migrationDans un contexte d’hostilité croissante envers les personnes migrantes, le projet européen Opportunities se penche sur la façon dont les récits façonnent et influencent les attitudes et les mentalités des Européen·nes à leur égard. Il entend identifier les leviers pour produire des contre-discours dans lesquels les exilé·es ont aussi une voix.

 

 

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En 2016, la guerre civile en Syrie a déclenché une importante vague de migration. Les réponses à l’afflux de réfugié·es ont varié d’un pays à l’autre. Certains ont développé une culture d’accueil tandis que d’autres ont opté pour une politique migratoire très restrictive, piétinant leurs propres valeurs. Les tensions entre ces différentes politiques ont miné la coopération européenne, voire l’unification européenne. Le Brexit est né au milieu de ces tensions entrainant dans son sillage les velléités nationalistes de groupes ou de partis politiques issus d’autres pays européens. La question migratoire et de l’accueil des réfugié·es est, depuis lors, devenue un enjeu politique et sociétal majeur.En 2016, la guerre civile en Syrie a déclenché une importante vague de migration. Les réponses à l’afflux de réfugié·es ont varié d’un pays à l’autre. Certains ont développé une culture d’accueil tandis que d’autres ont opté pour une politique migratoire très restrictive, piétinant leurs propres valeurs. Les tensions entre ces différentes politiques ont miné la coopération européenne, voire l’unification européenne. Le Brexit est né au milieu de ces tensions entrainant dans son sillage les velléités nationalistes de groupes ou de partis politiques issus d’autres pays européens. La question migratoire et de l’accueil des réfugié·es est, depuis lors, devenue un enjeu politique et sociétal majeur.

Un autre discours est nécessaire

Avec la pandémie de Covid-19, les débats sur la question migratoire ont été mis en suspens, mais sont ensuite revenus en force avec des voix allant quasi toutes dans la même direction : des politiques migratoires plus restrictives en termes de droits pour les demandeur·ses d’asile. Aujourd’hui, ces débats se sont amplifiés en raison des difficultés rencontrées dans de nombreux pays dans un contexte de crise énergétique, de guerre et de crise climatique. Les discours sont devenus de plus en plus toxiques à l’égard des réfugié·es que l’on qualifie de criminels, de voleurs, de violeurs et à qui l’on attribue la dévalorisation des quartiers, des mœurs... Ces discours produisent des conséquences terribles pour toutes ces personnes issues de l’immigration, car ils légitiment les actes racistes et discriminatoires à leur égard. Face à cette montée inquiétante de haine, le projet OPPORTUNITIES 1 a été lancé. Né d’une grande indignation, il identifie les leviers à actionner pour changer les discours hostiles véhiculés sur les migrant·es et donne des clés pour comprendre les raisons de leur développement et construire des contre-discours. 


La fabrication des récits

Les récits ne se contentent pas de relater les événements, ils leur donnent une forme, un sens ; ils révèlent leur importance. La mise en forme des événements joue un rôle clé dans ce processus, car les événements – ou plutôt les représentations des événements – constituent les éléments de base de la narration. Cette mise en forme implique des processus de sélection, d’évaluation et d’interprétation. Les événements ne doivent donc pas être compris comme donnés ou naturels, mais plutôt comme le fruit d’une construction réalisée par celui ou celle qui raconte les histoires.Dans ce processus, le choix des mots n’est pas anodin. Par exemple, le fait de qualifier un ou plusieurs événements de crise sert souvent à justifier des mesures drastiques de gestion de crise ou pour se décharger de toute responsabilité politique. La manière de raconter les événements est donc un instrument important pour justifier les orientations politiques et les rendre acceptables. On le voit en Belgique où l’expression « crise de l’asile » est utilisée pour justifier la non-politique d’accueil actuelle à l’égard des demandeur·ses d’asile.Chaque histoire est donc racontée avec un objectif sous-jacent. Cela vaut autant pour les contes de fées que pour les récits politiques. Cependant, cet objectif ne saute pas forcément aux yeux directement, et il faut donc un travail d’interprétation pour comprendre le sens complet, voulu ou implicite, de tout récit. Dans certains cas, le but de la narration ne devient évident qu’en comparant l’histoire aux faits. L’écart entre les deux révèle en effet l’intention cachée du récit. Que faire si un examen plus approfondi du récit révèle qu’une histoire est fabriquée, basée sur de fausses preuves ou utilisée pour véhiculer des revendications douteuses ? Que son véritable objectif est la diffusion de désinformations, de mensonges ? Que l’objectif narratif est délibérément conçu pour exploiter les craintes et les angoisses ; qu’il vise à renforcer les préjugés et susciter des attitudes xénophobes ?La vérification des faits et l’interpellation de la personne qui produit les récits mensongers sont indispensables, sans quoi les gens peuvent tout simplement s’habituer au mensonge. Dans un tel scénario où le mensonge occupe l’espace informationnel, la narration cesse d’être un outil de communication et devient une stratégie de détournement. Les récits sont également le résultat d’un processus d’agrégation d’éléments narratifs en histoire complète, petite ou grande, individuelle ou collective. Ce processus implique des pratiques de re-narration ou de rationalisation qui réduisent les différences et égalisent les récits entre eux. L’agrégation favorise ainsi la normalisation, c’est-à-dire la définition du périmètre de ce qui est acceptable ou non culturellement.Les résultats de la normalisation peuvent être définis de manière négative, en termes de tabous, ou de manière positive, en ce qui concerne des comportements socialement ou légalement acceptables.

Les attitudes envers la migration


Ces différentes stratégies (agrégation, objectif narratif fallacieux) fonctionnent à condition de trouver un terrain fertile et des personnes disposé·es à adhérer à certains discours et agir en cohérence avec eux. C’est pourquoi OPPORTUNITIES a examiné l’évolution des attitudes des Européen·nes envers les migrant·es et la migration en Europe à travers une vaste enquête  2De manière assez surprenante, il ressort des analyses que la plupart des Européen·nes sont soit ambivalents, soit relativement positifs à l’égard de la migration (voir figure 1). On constate une évolution positive de leurs attitudes dans presque tous les pays, mais elle est particulièrement remarquable dans les pays d’Europe du Sud depuis 2010. Les analyses montrent également que l’exil des Syrien·nes en 2016 n’a eu aucun effet sur les attitudes des Européen·nes à l’égard de la migration. Les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) constituent une exception à ces observations. Fait remarquable, cette tendance n’a commencé qu’en 2006 ; avant cela, ces pays affichaient la même tendance que les pays occidentaux. La perception des citoyen·nes quant au caractère positif de la migration (figure 2) a été examinée de plus près à partir de questions telles que : « les migrant·es enrichissent-ils la culture nationale ? », « apportent-ils une contribution positive à l’économie ? » ou « font-ils de notre pays un endroit où il fait bon vivre ? » Les réponses ont été classées en trois groupes : « désaccord », « neutre » et « positif ».
Les résultats sont intéressants : environ 25 % des répondant·es considèrent que la migration est une menace pour leur pays, environ 30 % ont une opinion positive à l’égard de la migration et à peu près 45 % ont une opinion neutre, susceptible d’être influencée par celle des autres catégories.Cela montre à quel point la « bataille narrative » est importante. Les discours dominants peuvent influencer l’opinion de ces personnes ambivalentes. On peut par exemple penser que l’évolution des attitudes des pays du groupe de Visegrad (figure 1) depuis 2006 a été influencée par les discours de Viktor Orbán dont la voix est pratiquement la seule qui puisse encore être entendue dans le pays en raison de la censure qui y sévit. La recherche a aussi proposé une typologie de pays européens, des plus ouverts aux plus fermés à la migration. Les pays ont été classés par groupe en fonction de profils individuels qui y sont plus répandus. Trois groupes de pays spécifiques ont été identifiés. La figure 3 (p.4) résume la répartition en pourcentage des différents groupes de citoyen·nes au sein de ces groupes de pays selon qu’ils aient des attitudes favorables (ligne verte), sélectives (ligne bleue) ou opposées (ligne grise) à la migration.Il existe des clivages régionaux clairs entre les différents pays européens ainsi que des différences entre pays appartenant au même groupe. Cependant, les pays du sud de l’Europe sont moins facilement divisés en blocs régionaux spécifiques : la population italienne est plus sélective à l’égard de la migration, tandis que le Portugal et l’Espagne s’enorgueillissent d’un groupe plus important de citoyen·nes affichant une attitude plus positive à l’égard de la migration.Ces différences entre les groupes de pays et entre les pays ont des implications politiques. Pour les gouvernements de la République tchèque ou de la Hongrie, il est assez facile de se conformer aux préférences de leurs citoyen·nes, car presque l’ensemble a une attitude négative à l’égard de la migration. En revanche, dans des pays comme la Belgique ou la Suède, les préférences sont plus diverses, ce qui peut entrainer des conflits politiques. Ainsi, la prévalence plus élevée de citoyen·nes ouvert·es à l’égard de la migration dans ces pays du « groupe 2 » ne signifie pas qu’il existe un consensus sur les migrant·es ou sur la politique migratoire. Comme aucun des trois groupes (opposé, sélectif ou favorable) n’est majoritaire dans le pays, nous pensons que la prise de décision en matière de politiques migratoires restera difficile. Enfin, comme le groupe des citoyen·nes ouvert·es correspond à moins de 50 % de la population des pays du « groupe 2 » tels que la France, la Suisse ou le Royaume-Uni, nous ne pouvons pas conclure que ces pays européens sont, en moyenne, favorables à la migration.


Vers un discours « par » et « avec » les migrant·es

Dans la plupart des cas, les discours portent toujours « sur » les migrant·es, ce qui rend possibles les récits toxiques à leur égard. Un récit équilibré et nuancé n’est obtenu que si tout le monde a la parole.OPPORTUNITIES défend le level telling field par analogie avec l’égalité de traitement utilisé dans les discours économiques de l’Union européenne, c’est-à-dire des espaces de communication caractérisés par un dialogue équitable mettant sur un pied d’égalité tou·tes les participant·es. Cette option vise à ce que la voix des migrant·es ne soit plus minorisée. Pour avoir un level telling field, nous présupposons que tous et toutes ont les mêmes ressources et les mêmes opportunités. Cela signifie aussi que chacun·e respecte les droits humains et accepte les conditions démocratiques : une éthique de l’écoute, de l’empathie et de l’argumentation, et des droits humains ; c’est la condition sine qua non pour parvenir à un dialogue équitable.Pour résumer notre objectif, il s’agit de passer d’un discours « sur » à un discours « par » et « avec » les personnes migrant·es. #


OPPORTUNITIES a formulé quelques recommandations pour les journalistes, les ONG et les politicien·nes afin de mettre les voix des migrant·es sur un même pied d’égalité dans les narrations.Risques : Trop de formules sur « le » migrant, « le » réfugié, « le » demandeur d’asile.  L’utilisation de stéréotypes.  Trop de cadres génériques tels que la victimisation.  L’histoire complexe de chaque migrant·e disparait.  Les migrant·es sont considéré·es comme un groupe homogène.  L’accent est trop mis sur l’aide pour laquelle les migrant·es devraient être reconnaissant·es. Stratégie alternative  : « allied storytelling »Cette stratégie développée comprend des  étapes :  Écouter attentivement.  Co-créer des histoires avec les migrant·es.  Tenir compte du fait qu’être « en mouvement » n’est qu’un aspect de l’identité des migrant·es.  Essayer de se mettre à la place du migrant ou de la migrante.  Ne pas instrumentaliser l’histoire de la personne pour des raisons politiques, idéologiques ou économiques. 

1.  C. GEBAUER et R. SOMMER, « Beyond Vicarious Storytelling How Level Telling Fields Help Create a Fair Narrative on Migration », Open Research Europe, 2023, vol. 3, n° 10, p. 10.


(*) Coordinateur OPPORTUNITIES project pour Beweging.net

1.  Il s’agit d’un projet de recherche subventionné par l’Europe. Pour de plus 1.  Il s’agit d’un projet de recherche subventionné par l’Europe. Pour de plus amples informations : www.opportunitiesproject.eu

2.  Concrètement, le rapport étudie et discute les changements dans la perception des migrant·es et les attitudes envers la migration entre 2002-2018 en utilisant les données de l’Enquête sociale européenne. Il analyse les questions de recherche suivantes : quelles sont les attitudes à l’égard de la migration dans les pays européens et ont-elles changé au cours des deux dernières décennies ? Quel a été l’impact de la crise des réfugié·es de 2015-2016 sur ces attitudes ? Observe-t-on des différences entre les citoyen·nes ? 

 

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