modérateurs ». Les divers suppléments payés lors d’une hospitalisation ou lors d’une consultation d’un spécialiste ne sont pas concernés par cette mesure. Le revenu qui est pris en compte pour calculer le plafond (une sorte de franchise) est le revenu net imposable du ménage fiscal. Pour ceux dont ce revenu est considéré « faible » ou « modeste » (voir ci-dessous) ou qui bénéficie d’un statut « protégé » (notamment les vipo), la mutualité rembourse dans l’année les tickets modérateurs au-delà du plafond. Pour les autres, c’est le fisc qui rembourse les tickets modérateurs qui excèdent le plafond.
Quels sont les tickets modérateurs (TM) pris en compte pour déterminer si le plafond est atteint ?
- les TM sur les honoraires des médecins, des infirmiers, des paramédicaux…
- les TM sur les prestations techniques comme les interventions chirurgicales, les examens techniques, les examens de labo…
- les TM sur les médicaments des catégories A et B
- l’intervention personnelle lors d’une hospitalisation classique (jusque 3 mois) ou lors d’une hospitalisation dans un hôpital psychiatrique (jusqu’à un an).
Dès 2003, il est prévu d’inclure d’autres participations personnelles dans le MAF. Il s’agit :
- des TM sur les médicaments de la catégorie C
- des TM sur le matériel de viscérosynthèse et endoscopique
- du TM réclamé lors d’une urgence à l’hôpital « non justifiée ».

Les arguments du gouvernement
Le statut préférentiel (vipo) et les systèmes de franchise sociale et fiscale n’empêchent pas que, régulièrement, la maladie entraîne des difficultés financières importantes pour certaines familles. En effet, la protection sociale apporte une aide insuffisante pour deux groupes à risques de notre société : les malades chroniques et les ménages qui disposent de revenus modestes et qui sont confrontés de manière continue ou répétée à des frais de santé. Il importe donc de prendre une mesure accordant une protection plus rapide et plus forte aux ménages en ayant le plus grand besoin : le maximum à facturer (MAF)

Éléments d’analyse
Le MAF constitue un progrès indiscutable pour les plus démunis. Les soins de santé deviennent plus accessibles grâce à une limitation de leur participation financière personnelle. En outre, ce système prévoit un plafonnement de ces coûts pour les enfants jusqu’à 15 ans et cela, sans tenir compte du revenu des parents. Cela constitue en quelque sorte une mise à égalité de tous les enfants et une reconnaissance de la difficulté pour les parents de vivre la maladie d’un enfant. Cela, même si les parents disposent de « certains » moyens. Mais au-delà de l’évaluation positive du système, on est tout de même amené à formuler quelques réserves :
1. Le MAF ne solutionne pas tous les problèmes. C’est pourtant comme cela que le système est présenté. Il est en effet mentionné en première page du dépliant distribué « vos frais médicaux peuvent s’accumuler, votre facture reste la même ». Ce n’est évidemment pas vrai car toute une série de participations personnelles ne sont pas prises en compte par le MAF. Il s’agit des médicaments peu ou pas remboursés, des interventions personnelles en cas d’hospitalisation de plus de 3 mois en hôpital général et de plus d’un an en hôpital psychiatrique, des nombreux suppléments facturés aux patients lors d’une hospitalisation (pour interventions chirurgicales, frais de séjour…), des suppléments demandés par les spécialistes lors d’une consultation, des dépassements de tarifs officiels par tous les prestataires (ce ne sont en effet que les tickets modérateurs officiels qui sont concernés). Il ne s’agit pas ici de tenir grief au ministre de ne pas tout inclure dans le MAF mais plutôt de lui faire le reproche de donner l’illusion au patient que tout est résolu grâce au MAF.
2. Le MAF sert d’alibi aux augmentations de la charge du patient. C’est particulièrement le cas pour le budget 2003 dans lequel il est prévu d’augmenter explicitement la charge du patient dans le secteur des médicaments. Concrètement des médicaments contre les douleurs gastriques et l’asthme sont déclassés (de la catégorie B à la catégorie C) et donc moins bien remboursés. Il s’agit d’une hausse de 50 % de la participation du patient. Il est également prévu de réduire les remboursements pour les grands conditionnements, une augmentation de la charge du patient qui va toucher principalement les patients chroniques. Toujours dans le secteur des médicaments, les prix des génériques diminuent mais le patient paiera d’autant plus cher les médicaments originaux si le médecin n’a pas prescrit un générique. Le matériel de viscérosynthèse et endoscopique ne sera pris en charge par l’assurance soins de santé qu’à concurrence de 10 %, le reste (90 %) étant à charge du patient. Les urgences seront moins accessibles suite à la possibilité offerte aux hôpitaux de réclamer 12,5 EUR si certaines conditions ne sont pas remplies. Toutes ces mesures sont justifiées par la nécessaire « responsabilisation » du patient mais sont également « adoucies » dans l’argumentaire en prétextant que le MAF permettra aux plus démunis de ne pas sentir la différence.
3. Le MAF renforce la redistribution entre malades. En effet, au plus les tickets modérateurs divergent entre les patients, au plus la solidarité ou la redistribution s’organise entre ces patients. Alors que la solidarité existe déjà à travers le financement et à travers les prestations, est-il vraiment nécessaire de la renforcer entre les patients ?
4. Le MAF peut favoriser la dualisation du système. Cette remarque prolonge la précédente.
Comment allons-nous à terme justifier un système obligatoire étendu au plus grand nombre si ceux qui le financent en bénéficient d’autant moins qu’ils sont « riches » et donc d’autant moins qu’ils contribuent au système ? Ne sera-t-il pas tentant pour ces derniers de soutenir l’idée de scinder l’assurance soins de santé en deux volets distincts : un volet obligatoire mais réduit, accessible à tous ; et un volet privatisé, dans lequel chacun bénéficierait d’une couverture proportionnelle aux primes versées mais également dans lequel les mauvais risques (handicapés, personnes âgées, personnes dépendantes, malades chroniques…) seraient exclus ?

Le Gavroche

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