congrs affiche 1988Le congrès est une pratique ancienne et représente un temps fort pour un mouvement. Les congrès du mouvement ouvrier chrétien belge, organisés à l’origine tous les deux, trois ans, constituent à la fois un moment de mise en cohésion de l’ensemble des composantes et un moment de mobilisation autour de revendications communes. Cet article propose une plongée historique dans les congrès du MOC depuis les années 1960 au début des années 2000 1.

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D’abord nationaux dans le cadre du Mouvement ouvrier chrétien-Algemeen christelijk werkersverbond (MOC-ACW) unitaire, les congrès, comme d’autres instances de décision commune, sont impactés par les enjeux fédéralistes belges dès l’après-guerre. Pour le MOC, l’enjeu sera d’organiser ses propres congrès afin d’unifier la diversité qui le compose. Trois phases sont identifiées pour relater cette histoire. Comme tout séquençage historique, elles portent en elles un caractère artificiel influencé par le cadre d’analyse retenu (ici, les différentes phases de remobilisation du MOC). À noter que, pour la période proche du temps présent, le recul manque pour développer pleinement un cadre analytique.


Le préquel


De 1949 à 1964, sept congrès du MOC-ACW ont lieu et lui permettent de définir une politique commune et nationale sur des thématiques telles que la famille, l’enseignement et la culture. Puis, dans un contexte d’augmentation des tensions régionales et communautaires en Belgique, un premier congrès du MOC est convoqué en septembre 1961, quelques jours avant le premier congrès de l’ACW. S’ils n’ont aucun pouvoir de décision, ces congrès mettent le fait régional et communautaire sur la table, et, du côté francophone, enclenchent des réflexions sur un renouveau des stratégies politiques. Pour le MOC, l’événement symbolise l’entrée dans une période où, pendant plus d’une vingtaine d’années, le Mouvement se cherche au milieu de forces centrifuges, nourries par des débats communautaires, sociaux, politiques et religieux qui étrillent ses composantes. En 1972, pour composer avec toutes ces tendances, le conseil central se prononce pour le pluralisme, ouvrant ainsi la voie à une décennie d’expérimentations politiques.
En mars 1978, intervient le dernier temps fort du MOC-ACW unitaire avec la publication des options fondamentales. Le texte réaffirme les valeurs de justice sociale et la fidélité à l’enseignement social de l’Église. Il interroge le capitalisme et les socialismes, et accepte l’existence du concept de lutte des classes. Il reconnait le fait communautaire et régional, l’importance des fronts communs progressistes et la nécessité d’une démocratie économique par la participation des travailleurs et travailleuses, via l’autogestion. La base idéologique réaffirmée, les deux branches évoluent chacune dans leur espace social, communautaire et politique. En 1985, l’ACW se sépare statutairement du MOC. C’est la résultante de l’évolution institutionnelle de la Belgique 2.


Construire une unité d’action francophone


1985 amorce un tournant pour le MOC. Face aux désaccords internes sur les stratégies politiques à mener, il se lance dans une phase de recomposition. Pour se construire une nouvelle unité d’action, des congrès régionaux, suivis d’un communautaire, dit « national » sont organisés. D’emblée, le conseil central décide de faire de la pluralité interne une force en identifiant plusieurs thématiques transversales à travailler collectivement. Il s’agit, explique Raymond Stelandre (secrétaire général, 1973-1990), « que chaque organisation, chaque mouvement, renforce son identité propre : il s’agit (...) d’être, à partir de son propre travail, offreur de propositions et de pratiques aux autres mouvements (...) mais aussi demandeurs de complémentarités 3». Les options fondamentales servent de support à l’ensemble de ces réflexions.
Du 9 janvier au 27 février 1988, les congrès régionaux s’enchainent. Ils s’organisent autour de sept thématiques au choix (jeunesse, troisième âge, économie sociale, enseignement, action internationale, formation inter-mouvements, et temps libre) qui permettent à chaque région de définir une ou plusieurs priorités inter-organisations, appelées « contrats d’action commune » 4. Le congrès national Construire l’avenir en mouvementS, réuni les 22 et 23 avril 1988 à Liège, synthétise et entérine ces engagements avec, au centre, la critique des politiques libérales. « Les gestions libérales et conservatrices de la crise fragmentent la réalité », explique Luc Carton (chercheur à la Fondation Travail-Université), « pour faire face nous ne pouvons seulement résister “à la carte” (...) : le front commun de nos différences plutôt que l’unité abstraite » 5. Le congrès parvient ainsi à unifier les forces diverses du MOC autour de plusieurs enjeux communs.
Les 26 et 27 avril 1991, le congrès L’exigence démocratique se réunit à Bruxelles. Il enclenche la deuxième phase du processus de recomposition. Le but cette fois est de mobiliser l’ensemble du MOC autour de revendications nationales, à savoir lutter contre l’extension de la logique marchande, rétablir l’égalité devant l’impôt pour renforcer la capacité d’action de l’État, et redéployer le secteur associatif et l’économie sociale 6. « Je crois qu’il faut maintenant politiser les débats et les centrer sur les besoins collectifs », explique François Martou (président, 1985-2005). « Le congrès cherche à retrouver une base idéologique et programmatique des années 1990 7. » Trois objectifs complètent l’événement. Il y a d’abord la validation d’un mémorandum, composé des 87 résolutions du congrès, en vue des élections législatives. Ensuite, il s’agit de fêter le centenaire de la publication de l’encyclique Rerum novarum en présence du cardinal Daneels. Enfin, last but not least, le MOC adopte ses propres statuts qui, relus et amendés en régions et dans les organisations, intègrent le fait fédéral. Dorénavant, le MOC est « le mouvement global des organisations chrétiennes du monde du travail de Wallonie, de Bruxelles et de la communauté germanophone de Belgique. Ses valeurs de référence sont précisées dans ses options fondamentales » 8.
Le 14 décembre 1996, le congrès L’offensive solidaire a lieu à Charleroi. Il constitue le troisième temps fort de cette phase de recomposition, car les congressistes votent les options fondamentales du MOC. Par rapport à celles de 1978, celles de 1996 intègrent les femmes à la place du masculin neutre, ajoutent l’économie sociale dans la défense de la démocratie économique, et approfondissent la revendication pour une société démocratique en soutenant le renforcement de l’action de l’État, la construction d’une Europe politique et sociale, et la création d’un espace mondial solidaire et pacifique. Ces options fondamentales sont ensuite concrétisées dans un programme politique. Au cœur des revendications : la politique de l’emploi, la solidarité et la justice en matière de sécurité sociale et de fiscalité, la régulation des rapports entre le service public et les associations, la valorisation de l’éducation permanente dans l’enseignement, les formations d’adultes et l’action culturelle, et enfin la construction d’une Europe citoyenne 9. Fait nouveau, le soutien aux services publics s’ajoute à celui aux associations, le MOC tendant ainsi une main vers le mouvement socialiste 10.
Ces congrès jouent un rôle important dans le processus de renouveau du MOC (d’ailleurs, les Semaines sociales de 1987, 1988 et 1991 sont déprogrammées en leur faveur). Travail titanesque, symbole, affirme Luc Dusoulier (secrétaire général, 1990-1999), « qu’aucun projet crédible ne peut être livré clés sur porte » 11. Après une phase de réorganisation interne, le MOC remobilise ses troupes, vote ses statuts, précise ses options fondamentales et actualise son programme politique. Si certains débats – tels que l’individualisation des droits en sécurité sociale et la réduction collective du temps de travail – n’aboutissent pas à un compromis, ces congrès réactivent les synergies internes et positionnent le MOC comme un acteur soutenant la légitimité des services publics en plus du secteur associatif.


Du local à l’international, renforcer l’action associative


Au début des années 2000, le MOC s’intéresse aux évolutions du profil des militant·es en réalisant une enquête, Militer aujourd’hui. Elle révèle que les lieux d’engagements des 18-35 ans se sont fortement diversifiés. Ils se situent dans la culture (36,9 %), les quartiers (31,7 %), la politique (30,6 %) et l’environnement (25,8 %). Seule la moitié considère que les syndicats et les associations peuvent préparer l’avenir et seulement un quart connait le MOC. En sus de ces enjeux externes, la nécessité de consolider les synergies entre les organisations et les fédérations, impactées par la diversification des stratégies militantes, est toujours présente 12. Face à ces constats, le MOC veut renouveler son image et sa posture politique. Il s’agit de « gérer moins, résister plus, moins de compromis et porter un peu plus la voix des acteurs locaux » 13. 
Le 20 octobre 2001, le congrès Action locale et mouvement social global s’ouvre à Louvain-la-Neuve
dans une démarche réflexive. Les congressistes mettent le focus sur l’action locale et la participation citoyenne. L’éducation permanente est réaffirmée comme un outil permettant de mener une action locale avec une dimension globale. Le congrès invite les organisations et les fédérations à se mettre en réseau avec toutes celles et tous ceux qui souhaitent des choix politiques ancrés à gauche. Enfin, il demande que les actions syndicales en matière de concertation sociale européenne et de formation soient soutenues ainsi que les actions en matière de coopération au développement 14.
Le 10 juin 2006, le congrès Pour une refondation de la démocratie et de la solidarité communale se réunit à Court-Saint-Étienne et met en pratique les réflexions précédentes. « En quelque sorte , explique Pierre Georis (secrétaire général, 2005-2020), il s’agit d’un mixte du congrès de 1996 (un programme politique) et de celui de 2001 (de l’action et de l’éducation permanente, par la pratique), appliqué à un enjeu circonscrit : la vie communale 15.» Les congressistes votent un programme d’exigences fondamentales visant à rendre les pouvoirs communaux et provinciaux plus proches de la population et de ses préoccupations. Les priorités sont de soutenir les associations d’éducation permanente, d’associer les citoyens et citoyennes et les associations aux politiques mises en œuvre, d’encourager les politiques de développement durable, de favoriser la concertation avec les citoyen·nes en matière d’aménagement du territoire et enfin de valoriser la solidarité internationale. Le programme est ensuite soumis aux candidat·es des élections communales et provinciales 16.
Le 26 novembre 2009, le congrès Un projet de société réuni à Bouge peut être considéré comme la charnière entre cette deuxième séquence et la suivante. Après s’être positionné pour une relance des dynamiques associatives et pour une réactivation de la démocratie locale, le MOC met à jour ses
statuts afin de clarifier sa démocratie interne. Derrière
l’aspect technique du document, c’est l’équilibre des relations entre les différentes instances de décision qui est précisé : de nouvelles structures sont officialisées (notamment le collège des secrétaires, composé des fédérations) à côté de celles qui préexistent (congrès, conseil central devenu conseil politique, bureau
devenu bureau politique, et bureau journalier). C’est désormais le secrétariat général et non plus le bureau journalier (composé des organisations) qui convoque et fixe l’ordre du jour du bureau politique. Le rôle de ce dernier est précisé : c’est le lieu « où se scellent les alliances entre les différentes composantes du Mouvement (...). C’est l’instance politique de débats et de positionnement du Mouvement : il fait l’arbitrage politique sur l’action commune » 17. Après cette phase de clarification, les congressistes enclenchent le travail de réécriture des options fondamentales.


Changer le monde, un chantier permanent

Le 21 mai 2011, le congrès Nos options fondamentales : des balises et des chantiers se réunit à Gembloux. Après une dernière modification, les statuts du MOC sont officiellement validés. Puis, les congressistes votent les options fondamentales. L’écologie, le soutien aux services publics, la paix et la solidarité, ainsi que la lutte contre la mondialisation et les discriminations sont au cœur du texte 18. Toutefois, cette fois-ci, certains chantiers restent en débat et les congressistes ne parviennent pas à s’accorder sur un programme politique concret. S’ouvre pour le MOC une décennie de défis, où il importe de remobiliser les troupes autour des enjeux stratégiques à venir. #


Amélie Rocloux, historienne au CARHOP


 1. Merci à Pierre Georis, à l’équipe du CIEP communautaire, à Marie-Thérèse Coenen et aux archivistes du CARHOP pour l’aide à la réalisation de cet article.
2. T. DHANIS, « Chapitre V : Au tournant des années 70-80, des options fondamentales », Le Mouvement ouvrier chrétien 1921 – 1996. 75 ans de luttes, Bruxelles, Vie ouvrière, 1996, pp. 157-167.
3. CARHOP, fonds MOC national, Raymond Stelandre, n° 13, R. STELANDRE, « Le point sur le congrès », document de travail du conseil central du MOC, 14 décembre 1985, pp. 1-7.
4. CARHOP, fonds MOC national, Raymond Stelandre, n° 250, Congrès régionaux du MOC : dates et thèmes principaux, 11 janvier 1988, pp. 1-2.
5. MOC, A40, Construire l’avenir en mouvementS, schéma de l’exposé de Luc Carton, 23 avril 1988, p. 1.
6. MOC, fonds CIEP-ISCO, n° P883, L’exigence démocratique, Mouvement ouvrier chrétien, Bruxelles, pp. 26-27 avril 1991.
7. MOC, non inventorié (n.i.), « Congrès du MOC : chasser les marchands du temple de l’État », Liberté, 26 avril 1991.
8. MOC, A42, projet de statuts du MOC, 15 avril 1991.
9. MOC, A44, Congrès 1996, L’offensive solidaire, Charleroi, 14 décembre 1996.
10. MOC, n.i., note de Pierre Georis sur l’emploi, Bureau national, 21 mars 1996, 16 p.
11. MOC, n.i., J.-F. DUMONT, « Le Moc passe à l’offensive solidaire. Remobiliser, au-delà du socio-économique ».
12. MOC, A48, groupe de travail congrès 2001, rapport succinct de la réunion, 21 novembre 2000, pp. 1-3.
13. C. MORENVILLE,
« Le mociste version 2001 », Démocratie, www.revue-democratie.be (mis en ligne le 29 avril 2013, consulté le 11 août 2023).
14. MOC, n.i., Congrès du MOC, Rapport du congrès, Action locale et mouvement social global, 30 p.
15. P. GEORIS, « Un congrès pour la démocratie et la solidarité locale », Esperluette, n° 48, pp. 16-17.
16. MOC, P2011, revue de presse, « MOC : une refondation de la démocratie et de la solidarité communale », Belga, 10 juin 2006.
17. MOC, A50-A51, Le Mouvement ouvrier chrétien, propositions de statuts, Congrès, 26 novembre 2009.
18. MOC, A52, congrès, procès-verbal, 21 mai 2011.