Depuis sa mise en place en 2015 en Région bruxelloise, le parcours d’accueil des primo-arrivant·es est évalué annuellement par le CRAcs (Centre Régional d’Appui à la cohésion sociale). Son dernier rapport se penche sur l’utilité et l’impact du parcours dans l’installation des personnes primo-arrivantes, à partir d’entretiens réalisés avec 500 bénéficiaires. Des questions importantes à creuser – et à faire remonter aux autorités de la Cocof – d’autant plus que le parcours est devenu obligatoire à Bruxelles depuis le 1er juin 2022.
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Quelles sont vos principales conclusions à l’issue de cette évaluation ?
Rappelons d’abord que le parcours a pour objectif de permettre à toute personne qui souhaite s’établir durablement en Belgique d’avoir une meilleure connaissance de notre société, de mener sa vie de manière autonome et de lui permettre une meilleure participation à la vie sociale, économique et culturelle. Du point de vue de cette offre intégrée, nous arrivons à des résultats paradoxaux. Toutes les composantes du parcours produisent un effet : les cours de français améliorent la maitrise de la langue ; la citoyenneté améliore la compréhension de la société belge, etc. Mais le parcours ne semble pas produire des impacts sur la mise à l’emploi et sur l’amélioration des conditions de logement. En matière d’emploi par exemple, le taux d’emploi de notre population d’enquête est exactement identique à celui qu’on observe pour l’ensemble des ressortissant·es hors Union européenne à Bruxelles. Certes, la politique d’accueil n’a pas pour visée l’insertion et la mise à l’emploi des personnes, il s’agit d’accroitre la participation sociale, économique et culturelle. Mais celle-ci passe aussi par l’emploi.
Comment l’expliquer ?
Nous développons deux pistes d’explication, l’une interne et l’autre relative à ce que nous nommons la cohérence externe. Sur le plan interne, nous recommandons de revoir la pertinence des objectifs du parcours d’accueil et d’en évaluer les différentes composantes. Par causes externes qui limitent le parcours, on entend les discriminations systémiques à l’égard des migrant·es que le parcours ne parvient pas à contrebalancer. Il faut ici rappeler que la Belgique est l’un des pires élèves de l’Union européenne à ce sujet 1. Sur le logement par exemple, nous avons bien vu que l’impact que pouvait avoir le parcours d’accueil en la matière était aussi fortement limité du fait de facteurs structurels : l’état du marché du logement à Bruxelles et les discriminations subies par les primo-arrivant·es sur celui-ci.
C’est pourquoi nous plaidons pour une transversalité des politiques publiques pour certains publics cibles, comme les primo-arrivant·es. Nous insistons aussi sur le fait que ce parcours ait une dimension interculturelle. C’est aussi à la société de s’interroger sur la migration et pas seulement les migrant·es qui doivent s’interroger sur la société d’accueil. Enfin, il faut développer un dialogue entre les secteurs sociaux pour prendre en compte tous les besoins de la personne et ne pas saucissonner l’aide et l’offre. Une sorte de guichet unique, comme au Portugal. L’idée du guichet unique vient notamment de l’idée que les travailleur·ses sociaux·ales tissent des liens de confiance avec le public et qu’il est beaucoup plus simple d’avoir un lieu central plutôt que d’envoyer les gens à droite à gauche rencontrer plusieurs assistant·es sociaux·ales 2.
Le parcours flamand pousse beaucoup plus à l’emploi. Faut-il s’en inspirer ?
On observe que le parcours flamand à Bruxelles met davantage l’accent sur l’insertion (ISP) que du côté francophone. Le parcours d’accueil étant une porte d’entrée dans la société belge, ces questions-là sont forcément mises sur la table durant l’accompagnement avec l’assistant·e social·e, mais il ne s’agit pas encore d’une composante à part entière dans le parcours. Les primo-arrivant·es eux-mêmes nous ont confié que l’ISP était le parent pauvre du parcours. Cette question agite aussi les BAPA (Bureaux d’accueil pour primo-arrivants, au nombre de trois à Bruxelles pour la filière francophone, qui accueillent environ 5.000 personnes, NDLR) qui revendiquent l’importance de pouvoir faire de l’accompagnement vers la formation et l’emploi. C’est pourquoi, à partir des besoins bénéficiaires, nous recommandons dans notre rapport d’une part d’intégrer un focus insertion socio-professionnelle au sein de la politique d’accueil. D’autre part, d’avoir une attention spécifique sur les primo-arrivant·es dans la politique ISP et d’opter pour une approche collaborative et coordonnée entre les acteur·rices de l’ISP et de l’emploi (Actiris par exemple) et la politique d’accueil de la Cocof. En effet, il est nécessaire pour ce public de suivre une formation avant d’entamer un parcours ISP. Il y a aussi tout un travail à faire au niveau de l’équivalence des diplômes.
Certaines institutions ou administrations publiques prescrivaient déjà le parcours. Avec des risques d’instrumentalisation ?
Des CPAS intègrent en effet le suivi du parcours d’accueil dans le cadre des Projets individualisés d’Intégration sociale (PIIS). Le suivi du parcours d’accueil est donc quelque part une condition pour bénéficier du RIS, une preuve qu’ils « s’activent » pour sortir de l’aide sociale. C’est une forme d’instrumentalisation du parcours, oui. On voit aussi que le parcours peut être une façon de répondre à l’octroi d’un titre de séjour. Pour les personnes dont le titre de séjour est précaire, pour lesquelles le parcours n’est pas obligatoire, le suivi d’un parcours d’accueil peut être une façon d’appuyer son dossier pour une prolongation de son statut. Il y a là aussi un risque d’instrumentalisation. L’accès au titre de séjour est conditionné au fait d’être un·e bon·ne citoyen·ne.
Concernant l’accès à la nationalité que vous avez aussi étudié, ce lien opère-t-il aussi ?
On a voulu voir si les personnes engagées dans le parcours d’accueil s’intéressaient à cette question de la nationalité et si le parcours avait un effet sur son obtention. Les 500 personnes interrogées sont toutes des personnes dont les dossiers avaient été archivés, avec ou sans attestation de fin de parcours. L’obtention de la nationalité belge est apparue comme un objectif partagé par la quasi-totalité d’entre elles, et leur statut de séjour a évolué. À nouveau, le parcours apparait aussi comme une des façons de prouver son intégration sociale quand on demande la nationalité.
Et si on rate son parcours ?
Le parcours Cocof prévoit une attestation de suivi. Du côté de la Région flamande (donc à Bruxelles également, voir encadré pour comprendre le puzzle institutionnel), il s’agit d’une attestation de réussite. Ce sont deux visions différentes, qui seront intéressantes à suivre en cas de parcours unique.
Que sait-on sur ce suivi unique souhaité par le ministre de l’Action sociale Alain Maron (Ecolo) ?
Alain Maron veut « cocomiser » 3 le parcours afin qu’un·e migrant·e n’ait pas à choisir entre une offre francophone ou néerlandophone à Bruxelles. Actuellement en effet, la personne est libre de pouvoir choisir un parcours ou l’autre. Partant de l’idée qu’une personne qui arrive ne connait pas forcément toute la complexité de la Belgique, et que c’est déjà difficile pour elle de savoir que ce parcours existe, l’important est qu’elle arrive dans un bureau d’accueil et qu’elle puisse choisir sur le moment même. Maintenant qu’il est obligatoire, les communes ont un rôle à jouer en matière d’information. C’est sûr qu’il y aura des négociations politiques vu les visions différentes entre les communautés. #
Propos recueillis par Manon Legrand
Comment s’organise le parcours d’accueil en Belgique ?
La compétence de l’intégration est distribuée en Belgique comme telle : au Nord du pays, elle est gérée par la Communauté flamande depuis 1980. Au Sud du pays, la Région wallonne est dotée de cette compétence suite au transfert de 1993. À Bruxelles, il y a deux filières, l’une néerlandophone gérée par la Communauté flamande, l’autre francophone, par la Cocof. Il est à souligner aussi que d’autres niveaux de pouvoir, fédéral et européen, peuvent aussi intervenir en cette matière 4.
La Communauté flamande a mis sur pied un parcours d’intégration – l’inburgering – en 2003 devenu rapidement obligatoire.
Dix ans plus tard, Bruxelles (Cocof) et la Wallonie (Région) ont aussi adopté un parcours, d’accueil à Bruxelles, d’intégration en Wallonie, obligatoire depuis ce 1er juin 2022 pour le premier, depuis 2016 pour le second.
Le parcours s’adresse aux personnes étrangères installées en Belgique de façon légale et durable depuis moins de trois ans. Il a pour objectif l’émancipation et l’autonomie des primo-arrivant·es via des cours de français, des informations sur la vie citoyenne, sur les droits et devoirs des citoyen·nes belges, mais aussi un accompagnement social individuel. Plusieurs cas sont exemptés et le parcours peut aussi être volontaire.
1. C. XHARDEZ, « L’intégration des nouveaux arrivants à Bruxelles : un puzzle institutionnel et politique », Brussels Studies, Collection générale, n° 105, mis en ligne le 24 octobre 2016.
- En matière d’emploi, une enquête d’Eurostat en 2018 a montré que la Belgique avait le taux d’emploi des immigré·es non-européen·nes le plus faible des États membres. Il est de 54 % alors que pour l’Union européenne, la moyenne de ce taux d’emploi est de 73,4 %.
- Ce concept a été abordé lors de la matinée d’étude du CBAI sur la politique d’accueil, le 17 mai 2022. Voir : https://www.cbai.be/actes-journee-17-mai-pa/
- La Commission communautaire commune - COCOM - règle et gère les matières communautaires communes aux deux Communautés en Région bruxelloise