Le rapport des «Assises de l’interculturalité» résulte d’une commande politique. L’accord de majorité fédérale du 18 mars 2008 précise que «dans le cadre d’une société ouverte et tolérante, le Gouvernement favorisera le respect de nos valeurs démocratiques communes et organisera des «Assises de l’interculturalité» composées de l’ensemble des représentants concernés et chargées de formuler des recommandations au Gouvernement en vue de renforcer la réussite d’une société basée sur la diversité, le respect des diversités culturelles, la non-discrimination, l’insertion et le partage des valeurs communes».

 

De septembre 2009 à septembre 2010, un Comité de pilotage composé de 22 «experts» s’est attelé à dresser un état des lieux de la manière dont la diversité est aujourd’hui gérée en Belgique, à cerner là où les problèmes se posent encore et, in fine, à suggérer des pistes pour résoudre ces difficultés.
Comme le rapport le met en évidence dès l’introduction, le Gouvernement a sciemment choisi d’utiliser le terme d’«interculturalité» plutôt que celui de «multiculturalité». Contrairement à la «multiculturalité» qui évoque la coexistence de différentes cultures au sein d’un même ensemble, l’«interculturalité» renvoie aux liens interpersonnels, au dialogue et aux interactions éventuellement conflictuelles entre diverses communautés culturelles «dans le cadre d’un projet commun qui allie unité et diversité, respect des identités et projet collectif.»
Les rédacteurs du rapport final soulignent qu’un travail d’analyse et de formulation de recommandations sur pareil sujet, qui touche au plus près la conception que les uns et les autres peuvent avoir d’un idéal de «vivre ensemble» est éminemment difficile tant les positions en présence peuvent apparaître comme difficilement surmontables : «entre ceux pour qui nos sociétés démocratiques ont fait le choix d’un droit sécularisé qui s’inscrit dans une logique qui désormais refuse la montée en puissance des particularismes religieux, philosophiques et/ou culturels (…) et les autres pour qui cette option n’est nullement un obstacle à ce que soient revus, au besoin en profondeur, certains choix historiques sur la question des pluralismes culturels et religieux et sur les façons de les agencer.» 1
Ainsi, le rapport est le reflet de ces divergences et les recommandations avancées sont le résultat de compromis dont il est très prévisible, reconnaissent les rédacteurs, qu’elles ne feront pas l’unanimité, d’aucuns pouvant les trouver frileuses et insuffisamment novatrices, d’autres au contraire les jugeant trop audacieuses et imprudentes, surtout du côté des revendications identitaires liées aux convictions religieuses.
Le comité de pilotage du rapport entend par ailleurs clarifier les principales positions de départ sous-jacentes à celui-ci. Elles sont au nombre de cinq :

Responsabilité de tous

Le comité de pilotage insiste sur le fait que si les recommandations s’adressent surtout aux autorités politiques, un projet d’interculturalité n’a de chance d’aboutir que s’il engage la totalité des acteurs de la société, minorités et majorités, acteurs publics et privés. En outre, concernant les pratiques «d’aménagement» principalement proposées dans le domaine de l’emploi, celles-ci ont pour ambition plus large de renforcer la dimension de réciprocité dans l’agencement des rapports sociaux en contexte d’interculturalité.
Ce concept «d’aménagement» inverse en quelque sorte «l’approche traditionnelle en prenant pour point de départ que c’est à la société et non à l’individu désavantagé qu’incombe la responsabilité de neutraliser les obstacles à sa participation à la vie en société, sauf à se voir imposer des exigences disproportionnées. L’aménagement doit permettre qu’une personne qui se trouve dans une position désavantagée puisse passer outre et participer pleinement à la vie en société.»

Clivages socioéconomiques

Le comité de pilotage rappelle la prégnance des clivages socioéconomiques et que «les personnes issues des minorités ethniques, culturelles et religieuses restent, jusqu’à aujourd’hui, largement surreprésentées dans le groupe des personnes désavantagées d’un point de vue socioéconomique». Ainsi, chacune des pistes avancées dans le rapport appelle à des efforts conjoints en matière de renforcement de la position socioéconomique des «groupes cibles».

Politique d’asile

Le comité de pilotage met en garde contre les effets potentiellement délétères de la politique d’asile et de migration telle que menée en Belgique sur l’ouverture de la «sensibilité publique» aux questions relatives à la diversité culturelle. En matière de politique migratoire, les règles restent largement opaques et il règne au sein de l’opinion publique «un sentiment d’arbitraire par rapport à la façon dont la politique d’accès au territoire et l’éloignement des étrangers est menée». Dès lors, par effet d’amalgame, l’inquiétude de l’opinion publique sur le sujet se reporte indûment sur les «minorités» dont il est question dans le rapport.

Quel terme choisir?

À l’instar du rapport 2005 de la Commission du dialogue interculturel, le comité de pilotage récuse l’emploi de termes tels que «allochtones» (dont l’usage est prépondérant en Flandre) ou «immigrés» (utilisé surtout en Wallonie et à Bruxelles) dès lors que ceux-ci ne devaient s’appliquer qu’aux personnes récemment arrivées sur le territoire belge. L’expression «personnes issues de l’immigration» ne convient pas mieux. Le Comté de pilotage a préféré parler de «minorités ethniques, culturelles et/ou religieuses», en mettant l’accent sur l’un ou l’autre qualificatif selon le contexte, tout en précisant toutefois comme l’avait fait la CDI, qu’il ne s’agit pas «d’enfermer les individus dans des entités closes sur elles-mêmes (…), mais au contraire de leur permettre de faire connaître la complexité et la richesse de la situation où ils se trouvent.»

Quels constats ?

Le comité de pilotage demande que son rapport soit lu comme un exercice de rapprochement entre positions parfois très opposées et cherchant à proposer des solutions les plus concrètes possible dans des dossiers où le politique peine à s’entendre.
Par ailleurs, certains sujets n’ont pas été approchés, tels que celui du port du voile intégral ou celui de la dimension européenne des politiques liées à l’interculturalité.
Les recommandations élaborées par le comité de pilotage concernent cinq grands domaines de la sphère publique: l’enseignement, l’emploi, la gouvernance, le logement et la santé, la vie associative, la culture et les médias. Pour chacun de ces domaines, nous nous limiterons à reprendre les constats qui motivent les diverses recommandations du rapport que l’on pourra lire en détail dans le rapport intégral.
Enseignement: en préalable, les auteurs du rapport rappellent qu’on ne peut comprendre la question de l’interculturalité à l’école sans prendre en considération ce qui la structure: les ségrégations socioéconomiques en milieu scolaire recoupent largement les ségrégations culturelles.
Ainsi, sans faire l’impasse sur la question de port de signes convictionnels dans l’enseignement, la priorité pour les membres du comité de pilotage se situe dans la recherche des moyens susceptibles de réduire les grandes inégalités dans le système scolaire.
Néanmoins, le comité de pilotage est convaincu qu’une interculturalisation du système scolaire est indispensable pour garantir l’égalité des chances de tous les élèves.
Emploi: le comité de pilotage rappelle les inégalités en termes de participation au marché du travail qui touchent, d’un point de vue statistique, majoritairement les «minorités ethniques et culturelles» (près de quatre adultes sur dix d’origine marocaine, turque, algérienne ou congolaise sont sans travail).
De même, il souligne un phénomène «d’ethnostratification» du marché du travail en fonction duquel les personnes d’origine européenne sont surreprésentées dans les segments dits supérieurs du marché de l’emploi tandis que les personnes issues de l’immigration non européenne se concentrent dans les secteurs dits inférieurs, caractérisés par un risque de chômage plus élevé, de salaires plus bas, de moins bonnes conditions de travail et une plus grande précarité de l’emploi.
Si le comité de pilotage reconnaît que de nombreuses initiatives ont déjà été prises pour lutter contre les discriminations en matière d’emploi (notamment dans l’application de la loi antidiscrimination de 2007), les recommandations exprimées ont néanmoins pour but de rendre plus efficaces les mesures existantes, de les compléter ou encore d’en proposer de nouvelles.
Gouvernance: le terme de gouvernance peut prêter à confusion. Le comité de pilotage précise qu’il entend par «gouvernance» différents points de tension liés à l’actualité et qui suscitent le débat et, de ce fait, occupent une place particulière dans le rapport des Assises. Sont ainsi concernés les thèmes suivants: la mise en concordance des politiques migratoires et d’intégration; l’actualité du Pacte culturel de 1971; la technique juridique des aménagements raisonnables; les signes convictionnels dans les services publics; les abatages rituels; l’exigence de mémoire; l’action de la police et de la justice dans leur fonction de service au public.
Logement et santé: dès lors que les «minorités ethniques, culturelles et/ou religieuses» appartiennent souvent aux couches sociales les plus défavorisées de la population, elles sont également les premières «bénéficiaires» des politiques sociales, notamment en matière de logement et de santé. Toutefois, ces politiques ont leurs limites et ne suffisent pas à assurer une pleine participation des personnes concernées à la société. Des mesures plus ciblées apparaissent donc nécessaires, ce à quoi tentent principalement de répondre les recommandations du comité de pilotage sur ces deux secteurs.
Vie associative, culture et médias: face à une logique globale de repli sur soi – qui n’est pas le propre des minorités ethniques, culturelles et/ou religieuses, mais qui concerne l’ensemble des sociétés du monde occidental depuis le 11 septembre 2001 – la culture, les médias et le secteur associatif apparaissent comme trois leviers «immatériels» susceptibles de contrer cette «dynamique centrifuge» dès lors qu’ils permettent aux individus et aux groupes de participer à des «plateformes de rencontre et d’interaction» pour peu que ceux-ci «acceptent de communiquer entre eux pour échanger des informations, des expériences de vie et des points de vue sur ce qui les touche et les concerne.» C’est dans cette optique qu’il convient, selon le comité, de situer les recommandations.

Quel suivi?

Au terme de son rapport, le comité de pilotage des Assises de l’interculturalité préconise que, «pour toutes les recommandations, un mécanisme de suivi et d’évaluation soit rapidement mis en place, à chacun des niveaux concernés de l’État, en désignant les instances ad hoc pour assurer ce suivi en leur affectant un timing précis pour leur mise en œuvre. Les recommandations qui postulent une issue législative ou décrétale requièrent une attention spécifique.»



1. Page 3 du rapport des Assises que l’on peut télécharger sur: www.interculturalite.be/IMG/pdf/INTERCULT_2010-FR.pdf

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