9m2Faire de l’ancienne prison de Forest un musée, c’est le projet de l’asbl 9 m2 composé de citoyen·nes, acteurs associatifs et du monde de la justice. L’objectif est de proposer un outil pédagogique et un espace de réflexion sur l’enfermement et le système pénal. Ce type d’initiative a déjà vu le jour dans les murs de la prison de Tongres entre 2005 et 2008.

 

 

 

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En quoi consiste votre projet de musée dans la prison de Forest ?
Olivia Nederlandt (O.N.): Nous souhaiterions conserver deux des quatre ailes que compte la prison de Forest pour installer dans l’une, un musée pédagogique et dans l’autre, un centre d’exposition, de recherche et de documentation. Le musée a pour objectif de sensibiliser les citoyen·nes – y compris les jeunes – mais aussi les travailleur·ses par exemple – aux réalités de la prison et de l’enfermement. Ce lieu serait également un espace de rencontres pour les chercheur·ses et académiques qui étudient le système pénal sous toutes ses coutures, mais aussi un lieu de débat citoyen. Concrètement, le musée comptera deux volets. Le premier, historique, remontera l’histoire des prisons, avec des pièces historiques inédites. Qui enferme-t-on au cours de l’histoire ? Où et comment construit-on les prisons ? Le deuxième volet sera pédagogique et ciblera les jeunes. On veut montrer ce que représente la privation de liberté, que ce soit dans une prison vétuste ou une prison moderne. Nous voulons aussi faire ressentir et expérimenter, afin d’aller au-delà des discours véhiculés aujourd’hui qui sont loin de refléter la réalité. Il y est urgent de mener ce travail de sensibilisation parce qu’on enferme de plus en plus.

C’est à partir du musée de Tongres qu’est née l’idée pour Forest ?
Jean-Marc Mahy (J.-M. M.) : En 2008, nous avons lutté, avec Luk Vervaet, enseignant en prison, pour garder ouvert le musée-prison de Tongres, fermé en 2008 pour être transformé en prison pour mineurs un an plus tard. Plus de dix ans plus tard, nous avons lancé, avec des dizaines de citoyen·nes, ainsi que La Ligue des droits humains et la section belge de l’Observatoire international des prisons, cette idée pour Forest.
O. N. : Dans le dernier rapport de la Commission de surveillance de Forest-Berkendael, nous encouragions aussi le développement d’une telle initiative. 

Comment se présentait concrètement le musée-prison de Tongres ?
J.-M. M. : Il s’agissait d’une expérience holistique durant laquelle visiteur·ses ressentent l’humidité des cellules, l’oppression, la sensation d’enfermement... Quatorze cellules avaient un thème, basé sur le vécu et les sentiments d’une personne en prison : cellule des rêves, du temps perdu, de la justice. L’idée était de faire prendre conscience de toutes les émotions qui nous traversent quand on est enfermé, d’autant que celles-ci sont concentrées « entre six murs ». J’utilise cette expression, car en prison, on regarde souvent le plafond et le sol. Et parfois, le plafond nous semble en bas, et le sol se dérober. Cette « scéno » a été pensée par la designeuse Linde Hermans, qui a passé deux mois sur place pour s’imprégner des conditions carcérales.

Qu’en retiraient les personnes qui ont fait la visite ? Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué ?
J.-M. M. : J’ai des souvenirs assez différents puisque j’ai eu des publics assez diversifiés : des profs, des élèves, etc. Chez les adolescent·es, on voit vraiment un « avant-après » la visite. Ils arrivent avec des idées préconçues comme « La prison, c’est les vacances » ou « Ici, je vais devenir un homme » comme si ça ne changeait pas grand-chose à leur vie, qui tourne principalement autour de leur chambre et leur PlayStation. En faisant cette visite, ils prennent conscience que c’est impossible de vivre dans une cellule de 9m2.

Donc, vous visez spécialement les jeunes tant à Tongres qu’à Forest ?
J.-M. M. : Il faut parler de la prison à tout le monde. Je viens de rentrer de Grenoble où j’ai eu des débats très respectueux avec les détenus sur l’importance de mettre à profit le temps de détention pour s’instruire, pour transformer le temps perdu en temps de liberté. Mais en effet, avec les jeunes, j’ai un réel objectif de prévention. Je suis rentré en prison à 17 ans et mon expérience les fait forcément réfléchir. Sur les 20 jeunes avec qui j’étais enfermé en IPPJ, la plupart sont morts aujourd’hui. Je parle donc pour ceux qui ne sont plus là et en vue d’éviter que ça arrive encore. J’aborde la question de la violence avec les jeunes, car dans la plupart des cas, les mineurs délinquants sont d’abord des jeunes qui ont souffert et qui ont exprimé la souffrance par la violence. Je répète souvent que « la violence est le bruit d’une souffrance qui n’est pas entendue ». Après avoir mis des mots sur la violence, je leur explique aussi les dommages que l’on cause aux autres, à ses proches, etc.
Il faut trouver un équilibre entre la responsabilité de chacun de prendre sa vie en main et la responsabilité collective. C’est à nous tous de nous en vouloir de maintenir cette violence omniprésente, cette production médiatique qui donne l’envie d’être riche et ôte tout rêve aux jeunes, de laisser faire une société qui produit des injustices qui ensuite créent de la violence.
O.N. : En faisant un musée, l’objectif est aussi de montrer que l’enfermement est une question collective, qui nous concerne toutes et tous... La justice pénale est en effet axée sur la responsabilité individuelle, ce qui a pour effet d’éclipser tout le contexte social et économique dans lequel la délinquance s’inscrit. Or, on le sait, le pénal ne peut être une réponse à des problèmes sociaux.

Quels sont aujourd’hui les principaux obstacles qui se placent sur votre route pour lancer ce projet ?
O.N. : Au cours de ces derniers mois, nous avons multiplié les contacts politiques à tous les niveaux de pouvoir (fédéral, régional, communautaire et communal), nous avons également rencontré la Régie des bâtiments et l’administration pénitentiaire. Maintenant, il nous faut des accords et donc de l’intérêt du monde politique. Notre priorité numéro 1 est d’obtenir une occupation temporaire des lieux. Mais la situation est compliquée, car la question se pose de savoir qui sera, à terme, propriétaire du terrain sur lequel la prison est située. Ce terrain appartient pour l’instant au fédéral, à la Régie des bâtiments. La Région est un acheteur potentiel, mais rien n’est garanti. Notre interlocuteur actuel est dès lors la Régie, mais à ce stade, nous n’avons pas encore pu identifier de personnes au sein de celles-ci pour nous aider à concrétiser le projet. Le temps presse pourtant, car nous craignons que le bâtiment ne se détériore en étant laissé à l’abandon, ce qui compliquerait l’installation du musée. Nous tenons aussi à souligner que nous avons connaissance de l’existence d’autres projets, projets artistiques d’expositions temporaires, projets portés par des écoles d’architecture ou encore projets d’occupation temporaire pour les habitants du quartier, et notre volonté est de collaborer avec toutes ces personnes pour que ces projets se complètent et s’enrichissent mutuellement. Nous sommes d’ailleurs déjà en contact avec plusieurs d’entre elles.

Quelle est votre analyse de la construction de la maxi-prison de Haren ?
O.N. : La construction de nouvelles prisons n’est pas une bonne réponse par rapport à la problématique de la surpopulation carcérale. Au contraire, l’ouverture de nouveaux bâtiments aggrave l’inflation carcérale. Nous avons aujourd’hui 11.000 détenus. Nous n’avions plus connu ça depuis cinq ans. Il y a des corrélations entre l’absence de titre de séjour ou le chômage et l’enfermement. En décidant de construire Haren, il fallait alors véritablement fermer toutes les prisons de Bruxelles. Or, ces prisons n’ont pas fermé sauf Forest et l’on sait que vont être construites d’ici fin 2023 quinze maisons de détention. C’est tout le paradoxe actuel. On nous parle de réforme du droit pénal, de procédure pénale, mais on continue à présenter l’érection de nouvelles prisons comme LA réponse.

On dit d’Haren – au contraire de Tongres ou Forest – que c’est une prison moderne. Quelle est votre analyse ?
O.N. : Je me réfère aux travaux du chercheur David Scheer qui parle du « paradoxe de la modernisation carcérale ». Par là, il entend le fait que ce n’est pas parce que l’infrastructure est neuve que les conditions de détention sont nécessairement meilleures. Ce qui compte, c’est l’accès aux activités, les contacts sociaux, qu’on soit dans un ancien ou un nouvel établissement. Et David Scheer montre que paradoxalement, des détenu·es se sentent mieux dans de « vieilles » prisons que des nouvelles, car celles-ci réduisent les possibilités de circulation, les liens humains et les contacts sociaux.
J.-M. M. : Ils prétendent qu’ils veulent rendre les détenu·es autonomes. Mais c’est loin d’être le cas. Un exemple : ils ont mis en place un système informatique pour gérer les visites, les bibliothèques, etc. Mais qui connait l’informatique ? Sans compter que la prison compte un grand taux d’analphabétisme. #


Propos recueillis par Manon Legrand

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