Capture decran 2023 11 06 a 105017 À l’heure où le nombre de travailleurs et surtout de travailleuses âgé·es en incapacité de travail ou en invalidité ne cesse d’augmenter, la Mutualité Chrétienne (MC) s’est posé la question suivante : quelles conditions et quels aménagements du travail peuvent en fin de carrière préserver la santé, le bien-être et le maintien dans l’emploi? Pour y répondre, la MC a interrogé un échantillon de 4.639 membres âgés de 55 à 64 ans. Sur base des résultats, elle propose diverses recommandations afin d’améliorer la soutenabilité du travail en fin de carrière.

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Hélène Henry, chargée d’études – Service d’études ANMC

Alors que l’âge de la retraite passera à 66 ans d’ici 2025 et à 67 ans d’ici 2030, en Belgique, l’espérance de vie moyenne en bonne santé, c’est-à-dire sans problème de santé grave ou modéré, ne dépassait pas 64 ans en 20201. Mais même avant 64 ans, de nombreux·ses travailleur·ses ne sont plus ou ne se sentent plus capables de travailler. Dans notre étude, les participant·es se sentent en moyenne capables de travailler jusqu’à 63 ans (61 ans pour les ouvrier·ères). Cette dégradation de la santé à partir d’un certain âge se reflète aussi dans les chiffres de l’invalidité: la proportion de salarié·es âgé·es de 50 à 64 ans en incapacité primaire ou en invalidité est ainsi passée de 11% en 2005 à 15% en 2019, avec une augmentation plus marquée chez les femmes (de 11% à 17%)2. Une précédente étude de la MC relevait par ailleurs qu’environ un·e travailleur·se sur deux3 considérait sa situation professionnelle comme responsable de son incapacité de travail4. Comment aménager le travail pour le rendre plus soutenable en fin de carrière ? Quels aménagements sont particulièrement bénéfiques pour préserver la santé et le bien-être durant la dernière ligne droite de la carrière professionnelle ? Certains aménagements peuvent-ils davantage préserver le bien-être et la santé des femmes en fin de carrière ? Autant d’interrogations auxquelles répond l’étude de la MC5.

Résultats des analyses

Quels aménagements pour rendre le travail plus soutenable en fin de carrière ?

Avoir une sécurité d’emploi, un travail motivant et de bonnes relations au travail ainsi que pouvoir aménager son temps et son espace de travail sont les aménagements qui sont le plus positivement liés à la santé, au bien-être et au maintien dans l’emploi en fin de carrière. Les aménagements au niveau organisationnel (voir encadré p.3) sont, dans une moindre mesure, négativement liés à l’incapacité de travail de longue durée et positivement liés à la santé mentale, à la satisfaction au travail et à la poursuite d’une activité rémunérée après la retraite. Les effets potentiellement positifs des aménagements en termes de réduction du temps de travail ou liés à la santé/préparation à la retraite étaient moins concluants, peut-être en raison du fait que les personnes qui ont accès à ces aménagements sont celles ayant déjà une moins bonne santé.

 

Qu’entend-on par « aménagements du travail»?

L’étude a évalué dans quelle mesure les participant·es perçoivent qu’ils·elles ont accès aux cinq types d’aménagements suivants :

1) Conditions de travail de qualité liées aux aspects relationnels, motivationnels et de sécurité d’emploi, comme avoir accès à...

• de bonnes relations avec son·sa responsable direct·e/supérieur·e hiérarchique

• un travail qu’on prend plaisir à faire

2) Aménagements de l’espace, du temps et des équipements de travail, comme avoir accès à...

• la possibilité de faire du télétravail • la possibilité d’aménager les horaires de travail

• des équipements de travail adaptés, ergonomiques

3) Aménagements organisationnels, comme avoir accès à...

• un entretien systématique avec la direction en fin de carrière, où sont discutés les besoins et difficultés éventuellement vécus, et les possibilités d’aménagement du travail

• une organisation favorisant des démarches participatives

4) Aménagements en termes de réduction du temps de travail, comme avoir accès à…

• une réduction du temps de travail vers un mi-temps ou un 4/5e temps

5) Aménagements liés à la santé et la préparation à la retrait, comme avoir accès à...

• un check-up annuel médical pris en charge par l’employeur

• des séances de sport ou de détente

• un accompagnement dans la préparation à la retraite

 

Aménagements du travail en fin de carrière et maintien dans l’emploi des femmes

Des effets de genre sont apparus lors de l’analyse des variables liées au bien-être au travail (burnout et satisfaction au travail): un accès élevé à des conditions de travail de qualité au niveau relationnel, motivationnel et de sécurité d’emploi ainsi qu’à des aménagements de l’espace, du temps et des équipements de travail, protège davantage les femmes du burnout et préserve davantage leur satisfaction au travail.

Bénéfices des aménagements malgré le vécu de difficultés en fin de carrière

Les cinq types d’aménagements du travail (voir encadré p.3) permettent de protéger surtout la santé mentale de ceux et celles qui vivent des difficultés en fin de carrière, au niveau personnel (par exemple, plus grande difficulté à récupérer, conciliation difficile entre vie privée et professionnelle) ou professionnel (par, exemple, changements organisationnels ou pénibilité des horaires). Lorsque les personnes vivent beaucoup de difficultés au niveau professionnel, elles seront moins à risque de burnout ou d’incapacité de travail de courte durée si elles ont par ailleurs de bonnes relations au travail, un travail motivant et une sécurité d’emploi, ou si elles peuvent aménager leur temps et leur espace de travail. Si elles vivent beaucoup de difficultés sur le plan personnel, elles auront toutefois moins l’intention de prendre une préretraite si elles bénéficient par ailleurs de ces aménagements.

Recommandations

Fournir une sécurité d’emploi et un cadre psychosociaI rassurant

Il faut que des solutions collectives soient trouvées et cela pourrait se faire via un renforcement de la convention collective de travail (CCT) 104. Selon cette CCT, chaque entreprise occupant plus de 20 travailleur·ses doit rédiger un plan pour l’emploi afin d’augmenter ou de maintenir le nombre de travailleur·ses âgé·es de 45 ans et plus. Pour établir son plan, l’employeur peut faire un choix parmi une liste de domaines d’action repris dans la CCT 104. Ces mesures peuvent par exemple concerner le développement des compétences, l’adaptation du temps de travail, l’accompagnement de carrière, etc. Cependant, cette CCT semble peu appliquée dans les organisations: la majorité des participant·es à notre étude (71%) ont déclaré ne pas connaitre la CCT 104 et seulement environ un·e travailleur·se sur six (17,5%) affirme qu’elle est appliquée au sein de son organisation.

Un objectif de santé publique doit être que chacun·e arrive en fin de carrière en bonne santé. Afin d’atteindre cet objectif, le travail doit pouvoir être aménagé. Selon les chiffres de l’étude de la MC6 , 93% des participant·es pensent que les aménagements en fin de carrière peuvent avoir un impact positif sur leur santé et 77% sur leur envie de continuer à travailler jusqu’à la retraite. Aujourd’hui en Belgique, les aménagements de fin de carrière les plus fréquents sont les crédits-temps fin de carrière (sauf exceptions, désormais indemnisés seulement dès 60 ans, sous conditions), les RCC7 (pour les travailleur·ses âgé·es du secteur privé ayant été licencié·es, sous conditions), et la pension anticipée. Notre étude a pourtant révélé que d’autres aménagements peuvent être fournis et contribuer au bien-être en fin de carrière. Deux types d’aménagements en ressortent particulièrement.

1/ Gérer les relations au travail, préserver la motivation et garantir une sécurité d’emploi: il s’agit d’aménager le travail de manière qu’il reste motivant, qu’il ait du sens et s’effectue dans un contexte de relations saines. Les personnes en fin de carrière reçoivent souvent moins de formations, d’opportunités de se développer. Il faut pourtant continuer à leur donner des perspectives, et reconnaitre leur expertise acquise tout au long de la carrière, en leur donnant par exemple l’occasion de former les plus jeunes et de transmettre leur savoir. Par ailleurs, les travailleur·ses âgé·es ressentent plus fréquemment du stress lié aux contraintes du travail, souffrent davantage des changements professionnels et perçoivent davantage d’insécurité d’emploi que les employé·es plus jeunes8. Il est donc important de leur fournir une sécurité d’emploi et un climat psychosocial rassurant.

2/ Aménager l’espace, le temps et les équipements de travail: l’aménagement des horaires de travail est important, le télétravail et les aménagements ergonomiques aussi. Mais étant donné la fatigue et la difficulté de récupérer accrues en fin de carrière, il faut pouvoir offrir aux travailleur·ses en fin de carrière davantage de possibilités de prendre des jours de congé, de pouvoir les prendre facilement, ou d’étendre l’exemption des heures supplémentaires.

Évaluer l’application de la CCT 104

Il faut que des solutions collectives soient trouvées et cela pourrait se faire via un renforcement de la convention collective de travail (CCT) 104. Selon cette CCT, chaque entreprise occupant plus de 20 travailleur·ses doit rédiger un plan pour l’emploi afin d’augmenter ou de maintenir le nombre de travailleur·ses âgé·es de 45 ans et plus. Pour établir son plan, l’employeur peut faire un choix parmi une liste de domaines d’action repris dans la CCT 104. Ces mesures peuvent par exemple concerner le développement des compétences, l’adaptation du temps de travail, l’accompagnement de carrière, etc. Cependant, cette CCT semble peu appliquée dans les organisations: la majorité des participant·es à notre étude (71%) ont déclaré ne pas connaitre la CCT 104 et seulement environ un·e travailleur·se sur six (17,5%) affirme qu’elle est appliquée au sein de son organisation.

Au lieu de demander à l’employeur de simplement rédiger un plan pour lequel il choisit les mesures qu’il y inscrit, pourquoi ne pas imposer qu’un certain nombre de mesures favorisant la soutenabilité des fins de carrière, fassent obligatoirement partie de ce plan et qu’elles soient réellement mises en œuvre dans l’organisation ? Un accompagnement des employeurs pourrait par exemple être proposé par des expert·es du SPF Emploi, afin de les aider dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces mesures.

Intégrer la dimension du genre

Les aménagements relationnels, motivationnels et de sécurité d’emploi, et les aménagements au niveau des équipements, du temps et de l’espace de travail, préservent davantage les femmes que les hommes, du burnout et de l’insatisfaction au travail. C’est pourquoi il est fondamental d’intégrer la dimension de genre dans les analyses de risques et les stratégies de prévention au travail. Ceci est d’autant plus important dans certains secteurs (par exemple, la construction) où les équipements de protection destinés aux travailleuses font encore souvent défaut. En outre, sans l’avoir directement étudiée, il est établi que la ménopause peut affecter le bienêtre au travail de nombreuses femmes en fin de carrière, sans que celles-ci ne puissent toujours aborder cette question sur le lieu de travail9. Il faut donc lever ce tabou, et que les employeurs soient sensibilisés à la ménopause et à son impact sur la santé des femmes.

Mieux tenir compte des inégalités socio-économiques

L’espérance de vie en bonne santé, ou espérance de vie tout court, varie fortement selon les conditions de vie des personnes. Alors que 13 % des personnes les plus riches décèdent avant 67 ans en Belgique, cette proportion s’élève à 27 % des personnes les plus pauvres10. Les personnes les plus précarisées courent ainsi un risque encore plus grand de décéder avant même d’avoir pu profiter de leur pension, pour laquelle elles ont pourtant cotisé toute leur vie. Le relèvement de l’âge légal de la pension basé sur une moyenne d’espérance de vie à la naissance nie donc l’existence des inégalités sociales de santé, démontrées dans une autre étude récente de la MC11. Sur base de ces éléments, nous pensons qu’il serait essentiel de (r)établir un accès plus facile à la pension anticipée, particulièrement pour les travailleurs et travailleuses plus précarisé·es et/ou qui exercent un métier pénible.

Conclusion

Une précédente étude de la MC12 avait mis en lumière que de nombreuses personnes arrivent en fin de carrière en se sentant usées, avec de plus en plus de problèmes de santé. Cette nouvelle étude démontre toutefois qu’un travail aménagé peut aider les personnes en fin de carrière à préserver leur santé et leur bien-être. Malheureusement, force est de constater qu’il n’est pas toujours aisé d’obtenir des aménagements. La pénibilité du travail reste un problème réel dans notre société. Des politiques de bien-être au travail visant à rendre le travail soutenable tout au long de la carrière doivent être mises en place dans les organisations, et les problèmes de santé spécifiques aux femmes, aux plus âgés et aux métiers pénibles doivent être pris en compte dans l’élaboration de ces politiques. Les employeurs et le monde politique ont donc un rôle important à jouer, car malgré l’existence de nombreux dispositifs légaux, comme la loi relative au bien-être au travail de 1996, la convention collective de travail 104 de 201213, ou la loi genre de 2007, ces dispositifs semblent encore trop peu connus et/ou trop peu appliqués. #

 

Le travail à temps partiel des femmes en fin de carrière Si nos résultats suggèrent que les femmes (en fin de carrière) ont plus besoin d’aménagements, c’est probablement car elles continuent à assumer davantage les tâches domestiques et de soins dans leur vie privée.

-Parmi nos participant·es aidant·es proches 1 en fin de carrière (35% de nos répondant·es), 63% sont des femmes.

-74 % des hommes en fin de carrière interrogés travaillent à temps plein, contre 42% des femmes.

-Parmi les hommes (26%) et les femmes (58%) travaillant à temps partiel : 71 % des hommes le font dans le cadre d’un crédit-temps fin de carrière, alors que seulement 38 % des femmes recourent à ce dispositif pour leur travail à temps partiel.

Ces chiffres suggèrent que des inégalités de genre subsistent dans le soin donné aux proches. Afin de les réduire, il nous semble dès lors important de:

-renforcer les dispositifs qui permettent l’assimilation des périodes non travaillées au cours de la carrière, afin de réduire les inégalités de genre, notamment au niveau de la pension.

-rallonger la durée du congé de naissance et le rendre obligatoire pour les deux parents.

1. L’aidant·e proche est la personne qui apporte une aide et un soutien continu ou régulier à la personne aidée. Plus d’informations sur ce statut d’aidant proche sont disponibles via le lien suivant : https://www.mc.be/fr/ma-situation/aidants-proches/reconnaissance

1. Bureau fédéral du Plan, Espérance de vie en bonne santé, 2023. https://www. indicators.be/fr/i/G03_HLY/fr

2. Institut pour un Développement durable, «La proportion de salarié·es du secteur privé en incapacité primaire ou en invalidité», Brève de l’IDD, 2022, pp.1-7.

3. 56% des participant·es interrogé·es en 2019.

4. S. VANCORENLAND, C. NOIRHOMME, H. HENRY, H. AVALOSSE, K. VAN DER ELST, L. LAMBERT et P. MICHIELS, «Trajets de l’incapacité de travail: l’expérience des personnes avant, pendant et après leur incapacité», MC-Informations, 284, 2021, pp. 4-55.

5. Pour répondre à ces questions, le service d’études de la MC a récolté en 2022 4.639 questionnaires complétés entièrement auprès de ses membres âgé·es de 55 à 64 ans. Parmi ces répondant·es, on comptait 54% de femmes et un âge moyen de 59 ans. 60% des participant·es avaient au moins un diplôme de l’enseignement supérieur et 84% parmi eux·elles étaient employé·es (15% ouvrier·ères et 1% indépendant·es). Des analyses statistiques ont été réalisées, afin de tester si l’accès à des aménagements du travail est positivement lié à la santé, au bien-être et au maintien dans l’emploi. Les résultats complets de cette enquête, ainsi que les recommandations sont disponibles sur: https:// cm-mc.bynder.com/m/377baff70196a927/original/SanteSociete-n-6-bien-etre.pdf

6. H. HENRY, «Comment améliorer le bien-être en fin de carrière ? Analyse quantitative des conditions et des aménagements du travail contribuant au bien-être en fin de carrière», Santé & Société, 6, 2023, pp. 6-35.

7. Régime de chômage avec complément d’entreprise.

8. Psychosocial risks and older workers’ health, EuroHealthNet, 2022.<

9. Une enquête récente réalisée par Securex en 2021-2022 a mis en évidence que plus de la moitié (55,3 %) des femmes qui souffrent des symptômes de ménopause en éprouvent des difficultés au travail. Cependant, 23% de ces travailleuses ont déclaré que la ménopause ne peut pas être abordée avec l’employeur. Parmi les travailleuses ménopausées interrogées, 71% ne savaient pas si la ménopause pouvait être abordée sur le lieu de travail.

10. Solidaris, Inégalités sociales de santé et relèvement de l’âge de la pension, Bruxelles, Institut Solidaris, 2023.

11. H. AVALOSSE, C. NOIRHOMME, S. CÈS, «Inégaux face à la santé. Étude quantitative des inégalités économiques relatives à la santé et à l’utilisation des soins de santé par les membres de la MC», Santé & Société, 4, 2022, pp. 6-31. Lire une synthèse des résultats dans Démocratie n° 4, avril 2023.

12. H. HENRY, A. MORISSENS, C. STREEL, «Vécus et besoins des travailleur·ses en fin de carrière», Santé & Société, 1, 2022, pp. 6-37. Lire une synthèse des résultats dans Démocratie n° 6, juin 2022.

13. Plan pour l’emploi des travailleur·ses âgé·es

(c) Pexels

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