Souvent opposé à l’État providence, l’État social actif en serait une version plus moderne, plus jeune, plus efficace. Difficile à définir, il regroupe des discours assez différents. Il comporte très souvent deux éléments. Premièrement, il vaut mieux prévenir que guérir. Ceci se traduit par une volonté d’égalité des chances plutôt que des résultats. Ensuite, l’État social actif insiste sur les devoirs des citoyens autant que sur leurs droits.


L’État social actif cherche avant tout à favoriser l’activité des personnes, l’emploi. Il veut augmenter à la fois l’emploi et le nombre de personnes qui souhaitent un emploi. Il s’adresse donc autant aux employeurs qu’aux travailleurs. L’aspect social se traduit par une volonté de maintenir la protection sociale, de réduire la pauvreté, de ne pas développer l’emploi à tout prix, ni la pauvreté au travail.
La fiscalité a trois grandes fonctions. Elle permet d’abord de financer les biens et services collectifs comme l’enseignement, les routes, la justice, le transport collectif, la sécurité, les services aux personnes... Elle permet aussi de redistribuer les revenus et de réduire les inégalités. C’est particulièrement le rôle de l’impôt progressif sur les revenus. Cependant, la sécurité sociale est de très loin le moteur de la redistribution en Belgique, la fiscalité vient en complément. Les impôts peuvent aussi inciter ou désinciter les contribuables à faire quelque chose : par exemple construire un logement, investir…


État social actif et fiscalité
La rencontre entre les objectifs de l’État social actif et ceux de la fiscalité conduit à la fois à des convergences et à des divergences. Les éléments de convergence se retrouvent généralement autour de l’incitation au travail. La fiscalité doit inciter au travail, contribuer à ce que le travail soit financièrement plus intéressant. Dans le passé, la fiscalité a contribué au financement indirect des allocations sociales. Pour un même revenu, les allocations sociales ont une moindre imposition que les salaires. L’instrument principal proposé, pour inverser les choses, est le crédit d’impôt.
L’État social actif, pour arriver à plus d’égalité des chances, devrait, dans une certaine mesure, développer les services collectifs : enseignement, formation, culture, transport, accueil de l’enfance... En réalité, deux courants opposés cohabitent : ceux, plutôt de droite, qui veulent diminuer les impôts et donc les moyens à consacrer aux biens et services collectifs, et les autres qui veulent au moins les maintenir, voire les augmenter. La fiscalité joue un second rôle dans la redistribution, après la sécurité sociale, au travers de l’impôt sur les revenus et de l’imposition des revenus du capital. L’État social actif met plus l’accent sur l’égalité des chances que sur la redistribution. Cependant, là aussi, il y a des tensions entre les courants de droite et de gauche. Pour les premiers, l’égalité des chances suffit et l’on peut réduire la progressivité de l’impôt ; pour les seconds, l’égalité des chances est complémentaire à la redistribution des revenus, notamment parce que les chances d’insertion ne sont pas toujours réelles. L’État social actif consolide l’individualisation progressive de l’impôt sur les revenus. Cette individualisation peut entrer en conflit avec la redistribution, si l’on admet que les besoins d’un ménage sont moindres que ceux des mêmes personnes vivant de manière isolée. L’État social actif insiste également sur les devoirs des citoyens. En matière de fiscalité, ceux-ci ne manquent pas : déclarer ses revenus, ne pas frauder, coopérer… Un champ d’action intéressant pourrait s’ouvrir.


La politique fiscale et l’État social actif
La Belgique oriente progressivement sa fiscalité pour inciter au travail salarié ou indépendant, qui sont une partie de l’activité. Cette tendance n’est pas nouvelle, elle existait avant les discours sur l’État social actif. La réforme fiscale de 2001 renforce nettement cet aspect. En matière de financement des fonctions collectives, la Belgique prend plutôt le virage à droite. La priorité du gouvernement est de réduire la pression fiscale et parafiscale. Les différentes réformes (personnes, sociétés) ne sont pas compensées par d’autres mesures, pourtant annoncées, comme une taxation des revenus de l’épargne ou la taxation de l’énergie.
Pour la redistribution, c’est le centre ou le milieu qui convient : ni droite, ni gauche. La progressivité de l’impôt augmente ; mais la redistribution diminue, parce que l’impôt diminue beaucoup. Les allocations sociales ne sont pas revalorisées ; mais les plus faibles augmentent substantiellement. La lutte contre la fraude fiscale semble renforcée ; mais uniquement à l’égard de la « grande fraude ». Les investissements humains et matériels pour des contrôles plus fréquents et plus efficaces se font toujours attendre. La réforme de la fonction publique tend à considérer les contribuables comme « des clients », ce qui ne correspond pas tout à fait à l’équilibre droits-obligations en vigueur ou en projet pour les allocataires sociaux.
Réforme de l’impôt des personnes
Le coût budgétaire net de la réforme, y compris la suppression de la cotisation complémentaire de crise et l’indexation des barèmes, dépasse les 4 milliards d’euros. L’effet global de la réforme sur l’emploi a été estimé par le Bureau du Plan. Il est de 24 000 emplois supplémentaires soit beaucoup moins que d’autres utilisations possibles comme des aides à la réduction collective du temps de travail, emplois non marchands… Lorsque l’impôt diminue, l’épargne augmente, ce qui n’a pas d’entraînement sur les activités économiques. Les importations augmentent également. Les achats supplémentaires dynamisent l’activité surtout hors de Belgique.
La réforme se décline en quatre axes dont les deux principaux sont la réduction de la pression fiscale sur les revenus du travail et la neutralité vis-à-vis des choix de vie. Les axes 3 et 4 ont trait respectivement à la prise en compte des enfants et à une fiscalité plus écologique. La diminution de la pression fiscale sur le travail regroupe quatre mesures :
- l’instauration d’un crédit d’impôt remboursable,
- une augmentation des frais professionnels forfaitaires,
- une modification des tranches imposables
- la suppression des taux marginaux supérieurs à 50 %.
L’instauration d’un crédit d’impôt pour les revenus professionnels constitue la seule nouveauté de la réforme. Il s’agit d’une réduction d’impôt accordée en cas de faible revenu du travail. Si le contribuable ne paie pas assez d’impôt pour bénéficier de la réduction, il y a un remboursement. Ce crédit d’impôt concerne uniquement les actifs, indépendants ou salariés. La réforme contient une augmentation des frais professionnels forfaitaires. Cela permet d’augmenter les revenus nets des salariés, quasiment d’un même montant pour tous. L’élargissement des premières tranches imposables, où le taux est bas, permet de freiner la progression des taux et de compenser partiellement plusieurs années de non indexation. Actuellement, on passe d’un taux de 25 % à 45 % pour un revenu de 1 à 12 500 euros.
Les revenus plus élevés sont directement favorisés par la réduction des taux supérieurs à 50 %. Cette mesure bénéficie à 5 % des contribuables. L’axe « neutralité vis-à-vis des choix de vie » comporte également quatre mesures :
- l’augmentation du revenu minimum exonéré pour les couples mariés,
- l’individualisation de la réduction d’impôt pour les revenus de remplacement hors chômage,
- le décumul des autres revenus que les revenus professionnels
- l’extension du quotient conjugal aux contrats de vie commune.
Les trois premières mesures renforcent l’individualisation de la fiscalité, la quatrième, modeste, va à contre-sens.
Le minimum exonéré pour chaque conjoint augmente pour atteindre le montant attribué aux isolés. Tous les ménages mariés qui paient un impôt suffisant bénéficient de cette mesure. Il s’agit de la mesure qui a le plus gros impact budgétaire. Les isolés bénéficient actuellement d’une réduction d’impôt pour revenu de remplacement : chômage, maladie et invalidité, pension. Les ménages mariés n’ont qu’une réduction, un peu plus élevée, pour deux personnes, mais dont le montant final est fonction des revenus cumulés des deux conjoints. La réforme accorde deux réductions pour les ménages mariés avec deux revenus de remplacement et le montant effectif de la réduction ne dépend plus que des revenus individuels. L’amélioration de la prise en compte des enfants inclut la possibilité d’un remboursement des réductions fiscales pour enfants à charge, un abattement complémentaire pour les familles monoparentales et un relèvement du plafond des revenus autorisés pour les enfants à charge d’isolés, permettant de tenir compte des rentes alimentaires.
La fiscalité plus écologique devrait encourager le covoiturage ou l’utilisation des transports en commun pour les déplacements domicile-travail. En outre, une déduction fiscale serait créée pour des investissements d’économie d’énergie dans les logements.


Quelques réflexions
Le crédit d’impôt est présenté comme la mesure par excellence qui va inciter à l’activité et à l’emploi. Cependant, les revenus visés par le projet indiquent clairement le type d’activités à favoriser. Ce n’est pas l’emploi rémunérateur, à durée indéterminée à temps plein ; mais plutôt l’emploi à temps partiel, l’entrée dans l’activité, l’alternance entre périodes d’emploi et de non-emploi, l’emploi à temps plein au salaire minimum interprofessionnel et enfin l’emploi indépendant. Le crédit d’impôt constitue un apport intéressant pour les personnes qui travaillent à temps partiel. La proposition risque de déplacer les pièges à l’emploi lors de la reprise d’activité à temps plein et lorsque le revenu augmente. Lorsque les personnes se retrouvent dans la phase de réduction du crédit, elles cumulent alors la taxation de leur revenu et la diminution du crédit d’impôt. Dans l’application, les délais sont importants. Une personne qui a droit à un crédit d’impôt pour 2002, en bénéficiera au mieux mi-2004, soit en moyenne deux ans après. On peut réellement douter de l’effet incitatif d’un bonus qui arrive si tard. Il s’agit plus d’un pousse-café que d’un apéritif pour l’activité. C’est la première fois en Belgique que la fiscalité peut être utilisée « à l’envers », pour distribuer des revenus plutôt que pour en récolter. Si le mécanisme devait se développer, il comporte le risque d’une mise en concurrence avec la sécurité sociale, beaucoup plus rapide pour effectuer les paiements et plus efficace pour cibler les interventions.
La réforme individualise les réductions d’impôt pour revenus de remplacement sauf pour les allocations de chômage et les nouvelles prépensions. Cette distinction se justifierait au nom de l’État social actif. En outre, cette mesure privilégie l’activité au détriment de l’aspect social. Alors que, dans le projet initial, les chômeurs et les futurs prépensionnés bénéficiaient de cette individualisation, ils sont in fine exclus de la mesure et dès lors stigmatisés au nom de l’État social actif. Alors que la réforme fiscale s’apparente à une distribution de pouvoir d’achat, les chômeurs en sont exclus et leurs allocations ne sont pas suffisamment revalorisées.
Le quotient conjugal est parfois présenté comme un frein à l’activité. En effet, il fait en sorte que le passage de l’inactivité à un emploi est dans un premier temps imposé au taux marginal du conjoint qui travaille déjà. Le frein, comme pour les allocations, est surtout présent pour des emplois temporaires ou à temps partiel réduit. Le quotient conjugal n’est pas modifié, il dépend toujours du revenu. Il sera accordé aux cohabitants légaux. Le relèvement du minimum imposable le revalorise. Les échéances électorales se rapprochent. Pour les défenseurs de la version progressiste de l’État social actif, il est temps de remettre en avant l’importance des fonctions collectives et de leur financement, pour améliorer l’égalité des chances. Il est temps aussi de raffermir la place de la redistribution, qui est complémentaire, plutôt que concurrente à l’égalité de départ.

Luc Simar
Service d'études de la CSC