Grâce à l’appui du duo des « patriotes » Davignon-Lippens, le gouvernement a obtenu, non sans mal, la création d’un consortium d’investisseurs (1) prêts à intervenir à hauteur de 200 millions d’euros pour garantir l’envol de la DAT+. Au niveau social, un plan d’accompagnement a été mis au point après une négociation-marathon avec les organisations syndicales.


Ce plan (2) qui concerne 5100 licenciés (en équivalents temps plein), tend à réduire l’écart entre les indemnités de licenciement légales et les indemnités qu’est en mesure d’octroyer le Fonds des fermetures. Ce plan coûterait 395 millions d’euros, dont seuls 100 millions seraient directement à charge du Trésor (le coût de la fermeture de la Sabena), le solde étant à charge du Fonds des fermetures et de l’Onem. Autrement dit, le gouvernement laisse au secteur privé et aux sociétés régionales d’investissement le soin de constituer la DAT+ et se décharge du financement de la majorité du plan social sur la Sécurité sociale. Comme, en outre, la mise en faillite l’exonère de la dette de la Sabena (2,5 milliards d’euros), l’équipe Verhofstadt se sort aux moindres frais d’une opération où sa responsabilité est pourtant largement engagée. C’est le constat de cette responsabilité qui entraîne - chez certains partis de la majorité comme dans l’opposition - les plus vives réactions politiques, qui débouchent sur la création, prévue pour la mi-décembre, d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur tous les facteurs à l’origine de la chute de la Sabena et ce depuis 1975, un défi vraiment difficile à relever !

Course d’obstacles
On connaît les grandes lignes du projet de la future New DAT, fort proche du plan Müller : une compagnie à vocation essentiellement européenne (trente-quatre destinations), des vols long courrier vers l’Afrique et deux destinations aux États-Unis, à partir des slots transférés par la Sabena. New DAT compterait, outre les trente-deux avions de la DAT, huit Airbus et six avions long courrier de la Sabena et emploierait 2600 travailleurs (dont 1500 ex-sabéniens), dans des conditions salariales peu enviables et avec un minimum de coûts fixes, l’objectif étant d’atteindre la rentabilité dès 2004. Dans cette perspective, le consortium a examiné les comptes et activités de la DAT, afin d’affiner son business plan, la New DAT ne pouvant démarrer avant fin décembre, en assurant, en un premier temps, les seules destinations européennes.
La mise sur orbite de cette New DAT est toutefois confrontée à une série d’obstacles qu’il y aura lieu de surmonter rapidement. Il faudrait, tout d’abord, que les activités de la DAT se déroulent de manière satisfaisante : plusieurs campagnes publicitaires ont permis de remonter le taux d’occupation des avions DAT de 10 % à 40 %, ce qui reste néanmoins insuffisant. De plus, la concurrence (et notamment la Lufthansa et Air France) vise à s’approprier les destinations non desservies. Deuxièmement, l’inexpérience du « consortium des patriotes » en matière de navigation aérienne, d’où la nécessité d’une association avec un opérateur aérien pour une gestion par des professionnels du secteur. Un premier accord commercial a été conclu provisoirement avec Virgin Express, mais la perspective d’une fusion n’est pas évidente. Troisième problème : la nature même de la New DAT. Elle pourrait se trouver coincée entre les grandes compagnies classiques (Air France, British Airways, Lufthansa…) - elles-mêmes en proie à de sérieuses difficultés - et les corsaires du low cost (Ryanair ou EasyJet), avec obligation de s’insérer à bref délai dans un créneau rentable. On ne peut dès lors pas exclure que la New DAT ne soit qu’une structure transitoire dans l’attente d’une absorption par une grande compagnie, dans le cadre des fusions attendues au sein de l’espace aérien européen.
Le quatrième obstacle s’est avéré le plus difficile à franchir. La capitalisation initialement prévue pour le démarrage d’une New DAT (200 millions d’euros) pourrait être trop faible et, surtout, dépend en grande partie de l’avenir du SIC (Sabena Interservice Center), le centre de coordination de l’ex-Sabena, lui-même sous concordat. Or le SIC dispose d’une créance de quelque 110 millions d’euros sur la DAT, que celle-ci est dans l’incapacité d’honorer. Le pari du duo Davignon-Lippens a consisté à obtenir l’accord des créanciers du SIC sur la transaction suivante : le SIC renoncerait à une partie de sa créance sur la DAT et investirait le solde dans la New DAT. Cet accord pourrait obtenir l’aval d’une majorité de créanciers du SIC, dont le concordat a été provisoirement prolongé jusqu’au 26 décembre. À cette date, le Tribunal de commerce de Bruxelles devrait trancher : accorder un concordat définitif au SIC ou prononcer sa faillite. Cela étant, le consortium désormais appelé « Air Holding » a pu annoncer le 19 décembre qu’il disposait des 200 millions d’euros requis, un investisseur privé ayant pallié la défection de la région flamande. Dans la foulée, le duo s’active : il propose le rachat de DAT pour 1 euro symbolique et compte renégocier à la baisse les contrats de leasing pour les avions de la DAT. Par ailleurs, Davignon et Lippens envisagent à nouveau un accord plus substantiel avec Virgin Express pour créer une société où Air Holding serait majoritaire. Le déminage s’effectue pas à pas : tout dépendra de l’accord effectif des créanciers du SIC, des curateurs de l’ex-Sabena et du Tribunal, la Commission européenne ne devant plus, à leur estime, soulever d’objections de fond. Mais la prudence reste de rigueur : on a trop vu, ces derniers temps, de brusques retournements de situation.

Hypothèques
Resterait à tester la validité du business plan concocté par Chr. Müller pour cette New DAT. Ce plan paraît présenter des faiblesses et reposer sur des hypothèses risquées, notamment en matière d’estimation des coûts futurs (coût du personnel, coût du leasing des appareils, prix du fuel) et de la charge financière liée notamment au remboursement du crédit-relais. En outre, on ne peut oublier la problématique de l’avenir des filiales (Atraxis Belgium). Voilà donc un ensemble d’hypothèques qui, malgré l’optimisme affiché par les leaders du consortium, continuent à peser à des degrés divers sur l’avenir de la New DAT.
Sur le plan social, le gouvernement fédéral tente de pallier les lacunes d’un plan social élaboré à la hâte, sans doute par crainte d’une explosion sociale à la suite de l’annonce de la faillite et de l’hémorragie d’emplois subséquente. Il aura fallu trois semaines avant de se préoccuper sérieusement du délai d’envoi des C4 aux licenciés - condition sine qua non pour percevoir les allocations de chômage -, de chercher une solution permettant aux pilotes sans emploi de conserver leur licence et leur qualification, de s’activer pour lancer des cellules de reconversion et régler les délais de paiement des indemnités complémentaires. Avant de découvrir aussi que, à la suite de la faillite, quelque 750 personnes prépensionnées antérieurement pourraient perdre ces indemnités sauf à introduire une demande de créances. Plus globalement, les organisations syndicales ont déposé, le 6 décembre, quelque 5000 déclarations de créance du personnel Sabena. En définitive, la gestion par le gouvernement fédéral de cette énorme faillite a manifestement laissé à désirer.
Faut-il conclure ? Désintérêt des pouvoirs publics, apathie du conseil d’administration, hégémonie puis retrait et concordat de Swissair, politique d’expansion inconsidérée - sans compter les effets des attentats du 11 septembre - ont finalement précipité la chute d’un symbole « national » et surtout provoqué des milliers de drames sociaux. Or un vrai courage politique, un esprit critique avisé et une solide dose de clairvoyance auraient sans doute permis d’éviter de devoir mettre un douloureux point final à la saga de la Sabena, sans guère encore de garantie qu’une New DAT soit effectivement en mesure de prendre le relais à très bref délai.

Michel Capron

Pour l’ensemble des évènements qui ont affecté la Sabena en 1995 - alliance avec Swissair et conflits sociaux -, voir M. Capron, « Sabena : l’alliance avec Swissair à l’épreuve des conflits sociaux », dans L’année sociale 1995, p. 76-86. Pour la période allant de la naissance de la Sabena jusqu’en 1995, voir G. Vantemsche : « La Sabena 1923-2001. Des origines au crash, De Boeck, Bruxelles, 2001.
Un Courrier hebdomadaire du Crisp à paraitre proposera notamment, dans le cadre d’une analyse de l’évolution de la Sabena depuis 1995, un exposé plus détaillé de la stratégie de Swissair et des autres acteurs concernés.

1. On ne peut qu’admirer la grande prudence des quelque 30 membres du consortium dont témoigne la relative modestie du montant engagé par chacun. Certains conseils d’administration ont refusé de confirmer leur participation. Pour sa part, le Parlement flamand a finalement refusé une participation publique flamande, préférant une prise de participation dans BIAC, une manière détournée d’affirmer une prépondérance flamande sur Bruxelles-National. Côté gouvernement wallon, il s’agirait d’un investissement unique, via la SRIW, assorti de conditions strictes.
2. Le plan comprend, outre les indemnités du Fonds de fermetures, plusieurs primes, des prépensions et des mesures d’outplacement, dont la création de cellules de reconversion régionales dont le financement est reporté intégralement sur les Régions, le ministre Daems s’avouant incapable d’intervenir financièrement. En outre, l’envoi des C4 n’est achevé que fin novembre, ce qui retarde d’autant le paiement des allocations de chômage.

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