190228 CONGRES CSC FR 483 NBLe 9 septembre, le Mouvement ouvrier chrétien tient un congrès à Charleroi. Cet événement, préparé depuis plusieurs mois, sera l’occasion pour les diverses composantes de cette organisation d’adopter de nouvelles lignes directrices pour son action des prochaines années. Mais un congrès, c’est aussi plus que cela. Pour Démocratie, Jean Faniel, directeur du CRISP 1, livre son analyse à partir des interviews des responsables présentées dans ce numéro, apporte des éléments spécifiques au congrès du MOC et, ensuite revient plus largement sur ce qu’implique la tenue d’un congrès.

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À quoi sert un congrès d’une organisation comme le MOC ?

Un congrès tient plusieurs fonctions. Pour une organisation telle que le Mouvement ouvrier chrétien, il met en présence des personnes militant dans des fédérations aux réalités différentes et provenant d’organisations constitutives qui ont chacune leurs spécificités. Il y a donc un aspect de rassemblement et de confrontation, d’ouverture à d’autres façons de faire et de voir. C’est aussi une instance de décision. Pour renouveler des mandats, pour modifier les statuts de l’organisation et pour adopter des positions (sous la forme de résolutions, d’un texte fondamental, etc.) qui serviront de boussole au mouvement au cours des années suivantes.
Ce dernier aspect est important à la fois pour les membres et les responsables de l’organisation, pour les organisations constitutives, avec lesquelles il faut éviter d’être en complet décalage, et vis-à-vis de l’extérieur puisque ce sont ces positions qui vont être portées par-delà les rangs de l’organisation et de ses composantes. Enfin, il ne faut pas négliger le caractère convivial, voire festif d’une telle rencontre, qui permet de retrouver des gens qu’on avait perdus de vue ou de partager des moments plus détendus avec des personnes qu’on côtoie au quotidien.
Quelles sont les particularités des congrès du MOC par rapport à ceux d’autres organisations ?
De nos jours, le MOC constitue une coupole, avec des « organisations constitutives » telles qu’elles sont qualifiées dans le jargon du mouvement. En même temps, il s’agit d’une organisation ancienne, ancrée dans le mouvement ouvrier, au sein duquel la tenue de congrès de manière régulière est une pratique importante, voire fondatrice.
Le dernier congrès du MOC remonte à 2011. Cela dit, ce « trou » temporel est contrebalancé par la pratique des Semaines sociales, qui montre que la réflexion menée par le MOC ne s’est pas purement et simplement interrompue pendant douze ans.

Que peut-on dire des thèmes abordés par les congrès ?
Les congrès s’inscrivent dans leur époque, comme le reflètent les thèmes des congrès du MOC : montée en puissance des questions communautaires et régionales dans les années 1960 et 1970, critique du libéralisme après les gouvernements Martens-Gol des années 1980, réflexion sur l’Europe et sur la
financiarisation de l’économie dans les années 1990,
travail sur la participation démocratique, notamment au niveau local, dans les années 2000.
Pour bien cerner l’évolution qu’ils représentent, il faut aussi parfois en envisager plusieurs, deux ou trois congrès successifs formant un arc, comme le montre le texte du CARHOP (pp. 2-4) à propos de ceux de 1988, 1991 et 1996.
Enfin, le thème d’un congrès doit « parler » aux militant·es. Ainsi, ceux et celles des Équipes populaires travaillent depuis déjà un certain temps sur les questions relatives à la fracture numérique (qui touche d’ailleurs directement une bonne partie du public des EP) et ils pourront apporter cette expertise au congrès du MOC.

Quelles visions peut-on avoir d’un congrès, de manière générale ?
On peut le voir de manière assez procédurale : on se rassemble pour suivre l’ordre du jour et prendre des décisions, point. On peut aussi s’attacher à décrire les processus de mobilisation des participant·es et de renforcement des liens entre ceux-ci que permet un congrès (on pourrait alors parler d’un moment de « communion » – même pour des organisations anticléricales). Certains vont envisager un congrès de manière un peu romantique comme un moment pur de démocratie ; après tout, c’est l’instance suprême d’une organisation, celle qui doit en établir les objectifs fondamentaux et les priorités. Inversement, de manière plus réaliste, voire carrément
cynique, on peut analyser les dynamiques qui limitent cette liberté des congressistes et se poser différentes questions. Quel est l’ordre du jour ? Qui l’a établi ou le contrôle ? Qui pourra s’exprimer ? Des composantes auront-elles mobilisé leurs forces pour faire passer ou pour contrer tel ou tel positionnement ?

Quelle est alors la vision que vous percevez dans les interviews de nos quatre protagonistes ?
À lire leurs réponses, je suis frappé par le fait qu’ils et elles sont bien conscient·es de ce à quoi ils et elles prennent part, quels sont les écueils qui peuvent se présenter (en termes de tensions, de collision entre des pratiques militantes différentes, etc.), et ils et elles assument ces aspects, sans chercher à les minimiser. Par ailleurs, ces protagonistes mettent eux-mêmes l’accent sur l’articulation entre plusieurs fonctions, dont la « mise en cohésion de l’ensemble des composantes », pour reprendre l’expression d’Amélie Roucloux, du CARHOP, et celle consistant à tracer les revendications et, plus largement, le projet de société du MOC pour les prochaines années voire décennies. Il faut aussi souligner l’importance accordée par chacune des quatre personnes à la dynamique de mobilisation qui anime un congrès. Les quatre responsables sont bien conscient·es que l’apport des militantes et des militants est crucial et que la réflexion qui émerge d’un congrès serait bien plus pauvre si elle s’effectuait en vase clos.
J’ajouterais aussi qu’il y a une vision assez réaliste et saine du caractère démocratique de ce que représente l’exercice « congrès ». On le considère comme un moment où vont s’affirmer des oppositions, des contradictions, voire des affrontements entre des thèses différentes ou même opposées. Amélie Roucloux évoque ainsi les désaccords, dans les années 1990, sur l’individualisation des droits en sécurité sociale ou sur la réduction collective du temps de travail. Mais Ariane Estenne, par exemple, qui est évidemment à une position-clé pour ce congrès en tant que présidente du MOC, revendique cette conflictualité comme moteur même de la démocratie. Or on a trop souvent tendance à vouloir nier le conflit alors que, comme elle le fait observer, il représente un élément fondamental en démocratie. Le rôle de la politique est précisément de gérer (pacifiquement, si possible) ces tensions et ces conflits, qui naissent
notamment de la coexistence d’intérêts différents, voire antagoniques.

La complexité du MOC (qui assemble des fédérations, des organisations constitutives, des services comme le CIEP ou la FTU) donne-t-elle une coloration particulière à ce congrès ?
Oui, nécessairement. Chacune des organisations constitutives, de même que les diverses fédérations, a ses spécificités. À cet égard, on pourrait parler de « particularités dans des valeurs communes ». La CSC, les Équipes populaires, les JOC, la Mutualité chrétienne et Vie Féminine ont une histoire et des identités propres, des terrains d’action et, donc, des préoccupations qui diffèrent au moins en partie.
Les points d’attention varient aussi d’une fédération à l’autre, comme le montre par exemple l’implication du MOC de Bruxelles aux côtés des sans-papiers, qu’on retrouve différemment ailleurs, à ma connaissance.

Vous avez évoqué la conflictualité. En quoi le dissensus contribue-t-il à la réussite d’un congrès ?
La confrontation des points de vue, si elle reste saine et respectueuse, force à réfléchir, à décentrer son point de vue. Sans pour autant abandonner ses convictions, mais en les faisant évoluer ou en recherchant les arguments pertinents pour les faire partager par d’autres secteurs du mouvement.
La détermination de positions communes pour tracer les lignes de force de l’action future du MOC passe donc par une gestion, à réussir lors du congrès de septembre, de ces positionnements différents, de ces identités spécifiques, de ces terrains de lutte qui ne sont pas les mêmes dans chacune des neuf fédérations ou entre organisations constitutives.

Quelles autres spécificités présente ce congrès du MOC ?
Trois facteurs me paraissent importants.
Primo, le congrès de ce mois-ci est le premier tenu depuis 2011. Cela veut donc dire qu’il n’y a plus vraiment une culture de l’organisation de congrès dans l’histoire récente du mouvement, ce qui peut à la fois être source de problèmes, par manque d’expérience, et porteur d’une certaine créativité.
Secundo, le MOC se trouve face à des pratiques différentes en termes d’organisation de congrès. Ainsi, la CSC et ses centrales en tiennent de manière régulière depuis un siècle, voire davantage. Tandis que la Mutualité chrétienne (MC) ne semble plus en avoir organisé depuis déjà un bon bout de temps.

Les congrès constituent l’instance suprême d’une organisation fixant Les congrès constituent l’instance suprême d’une organisation fixant les objectifs et les priorités.


Tertio, il faut bien voir, quand on examine la dynamique interne propre au MOC, que toutes les organisations constitutives, de même que les différentes fédérations, n’ont pas le même poids. Pour le dire platement, l’isolement des JOC, par exemple, sur un thème ou sur une résolution qui serait discutée au congrès, n’aura pas les mêmes effets que celui d’un des deux poids lourds que sont la MC et la CSC.

Nous avons demandé à nos interlocuteurs et interlocutrices d’évoquer l’un de leurs souvenirs de congrès. Qu’est-ce que leur choix vous inspire ?D’abord, que chacune et chacun a choisi un souvenir dans son organisation première, y compris Ariane Estenne, qui raconte un épisode lié à un congrès de Vie Féminine. Cela montre évidemment les attaches de chacun·e des quatre responsables, mais l’absence de rappel d’un congrès du MOC tient sans doute aussi au fait que le dernier remonte déjà à douze ans. Ensuite, que Marc Becker, le plus chevronné des quatre et qui en a vécu un certain nombre, ne mentionne pas le plus ancien (Aurore Kesch et Ariane Estenne font référence à un congrès de Vie Féminine de 2010, lui de 2013), mais un souvenir fort à ses yeux, le premier congrès wallon de la CSC. Ce qui permet, soit dit en passant, de pointer un décalage entre organisations de même type puisque, à la FGTB, le premier congrès wallon date de 1979. Les différences de culture et d’histoire ne se marquent donc pas seulement entre organisations constitutives du MOC, mais aussi par rapport à l’extérieur du mouvement ouvrier chrétien.

Enfin, que le choix des deux dirigeantes souligne des dimensions assez différentes d’un congrès, ce que le souvenir de Guillaume Lohest (son premier congrès aux Équipes populaires, en 2017) synthétise bien : à côté d’un aspect assez formel, ce type de moment recèle aussi une facette plus conviviale ; et tandis que le jour même du congrès est important, tout le travail de préparation en amont est également significatif, voire déterminant.

Précisément, que peut-on dire de cette phase de préparation ?
Ces interviews illustrent à quel point le travail de préparation est intense, combien il peut revêtir des formes variées, qu’il peut impliquer des types de participantes et de participants très divers (les responsables, les militant·es, les sympathisant·es, voire des extérieur·es) et qu’il n’existe pas un modèle unique ni figé.
Guillaume Lohest insiste sur l’importance de la préparation comme moment créateur, comme étape pour faire ressortir des réflexions, des critiques, des idées. À ses yeux, cela est même de nature à contrebalancer un congrès qui tournerait au cauchemar. Bon, là, c’est peut-être plus facile à imaginer qu’à encaisser si cela devait arriver, et espérons que ce ne sera pas le cas de ce congrès du MOC ou de ceux que la CSC, les Équipes et Vie Féminine préparent (rires) !
On voit aussi que ce temps de préparation permet de tester des innovations, notamment pour élargir ou renforcer l’implication au sein d’un mouvement.
Et un aspect me parait important à rappeler, alors que, pudiquement, aucun des quatre protagonistes ne le mentionne, c’est qu’il faut faire tout cela en plus de toute l’activité et de tout le travail quotidien d’une organisation ! Cela nécessite donc une bonne dose de motivation.
On peut enfin ajouter qu’il n’est pas nécessairement simple, dans un processus qui peut s’avérer long (jusqu’à un an ou deux), de dégager un thème de congrès qui sera toujours d’actualité le moment venu. À cet égard, le MOC a visé juste puisque les questions climatique et numérique ne sont certes pas nouvelles, mais qu’elles prennent une acuité toute particulière en cette période, comme le montrent tragiquement les incendies et les inondations de cet été ou comme l’illustre le fait qu’au début de l’année, personne ne savait ce qu’était ChatGPT et que tout le monde, aujourd’hui, en a au moins entendu parler.

Comment s’articulent la préparation et le déroulement d’un congrès ?
Chacune des quatre personnes interrogées souligne que le congrès (du MOC, ou de l’une de ses organisations constitutives, d’ailleurs) est bien plus qu’un simple moment, de quelques heures (ou jours, dans le cas de la CSC), et qu’il doit bien être envisagé comme un processus, qui s’étend nécessairement sur une période relativement longue.
C’est un temps d’implication importante de nombreuses personnes. Le congrès est donc un outil de mobilisation des « troupes », qui permet de croiser les points de vue, de souder le mouvement.
Ce peut aussi être le déclencheur, ou plus souvent le révélateur, de tensions latentes qui finissent par éclater, et dont le congrès peut alors devenir en quelque sorte l’otage, une « victime collatérale » si cela s’exprime en particulier le jour même de l’événement. À ce propos, je veux souligner qu’il faut parfois déjà bien connaitre une organisation et les forces qui la traversent pour saisir pleinement ce qui se dit et se passe lors d’un congrès. Il n’est pas toujours aisé de décoder les affrontements, souvent feutrés, ou les alliances, parfois discrètes ou même surprenantes qui se nouent dans le cours d’un congrès pour peser sur tel ou tel aspect de celui-ci. Pour un observateur extérieur, ou même pour un militant ou une militante lambda, il peut être précieux d’être informé, presque « initié », par des personnes plus chevronnées et du sérail qui peuvent expliquer pourquoi telle composante prend telle position ou pourquoi telle intervention n’est pas applaudie par telle partie de la salle.

Il y a l’avant. Il y a pendant. Qu’advient-il après un congrès de ce qu’on y a produit et décidé ?
C’est une vraie question et vos interlocuteurs et interlocutrices ne l’éludent pas. La préparation est cruciale. Le bon déroulement du congrès est primordial. Mais c’est peut-être après que le plus dur reste à faire : mettre en œuvre les décisions prises et les résolutions adoptées. En fait, cela questionne la capacité d’une organisation à peser sur le cours des choses. À la fois en interne et, plus difficile encore, surtout pour un mouvement de transformation comme entend l’être le MOC, à l’extérieur, dans la société dans son ensemble.
Cela dit, c’est aussi au cours de la préparation et des échanges lors du congrès que peuvent jaillir les idées et les réflexions, les propositions de leviers susceptibles de donner ou d’améliorer les capacités qui permettront de faire bouger les choses dans le sens souhaité.

Au fond, est-ce que le congrès est encore un instrument adapté à notre époque ?
C’est un outil qu’on peut certainement associer aux 19e et 20e siècles, et particulièrement au mouvement ouvrier. Est-il pour autant révolu au 21e siècle ? Ce n’est pas sûr. Notamment parce qu’il recouvre des fonctions importantes pour une organisation. Et parce qu’il est possible d’en faire évoluer les formes.
À cet égard, on peut souligner que les rapports de congrès ont fondu avec le temps, par exemple. La vidéo a pris une importance croissante. Pour égayer l’événement, c’est bien. Mais pour le chercheur que je suis, le fait que les rapports d’activité prennent de plus en plus souvent la forme d’un simple film de quelques minutes est problématique tant les archives sont importantes pour pouvoir écrire l’histoire d’un mouvement.
Plus positivement, je relève qu’Aurore Kesch considère que l’essoufflement de la forme « congrès » n’est pas une fatalité. Marc Becker la rejoint sur la nécessité d’innover, quitte à en dynamiter les codes traditionnels. Cela dit, Guillaume Lohest rappelle bien, aussi, la tension entre les formes statutaires qu’il faut veiller à respecter et le défi de mobilisation.
Autrement dit, il ne faut sans doute pas jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est sans doute pour cela qu’Ariane Estenne et le MOC ont considéré qu’il ne fallait pas laisser douze ans de plus s’écouler avant de convoquer un congrès !

Que faut-il alors pour réussir un congrès, de nos jours ?
Je pense que chaque organisation doit trouver sa propre recette. Mais il faut une bonne préparation, une implication réelle des membres, une certaine convivialité et des instruments de suivi pour ne pas repartir avec l’impression que tout ça n’aura pas de suites ou d’effet. #


Propos recueillis par Stéphanie BAUDOT et Manon LEGRAND

 


 1.  Centre de Recherche et d’Information socio-politiques

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